Toronto (Ontario), le 5 juin 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle demande l’asile parce qu’elle craint d’être persécutée en raison de sa pratique du Falun Gong. Dans une décision datée du 2 mai 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication de la demanderesse. Celle‑ci demande le contrôle judiciaire de la décision en cause.
[2] La crédibilité de la demanderesse est au cœur de la décision de la Commission. Lorsque celle‑ci a rejeté la revendication, elle a formulé une série de conclusions détaillées concernant les éléments de preuve dont elle était saisie pour lesquels elle ne pouvait accepter le témoignage de la demanderesse. La Commission, après avoir jugé que la demanderesse n’était pas un témoin franc et digne de foi et qu’elle n’avait pas répondu directement aux questions qui lui étaient posées, a ensuite tiré des conclusions sur certains points d’intérêt, dont je reprends les plus importantes :
- Le « hukou » (document d’inscription domiciliaire) fourni pour attester sa résidence en Chine et prouver sa présence là où se seraient perpétrées les persécutions était un faux.
- La demanderesse n’a pas été en mesure de prouver son lieu de résidence en Chine après le 1er avril 2004 puisqu’elle n’a pu produire de documents justificatifs au‑delà de cette date.
- La demanderesse n’a pas été en mesure d’exécuter correctement un certain exercice de Falun Gong qu’on lui a demandé.
- La demanderesse n’a pas obtenu de corroboration du dirigeant de son groupe de pratique au Canada.
- La demanderesse n’a commencé sa pratique de Falun Gong qu’environ trois semaines après son arrivée au Canada, ce que le tribunal a jugé non plausible compte tenu de la dévotion qu’elle allègue.
- Le témoignage de la demanderesse concernant le lieu de résidence de son époux était incohérent.
- Bien que, selon ses dires, elle se soit cachée en Chine pendant environ six semaines, la demanderesse n’a pas inscrit cette adresse sur son formulaire de renseignements personnels (FRP) et a déclaré à l’audience qu’elle ne la connaissait pas.
Les questions en litige
[3] Je formulerais comme suit la seule question en litige :
1. La Commission a‑t‑elle rendu sa décision en raison de conclusions de fait abusives ou arbitraires ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie?
Analyse
[4] La norme de contrôle applicable à la question de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.), p. 316 et 317; Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] F.C.J. no 346 (C.A.F.)). La Cour hésite à annuler des décisions qui se trouvent « au cœur même de la compétence spécialisée de la Commission en tant que juge des faits » (Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 87 A.C.W.S. (3d) 532, [1999] F.C.J. no 372, paragraphe 3). Compte tenu de cette norme de contrôle, la décision de la Commission ne peut être infirmée que si elle est fondée sur des conclusions de fait abusives ou arbitraires ou sans tenir compte des éléments de preuve dont la Commission était saisie (Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d)).
[5] À l’audience et dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que chacune des conclusions ci‑dessus est abusive. Beaucoup d’entre elles sont, dit‑elle, « tatillonnes ». Elle prétend que la Commission a rejeté des explications raisonnables à la plupart des questions relatives à sa crédibilité. Ayant examiné chacune des erreurs supposées de la Commission, je ne suis pas convaincue qu’il faille remettre en cause la conclusion générale de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse.
[6] Le principal problème que soulèvent les arguments de la demanderesse est qu’elle ne tient pas compte de la décision dans son ensemble. Si la Commission avait rejeté sa revendication pour la seule raison, par exemple, que la demanderesse n’avait pas inscrit d’adresse sur son FRP, j’aurais pu conclure en faveur de celle‑ci. Mais, en l’espèce, la Commission a rendu une longue série de conclusions. Chacune d’entre elles tient compte des éléments de preuve dont la Commission a été saisie, même s’il est possible que la Cour ou la demanderesse n’ait pas interprété ces éléments comme l’a fait la Commission. Il est manifeste, à la lecture de la décision, que la Commission a conclu que l’effet cumulatif des problèmes de preuve devait mener inéluctablement à la conclusion que la version des faits de la demanderesse n’était pas crédible.
[7] Par ailleurs, exception faite d’une conclusion mineure, chacune des conclusions de la Commission est pertinente à sa décision. Cette exception mineure, qui selon moi n’a pas d’importance pour la décision globale, est la question de savoir quand la demanderesse a commencé à pratiquer le Falun Gong. Je ne suis pas tout à fait sûre de comprendre pourquoi le fait d’inscrire mai 2004 au lieu du 30 mai 2004 sur son FRP était important, mais toutes les autres conclusions étaient non seulement logiques compte tenu des éléments de preuve dont la Commission était saisie, mais tout à fait pertinentes à la question de savoir si l’on devrait croire la version des faits de la demanderesse. Par exemple, l’aptitude à exécuter un exercice correctement est certainement un moyen de savoir s’il est vrai que la demanderesse est une pratiquante du Falun Gong. À cet égard, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse, qui affirme que la Commission lui a demandé d’exécuter l’exercice parfaitement. Le dossier et la décision expliquent bien en quoi l’exécution de la demanderesse devant la Commission était problématique.
[8] La demanderesse invoque l’arrêt Djama c. Canada (M.E.I.), [1992] F.C.J. no 531 (C.A.F.) pour justifier le principe que la Commission commet une erreur en s’arrêtant aux détails de la version des faits de la demanderesse et en oubliant la substance des faits sur lesquels elle fondait sa revendication. J’estime que la demanderesse interprète mal la décision de la Commission. La substance de la revendication dont la Commission était saisie était que la demanderesse était une pratiquante du Falun Gong. La Commission doit fonder sa conclusion sur la preuve dont elle est saisie et expliquer à la demanderesse comment elle est parvenue à sa décision. Comment pourrait‑elle le faire autrement qu’en examinant tous les éléments de preuve dont elle est saisie? En dernière analyse, il n’y avait tout simplement rien pour étayer la revendication de la demanderesse.
[9] La demanderesse conteste également la façon dont la Commission a employé sa connaissance spécialisée des hokous. Elle invoque la décision Habiboglu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1664, paragraphe 29, pour affirmer que la Commission doit donner aux revendicateurs la possibilité de faire des observations sur la fiabilité et l’utilisation des renseignements et de témoigner à l’appui de ces observations. Sinon, cela constitue, selon elle, une infraction à la justice naturelle qui rend l’audition nulle, à moins que d’autres conclusions appuient la décision de la Commission et qu’un nouvel examen donnerait lieu au même résultat.
[10] En l’espèce, la transcription révèle que la Commission a informé la demanderesse qu’elle s’appuierait sur sa connaissance spécialisée des hokous. Le document dans lequel le hokou est décrit faisait partie des preuves documentaires dont la Commission était saisie à l’audition. Les préoccupations de la Commission ont été communiquées à la demanderesse, qui a donc eu la possibilité de fournir ses propres éléments de preuve à cet égard. Il est vrai que les preuves documentaires attestent que, dans certains cas, le hokou n’est pas relié. Mais, compte tenu du fait que celui de la demanderesse n’était pas relié au problème de l’adresse et aux autres problèmes de preuve, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait produit un faux.
[11] En somme, je ne vois aucune raison d’intervenir dans cette décision. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que
1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. aucune question d’importance générale n’est certifiée.
« Judith A. Snider »
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑3427‑06
INTITULÉ : YU YING LIU c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 4 JUIN 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 5 JUIN 2007
COMPARUTIONS :
David Yerzy POUR LA DEMANDERESSE
Claire Le Riche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Yerzy
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r.
Sous‑procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
Ministère de la Justice
Bureau régional de l’Ontario
Toronto (Ontario)