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Date : 20070522

Dossier : T-128-07

Référence : 2007 CF 536

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

PATRICE DOUKOU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit ici d’une requête en jugement sommaire présentée par le défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le ministre sollicite une ordonnance rejetant la présente action parce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de 90 jours prescrit à l’article 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, 2000, ch. 17 (la Loi ).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à la déclaration de M. Doukou et que, par conséquent, son action doit être rejetée.

 

Contexte

[3]               Pour comprendre les faits à l’origine de la présente requête, il est nécessaire de comprendre également le régime législatif établi par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. À cette fin, les dispositions pertinentes de la Loi sont jointes en annexe à la présente décision.

 

[4]               Les faits essentiels de la présente affaire ne sont pas contestés.

 

[5]               Le 12 mai 2006, M. Doukou se rendait de Toronto à Amsterdam, en route pour Accra, au Ghana. Un agent des douanes lui a demandé s’il transportait des devises valant plus de 10 000 $ en devises canadiennes. M. Doukou a répondu par la négative, précisant qu’il avait seulement 200 $US sur lui.

 

[6]               Il a été déterminé par la suite que M. Doukou transportait 16 500 $US, soit environ 18 150 $CAN.

 

[7]               Comme M. Doukou n’a pas fait à l’agent des douanes la déclaration prévue dans le Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412, contrairement au paragraphe 12(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, les 16 500 $US ont été saisis à titre de confiscation, conformément à l’article 19 de la Loi.

 

[8]               S’appuyant sur l’article 25 de la Loi, M. Doukou a demandé au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Dans une lettre datée du 13 octobre 2006, le ministre a fait connaître sa décision conformément à l’article 27 de la Loi et a conclu qu’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) relativement aux espèces en question.

 

[9]               Le 13 octobre 2006, le ministre a rendu une deuxième décision qui était fondée sur l’article 29 de la Loi et confirmait que les espèces saisies étaient confisquées au profit de Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

 

[10]           Même s’il y a eu désaccord au début sur le moment où M. Doukou a été informé de la décision rendue en vertu de l’article 25 de la Loi, M. Doukou admet maintenant qu’il a reçu une copie de la décision le 18 octobre 2006.

 

[11]           Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit un droit d’appel à l’égard des décisions rendues en vertu de l’article 25 de la Loi. Cet appel s’effectue par voie d’action devant la Cour fédérale « dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision ».

 

[12]           Le 19 janvier 2007, M. Doukou a introduit une action devant la Cour fédérale afin d’interjeter appel de la décision rendue par le ministre en vertu de l’article 25. Sa déclaration a donc été déposée 93 jours suivant la date à laquelle la décision du ministre lui a été communiquée.

 

[13]           Le ministre sollicite une ordonnance rejetant la présente action parce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de 90 jours prescrit par la Loi.

 

Position de M. Doukou

[14]           M. Doukou admet qu’il a commis une erreur en ne déclarant pas les espèces qu’il transportait et il fait valoir qu’il n’était pas au courant de son obligation de faire une telle déclaration. Il ajoute avoir menti au sujet du montant d’argent qu’il transportait lorsque l’agent des douanes le lui a demandé parce qu’il était pressé et ne voulait pas être retardé. Il admet avoir fait une erreur à cet égard.

 

[15]           M. Doukou a expliqué par ailleurs qu’il avait eu des difficultés à trouver un avocat et à obtenir les documents pertinents pour son appel. D’après ce que je comprends de ses observations – qui ne sont pas toutes étayées par des éléments de preuve – il a tenté de déposer sa déclaration avant l’expiration du délai d’appel de 90 jours mais n’y est pas parvenu.

 

[16]           M. Doukou affirme qu’il n’est ni un terroriste ni une personne qui recycle de l’argent et il demande d’avoir la possibilité d’être entendu par la Cour pour établir la provenance de l’argent en question.

 


Principes applicables en matière de jugement sommaire

[17]           Les jugements sommaires de la Cour fédérale sont régis, en partie, par l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dont les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :

216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence […]

 

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly

 

 

[18]           Le juge saisi d’une requête en jugement sommaire peut seulement dégager des conclusions de fait ou de droit dans la mesure où la preuve pertinente figure au dossier et où n’intervient pas une question « sérieuse » de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer : voir Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242, 2002 CAF 210.

 

[19]           Pour déterminer si une question est tellement douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits lors d’un procès ultérieur, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence, car un des effets du jugement sommaire est que la partie ne pourra pas présenter de preuve au procès à l’égard de la question en litige. Autrement dit, l’intimé débouté n’aura pas la possibilité de se faire entendre en cour : voir Apotex Inc. c. Merck & Co. (2004), 248 F.T.R. 82, 2004 CF 314, au paragraphe 12, (conf. par 2004 CAF 298).

 

[20]           À la lumière de ces principes régissant les requêtes en jugement sommaire, je vais maintenant examiner la requête du ministre sur le fond.

 

Analyse

[21]           Étant donné qu’il n’y a aucun désaccord quant au fait que l’appel de M. Doukou a été introduit hors délai, aucun fait pertinent n’est en litige. Le seul point à trancher en l’espèce est celui de savoir si le délai prescrit au paragraphe 30(1) de la Loi est de rigueur ou si la Cour a le pouvoir discrétionnaire de le proroger dans des circonstances appropriées.

 

[22]           À cet égard, la jurisprudence est claire : un délai de prescription fixé par la loi ne peut pas être prorogé par la Cour sauf si la loi en question habilite la Cour à proroger la période prescrit par le législateur : voir, par exemple, Dawe c. Canada (1994), 86 F.T.R. 240 (C.A.F.). 

 

[23]           En l’espèce, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ne renferme aucune disposition de ce genre.

 

[24]           Même si l’arrêt Dawe concernait la Loi sur les douanes, les principes qui y ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale sont tout aussi applicables aux appels fondés sur la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes : voir Kazazian c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. n1423.

 

[25]           Selon le paragraphe 30(2) de la Loi, la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7, et les Règles des Cours fédérales s’appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe 30(1), avec les adaptations nécessaires occasionnées par les règles propres à ces actions. Bien que les Règles des Cours fédérales permettent la prorogation de délais, elles n’autorisent pas la Cour à rendre inapplicables les délais de prescription prescrits par une loi : voir l’arrêt Dawe, précité, au paragraphe 13.

 

[26]           Par conséquent, je suis convaincue que la réclamation de M. Doukou est prescrite. Il n’existe donc pas de véritable question litigieuse quant à la déclaration de M. Doukou et la requête en jugement sommaire rejetant la réclamation est donc accueillie.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la requête en jugement sommaire soit accueillie et que l’action soit rejetée, avec dépens.

 

 

Anne Mactavish

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 


 

ANNEXE

 

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l'agent, conformément aux règlements, l'importation ou l'exportation des espèces ou effets d'une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

19. L’agent peut requérir main-forte pour se faire assister dans l’exercice des pouvoirs de fouille, de rétention ou de saisie que lui confère la présente partie. Toute personne ainsi requise est autorisée à exercer ces pouvoirs.

 

19. An officer may call on other persons to assist the officer in exercising any power of search, seizure or retention that the officer is authorized under this Part to exercise, and any person so called on is authorized to exercise the power.

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l'article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s'il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l'agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

27. (1) Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

 

27. (1) Within 90 days after the expiry of the period referred to in subsection 26(2), the Minister shall decide whether subsection 12(1) was contravened.

(2) Dans le cas où des poursuites pour infraction de recyclage des produits de la criminalité ou pour infraction de financement des activités terroristes ont été intentées relativement aux espèces ou effets saisis, le ministre peut reporter la décision, mais celle‑ci doit être prise dans les trente jours suivant l’issue des poursuites.

(2) If charges are laid with respect to a money laundering offence or a terrorist activity financing offence in respect of the currency or monetary instruments seized, the Minister may defer making a decision but shall make it in any case no later than 30 days after the conclusion of all court proceedings in respect of those charges.

 

(3) Le ministre signifie sans délai par écrit à la personne qui a fait la demande un avis de la décision, motifs à l’appui.

 

(3) The Minister shall, without delay after making a decision, serve on the person who requested it a written notice of the decision together with the reasons for it.

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe  :

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

(2) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme versée en vertu de l’alinéa (1)a) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

 

(2) The total amount paid under paragraph (1)(a) shall, if the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

30. (1) La personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 27 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action à la Cour fédérale à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

 

30. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 27 may, within 90 days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which the person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

(2) La Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s'appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), avec les adaptations nécessaires occasionnées par les règles propres à ces actions.

(2) The Federal Courts Act and the rules made under that Act that apply to ordinary actions apply to actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions.

(3) Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en a été informé, prend les mesures nécessaires pour donner effet à la décision de la Cour.

 

(3) The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to the decision of the Court on being informed of it.

(4) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme qui peut être versée en vertu du paragraphe (3) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

(4) If the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, the total amount that can be paid under subsection (3) shall not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             T-128-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                                           PATRICE DOUKOU

                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 14 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 22 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrice Doukou                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Francis                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrice Doukou

Mississauga (Ontario)                                               POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                          

Toronto (Ontario)                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

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