Ottawa (Ontario), le 5 juin 2007
En présence de Monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
RAVINDER KAUR
MUSKAN KAUR
demandeurs
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), de la décision de Michel Jobin, de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal), rendue le 24 octobre 2006. Le tribunal a conclu que les demandeurs n'étaient pas « des réfugiés au sens de la Convention » ou des « personnes à protéger » en raison d’opinions politiques imputées.
QUESTION EN LITIGE
[2] La décision du tribunal est-elle manifestement déraisonnable?
[3] Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est négative. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
CONTEXTE FACTUEL
[4] Citoyen de l’Inde et de religion Sikh, le demandeur principal a déposé une demande de protection de réfugié pour lui, son épouse et leur fille mineure, à Montréal, le 20 mai 2004, bien qu’ils soient arrivés au Canada dotés de visas via Vancouver, le 18 novembre 2003.
[5] En fait, le demandeur principal et sa famille ont quitté New Delhi le 8 octobre 2003. Avant d’arriver au Canada, ils ont séjourné d’abord en Allemagne, du 8 au 20 octobre 2003 et ensuite au Royaume-Uni, du 20 octobre au 3 novembre 2003 pour retourner en Allemagne du 3 au 18 novembre 2003.
[6] Ils n’ont fait aucune demande d’asile ni en Allemagne ni en Angleterre, deux pays signataires de la Convention. En outre, les demandeurs n’ont réclamé le statut de réfugié au Canada qu’à l’échéance de leurs visas canadiens, soit six mois après avoir foulé le sol ici.
HISTOIRE JURIDIQUE AU CANADA
[7] La demande des demandeurs a été rejetée le 20 avril 2005. Cependant, le 23 novembre 2005, le juge Frederick Gibson accueillait la demande de contrôle judiciaire à la suite du consentement des parties et retourna l'affaire devant un autre décideur.
[8] C’est la deuxième décision négative datée du 24 octobre 2006 qui est l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
DÉCISION CONTESTÉE
[9] Après avoir apprécié et analysé la preuve, le tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles. De plus, ils n’ont pas revendiqué la protection de l'Inde.
[10] Bien qu’ils puissent craindre la police et qu’ils aient été torturés à deux reprises, le comportement des demandeurs ne correspondait guère à celui de personnes raisonnables craignant pour leur vie. En effet, le tribunal n’a pas été satisfait des explications du demandeur principal à l’égard de sa décision de ne pas réclamer le statut de réfugié, ni en Allemagne ni en Angleterre. Si le demandeur craignait vraiment pour sa vie et celle de sa famille en Inde, il aurait dû déposer une demande d'asile dans un des pays signataires de la Convention. De plus, une personne raisonnable dans pareilles circonstances n’aurait surtout pas attendu six mois après être arrivée au Canada pour faire valoir sa crainte de persécution.
ANALYSE
La décision du tribunal est-elle manifestement déraisonnable?
Norme de contrôle
[11] Il convient de déterminer la norme de contrôle applicable dans la présente affaire. Lorsqu'il s'agit de question de crédibilité, la Cour suprême du Canada s'est déjà prononcée de la façon suivante dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S 226, au paragraphe 38 :
¶ 38 Cependant, et en dernier lieu, le degré de déférence requis est considérablement renforcé par la nature du problème -- une conclusion sur la crédibilité. L'appréciation de la crédibilité est essentiellement de nature factuelle. Il faut reconnaître l'avantage relatif dont jouissait le comité, qui a entendu les témoignages de vive voix.
[12] La Cour d’appel fédérale considère que le tribunal en cause est mieux placé pour soupeser la crédibilité d'un témoin et d’en tirer les conclusions qui s’imposent Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL) paragraphe 4 :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
[13] La Cour adopte le critère de la décision manifestement déraisonnable, étant donné qu'il s'agissait pour le tribunal d'apprécier essentiellement la crédibilité des demandeurs.
[14] Dans le cas sous étude, je constate que la décision contient des erreurs de fait portant essentiellement sur des dates, dont deux méritent des commentaires. D’abord, à la première page, le tribunal a écrit ceci :
[…] Comme nous l’avons mentionné ci-haut, le demandeur a vécu quelques temps aux États-Unis, en Allemagne et a même habité quelques semaines au Royaume-Uni, avant de rentrer en Allemagne pour finalement fouler le sol de la Colombie Britannique en mars 2003.
