Ottawa (Ontario), le 15 mai 2007
En présence de Monsieur le juge Harrington
ENTRE :
ARIETE ALEXANDRA PIRES SANTANA
Demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] En avril 2003, les autorités canadiennes accordaient le statut de réfugié à Mme Santana sur la base de son orientation sexuelle. Elle soutenait être lesbienne et avoir une histoire personnelle teintée par la persécution, le viol et d’autres mauvais traitements soufferts dans son Angola natal et au Portugal, où elle a vécu pendant quelques années. Toutefois, l’année dernière, le statut de réfugié qu’elle s’était vu reconnaître au pays a été annulé conformément à l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi). Il s’agit en l’instance du contrôle judiciaire de cette décision.
[2] L’article 109 de la Loi énonce ce qui suit :
109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.
(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.
(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle. |
109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.
(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.
(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified. |
[3] Le Ministre est d’avis qu’une fois arrivée au Canada, Mme Santana s’est engagée dans une relation amoureuse avec un homme ayant mené au mariage, qu’un enfant est né de cette union et qu’elle n’a pas réussi dans ses tentatives de le parrainer.
[4] Alors que Mme Santana admet l’ensemble de ces allégations, elle réaffirme la véracité des représentations et des documents en foi desquels elle a revendiqué l’asile au Canada. Elle allègue avoir été en conflit, confuse, et malheureuse, avoir voulu un enfant et avoir par le fait même tenté de changer son orientation sexuelle. Suite à cet épisode, le mariage a échoué, elle s’est rendu compte qu’un homme ne pouvait satisfaire à sa vie sexuelle et elle vit aujourd’hui une relation homosexuelle.
[5] Le Ministre met l’emphase sur le fait que l’audition s’est tenue en octobre 2002 et que la décision en faveur de Mme Santana a été rendue en avril 2003. Au jour de l’audition, Mme Santana habitait avec l’homme qu’elle a éventuellement épousé. Par contre, elle soutient qu’ils étaient seulement colocataires et qu’ils n’ont débuté à être plus intimes qu’en décembre 2002. L’homme en question n’a pas témoigné puisqu’il a été déporté.
[6] Ensuite, à la demande du tribunal, le Ministre allègue que de l’information supplémentaire lui a été soumise en janvier 2003. Semble-t-il, cela aurait eu pour effet de donner une seconde chance à Mme Santana pour soumettre l’ensemble des éléments de son récit, y compris son aventure hétérosexuelle. Cependant, faut-il le préciser, l’information supplémentaire à être soumise n’avait rien à voir avec cet aspect du dossier.
[7] En tout respect, l’argument du Ministre ne tient pas puisque cela signifierait qu’une personne homosexuelle jugée crédible devrait demeurer célibataire jusqu’à ce que le statut de réfugié lui soit accordé avant d’entreprendre une relation hétérosexuelle au pays. Là n’est pas la question. Le Ministre doit plutôt démontrer que la décision attaquée ayant accueilli la demande d’asile de Mme Santana résulte de présentations erronées sur le fait important qu’elle n’est pas ou n’aurait jamais été lesbienne, et qu’en conséquence, son récit n’est rien d’autre que mensonges.
[8] Le genre humain, particulièrement lorsqu’il en vient à la sexualité des sujets de cette race, est extrêmement complexe. En l’instance, il n’y a aucune raison de croire que le tribunal, pas plus que cette Cour, a une expertise particulière pour traiter de la question. Tout au plus, cette Cour peut reconnaître que le tribunal n’en n’a pas une connaissance particulière.
[9] La décision ici contestée doit être annulée puisqu’elle est manifestement déraisonnable. Le fait que Mme Santana a eu une relation hétérosexuelle avec un homme au Canada ne requiert pas pour autant l’intervention de cette Cour puisqu’il ne peut être inféré de ce seul élément de fait qu’elle a directement ou indirectement présenté erronément un élément important quant à l’objet de son récit, ou fait preuve de réticence quant à ce fait lors de sa demande d’asile au Canada.
[10] Une décision importante en la matière et portant sur l’ancêtre de l’article 109 de la Loi tel qu’il est aujourd’hui est Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, [2002] 4 C.F. 501 (C.A.). Comme l’écrit M. le juge Evans au paragraphe 17 :
Bien entendu, lorsqu'il tente d'établir au sens du paragraphe 69.2(2) qu'un revendicateur a donné de fausses indications lors de l'audience sur la reconnaissance du statut de réfugié, le ministre peut présenter à l'audience d'annulation une preuve qui n'a pas été déposée devant la Commission lorsque celle-ci s'est prononcée sur la revendication du statut de réfugié. De même, un revendicateur peut présenter une nouvelle preuve à l'audience d'annulation pour tenter de convaincre la Commission qu'il n'a pas donné les fausses indications que lui reproche le ministre.
[11] En l’instance, il s’agit d’un pur cas de conjecture et nullement d’inférence.
[12] Dans Dumitru c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 239 (QL), M. le juge Noël écrit ce qui suit au paragraphe 10 :
Dans l'affaire Ministre de l'emploi et de l'immigration et Robert Satiacum, (A-554-87) 16 juin 1989 [Voir [1989] A.C.F. no 505], le juge MacGuigan dit, à la page 17:
La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.):
[TRADUCTION] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J'estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.
Dans R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la Cour d'appel du Manitoba, que [TRADUCTION] "[l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales." La Cour suprême a ensuite confirmé ces motifs à l'unanimité: [1975] 2 R.C.S. 121, à la p. 123, 1 N.R. 110, à la p. 112.
Voir aussi Espino v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 1255, [2006] F.C.J. No. 1578 (QL).
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La présente demande de contrôle judicaire est accueillie.
2. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 27 septembre 2006 est annulée.
3. Le dossier est retourné à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il procède à un nouvel examen en accord avec les présents motifs.
« Sean Harrington »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5872-06
INTITULÉ : Ariete Alexandra Pires Santana c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 9 mai 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : Le 15 mai 2007
COMPARUTIONS :
Me Annick Legault
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POUR LA DEMANDERESSE |
Me Thi My Dung Tran
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Annick Legault Avocate Montréal (Québec)
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POUR LA DEMANDERESSE |
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |
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