Ottawa (Ontario), le 19 juin 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
YURI SVERDLOV (alias YOURI SAVARDELOV),
MAYA SVERDLOVA (alias MAYA SVERDLOV)
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Yuri Sverdlov et Maya Sverdlova (les demandeurs) sont des citoyens d’Israël qui ont déposé une demande d’asile au Canada. Mme Sverdlova est une membre pratiquante des Témoins de Jéhovah qui craint d’être persécutée du fait de son appartenance à ce groupe. M. Sverdlov est un juif qui craint d’être persécuté en Israël en tant que mari d’une épouse non juive. Dans une décision rendue le 9 mars 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni de personne à protéger, en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision alléguant que la Commission y a commis un certain nombre d’erreurs.
[2] La décision de la Commission était fondée sur les trois conclusions principales qui suivent :
- La Commission ne pensait pas que les incidents qui étaient censés constituer le fondement de la demande des demandeurs s’étaient réellement produits;
- Même si les incidents s’étaient produits tel qu’allégué, le préjudice ne constituait pas de la persécution;
- Quoi qu’il en soit, les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de réfuter la présomption de la protection de l’État.
[3] Si elles sont toutes confirmées, ces conclusions seront déterminantes quant à l’issue de la demande d’asile des demandeurs. Les demandeurs doivent donc convaincre la Cour que la Commission a commis une erreur dans chacune de ces trois conclusions. À cette fin, je vais d’abord examiner l’analyse de la Commission sur la protection de l’État. Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans cette partie de sa décision. Ainsi, il n’y a pas lieu de réexaminer la conclusion relative à la crédibilité ou la question de la discrimination versus la persécution.
[4] Il incombe aux demandeurs d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que l’État d’Israël ne peut pas ou ne veut pas les protéger (voir, par exemple, l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1). Dans le cas de l’État démocratique d’Israël, il n’est pas facile de s’acquitter de ce fardeau (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 à la page 534 (C.A.F.), 206 N.R. 272). En l’espèce, la Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur avait été imposé. Avant d’en arriver à cette conclusion, la Commission a examiné une preuve documentaire abondante portant non seulement sur l’existence d’Israël en tant qu’État démocratique, mais aussi sur l’efficacité de la protection de l’État offerte aux personnes se trouvant dans une situation semblable à celle des demandeurs. La Commission a donc tenu compte directement de la volonté et de la capacité de l’État d’Israël de protéger les anciens citoyens de la Russie et les personnes qui ne sont pas juives.
[5] Les demandeurs allèguent que la Commission a omis de tenir compte des observations présentées après l’audience et de la preuve documentaire fournie par l’avocat des demandeurs. L’omission de tenir compte de la preuve peut constituer un motif justifiant le contrôle d’une décision. Je souligne d’abord que la Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie. Les observations présentées après l’audience figuraient au dossier certifié du tribunal. Ainsi, en l’absence d’une preuve contraire, il existe une présomption selon laquelle ces observations ont été prises en compte. La présomption s’appliquerait certainement aux documents généraux portant sur la situation du pays qui n’ajoutent rien au dossier dont la Commission est déjà saisie ou aux documents qui ont peu de fiabilité ou de pertinence inhérente quant à la situation personnelle des demandeurs. Après avoir examiné les observations en question, je ne suis pas convaincue qu’il y avait quoi que ce soit dans l’ensemble qui devait faire l’objet d’une mention particulière. Les documents joints aux observations n’ont pas été fournis ou examinés par un tiers indépendant. La plupart de ces documents semblent porter sur la propagande haineuse et être tirés de sites Web. Je ne considérerais certainement pas ces documents comme crédibles ou fiables. Dans sa décision, la Commission a reconnu que les immigrants russes et les chrétiens qui se convertissent éprouvent certaines difficultés, ce qui permet d’établir, à mon avis, que la Commission était au courant de la preuve à cet égard et qu’elle en a tenu compte, y compris la preuve fournie après l’audience. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la Commission a rendu sa décision sans égard à la preuve.
[6] La deuxième erreur que l’on reproche à la Commission se trouve dans une phrase de l’analyse sur la protection de l’État. Tel qu’il a été souligné par la Commission (et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kadenko, précité, à la page 534), dans un État démocratique, les demandeurs doivent établir qu’ils ont cherché à épuiser tous les recours raisonnables s’offrant à eux en vue d’obtenir la protection nécessaire. Après avoir énoncé ce principe, la Commission a conclu dans sa décision ce qui suit :
Le tribunal conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas fourni de preuves indiquant qu’ils avaient demandé à la police de les protéger et de faire enquête sur leur situation. Il faut donner à la police les moyens de procéder à une enquête sur les crimes rapportés. L’information est un outil essentiel et les demandeurs d’asile ont omis de demander une protection sans apporter de justification adéquate.
[7] Les demandeurs allèguent qu’ils ont bel et bien présenté une preuve établissant qu’ils avaient cherché à épuiser tous les recours en vue d’obtenir la protection de l’État et que, par conséquent, les mots « n’ont pas fourni de preuves » constituent une erreur de fait.
[8] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation des demandeurs au sujet de la déclaration de la Commission. Plusieurs déclarations dans la décision révèlent que la Commission a tenu compte du fait que les demandeurs auraient communiqué avec la police. Cependant, les demandeurs n’ont pas été en mesure de fournir les noms des personnes qui auraient envoyé la propagande haineuse. Ils ont aussi omis de rédiger un rapport de suivi sur l’incident le plus grave, au motif qu’ils n’entretenaient « aucun espoir d’être aidé[s] », comme l’a témoigné Mme Sverdlova. L’allégation des demandeurs, selon laquelle le mauvais fonctionnement de leur cuisinière était un exemple de harcèlement, semble n’avoir été qu’une pure hypothèse. Comment la police aurait-elle pu effectuer un suivi en l’absence de toute preuve permettant d’établir un lien entre cet incident et son auteur? Lorsqu’on ne peut donner le nom d’une personne ou même un indice quant à son identité, lorsque aucune plainte officielle n’est déposée, ou lorsqu’un appel à la police est fondé sur de pures hypothèses, la police se voit dans l’impossibilité d’aider les demandeurs. Eu égard aux faits, il est donc assez raisonnable d’affirmer que la police n’a reçu aucune preuve qui lui permet[trait] de protéger les demandeurs. À mon avis, c’est exactement ce que la Commission a dit et ce qu’elle voulait dire. Il n’y a aucune erreur.
[9] Les demandeurs allèguent aussi que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a déclaré que l’une des plaintes déposées auprès de la police ne contenait aucune adresse ni numéro de téléphone. Il s’agit sûrement d’une erreur, puisque au moins une adresse de voirie figurait sur l’avis. Cependant, à la lumière des autres éléments de preuve sur les efforts que les demandeurs auraient déployés en vue d’obtenir l’aide de la police, je ne suis pas convaincue que cette erreur est déterminante dans l’analyse sur la protection de l’État.
[10] Enfin, pour ce qui est de la question de la protection de l’État, les demandeurs soulignent le fait que la Commission a reconnu le refus de l’État de protéger les personnes qui n’étaient pas juives. À ce titre, il se fondent sur une déclaration de la Commission selon laquelle [traduction] « le gouvernement fait preuve de discrimination envers ceux qui ne sont pas juifs ». Ils allèguent que cette déclaration confirme que la preuve documentaire étaye leur allégation selon laquelle la police ne leur viendra pas en aide. Cet argument n’a absolument aucun fondement. Au moment où la Commission a fait cette déclaration, c’est-à-dire lors de l’audience, elle ne faisait que mentionner un élément de la preuve documentaire. On ne peut certainement pas conclure que la Commission a reconnu le refus de la police de protéger les personnes non juives par cette déclaration. Pour en arriver à sa décision, la Commission a examiné une preuve documentaire abondante et variée qui établissait que l’État d’Israël offrait sa protection et son aide aux personnes non juives.
[11] En somme, les demandeurs n’ont pas été en mesure de me convaincre que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l’État. Comme il s’agit d’une question déterminante, il n’y a aucun motif suffisant pour justifier l’annulation de la décision. Même si je devais juger que la conclusion de la Commission relative à la crédibilité, ou celle voulant que le harcèlement ne constitue pas de la persécution, est erronée (ce que je ne crois pas), la présente demande ne pourrait pas être accueillie.
[12] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
- qu’aucune question de portée générale ne soit certifiée.
« Judith A. Snider »
____________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1683-06
INTITULÉ : YURI SVERDLOV ET AUTRE
c.
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE
L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 JUIN 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 19 JUIN 2007
COMPARUTIONS :
Arthur I. Yallen |
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Asha Gafar |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Yallen Associates Avocats Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |