Halifax (Nouvelle-Écosse), le 7 juin 2007
EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Phelan
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’un appel interjeté d’une décision par laquelle la Commission d’appel des pensions (CAP) a refusé au ministre l’autorisation d’interjeter appel d’une décision d’un tribunal de révision. La CAP a statué qu’elle n’avait pas compétence pour autoriser l’appel au motif que les questions visées portaient sur la compétence et ne pouvaient être examinées que par la Cour fédérale.
[2] Le présent contrôle judiciaire a été affecté par l’absence d’un avocat pour représenter la défenderesse. Les questions soumises à la Cour étaient d’ordre juridique et procédural, mais Mme Deschamp a comparu pour son propre compte, en compagnie de son mari. La Cour a été informée que Mme Deschamp ne pouvait obtenir l’aide juridique et que d’autres moyens de représentation par avocat, notamment par l’entremise de la Clinique juridique Dalhousie, lui étaient inaccessibles du fait que son dossier avait été fermé. La Cour et la défenderesse se sont trouvées dans la position peu enviable d’être privées d’observations pertinentes de la défenderesse sur les questions juridiques. Il est malheureux, c’est le moins qu’on puisse dire, que dans un pays fier à juste titre de son système judiciaire Mme Deschamp n’ait pas pu se faire représenter par un avocat.
II. CONTEXTE
[3] Deux demandes antérieures de prestations d’invalidité que Mme Deschamp avait présentées en vertu du RPC lui ont été refusées. En 1993, le ministre a rejeté sa demande initiale ainsi que sa demande de réexamen. Un tribunal de révision et la CAP ont tous les deux rejeté son appel. En 1997, le ministre a de nouveau rejeté la demande initiale et la demande de réexamen (la décision de 1997). Un tribunal de révision a rejeté son appel et aucune procédure n’a été intentée auprès de la CAP.
[4] Dans chacune de ses demandes, la défenderesse a été incapable d’établir que son invalidité avait commencé au cours de la période d’admissibilité visée par ses cotisations.
[5] En janvier 2000, Mme Deschamp a encore une fois demandé des prestations de pension. Le ministre a rejeté la demande de Mme Deschamps parce que celle‑ci ne répondait pas aux conditions applicables en matière de cotisations. Cette décision a été confirmée par le ministre après réexamen.
[6] La défenderesse a interjeté appel de cette dernière décision auprès d’un tribunal de révision en vertu du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada (la Loi) qui vise la décision de 2000 du ministre. Selon le ministre, le tribunal de révision était lié par la deuxième décision du tribunal de révision à la fois en vertu de la Loi, le paragraphe 84(1) prévoyant que la décision est définitive et obligatoire, et en vertu de la doctrine de la chose jugée.
[7] Le tribunal de révision a tenu une audience sur la troisième demande. Sans en aviser les parties, il a conclu en vertu du paragraphe 84(2) qu’il y avait des faits nouveaux à l’égard de la deuxième demande présentée en 1997, que le tribunal de révision avait rejetée. Le dernier tribunal de révision a ensuite examiné la décision de 1997 et conclu que la demanderesse était invalide a) depuis la date de sa première audience auprès de la CAP jusqu’au terme de sa période d’admissibilité à la fin de 1996 et b) depuis octobre 1998 aux fins de sa troisième demande.
[8] À titre d’observations générales sur la procédure prévue par le RPC, disons que le requérant qui demande des prestations s’adresse d’abord au ministre et peut, en cas de refus des prestations, demander un réexamen. La partie qui essuie un refus peut interjeter appel de la décision du ministre en vertu du paragraphe 82(1), qui prévoit :
[9] En vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, la partie qui succombe devant le tribunal de révision peut s’adresser à un seul membre de la CAP pour obtenir l’autorisation d’en appeler de la décision auprès de la CAP. Cette disposition concerne non seulement les appels prévus au paragraphe 82(1), mais elle s’applique aussi aux demandes visant à obtenir une nouvelle décision fondée sur des faits nouveaux ainsi que le prévoit le paragraphe 84(2) (non souligné dans l’original).
[10] En vertu du paragraphe 84(1), un tribunal de révision et la CAP ont autorité pour connaître des questions de droit et de fait concernant le droit à des prestations et le montant des prestations. En vertu du paragraphe 84(2), le tribunal de révision, la CAP et même le ministre ont le pouvoir d’annuler ou de modifier une décision en se fondant sur des faits nouveaux.
[11] Le ministre a demandé l’autorisation d’interjeter appel auprès de la CAP de la décision du tribunal de révision qui rouvrait les demandes de la défenderesse. Il a contesté la décision du tribunal de révision en se fondant sur trois motifs : 1) le défaut du tribunal de révision de donner avis de son intention et de sa décision de faire d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 82(1) à l’égard de la troisième demande un réexamen en vertu du paragraphe 84(2)de la décision de 1997 à l’égard de la deuxième demande; 2) la CAP et les parties étaient liées par la décision de 1997 en vertu de la Loi (paragraphe 84(1)) et du principe de la chose jugée; 3) de toute façon, il n’y avait pas de faits nouveaux au sens paragraphe 84(2).
[12] Le membre unique de la CAP a conclu que le ministre estimait que le tribunal de révision avait commis une erreur en tenant une audience de réexamen en l’absence d’une demande spécifique de la défenderesse et en concluant à l’existence de faits nouveaux. La CAP a conclu qu’il s’agissait de questions de compétence que seule la Cour fédérale pouvait examiner. Par conséquent, l’autorisation d’appel a été refusée.
III. ANALYSE
[13] Il est important de se rappeler que la CAP était saisie d’une demande d’autorisation d’interjeter appel et n’avait pas à se prononcer sur le fondement juridique ou factuel de l’appel. En général, l’autorisation d’interjeter appel est accordée lorsque la demande satisfait au critère du « caractère soutenable », lorsque la demande d’autorisation a des chances sérieuses d’être accueillie (voir Callihoo c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. n° 612 (QL)). On aurait pu penser qu’en ce qui a trait à cette exigence minimale, les questions de compétence auraient satisfait au critère. La CAP a commis une erreur en ne circonscrivant pas son examen dans ce cadre limité, estimant apparemment qu’elle n’avait pas le droit d’accorder l’autorisation parce qu’elle n’avait pas compétence.
[14] En toute déférence pour le membre de la CAP, je dois conclure que la décision n’est pas conforme à l’état actuel du droit sur la compétence de la CAP.
[15] Les questions dont est saisie la Cour sont des questions de droit puisqu’elles concernent la compétence. La Cour n’est tenue de formuler aucune conclusion de fait. La norme de contrôle est donc celle de la décision correcte.
[16] Il convient de souligner que la jurisprudence citée dans la décision qui fait l’objet des observations de la CAP ne mentionne pas un arrêt récent, Adamo c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), 2006 CAF 156. Dans l’arrêt Adamo, la Cour d’appel fédérale a décidé qu’un tribunal de révision pouvait transformer un appel fondé sur le paragraphe 82(1) en une procédure selon le paragraphe 84(2) pour annuler une décision, même si le demandeur n’avait pas sollicité un tel redressement. Toutefois, la compétence permettant de procéder en vertu du paragraphe 84(2) était assujettie non seulement au critère des « faits nouveaux » prescrits dans la disposition visée, mais aussi à la condition qu’il soit donné un préavis approprié de l’intention du tribunal de révision de procéder de cette manière.
36. Toutefois, avant de disposer de l’affaire sur cette base, il appartenait au tribunal de révision d’informer les parties qu’il considérait l’octroi d’un redressement selon le paragraphe 84(2) et de les inviter à s’exprimer sur la question de savoir si tel redressement était possible. Il ne pouvait pas disposer de la question selon le paragraphe 84(2) sans donner aux parties l’occasion de s’exprimer sur les points que soulève cette disposition.
[17] Le ministre a expressément fait jouer les questions de procédure dans sa demande d’autorisation d’appel. Dans l’arrêt Adamo, la question de la chose jugée faisait aussi partie des questions en litige et l’autorisation d’en appeler à la CAP sur cette question a également été accordée. Par conséquent, les questions soulevées par le ministre étaient des questions sur lesquelles la CAP devait se prononcer.
[18] La décision de la CAP portait en particulier sur la question de savoir si la conclusion selon laquelle il y avait des « faits nouveaux » était une question sur laquelle la CAP pouvait avoir compétence.
[19] Dans l’arrêt Oliveira c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [2004] A.C.F. n° 588 (C.A.) (QL), la Cour a conclu qu’en présence d’une décision portant qu’il n’y a pas de faits nouveaux, la CAP n’a pas compétence en raison de l’absence d’une « décision » susceptible d’appel en vertu du paragraphe 83(1). Par conséquent, la seule voie de redressement est la Cour fédérale.
[20] Dans l’arrêt Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, la juge Sharlow a reconnu la conséquence d’une conclusion selon laquelle il y a des « faits nouveaux », c’est‑à‑dire qu’il y a une décision sur le fond dont la CAP peut connaître. La juge Sharlow a reconnu que, suivant l’arrêt Oliveira, un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale pourrait être possible en présence d’une conclusion selon laquelle il y a des « faits nouveaux », mais que la Cour pourrait refuser d’être saisie de l’affaire parce qu’il existe un autre recours auprès de la CAP.
30. Théoriquement, le ministre aurait pu introduire une instance distincte, une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, pour contester la décision du tribunal de révision selon laquelle il y avait des faits nouveaux. Cependant, comme le tribunal de révision a ensuite statué au fond sur la réclamation de Mme Kent, la Cour fédérale se serait fort probablement déclarée incompétente parce que le droit du ministre de demander l’autorisation de faire appel de la décision au fond devant la Commission d’appel des pensions eût alors constitué un autre recours adéquat : Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 288 N.R. 8, (2001) 41 Admin. L.R. (3d) 200 (C.A.F.); Canadien Pacifique Limitée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Si le tribunal de révision a eu tort de conclure que Mme Kent a droit à une pension d’invalidité, il n’importe pas qu’il ait conclu de la sorte sur la foi de faits nouveaux. Mais si le tribunal de révision a eu raison de conclure que Mme Kent a droit à une pension d’invalidité, il semblerait déraisonnable de priver Mme Kent de ce droit sur l’argument technique plutôt étroit d’après lequel le tribunal de révision n’aurait pas dû admettre les faits nouveaux qui finalement établissaient son droit.
[21] Par conséquent, la Cour d’appel a reconnu la compétence de la CAP dans le cas d’une conclusion affirmant l’existence de « faits nouveaux », ce qui est le cas en l’espèce.
[22] Par conséquent, la CAP avait compétence sur cette question comme sur les autres motifs soulevés par le ministre.
IV. CONCLUSION
[23] Pour ces motifs, la CAP a commis une erreur en refusant d’exercer sa compétence pour autoriser l’appel.
[24] La décision de la CAP sera annulée et la question de l’autorisation sera renvoyée à un autre membre de la CAP pour qu’il rende une décision. La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens, à la suggestion de l’avocate du ministre. L’avocate du ministre a également reconnu que si la Cour concluait en faveur du ministre, Mme Deschamp avait toujours le droit que lui confère le paragraphe 84(2) de présenter une autre demande pour faire annuler la décision de 1997.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la décision de la CAP est annulée et que la question de l’autorisation est renvoyée à un autre membre de la CAP pour qu’il rende une décision. La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens.
« Michael L. Phelan »
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1889-06
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
c.
SONIA DESCHAMP
LIEU DE L’AUDIENCE : HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 5 JUIN 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Phelan
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR |
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DEMANDEUR
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Pour son propre compte |
POUR LA DÉFENDERESSE
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