[je souligne]
[15] Le tribunal a clairement fait une erreur dans ce passage puisque les demandeurs sont arrivés à Vancouver en novembre 2003. Or, cette erreur n’est pas de taille puisque le tribunal a mentionné la bonne date à deux reprises plus loin dans sa décision, à savoir aux pages 2 et 4 respectivement :
Finalement, les demandeurs munis : d’un passeport émis le 10 avril 1996, valide pour dix ans, ainsi que de visas du Royaume-Uni, de Schengen et d’un visa canadien émis le 2 juillet 2003 valide jusqu’au 29 décembre 2003; ainsi que d’un visa américain émis antérieurement en 1998 et valide jusqu’en février 1999, ils quitteront New Delhi le 8 octobre 2003. Ils transiteront par l’Allemagne du 8 octobre au 20 du même mois; le Royaume-Uni du 20 octobre au 3 novembre 2003; retourneront en Allemagne du 3 au 18 novembre 2003 et finalement fouleront notre sol à Vancouver le 18 novembre 2003, avant de venir s’établir à Montréal et ne revendiquer la protection des autorités canadiennes que le 20 mai 2004. […]
Lorsque le tribunal a voulu savoir pourquoi les demandeurs n’ont pas requis la protection des autorités canadiennes à leur descente d’avion à Vancouver, le demandeur a souligné qu’il était invité chez des amis de son père. On lui aurait conseillé de se rendre à Montréal pour finalement demander l’asile. Les demandeurs sont arrivés à Vancouver le 18 novembre 2003 et se sont rendus à Montréal le 23 novembre de la même année. […]
[je souligne]
[16] La deuxième erreur est au sujet de la date d'échéance des visas des demandeurs. Le tribunal l’a établie au 29 décembre 2003 alors qu'en réalité les visas étaient valides jusqu'au 17 mai 2004. Cependant, je considère que cette erreur n'est pas déterminante car la décision n'est pas basée sur cet élément.
[17] La troisième erreur est la mention par le tribunal que le demandeur est retourné dans son pays alors qu'il est retourné plutôt dans sa région après avoir fait un séjour à New Delhi pour l'obtention de visas.
[18] Les principaux motifs mentionnés par le décideur pour refuser l'asile sont 1) le comportement des demandeurs en regard de leurs différents voyages en Europe sans demander la protection ; 2) la crédibilité ; 3) ne pas avoir demandé la protection de l'Inde ; et 4) la possibilité de refuge interne.
[19] Comme l’admet le défendeur, il est évident que la décision aurait pu être beaucoup mieux structurée mais malgré les erreurs notées, je ne trouve rien dans la décision qui mérite de la caractériser comme étant manifestement déraisonnable.
[20] Tout comme dans Mohamed et al v. Canada (The Minister of Citizenship and Immigration), (le 7 avril 1997) IMM-2248-96 (C.F. 1ère inst.), les demandeurs n'ont pas fait la preuve d'une crainte raisonnable de persécution. Il est à propos ici de citer le juge Marshall Rothstein :
This case raises the disturbing question of asylum shopping. If applicants' counsel were correct in his domicile argument, applicants could, at their own will, reject the protection of one country by unilaterally abandoning that country for another. Indeed, that is what has occurred here. The Geneva Convention exists for persons who require protection and not to assist persons who simply prefer asylum in one country over another. The Convention and the Immigration Act should be interpreted with the correct purpose in mind.
[21] L'intervention de la Cour n'est pas nécessaire dans le présent dossier.
[22] Aucune question à certifier n'a été proposée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que
1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6201-06
INTITULÉ : MANJIT SINGH,
RAVINDER KAUR
MUSKAN KAUR ET
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 15 mai 2007
ET JUGEMENT : Le juge Beaudry
DATE DES MOTIFS : le 5 juin 2007
COMPARUTIONS :
Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS
Evan Liosis POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS
Montréal (Québec)
John Sims, c.r. POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)