Ottawa (Ontario), le 18 juin 2007
En présence de madame la juge Hansen
ENTRE :
WARNER‑LAMBERT COMPANY, s.r.l.
et
RANBAXY LABORATORIES LIMITED et RANBAXY INC.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNNANCE
Introduction
[1] Ranbaxy Laboratories Ltd. (Ranbaxy) a déposé une requête en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (Règlement) en rejet de la présente demande dans son ensemble. La protonotaire Tabib a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que la demande soit frivole, vexatoire ou constitue un abus de procédure et a rejeté la requête. Ranbaxy interjette appel de cette ordonnance.
Faits
[2] La présente demande découle de la vente proposée par Ranbaxy de comprimés d’atorvastatine calcique génériques, Ran-Atorvastatin, afin de faire concurrence au produit LIPITOR de Pfizer. Au moyen d’une lettre datée du 23 mai 2006, Ranbaxy a formulé des allégations d’absence de contrefaçon des brevets canadiens nos 2,450,111 (brevet ’111), 2,521,953 (brevet ’953) et 2,521,933 (brevet ’933) (avis d’allégation) ajoutés au registre des brevets par Pfizer Canada Inc. (Pfizer). Ces brevets revendiquent les formats de cristallin VII, X et XII d’atorvastatine calcique, respectivement. Dans son avis d’allégation, Ranbaxy a déclaré que ses comprimés de Ran-Atorvastatin ne seront composés que de la forme amorphe d’atorvastatine calcique et d’aucun des formats de cristallin. Ranbaxy a également déclaré qu’elle ne fabriquerait, n’utiliserait, ni vendrait aucuns des formats de cristallin d’atorvastatine calcique revendiqués.
[3] En réponse, les demanderesses ont déposé le présent avis de demande d’ordonnance d’interdiction au motif que les allégations de Ranbaxy d’absence de contrefaçon ne sont pas justifiées. Pfizer soutient que les comprimés de Ran-Atorvastatin [traduction] « contiennent, seront transformées ou seront fabriquées au moyen de procédés qui utilisent ou qui produisent [les formats de cristallin d’atorvastatine calcique revendiqués] en tant que produit provisoire et/ou de produit final. »
[4] Il est constant que Ranbaxy utilise deux procédés pour fabriquer le Ran-Atorvastatin : en premier lieu, celui déposé auprès de Santé Canada dans le cadre de sa présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN], en litige en l’espèce et, en deuxième lieu, un procédé qui n’a pas été déposé auprès de Santé Canada qui, selon les experts de Pfizer, utilise des intermédiaires qui constituent ou contiennent le format de cristallin d’atorvastatine VII.
[5] Même si Ranbaxy déclare qu’elle n’a pris aucune décision quant à savoir si elle commercialisera le produit au moyen du procédé déposé auprès de Santé Canada ou du deuxième procédé, Pfizer soutient qu’il existe d’éléments de preuve au dossier [traduction] « plus que suffisants » permettant de conclure que Ranbaxy modifiera son procédé de fabrication déposé auprès de Santé Canada en faveur du deuxième procédé si un avis de conformité lui est délivré. Pour ce motif, Pfizer fait valoir qu’il existe des éléments de preuve crédible selon lesquels Ranbaxy contrefera son brevet pour le format de cristallin d’atorvastatine VII si un avis de conformité lui est délivré.
[6] En ce qui concerne la requête en rejet, Ranbaxy a soutenu qu’une [traduction] « demande d’ordonnance d’interdiction en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement se limite nécessairement à la présentation figurant au dossier déposé auprès de Santé Canada et est définie par celui‑ci et que les seules questions que la Cour doit trancher ou qui peuvent être pertinentes dans une telle demande sont celles de savoir si, selon les documents déposés par la seconde partie auprès de Santé Canada, les allégations d’absence de contrefaçon de la seconde personne sont justifiées » (motifs de la protonotaire au paragraphe 14).
[7] Afin de parvenir à sa décision selon laquelle il n’est pas [traduction] « évident et manifeste » que la demande soit inutile, scandaleuse, frivole, vexatoire ou constitue un abus de procédure, la protonotaire Tabib a tenu compte du fait que l’avis d’allégation de Ranbaxy ne mentionne pas expressément le procédé déposé auprès de Santé Canada pour définir ses allégations et qu’il n’existe aucune jurisprudence portant directement sur la question de savoir si une première personne est limitée à tenter d’établir que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas justifiées uniquement à l’aide des documents déposés auprès de Santé Canada.
[8] Devant la protonotaire Tabib, Ranbaxy a également soutenu que les éléments de preuve déposés par Pfizer en vertu de l’article 306 des Règles ne contiennent aucun argument selon lequel les brevets ’953 ou les brevets ’933 seraient contrefaits en fabriquant, en utilisant ou en vendant les comprimés Ran‑Artorvastatin. Au motif que Ranbaxy n’a demandé que le rejet de la demande dans son ensemble et non une partie de la demande et puisque ces questions étaient clairement des questions secondaires concernant peu d’éléments de preuve, voire aucun, et qu’aucun de ces derniers n’était controversé, la protonotaire Tabib a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider si la demande devrait être rejetée en partie. Cette décision n’a pas été attaquée en appel. En dernier lieu, aux fins d’intégralité, il convient de noter que la protonotaire Tabib n’a pas retenu l’argument de Pfizer selon lequel elle n’avait pas compétence pour entendre des requêtes en rejet déposées en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement. Pfizer n’a pas interjeté appel de la décision relative à cette question.
Norme de contrôle
[9] Les deux parties s’entendent pour dire que, puisque les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue de la cause, la Cour doit examiner de novo le bien‑fondé de la requête (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19).
Fardeau de preuve
[10] L’alinéa 6(5)b) du Règlement prévoit qu’un tribunal peut rejeter une demande si elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure. Une requête déposée en vertu de l’alinéa 6(5)(b) a été jugée s’apparenter à une requête en radiation où la seconde personne doit établir qu’il est [traduction] « évident et manifeste » que la demande n’a aucune chance de succès. Il est également bien établi que le rejet sommaire d’une demande avant l’audience constitue un recours extraordinaire qui n’est accordé que dans des circonstances limitées (Norton c. Via Rail Canada Inc., 255 D.L.R. (4e) 311, au paragraphe 15).
Discussion
[11] La thèse de Ranbaxy selon laquelle la présente demande est dépourvue de toute possibilité de succès est principalement fondée sur son affirmation que l’intention globale et le libellé précis du Règlement exigent qu’un avis d’allégation d’absence de contrefaçon se rapporte à la présentation déposée auprès de Santé Canada. Par conséquent, dans une demande d’ordonnance d’interdiction, la Cour est limitée à examiner les documents faisant partie de la présentation déposée auprès de Santé Canada. Plus particulièrement, dans son examen de la question de savoir si les allégations d’absence de contrefaçon sont justifiées, la Cour ne peut tenir compte que du procédé que Ranbaxy a déposé auprès de Santé Canada. Pour ce motif, Ranbaxy soutient que son intention quant au procédé qu’elle utilisera pour fabriquer le Ran-Atorvastatin n’est pas pertinente dans le cadre de la présente procédure. Puisque les arguments de Pfizer selon lesquels il y a contrefaçon du brevet 111 qui revendique le format VII ne se rapportent pas au procédé déposé auprès de Santé Canada et que Pfizer n’a pas fait valoir que les brevets ’933 et ‘953 allaient être contrefaits, il est [traduction] « évident et manifeste » que la demande ne peut être accueillie.
[12] Par ailleurs, Ranbaxy reconnaît qu’il n’existe aucune jurisprudence portant sur la question de savoir si dans une demande ordonnance d’interdiction la Cour peut tenir compte d’un procédé qui ne fait pas partie de la présentation déposée auprès de Santé Canada.
[13] Ranbaxy soutient également que même si ses intentions concernant le processus de fabrication sont prises en considération par la Cour, Pfizer ne peut pas obtenir gain de cause. Pfizer doit démontrer que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas justifiées. Des allégations de fait sont présumées véridiques et il incombe à la première personne de réfuter l’allégation. Le fait de démontrer simplement la possibilité d’une contrefaçon ne suffit pas pour réfuter les allégations. En l’espèce, selon Ranbaxy, tout ce que Pfizer peut faire est soulever la possibilité d’une contrefaçon puisqu’aucune décision n’a été rendue quant au procédé qui sera utilisé si un avis de conformité est délivré.
[14] Je suis d’avis que Ranbaxy ne s’est pas acquittée de son fardeau dans le présent appel d’établir qu’il est [traduction] « évident et manifeste » que la demande ne peut être accueillie. En premier lieu, la revendication juridique sur laquelle sa thèse est fondée selon laquelle la Cour qui entend la demande sera limitée à n’examiner que les documents déposés auprès de Santé Canada n’a jamais été tranchée sur le plan juridique. En fait, une jurisprudence enseigne que l’on pourrait faire valoir le contraire par analogie. Il ne s’agit pas du cadre qui convient pour trancher des questions de droit controversées.
[15] En deuxième lieu, s’il est jugé que le deuxième procédé constitue une considération pertinente, il existe un litige factuel entre les parties quant à savoir si Ranbaxy utilisera le deuxième procédé si un avis de conformité lui est délivré. Il vaut mieux laisser au juge saisi des demandes et qui disposera d’un dossier complet de trancher cette question.
[16] Enfin, l’interprétation du Règlement que Ranbaxy demande à la Cour d’adopter pourrait donner lieu à une conclusion qui est directement contraire à l’objectif du Règlement, notamment d’empêcher la contrefaçon de brevet. Je suis d’avis que les questions liées à l’interprétation de la loi doivent être tranchées dans un contexte factuel et non pas dans l’abstrait.
[17] Même si dans ses observations écrites, Ranbaxy a adopté la thèse selon laquelle le Règlement dans sa version après le 5 octobre 2006 s’applique, à l’audience, il est devenu évident qu’il se peut que les parties ne s’entendent pas sur ce point. Je leur ai indiqué que si une partie de la présente décision repose sur le libellé du Règlement qui a été modifié en raison d’une modification, je leur donnerai l’occasion de présenter des observations écrites. Compte tenu des motifs qui précèdent, il n’est pas nécessaire de donner l’occasion de présenter d’autres observations sur cette question.
[18] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens adjugés en faveur de Pfizer.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté avec dépens adjugés en faveur de Pfizer Canada Inc.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1171‑06
INTITULÉ : Pfizer Canada Inc. et Warner-Lambert Company, s.r.l. c. Le ministre de la Santé, Ranbaxy Laboratories Limited et Ranbaxy Inc.
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver, Colombie‑Britannique
DATE DE L’AUDIENCE : Le 5 juin 2007
ET ORDONNANCE : LA JUGE HANSEN
DATE DE L’ORDONNANCE : Le 18 juin 2007
COMPARUTIONS :
Me Peter Wilcox
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Me David Reive Me Angela Furnaletto
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RANBAXY LABORATORIES LIMITED |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Torys LLP Toronto (Ontario)
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Dimock Stratton LLP Toronto (Ontario)
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RANBAXY LABORATORIES LIMITED |