Ottawa (Ontario), le 28 mai 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Ruslan Safarov est un médecin d’Azerbaïdjan qui a demandé l’asile au Canada en raison de la persécution dont il prétend avoir fait l’objet à cause de ses prétendues activités au sein du parti d’opposition Musavat. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté cette demande parce que le docteur Safarov n’était pas crédible.
[2] Le docteur Safarov demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, faisant valoir que chacune des six principales conclusions de celle‑ci au sujet de son manque de crédibilité était manifestement déraisonnable, de sorte que la décision devrait être annulée.
[3] Je vais passer en revue chacune des conclusions contestées. Cependant, pour les motifs qui sont exposés ci-après, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur dans son évaluation globale de la crédibilité du docteur Safarov. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Incapacité du docteur Safarov de nommer le secrétaire général du parti Musavat
[4] Pendant son témoignage, on a demandé au docteur Safarov de nommer le secrétaire général du parti Musavat. Il n’a pas été capable de le faire et a répondu qu’il n’était pas au courant de l’existence d’un tel poste au sein du parti.
[5] La Commission a jugé qu’on s’attendrait raisonnablement à ce qu’une personne instruite comme le docteur Safarov, qui prétend avoir été actif au sein du parti, connaisse l’identité du secrétaire général, et que son incapacité de le faire jette un doute sur sa prétention selon laquelle il était un membre actif du parti.
[6] Dans son argumentation, l’avocat du docteur Safarov a souligné que son client témoignait par l’intermédiaire d’un interprète russe et a laissé entendre qu’il avait pu y avoir des difficultés dans la traduction de l’expression « secrétaire général ».
[7] Le problème, c’est que cette affirmation n’est pas étayée par la preuve. L’affidavit du docteur Safarov traite directement de cet aspect de l’interrogatoire, et rien ne permet de croire que la terminologie utilisée par l’interprète a semé de la confusion dans son esprit.
[8] En outre, il n’y a aucune incohérence dans les renseignements sur la situation qui règne dans le pays en cause au sujet du titre du poste occupé par Vergun Ayub. Le leader adjoint du parti Musavat est toujours appelé « secrétaire général » dans les documents produits en preuve.
[9] Il est vrai que, lorsqu’on lui a demandé spécifiquement s’il savait qui était « Vergun Ayub », le docteur Safarov a été en mesure de l’identifier comme le leader adjoint du parti. Néanmoins, vu son incapacité de donner ce renseignement spontanément, on ne peut pas dire que la Commission est parvenue à une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu’elle a dit que la crédibilité du docteur Safarov était mise en doute par son incapacité de nommer spontanément le secrétaire général du parti Musavat.
Participation du parti Musavat à une coalition multipartite
[10] Interrogé sur la participation du parti Musavat à une coalition réunissant plusieurs partis d’opposition qui avaient accepté de présenter un seul candidat commun à une élection, le docteur Safarov a répondu que ça ne s’était jamais produit et que chaque parti avait agi pour son propre compte.
[11] La Commission a rejeté le témoignage du docteur Safarov à cet égard, expliquant qu’il y avait eu une coalition ou une entente entre plusieurs partis d’opposition, dont le parti Musavat, en vue de présenter un seul candidat commun à l’élection présidentielle de 2003.
[12] Je suis d’accord avec le docteur Safarov pour dire que la conclusion de la Commission à cet égard était manifestement déraisonnable. La preuve documentaire révèle que le leader du parti Musavat a tenté de conclure une alliance réunissant les partis d’opposition avant l’élection de 2003, mais qu’il n’y est pas parvenu et que ses efforts ont échoué en deux semaines. Il ne semble pas qu’un seul candidat présidentiel commun ait jamais été identifié ou présenté.
[13] Par conséquent, il semble que le témoignage du docteur Safarov en ce qui concerne l’absence d’entente entre le parti Musavat et les autres partis d’opposition en vue de former une coalition et de présenter un seul candidat à la présidence était exact.
Incapacité du docteur Safarov de donner le nom du journal du parti
[14] La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le docteur Safarov n’avait pas pu nommer correctement le journal du parti Musavat. À mon avis, cette conclusion était parfaitement raisonnable.
Lettre d’attestation émanant du parti Musavat
[15] Le docteur Safarov a fourni la copie d’une lettre datée de 2006, émanant du parti Musavat et attestant qu’il est membre de ce parti et y a été actif. La Commission doutait de l’authenticité de cette lettre à cause de l’adresse qui figurait sur le papier à en-tête et de certaines incohérences dans le témoignage du docteur Safarov au regard de l’emplacement du bureau central du parti. En outre, la Commission a choisi de n’accorder aucun poids à la lettre en raison du manque général de crédibilité du docteur Safarov.
[16] Après avoir passé en revue les parties pertinentes de la transcription de l’audience, je suis d’avis qu’il n’y avait rien d’invraisemblable en soi dans la déclaration du docteur Safarov selon laquelle le parti avait réinstallé son bureau central dans le district Mikra no 8, qui se trouvait de toute évidence dans le quartier Binadagi de la ville de Baku.
[17] Le docteur Safarov avait cependant dit tout d’abord que le bureau central était situé au 47 Azerbaijan Prospect, mais qu’il n’y était plus, le parti ayant été expulsé de ces locaux par les forces du gouvernement en 2003. Confronté au fait que le papier à en-tête de sa lettre d’attestation portait l’ancienne adresse quelque trois ans après l’expulsion du parti, il a émis l’hypothèse que le bureau central était peut-être retourné dans ses anciens locaux.
[18] Étant donné les incohérences du témoignage du docteur Safarov sur ce point, il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’accorder peu de poids à la lettre.
Rapport médical
[19] Le docteur Safarov a produit la copie d’un rapport médical qui, selon lui, confirme qu’il a été battu par la police en raison de sa participation aux activités d’un parti d’opposition.
[20] La Commission a refusé de tenir compte de ce rapport parce que, bien qu’il ait dit dans son témoignage qu’il avait été blessé grièvement à la plante des pieds, le docteur Safarov n’avait pas mentionné qu’il avait eu de la difficulté à marcher, et que le rapport médical ne faisait pas état de ces blessures non plus.
[21] Le docteur Safarov avait expliqué dans son témoignage que le rapport était incomplet parce qu’il avait probablement été rédigé par du personnel médical très peu expérimenté.
[22] Le rapport médical est très long et il décrit en détail les blessures du docteur Safarov. Il fait état de nombreuses blessures à la tête, à la cuisse droite et aux côtes, mais ne mentionne aucune lésion aux pieds. La Commission a conclu que, si le docteur Safarov avait eu des blessures à la plante des pieds comme il le prétendait, le rapport de l’hôpital l’aurait indiqué. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.
Omission de demander l’asile dans un autre pays
[23] Le docteur Safarov a passé trois mois en Allemagne avant de venir au Canada. Il a expliqué ne pas y avoir demandé l’asile parce qu’on lui avait dit que le processus prenait énormément de temps et qu’il avait peu de chances de voir sa demande être accueillie.
[24] La Commission n’a pas accepté cette explication, soulignant que l’Allemagne est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés et qu’on se serait attendu à ce qu’un homme instruit comme le docteur Safarov ait fait les démarches nécessaires pour connaître les possibilités d’obtenir l’asile dans ce pays. La Commission était tout à fait fondée à tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait.
Conclusion
[25] Bien que je sois convaincue que la conclusion de la Commission au sujet de la participation du parti Musavat à une coalition multipartite était manifestement déraisonnable, je ne peux pas dire que cette seule erreur soit suffisamment déterminante pour justifier l’annulation de sa décision. La Commission avait de nombreuses autres raisons de conclure que le docteur Safarov n’était pas crédible, et mon examen n’a pas permis de les réfuter.
[26] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Certification
[27] Aucune partie n’a proposé de question à des fins de certification et aucune n’est soulevée en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4541-06
INTITULÉ : SAFAROV RUSLAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 16 MAI 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 28 MAI 2007
COMPARUTIONS :
Isak Grushka POUR LE DEMANDEUR
Rhonda Marquis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Isak Grushka POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada