Toronto (Ontario), le 4 juin 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
SOFI MARCELA CORTES LOZANO
NICOLE LIZCANO
LUIS EDUARDO LIZCANO CORTES
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Les motifs suivants, révisés sur le plan de la grammaire et des références, ont été rendus oralement en présence des parties au terme de l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire.
[1] Le demandeur principal, M. Wualter Lizcano Contreras, son épouse et ses enfants, citoyens de la Colombie, ont présenté une demande d’asile au Canada. La demande de la famille est fondée sur celle du demandeur principal qui allègue craindre d’être persécuté par les Forces armées révolutionnaire de Colombie (les FARC). Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 août 2006 par laquelle un tribunal de la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de la famille.
[2] La décision de la Commission traite d’abord de l’exclusion possible du demandeur principal de la catégorie des demandeurs d’asile en application de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut de réfugié. À ce titre, la Commission a conclu que le demandeur principal n’était pas exclu. Cette conclusion ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire. La seule question dont je suis saisie est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient la qualité ni de réfugiés au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), ni de personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR.
[3] La question déterminante dans la présente affaire porte sur le caractère suffisant des motifs. Cette question d’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Sketchley c. Canada (procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392, 2005 CAF 404).
[4] Bien qu’elle ne doive pas être examinée à la loupe, la décision de la Commission doit répondre à certains critères. Si les motifs de la décision prononcés par la Commission sont tellement insuffisants qu’ils ne justifient pas clairement le raisonnement ayant mené à la décision, celle-ci sera annulée, (Hussain c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 174 N.R. 76, au paragraphe 3 (C.A.F.)). Tel qu’il a été établi dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports), [2001] 2 C.F. 25, (2000) 193 D.L.R. (4th) 357 au paragraphe 22, « [i]l faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents ». Qui plus est, un demandeur débouté (et la présente Cour) devrait être en mesure de comprendre les motifs du rejet, et dans la présente affaire, c’est impossible.
[5] Dans la décision faisant l’objet de contrôle, la Commission a principalement mis l’accent sur le fait que le demandeur était retourné à plusieurs reprises en Colombie dans son examen de la question de l’inclusion. La Commission a tiré un certain nombre de conclusions précises selon lesquelles les actions posées par le demandeur principal révélaient que celui-ci n’avait éprouvé aucune crainte subjective. Cependant, la Commission a omis de faire un lien entre ces conclusions, prises isolément, et la conclusion générale ou, en fait, de tirer quelque conclusion que ce soit sur le bien-fondé de la crainte éprouvée par le demandeur. Elle a plutôt tout simplement conclu ce qui suit sous un titre écrit en caractère gras, CONCLUSION RELATIVE À L’INCLUSION :
En ce qui concerne l’ensemble de la preuve, le tribunal estime que le demandeur d’asile principal n’a pas produit une preuve claire et convaincante établissant que l’État de la Colombie ne peut pas le protéger. Le tribunal conclut donc qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile principal fasse l’objet d’un préjudice en Colombie, peu importe que ce présumé préjudice équivaille à de la persécution, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture.
[6] La Commission n’a fait aucune mention de l’élément subjectif de la crainte du demandeur. Malgré les préoccupations concernant les maintes réclamations de la protection de l’État de la part du demandeur, peut-on en déduire que la Commission était prête à conclure qu’il y avait une crainte subjective? Ou bien, la conclusion relative à la protection de l’État était-elle une conclusion subsidiaire? J’ai beau faire, je suis incapable de discerner le fondement de la conclusion de la Commission.
[7] À première vue, la décision indique que la question déterminante que devait examiner la Commission était celle de l’existence de la protection de l’État. Pourtant, sauf une phrase en conclusion, il n’y a absolument aucune analyse sur la question de la protection de l’État. Cette question n’est traitée nulle part ailleurs dans la décision (ni même à l’audience). En résumé, la Commission a omis de justifier clairement le raisonnement à l’origine de sa décision; en fait, on n’y retrouve pas le moindre fondement.
[8] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’absence de preuve quant à l’élément subjectif constitue une lacune fatale dans une demande fondée sur l’article 96 de la LIPR (voir, par exemple, Maqdassy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 182; Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 850). Cependant, ce qui précède ne libère pas la Commission de l’obligation de fournir des motifs suffisants et des conclusions en termes clairs, ou, comme en l’espèce, d’examiner la demande fondée sur l’article 97 de la LIPR du demandeur.
[9] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celle-ci statue à nouveau sur elle.
[10] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Je suis d’avis que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale et je n’en certifierai aucune.
ORDONNANCE
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyé devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur elle.
« Judith A. Snider »
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4755-06
INTITULÉ : WUALTER LIZCANO CONTRERAS ET AUTRES
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 4 JUIN 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 4 JUIN 2007
COMPARUTIONS :
Clifford Luyt POUR LES DEMANDEURS
Don Hewak POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Clifford Luyt
Avocat POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
Ministère de la justice
Bureau régional de l’Ontario
Toronto (Ontario)