Ottawa (Ontario), le 22 mai 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit ici d’une requête en jugement sommaire présentée par le défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le ministre sollicite une ordonnance rejetant la présente action parce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de 90 jours prescrit à l’article 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, 2000, ch. 17 (la Loi ).
[2] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à la déclaration de M. Doukou et que, par conséquent, son action doit être rejetée.
Contexte
[3] Pour comprendre les faits à l’origine de la présente requête, il est nécessaire de comprendre également le régime législatif établi par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. À cette fin, les dispositions pertinentes de la Loi sont jointes en annexe à la présente décision.
[4] Les faits essentiels de la présente affaire ne sont pas contestés.
[5] Le 12 mai 2006, M. Doukou se rendait de Toronto à Amsterdam, en route pour Accra, au Ghana. Un agent des douanes lui a demandé s’il transportait des devises valant plus de 10 000 $ en devises canadiennes. M. Doukou a répondu par la négative, précisant qu’il avait seulement 200 $US sur lui.
[6] Il a été déterminé par la suite que M. Doukou transportait 16 500 $US, soit environ 18 150 $CAN.
[7] Comme M. Doukou n’a pas fait à l’agent des douanes la déclaration prévue dans le Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412, contrairement au paragraphe 12(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, les 16 500 $US ont été saisis à titre de confiscation, conformément à l’article 19 de la Loi.
[8] S’appuyant sur l’article 25 de la Loi, M. Doukou a demandé au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Dans une lettre datée du 13 octobre 2006, le ministre a fait connaître sa décision conformément à l’article 27 de la Loi et a conclu qu’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) relativement aux espèces en question.
[9] Le 13 octobre 2006, le ministre a rendu une deuxième décision qui était fondée sur l’article 29 de la Loi et confirmait que les espèces saisies étaient confisquées au profit de Sa Majesté la Reine du chef du Canada.
[10] Même s’il y a eu désaccord au début sur le moment où M. Doukou a été informé de la décision rendue en vertu de l’article 25 de la Loi, M. Doukou admet maintenant qu’il a reçu une copie de la décision le 18 octobre 2006.
[11] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit un droit d’appel à l’égard des décisions rendues en vertu de l’article 25 de la Loi. Cet appel s’effectue par voie d’action devant la Cour fédérale « dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision ».
[12] Le 19 janvier 2007, M. Doukou a introduit une action devant la Cour fédérale afin d’interjeter appel de la décision rendue par le ministre en vertu de l’article 25. Sa déclaration a donc été déposée 93 jours suivant la date à laquelle la décision du ministre lui a été communiquée.
[13] Le ministre sollicite une ordonnance rejetant la présente action parce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de 90 jours prescrit par la Loi.
Position de M. Doukou
[14] M. Doukou admet qu’il a commis une erreur en ne déclarant pas les espèces qu’il transportait et il fait valoir qu’il n’était pas au courant de son obligation de faire une telle déclaration. Il ajoute avoir menti au sujet du montant d’argent qu’il transportait lorsque l’agent des douanes le lui a demandé parce qu’il était pressé et ne voulait pas être retardé. Il admet avoir fait une erreur à cet égard.
[15] M. Doukou a expliqué par ailleurs qu’il avait eu des difficultés à trouver un avocat et à obtenir les documents pertinents pour son appel. D’après ce que je comprends de ses observations – qui ne sont pas toutes étayées par des éléments de preuve – il a tenté de déposer sa déclaration avant l’expiration du délai d’appel de 90 jours mais n’y est pas parvenu.
[16] M. Doukou affirme qu’il n’est ni un terroriste ni une personne qui recycle de l’argent et il demande d’avoir la possibilité d’être entendu par la Cour pour établir la provenance de l’argent en question.
Principes applicables en matière de jugement sommaire
[17] Les jugements sommaires de la Cour fédérale sont régis, en partie, par l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dont les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :
216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence […]
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216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly …
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[18] Le juge saisi d’une requête en jugement sommaire peut seulement dégager des conclusions de fait ou de droit dans la mesure où la preuve pertinente figure au dossier et où n’intervient pas une question « sérieuse » de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer : voir Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242, 2002 CAF 210.
[19] Pour déterminer si une question est tellement douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits lors d’un procès ultérieur, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence, car un des effets du jugement sommaire est que la partie ne pourra pas présenter de preuve au procès à l’égard de la question en litige. Autrement dit, l’intimé débouté n’aura pas la possibilité de se faire entendre en cour : voir Apotex Inc. c. Merck & Co. (2004), 248 F.T.R. 82, 2004 CF 314, au paragraphe 12, (conf. par 2004 CAF 298).
[20] À la lumière de ces principes régissant les requêtes en jugement sommaire, je vais maintenant examiner la requête du ministre sur le fond.
Analyse
[21] Étant donné qu’il n’y a aucun désaccord quant au fait que l’appel de M. Doukou a été introduit hors délai, aucun fait pertinent n’est en litige. Le seul point à trancher en l’espèce est celui de savoir si le délai prescrit au paragraphe 30(1) de la Loi est de rigueur ou si la Cour a le pouvoir discrétionnaire de le proroger dans des circonstances appropriées.
[22] À cet égard, la jurisprudence est claire : un délai de prescription fixé par la loi ne peut pas être prorogé par la Cour sauf si la loi en question habilite la Cour à proroger la période prescrit par le législateur : voir, par exemple, Dawe c. Canada (1994), 86 F.T.R. 240 (C.A.F.).
[23] En l’espèce, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ne renferme aucune disposition de ce genre.
[24] Même si l’arrêt Dawe concernait la Loi sur les douanes, les principes qui y ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale sont tout aussi applicables aux appels fondés sur la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes : voir Kazazian c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 1423.
[25] Selon le paragraphe 30(2) de la Loi, la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7, et les Règles des Cours fédérales s’appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe 30(1), avec les adaptations nécessaires occasionnées par les règles propres à ces actions. Bien que les Règles des Cours fédérales permettent la prorogation de délais, elles n’autorisent pas la Cour à rendre inapplicables les délais de prescription prescrits par une loi : voir l’arrêt Dawe, précité, au paragraphe 13.
[26] Par conséquent, je suis convaincue que la réclamation de M. Doukou est prescrite. Il n’existe donc pas de véritable question litigieuse quant à la déclaration de M. Doukou et la requête en jugement sommaire rejetant la réclamation est donc accueillie.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la requête en jugement sommaire soit accueillie et que l’action soit rejetée, avec dépens.
Anne Mactavish
Juge
Traduction certifiée conforme
ANNEXE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-128-07
INTITULÉ : PATRICE DOUKOU
c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 MAI 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 22 MAI 2007
COMPARUTIONS :
Patrice Doukou POUR LE DEMANDEUR
Jennifer Francis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mississauga (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR