ENTRE :
VELAUTHAPILLAI VIDNUSINGAM et
Thavamany VELAUTHAPILLAI
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
Le juge Pinard
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 1er mai 2006 par un agent (l’agent) d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) dans laquelle celui-ci a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, à une menace à leur vie, à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités, ou soumis à la torture s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine, le Sri Lanka.
[2] Les demandeurs, mari et femme, sont respectivement âgés de 67 ans et de 61 ans, et ils sont tous deux des Tamouls du Sri Lanka. Velauthapillai Vidnusingam, le mari, est le demandeur principal et la demande de son épouse est fondée sur la sienne.
[3] Les demandeurs ont invoqué des risques d’arrestation, de torture et de détention par l’armée et par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), ainsi qu’un risque d’extorsion par ces derniers. L’agent a conclu que les documents déposés par les demandeurs ne faisaient qu’exposer la situation générale régnant au Sri Lanka et qu’ils ne faisaient pas état des risques auxquels les demandeurs seraient personnellement exposés s’ils étaient renvoyés au Sri Lanka.
[4] L’agent a fait référence à un certain nombre de conclusions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), particulièrement à celle voulant que, bien que le demandeur principal ait été harcelé au cours des dernières années, ce harcèlement ne constituait pas de la persécution. La Commission a aussi conclu que la détention, ainsi que les agressions qui seraient survenues en 2000, n’avaient jamais eu lieu et qu’en raison de leur âge, les demandeurs ne correspondaient pas au profil des personnes qui, dans le Nord du Sri Lanka, sont le plus exposées aux difficultés causées par les TLET et par l’armée.
[5] L’agent a apprécié la preuve documentaire et a souligné les conclusions suivantes :
i. Malgré de récents incidents entre les TLET et l’armée, le cessez-le-feu de 2002 est toujours en vigueur et il n’y a aucun signe pouvant laisser croire que le pays serait de nouveau en guerre.
ii. Bien que de sérieux problèmes subsistent, particulièrement dans le Nord et dans l’Est, le gouvernement a respecté de façon générale les droits de la personne et divers recours sont offerts aux victimes.
iii. Un grand nombre de Tamouls continuent d’être arrêtés à Colombo, mais les plus à risque sont les jeunes Tamouls qui ont récemment voyagé à partir du Nord ou de l’Est. Dans le Nord-Est, des Tamouls sont toujours détenus ou manque à l’appel, mais les plus à risques sont les jeunes hommes Tamouls accusés ou soupçonnés de faire partie des TLET, de les aider ou de sympathiser avec ceux-ci.
iv. Des Tamouls continuent d’être victimes de meurtre et d’enlèvement dans tout le pays; ces victimes semblent être des membres de la communauté tamoule qui n’hésitent pas à dire ce qu’ils pensent, tels que des opposants aux TLET.
v. Les Sri-Lankais qui reviennent de l’étranger sont habituellement interrogés, mais il n’y a aucune preuve selon laquelle ils seraient détenus arbitrairement ou torturés.
[6] En se fondant sur cette preuve, l’agent a conclu que la situation dans ce pays ne s’était pas détériorée de façon significative depuis l’audience relative à la demande d’asile des demandeurs.
[7] L’agent a également jugé qu’il n’y avait aucune preuve documentaire objective à l’appui de l’allégation du demandeur principal selon laquelle celui-ci serait une personne ciblée par les TLET ou par l’armée, et il a conclu qu’il était improbable que les TLET s’intéressent toujours aux demandeurs après six ans.
[8] L’agent a également conclu que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État.
* * * * * * * *
[9] Lors de l’audience que j’ai présidée, l’avocat des demandeurs a soulevé les questions suivantes :
- L’agent a-t-il manqué à son obligation d’agir équitablement en ne donnant pas l’occasion aux demandeurs de présenter des observations au sujet des documents sur lesquels il s’était fondé, mais qui ont été mis à la disposition des demandeurs seulement après le dépôt de leur demande d’ERAR?
- L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère relatif à la persécution?
- L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la protection de l’État existait?
Analyse
A. Possibilité de présenter une réponse à l’égard des nouveaux éléments de preuve
[10] Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à son obligation d’agir équitablement en tenant compte de nouveaux éléments de la preuve documentaire sans leur laisser la chance d’y répondre. Ils allèguent que, selon le principe de l’équité, la communication d’une telle preuve est requise si celle‑ci est nouvelle et importante, et si cette preuve est susceptible d’avoir une incidence sur la décision. Le défendeur affirme que cette nouvelle preuve n’était pas importante puisqu’elle n’a pas modifié la décision de l’agent, et il fait allusion à la déclaration de l’agent, tirée de la décision, selon laquelle [traduction] « la situation ne s’est pas détériorée de façon importante depuis que le demandeur principal s’est présenté devant la SPR. »
[11] La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.F.), a conclu que :
[26] . . . Le fait qu’un document ne devienne accessible qu’après le dépôt des observations d’un demandeur ne signifie absolument pas qu’il contient des renseignements nouveaux ni que ces renseignements sont pertinents et qu’ils auront une incidence sur la décision. À mon avis, l’obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent d’immigration s’appuie sur un document important postérieur aux observations et où ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision.
[12] L’agent devait vérifier si la situation du pays avait changé depuis la décision de la Commission, mais sa conclusion n’est pas pertinente à l’égard de la question soulevée par les demandeurs. Ces derniers sont préoccupés par la question de savoir si les nouveaux documents indiquent un changement dans la situation du pays depuis l’époque où ils avaient présenté leur demande d’ERAR. Il convient donc de comparer la situation du pays selon les documents précédents le dépôt des observations à la situation du pays selon les documents subséquents au dépôt des observations.
[13] À mon avis, les documents subséquents au dépôt des observations dont l’agent a tenu compte indiquent qu’il y a eu des changements dans la situation du pays, car ils font mention d’une augmentation du nombre de meurtres de Tamouls et de la violence en général. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces changements étaient importants au point d’influer sur la décision de l’agent. La nouvelle preuve indiquait une recrudescence de la violence; toutefois, l’agent a conclu que les demandeurs ne correspondaient plus au profil des personnes qui sont exposées à un risque au Sri Lanka dans la situation actuelle. Dans ces circonstances, l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’agir équitablement en ne communiquant pas aux demandeurs les nouveaux renseignements au sujet de la situation du pays.
B. Le critère relatif à la persécution
[14] Les demandeurs allèguent que pour déterminer s’il y a eu persécution la question aurait dû être celle de savoir s’il y a des motifs sérieux de croire qu’ils seraient découverts par les TLET et non celle de savoir s’il est probable qu’ils seraient découverts par les TLET, laquelle a été appliquée par l’agent.
[15] Les demandeurs ont raison d’affirmer que le critère relatif à la persécution n’est pas celui de la balance des probabilités. Constitue une crainte raisonnable d’être persécuté tout ce qui représente plus qu’une simple possibilité de persécution (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.)). Cependant, la conclusion de l’agent, selon laquelle les TLET ne s’intéressaient probablement plus au demandeur, n’était qu’une partie de son analyse et cela ne constituait pas sa conclusion relativement à la question de savoir si les demandeurs satisfaisaient au critère quant à la persécution. Étant donné que l’agent a indiqué dans ses conclusions le critère approprié relativement à l’article 96 lorsqu’il a affirmé [traduction] « [qu’]en me fondant sur l’ensemble de la preuve dont je dispose, je juge qu’il y a moins qu’une simple possibilité que le demandeur puisse subir de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés », je conclus que l’agent a appliqué le critère approprié.
C. La protection de l’État
[16] Les demandeurs prétendent que l’agent a tiré une conclusion abusive en jugeant que, si la situation du pays s’était détériorée, des groupes de défense des droits de la personne l’aurait signalé, et qu’il n’a tenu compte d’aucun document en matière de droits de la personne.
[17] Les demandeurs ont également soutenu que l’agent a commis une erreur en affirmant que la Commission de la police nationale (CPN) pourrait les protéger des TLET alors que la preuve documentaire indiquait que le CPN ne faisait affaire qu’avec la police.
[18] L’agent a conclu que la protection de l’État au Sri Lanka n’est pas la perfection, mais qu’il y a des recours offerts aux demandeurs s’il devait un jour avoir besoin de protection. L’agent a souligné qu’il serait possible pour les demandeurs de recevoir une protection des autorités de l’État, de la Commission de la police nationale et de la Commission des droits de la personne.
[19] En ce qui concerne l’examen général des faits effectué par l’agent, je ne suis pas convaincu, après évaluation de la preuve, que celui-ci a rendu sa décision en se fondant sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). Plus particulièrement, selon l’évaluation de la preuve documentaire dont disposait l’agent, il est possible de porter plainte auprès de divers organismes dans le cas de violations des droits de la personne. Dans ces circonstances, je ne peux conclure que la décision de l’agent quant à la protection de l’État est manifestement déraisonnable étant donné que le Sri Lanka fait des efforts pour faire enquête sur les cas de violation des droits de la personne.
Conclusion
[20] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Ottawa (Ontario)
Le 1er mai 2007
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2985-06
INTITULÉ : VELAUTHAPILLAI VIDNUSINGAM ET Thavamany VELAUTHAPILLAI c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 21 MARS 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : LE 1ER MAI 2007
COMPARUTIONS :
Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
David Joseph POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
Avocat
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada