T‑787‑05
Ottawa (Ontario), le 27 avril 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER
ENTRE :
demanderesse
APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
et
ELI LILLY AND COMPANY LIMITED
défenderesse/titulaire du brevet
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Eli Lilly Canada Inc. (« Lilly ») demande une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer, sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le « Règlement »), un avis de conformité qui permettrait à Apotex de fabriquer et de vendre des comprimés de 2,5, 5, 7,5, 10, 15 et 20 mg d'olanzapine.
[2] Les demandes dans les dossiers T‑156‑05 et T‑787‑05 sont identiques, à cette exception près que le second ne concerne que les comprimés de 10 mg d'olanzapine. Les circonstances qui ont entraîné l'introduction de deux instances presque identiques seront examinées dans une ordonnance distincte relative aux dépens.
[3] La drogue désignée olanzapine fait l'objet du brevet canadien no 2 041 113 (le « brevet 113 »). Eli Lilly Canada la fabrique et la commercialise dans notre pays sous la marque ZyprexaMD [1].
[4] La Cour suprême du Canada a défini la nature du Règlement et des instances relatives à un AC dans deux arrêts récents : Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533 (l'arrêt Byolise), et AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560. Il suffira ici de rappeler que les instances relatives à un AC ont un objet limité, qui est de permettre de trancher de manière expéditive les questions touchant la validité et la contrefaçon des brevets inscrits à un registre que le ministre tient sous le régime du Règlement. Une telle instance n'équivaut pas à une action civile en contrefaçon de brevet ou à une procédure en jugement déclaratoire d'invalidité, et la décision qui en découle ne lie pas les parties dans toute action ultérieure concernant la validité du brevet en cause.
[5] Cependant, il n'est pas inutile de rappeler que, depuis l'adoption du Règlement, les instances relatives à un AC paraissent être devenues de plus en plus complexes, si bien qu'on pourrait difficilement aujourd'hui les qualifier de sommaires. Dans la présente espèce, par exemple, la demanderesse a déposé dix affidavits principaux et neuf affidavits en réplique, tandis qu'Apotex a déposé douze affidavits principaux et onze affidavits en surréplique. Le corps de certains de ces affidavits compte plus de 80 pages. On trouvera en annexe A la liste des nombreux experts qui ont signé des affidavits, ainsi que l'exposé de leurs qualités professionnelles.
[6] L'audience des présentes demandes a pris sept jours entiers et n'a pas duré plus longtemps uniquement parce que les parties sont convenues de se contenter d'indiquer à la Cour la preuve la plus pertinente qu'elle devrait examiner et d'exposer à grands traits les questions de droit et de procédure à trancher. Il n'y a pas eu beaucoup de temps pour examiner les volumineux recueils de jurisprudence et de doctrine soumis par les parties, même si elles sont d'accord pour dire que certaines des questions de droit concernant les « brevets de sélection » sont tout à fait nouvelles et importantes. En fait, Apotex laisse entendre que les brevets de cette nature feront à l'avenir l'objet de nombreuses instances relatives à un AC et ajoute que, de même que ces brevets sont parfois désignés « brevets de la deuxième génération », les instances du type AC où ils sont mis en litige pourraient aussi être dites « de la deuxième génération ». Il est à espérer que nous trouverons une manière plus efficace de mener ces instances que l'on continue de qualifier de « sommaires », étant donné que, dans la présente espèce par exemple, la nécessité de limiter l'audience à sept jours a obligé la Cour à examiner après celle‑ci plus d'une centaine d'affaires et une quantité considérable d'éléments de preuve.
[7] Comme il apparaîtra plus tard, une bonne partie de cette preuve se rapporte à des questions qui ne sont tout simplement pas très pertinentes à l'égard de la décision à rendre. Chacune des parties a élevé de nombreuses objections contre la preuve produite par la partie adverse, invoquant notamment le ouï-dire et l'omission de présenter en preuve des faits sous‑jacents aux opinions des experts. On a aussi contesté l'admissibilité de certains éléments, et les deux parties ont mis en discussion le poids à attribuer aux opinions de divers experts.
[8] Les observations suivantes formulées par la Cour suprême du Canada dans R. c. D.D., [2000] 2 R.C.S. 275, 2000 CSC 43, [2000] A.C.F. no 44 (QL), se révèlent ici très pertinentes et illustrent la nécessité d'une réforme ou, à tout le moins, d'une meilleure gestion de la preuve d'expert dans les instances relatives à un AC :
Enfin, la preuve d'expert exige un temps considérable et est onéreuse. Les litiges modernes ont causé une prolifération d'opinions d'expert de valeur douteuse. On n'insistera jamais assez sur l'importance des coûts pour les parties et le fardeau qui pèse lourdement sur les ressources judiciaires. Lorsqu'on laisse le champ libre à l'admission de la preuve d'expert, le procès a tendance à dégénérer en « un simple concours d'experts, dont le juge des faits se ferait l'arbitre en décidant quel expert accepter » [...]
[9] Étant donné la nature de l'instance et le fait que l'audience a eu lieu tout juste deux mois avant la fin du délai de 24 mois fixé par le Règlement, mes motifs touchant certaines questions ne seront pas aussi précis ou détaillés que paraîtrait le justifier le caractère très approfondi des observations et de la preuve des parties. Voici la table des matières de l'analyse et de l'exposé des motifs qui suivent :
1) Description générale de la chimie du médicament et contexte |
paragr. 10‑39 |
2) L'avis d'allégation (AA) |
paragr. 40 |
3) Les questions préliminaires |
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a) La requête en radiation |
paragr. 59 |
b) Le fait que l'AA n'invoque pas l'invalidité de la sélection |
paragr. 72 |
c) L'affidavit de M. Pullar |
paragr. 126 |
d) L'affidavit de Me Forman produit dans le dossier T‑156‑05 |
paragr. 163 |
e) L'étude de MPI Research, Inc. |
paragr. 173 |
f) L'effet sur les témoignages des experts de Lilly |
paragr. 189 |
g) Les qualités professionnelles des experts et les questions influant sur le poids à accorder à leurs opinions |
paragr. 201 |
4) Le fardeau de la preuve |
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a) La présomption établie par l'article 43 |
paragr. 224 |
b) L'alourdissement du fardeau de la preuve |
paragr. 241 |
5) L'antériorité |
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a) Principes généraux |
paragr. 247 |
b) Application |
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(i) La personne versée dans l'art |
paragr. 269 |
(ii) Le brevet 687 |
paragr. 273 |
(iii) L'article de M. Schauzu |
paragr. 278 |
6) L'évidence |
|
a) Principes généraux |
paragr. 296 |
b) Application |
paragr. 308 |
c) Les indices secondaires |
paragr. 352 |
7) Le double brevet |
paragr. 359 |
8) L'article 53 |
paragr. 365 |
9) Conclusion |
paragr. 383 |
1) Description générale de la chimie du médicament et contexte
[10] L'olanzapine est un médicament antipsychotique utilisé dans le traitement des patients atteints de diverses formes de maladie mentale, en particulier la schizophrénie.
[11] Il existe deux types d'antipsychotiques : les antipsychotiques typiques (classiques ou de première génération) et les antipsychotiques atypiques (de deuxième génération). Les antipsychotiques atypiques n'entraînent pas d'effets secondaires extrapyramidaux (ESEP) sérieux. Comme l'indique le Dr Richard Williams dans son affidavit, les ESEP peuvent se manifester sous la forme de contractions involontaires du visage et de la langue ou de distorsions corporelles douloureuses.
[12] En règle générale, les composés antipsychotiques agissent en bloquant divers sites récepteurs (y compris des sous‑types des récepteurs de la dopamine et de la sérotonine) dans le cerveau ou en se liant à des sites récepteurs d'où ils sont libérés à différentes vitesses.
[13] Le premier antipsychotique mis sur le marché, la chlorpromazine, a été lancé en 1953. Même si ce médicament était efficace dans le traitement de la schizophrénie, son usage était limité en raison des ESEP sérieux qu'il provoquait chez certains patients ainsi que d'autres effets secondaires graves. Le Dr Williams décrit l'halopéridol, médicament introduit dans les années 1960, comme l'amélioration importante qui a suivi; toutefois, il indique que ce médicament entraînait des ESEP aussi souvent que la chlorpromazine.
[14] Le premier antipsychotique atypique, la clozapine, a été mis sur le marché en 1968. Il a été retiré du marché après qu'on eut observé chez certains patients des effets secondaires graves de nature hématologique, notamment une diminution grave des leucocytes (globules blancs). Depuis, la clozapine a été remise sur le marché[2], mais les personnes auxquelles elle est prescrite doivent faire vérifier toutes les deux semaines leur numération leucocytaire.
[15] Au début des années 1970, des chercheurs de Lilly ont commencé à mener des recherches sur des médicaments ayant une activité bénéfique pour le système nerveux central (SNC). Monsieur Chakrabarti, chercheur chez Lilly et l'un des inventeurs désignés dans le brevet 113, est aussi l'un des deux inventeurs dont le nom figure au brevet canadien no 1 075 687 (le brevet 687), déposé en 1975 et délivré le 15 avril 1980. Le brevet 687 vise un très vaste genre (ou une très vaste classe) de composés chimiques[3] ayant une activité bénéfique pour le SNC. Ce genre comprend l'olanzapine.
[16] L'olanzapine n'est pas divulguée expressément parmi les cent exemples énumérés dans le brevet 687. Tout en donnant des exemples précis, le brevet mentionne aussi les critères qui définissent certains « composés privilégiés » à l'intérieur du vaste genre qu'il vise. Parmi ces critères, il en fait ressortir un ensemble plus précis qui définit un groupe vraisemblablement plus petit, soit les composés « les plus privilégiés ».
[17] Bien que les parties s'entendent pour dire que l'olanzapine répond aux critères d'un « composé privilégié », elles ne sont pas toutes d'accord pour affirmer qu'elle satisfait aux critères d'un composé parmi « les plus privilégiés ». Dans son affidavit, M. Nichols, expert pour Lilly, soutient que l'olanzapine ne peut pas figurer parmi les composés « les plus privilégiés » parce qu'elle ne répond pas à tous les critères de cette catégorie. Toutefois, au cours du contre‑interrogatoire, les commentaires de M. Nichols semblaient en contradiction avec sa position initiale. Plus précisément, tout en reconnaissant que l'éthylflumézapine était expressément mentionnée comme un composé parmi « les plus privilégiés », il concède que ce composé ne satisfait pas à l'un des critères requis énumérés dans le brevet. Cette contradiction vient renforcer la position des experts d'Apotex, particulièrement celle de MM. McClelland et Castagnoli, selon laquelle un composé ne peut pas répondre à tous les critères d'un composé parmi « les plus privilégiés ». La Cour souscrit à cette opinion, tout en notant que les deux sous‑classes (« privilégiés » et « les plus privilégiés ») du brevet 687 englobent néanmoins toujours un très grand nombre de composés[4].
[18] Le brevet 687 ne fait aucune mention expresse des effets secondaires de ces composés, mais indique que ces [traduction] « composés ayant une puissante action sur le système nerveux central ont des propriétés neuroleptiques, sédatives ou relaxantes ou antiémétiques[5] » qui, couplées avec leur index thérapeutique élevé, les rendent utiles dans le traitement de l'anxiété légère et de certains types de troubles psychotiques tels que la schizophrénie et le délire aigu. La plage posologique mentionnée dans le brevet 687 est très large et dépend [traduction] « des composés ainsi que de l'état et de la taille du mammifère[6] » à traiter. Chez l'homme, la posologie proposée varie de 0,1 à 20 mg par kg, soit une dose de 7 mg à 1 400 mg par jour pour une personne moyenne de 70 kg.
[19] Certains des experts d'Apotex étaient d'avis que la référence à l'index thérapeutique élevé de ces composés impliquait que ceux‑ci avaient un profil d'effets secondaires favorable et pourraient même avoir un faible profil d'ESEP. Il semble, d'après la preuve, que le terme « index thérapeutique » soit utilisé de différentes façons selon le contexte. La Cour croit que dans le contexte du brevet 687, il n'aurait pas été interprété comme promettant des ESEP minimes.
[20] Comme il a déjà été mentionné, en plus du genre très vaste, les revendications du brevet 687 visent certains composés précis et un procédé pour synthétiser les membres du genre. Parmi les composés expressément divulgués se trouvent trois qui seront examinés plus en détail ci‑après. Ils peuvent être désignés comme la flumézapine, l'éthylflumézapine et le composé 222 (les deux premiers composés sont en fait visés spécifiquement par les revendications 19 et 21 du brevet 687).
[21] Un court glossaire fourni par Lilly figure à l'annexe B.
[22] Il serait utile de décrire la structure générale du genre tel qu'il est représenté dans le brevet 687 (les noms et les lignes pointillées ont été ajoutés) :
[23] Les composés dont il sera question dans le présent jugement peuvent être décrits comme suit (les caractéristiques distinctives de chaque composé ont été encerclées) :
Flumézapine
Composé 222 Éthylflumézapine
Olanzapine
[24] Comme le montrent les illustrations, tous ces composés sont étroitement apparentés. Cependant, un examen de la jurisprudence relative aux brevets de sélection visant des composés chimiques indique qu'il n'y a là rien d'inhabituel[7].
[25] Il semble que dans les années 1980, les chercheurs de Lilly, particulièrement M. Chakrabarti, ont continué de mener des expériences sur des composés compris dans le genre visé par le brevet 687 dans le but de découvrir un antipsychotique atypique efficace. C'est pendant ces recherches que M. Chakrabarti et ses collègues ont publié plusieurs articles relatant les résultats obtenus après qu'ils eurent synthétisé et mis à l'essai plusieurs des composés découverts. Aucun de ces articles ne fait expressément mention de l'olanzapine.
[26] Il convient de noter que Lilly n'était pas la seule entreprise à travailler avec des composés de ce type. D'après « l'article de M. Hunziker »[8] (document d'Apotex no 15), publié en 1981, une unité de recherche de Sandoz, à Berne, synthétisait une classe de composés étroitement apparentés, les thiénobenzazépines, et en évaluait l'activité.
[27] Dans le document d'Apotex no 16 (« Chakrabarti 1980 »[9]), l'équipe de Lilly signale les résultats de divers tests in vitro et in vivo effectués chez le rat pour évaluer la toxicité et la puissance de certains composés visés par le brevet 687. Au cours de ces expériences, les chercheurs ont employé les tests suivants pour mesurer la réponse aux composés[10] : dose létale 50 (DL50), conditionnement d'évitement (CAR), catalepsie du chat (CAT) et hypothermie chez la souris (dose efficace, ou DE).
[28] Comme l'a mentionné Apotex dans son mémoire des faits et du droit, le test de conditionnement d'évitement indique quels composés pourraient être utiles comme antipsychotiques, alors que le test CAT est utilisé pour prédire de façon grossière la fréquence d'ESEP.
[29] Il convient de noter immédiatement que lorsqu'on utilise le test de conditionnement d'évitement et le test CAT pour prédire de façon grossière, il semble que de nombreux composés visés par le brevet 687 et pour lesquels des résultats de tests ont été publiés en 1980 n'avaient pas une activité suffisante pour être des antipsychotiques potentiellement utiles. Cette observation est conforme avec l'ampleur de la description faite dans le brevet 687 relativement à l'utilité du genre. De même, il est évident, d'après les divers résultats de tests signalés en 1980 et en 1982, que bon nombre des composés qui avaient une activité antipsychotique suffisante auraient pu être utilisés pour la production de médicaments typiques (c.‑à‑d. qui entraînent des ESEP) et non pas de médicaments atypiques.
[30] Au cours de ses recherches pour découvrir un médicament adéquat, l'équipe de Lilly a mis à l'essai plusieurs composés. Par exemple, une étude sur l'éthylflumézapine menée chez le chien a révélé que ce composé était associé à une forte incidence de troubles hématologiques, et les essais cliniques chez l'homme n'ont pas eu lieu[11].
[31] La flumézapine a été une autre candidate. Après une étude réussie chez le chien, Lilly a procédé à son premier essai clinique chez l'homme. Le brevet 113 indique que 17 patients ont été traités par la flumézapine [traduction] « avant que l'essai clinique ne soit interrompu, après consultation avec la Food and Drug Administration des États‑Unis, en raison de l'incidence inacceptable de la hausse des enzymes parmi les patients traités. Les taux de l'enzyme créatine phosphokinase (CPK) ainsi que des enzymes hépatiques SGOT (sérum glutamate oxaloacétique transaminase) et SGPT (sérum glutamate pyruvate transaminase)... dépassaient de beaucoup les valeurs normales, ce qui révèle une possible toxicité ». Cette tendance, selon la divulgation, est [traduction] « semblable à celle observée avec la chlorpromazine, antipsychotique utilisé depuis longtemps, mais dont l'innocuité est remise en question ». Par ailleurs, lors de ces essais cliniques, deux patients traités par la flumézapine ont montré des signes possibles d'ESEP selon l'échelle AIMS[12].
[32] Comme il a été mentionné, durant les années 1980, les chercheurs de Lilly ont continué à mener des recherches sur des composés visés par le brevet 687. Leurs résultats ont été publiés dans des documents qui seront cités comme « Chakrabarti 1980 » (déjà cité, note 9), « Chakrabarti 1980 no 2 » (document d'Apotex no 17)[13], « Chakrabarti 1982 » (document d'Apotex no 18)[14] et « Chakrabarti 1989 » (document d'Apotex no 25)[15].
[33] Les résultats partiels d'une étude comparative chez le chien portant sur le composé 222 et l'olanzapine ont été décrits dans le brevet 113 et sont l'objet de nombreux arguments soulevés dans l'avis d'allégation et dans les demandes.
[34] Dans le brevet 113, les inventeurs mentionnent ceci :
[traduction]
Dans des études de toxicité menées chez le chien avec un composé très analogue, le 2-éthyl-10-(4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)-4H-thiéno [2,3‑b]-[1,5] benzodiazépine, à raison de 8 mg/kg, on a observé chez quatre des huit chiens une hausse significative du taux de cholestérol, alors qu'aucune hausse du taux de cholestérol n'a été notée avec le composé visé par l'invention.
[35] Rien ne montre que le composé 222 aurait été mis à l'essai chez l'homme. Toutefois, l'olanzapine a fait l'objet d'essais cliniques complets chez l'homme. Elle a été introduite comme médicament au Canada en 1997.
[36] Le brevet 113 mentionne aussi d'autres avantages perçus de l'olanzapine par rapport à d'autres antipsychotiques déjà connus non inclus dans le genre visé par le brevet 687. Parmi ces avantages figurent une plus faible élévation des taux de prolactine (ce qui laisse croire que le composé entraînerait moins de perturbations du cycle menstruel), de gynécomastie et de galactorrhée, ainsi que l'absence de modification de la numération des leucocytes.
[37] Selon le brevet 113, l'olanzapine est un antipsychotique efficace dans le traitement de la schizophrénie, présentant une forte activité [traduction] « à des doses étonnamment faibles ». Il est précisé plus loin dans le brevet que le traitement privilégié chez l'homme adulte varie de 0,1 à 20 mg par jour. À la page 6 du brevet figure la conclusion suivante :
[traduction]
Globalement, dans des situations cliniques, le composé de l'invention est nettement supérieur aux antipsychotiques déjà connus et présente un meilleur profil d'effets secondaires. De plus, son activité est beaucoup plus forte. [Non souligné dans l'original.]
[38] Aucune des revendications du brevet 113 ne décrit expressément les avantages susmentionnés. Le brevet revendique l'olanzapine et son utilisation dans le traitement de la schizophrénie et d'autres maladies mentales moins aiguës. Il revendique aussi des compositions pharmaceutiques.
[39] Lors de l'audience, les parties se sont entendues sur le fait qu'il n'y avait aucun litige relativement à l'interprétation du brevet 113 et que la proposition d'Apotex de fabriquer et de vendre des comprimés d'olanzapine contrefaisait à tout le moins les revendications suivantes :
3. 2-méthyl-10-(4-méthyl-1-pipérazinyl)-4H-thiéno-[2,3-b][1,5] benzodiazépine, ou un sel d'addition acide pharmaceutiquement acceptable de ce composé.
6. L'utilisation d'un composé conformément à la revendication 2 ou 3 en vue de la fabrication d'un médicament pour le traitement de la schizophrénie.
13. Une composition pharmaceutique renfermant le composé décrit à la revendication 3 ainsi qu'un diluant ou un vecteur pharmaceutiquement acceptable pour ce composé.
2) L'avis d'allégation (AA)
[40] Apotex a signifié son premier avis d'allégation le 16 décembre 2004, et son deuxième le 21 mars 2005. Aux fins de la présente section, ces deux AA peuvent être considérés comme identiques; tous les moyens de fait et de droit concernant l'olanzapine qui sont exposés dans le premier sont incorporés par renvoi dans le deuxième (qui porte seulement sur les comprimés d'olanzapine de 10 mg). Comme nous le disions plus haut, les circonstances qui ont entraîné l'introduction inutile de deux instances presque identiques seront examinées dans une ordonnance distincte sur les dépens.
[41] Lilly soutient qu'Apotex a soulevé plusieurs questions nouvelles dans sa preuve, notamment en affirmant que le brevet 113 ne peut être un [traduction] « brevet de sélection valide ». Il s'avère donc nécessaire d'examiner de manière assez détaillée la structure et le contenu de l'AA. Le corps du texte de celui‑ci fait 105 pages. Suivent diverses annexes portant sur le droit afférent aux questions juridiques soulevées dans le corps du texte, puis une dernière annexe qui recense les 63 documents (antériorités et réalisations postérieures) cités dans l'AA.
[42] Sous le titre [traduction] « Contexte », Apotex passe en revue divers documents d'antériorité dont les premiers datent de la fin des années 1960, ainsi que des réalisations postérieures, qui renvoient à diverses divulgations de composés liés à l'olanzapine et à l'olanzapine elle-même, dont un bon nombre sont aussi examinés plus loin dans l'AA sous les rubriques particulières de l'antériorité et de l'évidence. Dans cette section, Apotex formule également de nombreuses allégations pertinentes pour la question de la « sélection », qui formait l'un des principaux objets du débat dans la présente espèce. Il est important de noter que les questions de cette nature liées à la sélection sont soulevées sous le titre [traduction] « Contexte », mais non pas (à très peu d'exceptions près qui seront toutes relevées dans le présent résumé) sous les titres des autres sections de l'AA qui portent spécifiquement sur les motifs d'invalidité, c'est‑à‑dire [traduction] : « Antériorité », « Évidence » et « Double brevet ».
[43] À la page 41 de son AA, dans une section intitulée [traduction] « Documents postérieurs à 1980 », Apotex note que le brevet 113 fait valoir que la flumézapine et le composé 222, qui font tous deux l'objet du brevet 687, sont des drogues inadaptées aux besoins. Or, affirme Apotex, après le dépôt du brevet, et en particulier avec le dépôt aux États-Unis en 2004 de la demande de brevet de la société IVAX[16], il a été établi que le composé 222 est un antipsychotique utile[17].
[44] Apotex poursuit en affirmant que l'étude canine dont le brevet 113 fait état était défectueuse, ainsi que dépourvue de pertinence, de validité et de signification scientifique, pour diverses raisons qu'elle expose aux pages 41, 42 et 43[18].
[45] Après avoir nié que le composé 222 provoquait une hausse du taux de cholestérol chez la chienne, Apotex, dans son avis d'allégation, poursuit en disant que de toute façon, le chien n'est pas un modèle animal adéquat pour prédire la hausse du taux de cholestérol chez l'homme. Apotex soutient de plus qu'un test effectué chez le chien est inadéquat si aucune autre espèce animale n'y est soumise. Apotex conclut ainsi [traduction] : « Par conséquent, les études de toxicité chez le chien non accompagnées d'études chez d'autres espèces animales ne montrent pas qu'au moment du dépôt de la demande [du brevet 113], [le composé 222] ou l'olanzapine présentaient des caractéristiques spéciales par rapport aux composés revendiqués dans le brevet 687. »
[46] Après avoir conclu que les divers documents décrits dans l'avis d'allégation (pages 49 à 61) montrent que la comparaison entre l'olanzapine et le composé 222 (comme elle est décrite aux pages 5 et 6 du brevet 113) est inadéquate, Apotex affirme ceci [traduction] : « En fait, ce qui suit a été déterminé en ce qui concerne l'olanzapine. » Ensuite, des pages 61 à 66, Apotex examine des documents (pour la plupart des réalisations postérieures) qui traitent des propriétés de l'olanzapine telles qu'elles sont maintenant comprises, particulièrement son association plus récente avec le gain de poids et la hausse des taux de triglycérides. Par exemple, Apotex cite son document no 56, qui conclut, à la page 742, que [traduction] « le traitement par l'olanzapine a été associé à un gain de poids, à des taux plus élevés d'insuline, de leptine et de lipides sanguins, et à une résistance à l'insuline, un diagnostic de diabète sucré ayant été posé chez trois patients »[19]. [Non souligné dans l'original.]
[47] À la page 63 de l'avis d'allégation, Apotex cite un autre résumé qui traite des effets secondaires des médicaments antipsychotiques. Y figure la citation suivante [traduction] : « la question du diabète est quelque peu controversée, et, récemment, des antipsychotiques de deuxième génération ont été associés au développement du diabète de type 2 »[20].
[48] Il convient de souligner que l'avis d'allégation ne renferme aucune allégation ni aucune mention précise concernant les taux de prolactine, la numération des leucocytes, ou d'autres inconvénients particuliers mentionnés dans le brevet 113 et associés aux antipsychotiques déjà connus. Il ne contient non plus aucune allégation qui mettrait en doute les résultats ou la validité des tests réalisés avec la flumézapine.
[49] Au bas de la page 66, Apotex affirme que les différences entre le brevet 113 et la demande de brevet britannique sur laquelle il fonde sa revendication de priorité (GB9009229.7) montrent à l'évidence que le monopole de l'invention revendiquée dans le brevet 113 est [traduction] « maintenu artificiellement ». Apotex semble ainsi laisser entendre que les nouveaux termes (tels que [traduction] « surprenant ») insérés dans le brevet canadien constituent une autre preuve des efforts par lesquels Lilly essaierait de manière illégitime de « renouveler à perpétuité » une invention existante. Apotex poursuit en disant qu'il ne devrait pas être possible de revendiquer dans le brevet 113 une date de priorité fondée sur le brevet britannique correspondant, au motif qu'il contient de nouveaux termes, des ajouts et des revendications supplémentaires. En conséquence, soutient Apotex, la date de priorité relative au brevet 113 devrait être fixée à sa date de dépôt au Canada, soit le 24 avril 1991, plutôt qu'à la date de dépôt du brevet britannique, antérieure d'un an. Il est cependant apparu au cours de l'audience que la différence d'opinion touchant la date qui doit être considérée comme la date des revendications est dénuée d'importance aux fins de trancher les questions relatives aux divers motifs d'invalidité énumérés dans l'AA. Sous ce rapport, aucune des antériorités importantes invoquées par Apotex, en particulier à l'audience, ne serait exclue si la date des revendications était fixée à la date du dépôt au Royaume‑Uni.
[50] La section intitulée [traduction] « Contexte » de l'AA semble se conclure à la page 69 avec une déclaration qui, selon Apotex, montre qu'elle avait l'intention d'invoquer toutes les questions soulevées dans ladite section à l'appui des moyens de droit qu'elle expose formellement plus loin dans son AA. Cette déclaration est formulée comme suit :
[traduction]
Apotex soutient, à propos de chacune des revendications en litige, qu'elle est invalide et nulle, et elle invoque à l'appui de ces allégations la totalité des éléments examinés dans le présent AA.
[51] La Cour note que, les questions de fond mises à part, l'AA – c'est le moins qu'on puisse dire – est mal rédigé et mal construit. Ce défaut d'organisation et de cohérence dans un document aussi volumineux, qui risque facilement de produire confusion et malentendus, était manifestement un sujet d'irritation pour la demanderesse.
[52] Dans la section suivante de son AA, intitulée [traduction] « Antériorité » (pages 69 à 75), Apotex ne cite que quatre documents, dont elle en avait déjà cité deux plus haut : le brevet de « genre » no 687 et l'article scientifique « Chakrabarti 1980 » (précité à la note 9). La troisième prétendue antériorité que cite Apotex dans son AA sera désignée ci‑après « l'article de M. Schauzu »[21]. Cet article publié dans une revue scientifique allemande, qui sera examiné de manière plus détaillée plus loin, présente un tableau de 12 composés. Apotex soutient que l'olanzapine est divulguée par le numéro 11 de cette liste et que cet article enseigne qu'elle a une activité antipsychotique. Enfin, l'AA fait brièvement référence à une étude tératologique[22] qui aurait divulgué un composé identique à l'olanzapine; cependant, Apotex a depuis retiré son affirmation que cette étude constitue une antériorité à l'invention en litige. Qui plus est, il n'a pas été question de cet article à l'audience. Il n'en sera donc plus fait mention.
[53] À la fin de la section de son AA portant sur l'antériorité, Apotex affirme que ces quatre publications donnent toutes [traduction] « des indications si claires que la personne du métier qui en prendrait connaissance et les suivrait serait dans chaque cas et sans possibilité d'erreur conduite à l'invention qui fait l'objet des revendications en cause ».
[54] Apotex, dans la brève introduction de la section de l'AA intitulée [traduction] « Évidence » (pages 75 à 85), déclare qu'elle [traduction] « invoque l'état de la technique et les connaissances courantes accessibles à la personne du métier exposés dans le présent AA », et ajoute que « la personne du métier serait directement et facilement arrivée à l'objet » des revendications. Comme on le verra plus tard, Apotex n'a guère proposé, à l'appui des affirmations formulées dans l'AA, d'éléments de preuve touchant les connaissances générales courantes dans le domaine à l'époque pertinente (d'avril 1990 à avril 1991). Apotex a formulé après l'audience des observations plus précises, selon lesquelles la preuve d'expert établissait que ces connaissances comprenaient l'ensemble des documents d'antériorité énumérés dans son AA, en particulier ceux que citent les affidavits de MM. Klibanov, Dordick et McClelland.
[55] Quoi qu'il en soit, Apotex soutient explicitement que l'olanzapine est évidente sur la base d'éléments des connaissances courantes, ainsi que, considérés ensemble, du brevet 687 et de ses documents nos 14[23] et 17[24]. Elle affirme ensuite l'évidence de l'olanzapine sur le fondement des composés divulgués dans « Chakrabarti 1980 » (document no 16 d'Apotex)[25], et elle invoque enfin à cet égard l'« article de M. Schauzu »[26].
[56] Apotex conclut la section relative à l'évidence de son AA en affirmant que l'olanzapine attendait [traduction] « dans les coulisses » à l'époque où l'on a découvert que la flumézapine ne convenait pas aux besoins. Elle ajoute que les avantages liés aux effets secondaires n'empêchent pas le brevet 113 d'être évident; elle note à la page 84 qu'aucune des revendications de ce brevet ne parle des effets secondaires et que la mention qu'on y trouve du composé 222 n'aide pas Lilly à établir la valeur inventive de l'olanzapine [traduction] « pour les raisons exposées plus haut ».
[57] Apotex formule ensuite dans son AA la thèse de l'invalidité, au motif du double brevet, notamment [traduction] « compte tenu des revendications du [brevet 687] et des connaissances courantes attribuables à la personne du métier », ainsi que du double brevet relatif à l'évidence.
[58] Enfin, Apotex soutient que le brevet 113 est nul en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets[27]. Plus précisément, elle fait valoir que Lilly a passé sous silence diverses insuffisances de l'étude toxicologique sur chiens citée dans la divulgation du brevet 113, et qu'elle l'a fait délibérément dans le but d'induire en erreur le commissaire aux brevets. En outre, la défenderesse soutient que la demanderesse a omis de citer le brevet 687 (le brevet canadien correspondant au brevet britannique no 1 533 235, qui est expressément cité dans la divulgation du brevet). Selon Apotex, cette omission visait aussi à induire le commissaire en erreur, ainsi qu'à éviter la question du double brevet. Lilly aurait aussi délibérément omis de révéler l'existence de divers documents d'antériorité tels que l'article de M. Schauzu[28] et ceux de M. Chakrabarti (1980 et 1982)[29]. Cette section de l'AA se conclut par le passage suivant :
[traduction]
Lorsque, pour quelque raison que ce fût, on eut décidé de ne pas donner suite aux substances antérieurement sélectionnées (la flumézapine et d'autres composés sélectionnés par Eli Lilly), l'olanzapine attendait « dans les coulisses », prête à l'utilisation.
Par conséquent, le brevet 113 est nul en vertu de l'article 53. (On trouvera à l'annexe D de plus amples observations sur l'article 53.)
3) Les questions préliminaires
a) La requête en radiation
[59] En juillet 2005, Lilly a introduit une requête en radiation de la preuve déposée par Apotex touchant des questions et des documents dont, selon Lilly, il n'était pas fait mention dans l'AA. Cette requête a été entendue par le protonotaire Roger Lafrenière, qui a renvoyé à l'audience au fond l'examen de la partie concernant la radiation de la preuve.
[60] Dans cette requête, Lilly demandait aussi le droit de déposer des éléments de preuve en réplique. Le protonotaire Lafrenière a fait droit à cette partie de la requête, au motif qu'il estimait établi que Lilly n'aurait pu prévoir la nature de la preuve produite par Apotex ni l'allégation d'antériorité sous la forme avancée, et qu'elle subirait un préjudice grave si on lui refusait la possibilité de produire une preuve en réplique. Apotex n'a pas exercé de recours contre la décision du protonotaire Lafrenière, et Lilly fait valoir que la conclusion de ce dernier touchant son droit de produire une preuve en réplique relève de la chose jugée. Apotex n'a pas contesté cette prétention.
[61] À l'origine, Lilly proposait une très longue liste des nouvelles questions et des nouveaux documents concernant des questions aussi bien nouvelles que déjà soulevées (voir le journal, volume 7, onglets 3 et 4), liste qu'elle mettait en rapport avec de nombreux affidavits et contre-interrogatoires d'experts où ces questions étaient examinées.
[62] À l'audience, cependant, Lilly a déclaré qu'afin d'abréger le débat, elle renonçait à demander la radiation de la preuve touchant l'allégation d'utilisation non indiquée sur l'étiquette, ainsi que des monographies relatives au Zyprexa (versions canadienne et américaine). En outre, Apotex a fait savoir qu'elle n'invoquait plus les demandes de brevet de la société IVAX (documents nos 28 et 29 d'Apotex) et a prié la Cour de ne pas tenir compte des éléments de preuve afférents, de sorte que Lilly a aussi retiré cette question de sa liste.
[63] Au cours d'une conférence téléphonique tenue le 30 mars 2007, Apotex a également avisé la Cour qu'elle n'invoquerait pas les autres documents contestés énumérés à l'onglet 4 du volume 7 du journal. Il a donc été convenu que la Cour n'avait pas à statuer sur la requête en radiation à l'égard de ces éléments de preuve, ainsi que des paragraphes afférents des affidavits d'experts.
[64] Il s'ensuit que deux seulement des questions soulevées à l'origine restent à trancher : le diabète et l'utilisation du document no 21 d'Apotex, un article intitulé « In Vitro Thiomethylation » (H.R. Sullivan et al., (1985), Vol. 13, No. 3, 1985 Drug Metabolism and Disposition, pages 276 à 278). Ce document, qui figurait dans l'AA sous le titre [traduction] « Documents postérieurs à 1980 », n'était à l'origine défini par Apotex que comme divulgation de la formule de la flumézapine. Plus tard, cependant, deux experts d'Apotex l'ont invoqué à l'appui de la thèse que l'état de la technique détournait de l'utilisation des substituants halogénés à l'anneau benzène. Lilly s'oppose à l'usage de ce document à une fin qu'elle estime nouvelle.
[65] Enfin, Lilly s'est opposée à ce qu'Apotex conteste le fondement de la sélection, au motif qu'elle ne l'avait pas invoqué comme motif d'invalidité dans son AA.
[66] Nous traiterons séparément cette importante question plus loin. Qu'il nous suffise pour l'instant de dire que la Cour n'accepte pas la proposition d'Apotex selon laquelle la sélection est simplement un moyen de défense à l'antériorité et qu'elle n'était donc pas tenue de soulever ces diverses questions dans son AA.
[67] Une question connexe se pose à propos de la thèse d'Apotex selon laquelle la divulgation du brevet 113 n'était pas exacte ou suffisante dans la mesure où elle ne révélait pas l'association possible de l'olanzapine au diabète et à d'autres affections. À ce propos, la Cour a soigneusement examiné l'AA et a noté en particulier les passages cités aux paragraphes 46 et 47 des présents motifs. Elle estime maintenant établi qu'Apotex a effectivement allégué que l'olanzapine est associée de manière controversée au diabète. Cependant, comme on le verra plus loin, cette conclusion influera peu sur l'examen au fond, étant donné en particulier que cette question n'est pas très pertinente à l'égard des motifs d'invalidité valablement invoqués devant la Cour.
[68] Pour ce qui concerne l'objection de Lilly à l'utilisation par Apotex de son document no 21 à une fin censément nouvelle, il ne semble pas y avoir de jurisprudence directement applicable à ce point. Contrairement à ce qui était par exemple le cas dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts AB Hassle et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social, no A‑692‑99, 12 juin 2000, 7 C.P.R. (4th) 272, [2000] A.C.F. no 855 (QL) (C.A.F.), et Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., no A‑372‑04, 4 février 2005, 2005 CAF 50, [2005] A.C.F. no 215 (QL), Apotex a en fait inclus le document contesté dans son AA.
[69] Bien que l'AA ne propose pas une analyse complète de la pertinence du document no 21 d'Apotex, celle‑ci n'a rien de bien mystérieux. Il est en effet évident que ce document n'est pas présenté en tant que divulgation de l'olanzapine elle-même. On voit donc mal comment Lilly pourrait avoir considéré son insertion dans l'AA comme se rapportant à quoi que ce soit d'autre qu'à la question de l'évidence.
[70] Un examen attentif des arrêts AB Hassle et Mayne, précités, donne à penser que la raison fondamentale d'interdire la production de nouveaux documents d'antériorité est que celle‑ci porterait préjudice au titulaire du brevet (c'est‑à‑dire à la première personne) en faussant son examen de la question de savoir s'il y a lieu ou non d'introduire une instance relative à l'AC. L'utilisation, après la décision prise par Lilly de déposer sa demande, de documents d'antériorité non auparavant invoqués serait injuste et équivaudrait à un guet-apens.
[71] Dans la présente espèce, il est tout à fait compréhensible que Lilly regrette que l'AA ne soit pas mieux structuré. La Cour ne peut cependant souscrire à l'idée que s'appliquerait ici la préoccupation d'équité exprimée dans AB Hassle et Mayne, précités. Le véritable recours ouvert dans des cas comme celui‑ci est d'invoquer le droit de réplique, et c'est précisément ce que Lilly a fait. Le protonotaire a eu raison d'accorder à la demanderesse le droit de déposer une réplique. En conséquence, j'estime qu'il n'y a pas de raison de radier le document en cause, même s'il ne paraît pas essentiel à la défense d'Apotex (qui, en fait, ne l'a pas du tout invoqué à l'audience). Néanmoins, la Cour a examiné expressément cette question dans les présents motifs.
b) Le fait que l'AA n'invoque pas l'invalidité de la sélection
Les prétentions des parties
[72] Comme je le disais plus haut, Lilly fait valoir qu'Apotex a omis d'alléguer dans son AA que le brevet 113 n'était pas [traduction] « un brevet de sélection valide ». Dans ce contexte particulier, il est sous-entendu qu'Apotex était tenue de formuler explicitement dans son AA les divers motifs pour lesquels elle estimait que le brevet 113 ne remplissait pas les critères définissant le brevet de sélection. Apotex devrait avoir allégué, entre autres choses, que les avantages énumérés dans le brevet n'étaient pas substantiels, et que les allégations qui y étaient faites étaient vagues et non étayées et, en tout état de cause, insuffisantes pour faire du brevet 113 un brevet de sélection valide[30]. Apotex aurait dû expliquer clairement dans ses allégations de droit en quoi, selon elle, influe sur la validité du brevet le fait qu'il serait censément connu maintenant que l'olanzapine ne présente pas effectivement tous les avantages énumérés (et qu'elle a d'autres effets secondaires tels que la prise de poids, l'association à l'hyperglycémie et au diabète, etc.).
[73] Apotex répond comme suit à ces arguments :
(i) Lilly a soulevé la question de la sélection dans son avis de demande comme moyen de défense contre l'allégation de double brevet. Il s'agit donc d'une question soulevée par Lilly elle-même, de sorte qu'Apotex avait le droit de lui opposer la preuve et les arguments qu'elle estimait appropriés. Cette position est conforme aux principes que la seconde personne n'est pas tenue de prévoir les moyens de défense que la première personne lui opposera dans son avis de demande et que la seconde personne a le droit de répondre à la preuve produite par la première.
(ii) Lilly aurait dû inclure dans son avis de demande son allégation comme quoi les arguments en question étaient nouveaux et déposer un affidavit à l'appui de cette allégation. Or, elle ne l'a pas fait, et il saute aux yeux que Lilly comprenait la thèse qu'elle avait à contrer. Elle a expressément soulevé la question de la supériorité de l'olanzapine sur les autres composés du brevet 687 et a déposé des éléments tendant à prouver que l'activité inventive du brevet 113 résidait dans l'amélioration du profil des effets secondaires.
[74] Lilly réplique à Apotex que l'argument de cette dernière comme quoi la sélection serait un moyen de défense à l'antériorité (ou à l'évidence ou au double brevet) équivaut à une tentative de la part d'Apotex de faire peser sur elle la charge d'établir la validité de son propre brevet plutôt que celle d'établir le caractère infondé des motifs d'invalidité invoqués dans l'AA. Cet argument vise aussi à occulter le fait qu'Apotex invoque maintenant des motifs d'invalidité qui ne figurent pas dans son AA.
[75] Selon Lilly, le brevet 113 est à première vue un brevet de sélection, et Apotex devait le considérer comme tel dans son AA. Le fait d'autoriser Apotex à contester la validité du brevet 113 sur d'autres fondements que ceux qu'expose l'AA (c'est‑à‑dire l'antériorité, l'évidence, le double brevet, et une présentation inexacte de la situation visée par l'article 53) constituerait, soutient Lilly, un manquement à l'équité procédurale.
[76] En outre, Lilly fait valoir qu'elle n'a pas déposé d'affidavit et ne pouvait le faire parce qu'elle ne s'est rendu compte que bien après le dépôt de sa preuve de la véritable portée des nouveaux arguments avancés par Apotex. Selon Lilly, certains de ces arguments n'ont été mis de l'avant ou convenablement expliqués qu'au cours de l'audience. Lilly affirme que sa preuve principale touchant les avantages de l'olanzapine, en particulier, était pertinente à l'égard des questions de l'évidence et du double brevet relatif à l'évidence. Il s'agissait pour l'essentiel de témoignages d'opinion fondés sur les avantages formulés dans le brevet même. La preuve de Lilly relative à l'étude canine, à sa validité et à la divulgation de l'avantage de l'olanzapine sur le composé 222 visait à réfuter les allégations de [traduction] « fraude » avancées contre elle dans l'AA (selon le paragraphe 53(1)), mais qu'Apotex, en fait, a à peine effleurées à l'audience.
[77] La thèse d'Apotex semble effectivement avoir un certain nombre d'incidences importantes dépassant le point de savoir ce qu'elle était tenue d'affirmer expressément dans son AA. La Cour aura à prendre en considération, entre autres choses, les effets de cette thèse sur ce que Lilly doit prouver pour s'acquitter de sa charge de démontrer le caractère infondé des allégations de l'AA, et sur le fardeau de présentation d'Apotex. Cependant, avant d'examiner l'argument d'Apotex de la sélection comme moyen de défense, il serait bon d'analyser sa position de manière assez détaillée.
[78] Apotex conteste que le brevet 113 soit à première vue un brevet de sélection, au motif qu'aucune de ses revendications ne fait mention des avantages particuliers de l'invention tels qu'ils sont décrits dans la divulgation. En outre, fait valoir Apotex, l'invention est présentée comme une amélioration par rapport aux agents antipsychotiques existants et non pas simplement par rapport aux membres du genre faisant l'objet du brevet 687.
[79] Par conséquent, explique Apotex, elle peut s'acquitter de son fardeau de présentation (telle que défini plus loin), pour ce qui concerne son allégation d'antériorité, simplement en produisant le brevet d'origine (c'est‑à‑dire le brevet 687), qui revendique une classe de composés comprenant l'olanzapine, en particulier parce que celle‑ci remplit les critères qui définissent [traduction] « les composés les plus privilégiés ». Cette preuve suffirait selon elle à réfuter la présomption de validité du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets.
[80] Ainsi, toujours selon Apotex, si Lilly souhaite alléguer que le brevet 687 n'antériorise pas le brevet 113 (ou ne le rend pas évident, ou n'entraîne pas une situation de double brevet)[31], il lui faut prouver que celui‑ci remplit chacun des critères auxquels doivent satisfaire les brevets de sélection. Apotex ajoute le point important que, pour ce faire, Lilly ne peut se contenter d'invoquer le libellé du brevet : elle doit effectivement établir dans sa preuve les faits susmentionnés, notamment celui que l'olanzapine procure bien les avantages exposés dans le brevet 113.
[81] En fait, Apotex va plus loin et demande à la Cour d'inférer, du fait que Lilly n'a pas produit de preuve admissible touchant les essais et les études ni la totalité des documents demandés par Apotex au cours du contre‑interrogatoire de ses experts (y compris l'ensemble des données et des registres de laboratoire afférents à ses recherches), que les résultats de ces études n'étayeraient pas la réalité des avantages exposés dans le brevet.
[82] Apotex a invoqué deux décisions à l'appui de la nécessité de prouver le contenu du brevet : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., no T‑2137‑04, 12 janvier 2007, 2007 CF 26, [2007] A.C.F. no 36 (QL), et Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., no T‑1742‑03, 20 septembre 2005, 2005 CF 1283, [2005] A.C.F. no 1559 (QL). Selon l'interprétation d'Apotex, ces deux décisions signifient que, Lilly n'ayant pas produit de preuve admissible afin d'établir la validité et l'exactitude des déclarations de la divulgation (touchant par exemple la cholestérolémie, la numération globulaire, les enzymes hépatiques, etc.), la Cour devrait en conclure que le brevet en cause n'est pas un brevet de sélection valide.
[83] Apotex clôt l'argumentation que nous venons de résumer en posant que le brevet 113 ne remplit pas les critères de validité du brevet de sélection. Par conséquent, la Cour devrait selon elle conclure que sont manifestement fondées ses allégations comme quoi le brevet 113 est invalide aux motifs de l'antériorité et du double brevet.
Analyse
[84] L'article 2 de la Loi sur les brevets définit comme suit le terme « invention » :
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.
[85] Pour ce qui concerne les brevets de produits chimiques, la Cour d'appel fédérale a récemment rappelé, au paragraphe 3 de Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé, [2007] 2 R.C.F. 137, 2006 CAF 214, [2006] A.C.F. no 894 (QL), qu'il en existe deux catégories générales : les brevets d'origine, qui portent sur une invention source comportant la découverte d'une nouvelle réaction ou d'un nouveau composé (ou encore d'un nouveau genre), et les brevets de sélection, qui supposent un choix entre des composés connexes dérivés du composé (ou du genre) original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d'origine.
[86] La nature des brevets de sélection a été expliquée en 1930 par le juge Maugham dans une décision maintes fois citées depuis : In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Type 3,4,5). La Chambre des lords, dans E.I. Du Pont de Nemours & Co. Application, [1982] F.S.R. 303 (HL), a avalisé dans l'ensemble les conditions spéciales énoncées dans Farbenindustrie et a donné des précisions utiles sur la manière dont les tribunaux devraient aborder la question de l'antériorisation par un brevet de classe ou de genre (tel que le brevet 687). Nous reviendrons sur ce point lorsque nous examinerons les motifs particuliers d'invalidité allégués dans l'AA. En ce qui a trait à la jurisprudence canadienne, la Cour d'appel fédérale a très récemment fait siens les principes de Farbenindustrie – tels qu'expliqués et adoptés par la Chambre des lords – dans les arrêts Pfizer (2006 CAF 214, précité), et Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., no A‑168‑05, 22 décembre 2006, 2006 CAF 421, [2006] A.C.F. no 1945 (QL).
[87] Bien que la jurisprudence canadienne sur cette question soit assez mince, le concept de brevet de sélection n'est pas nouveau au Canada. Il a été défini par Fox en 1969, aux pages 89 et 90 de l'ouvrage Canadian Patent Law and Practice (4e édition) :
[traduction]
Sélection : L'invention peut aussi résulter d'un choix nouveau et utile parmi les membres d'une classe de substances, choix à partir duquel l'inventeur peut produire un résultat nouveau et utile, ou peut produire un résultat déjà acquis d'une manière plus économique ou plus utile.
L'activité inventive peut consister en la sélection d'une substance dans une classe donnée à une fin particulière, même si d'autres membres de cette classe ont déjà été utilisés à la même fin, à condition que l'utilisation de la substance sélectionnée présente un avantage spécial et que sa sélection constitue un progrès manifeste par rapport à l'état des connaissances. Celui qui n'a fait que choisir un certain nombre d'éléments parmi une série ou un groupe déjà divulgué n'a rien inventé, mais il peut en aller autrement si ses recherches l'ont amené à la découverte que certains éléments de ce groupe ou de cette série possèdent des qualités ou des caractéristiques qui leur sont propres et qui étaient inconnues jusque‑là. Les brevets de sélection se rencontrent plus fréquemment dans les disciplines chimiques que dans les autres domaines.
[88] À la lecture de la jurisprudence appliquée par la Cour d'appel fédérale, il apparaît que la nature de la sélection, qui suppose l'existence d'une classe comprenant le ou les composés sélectionnés, commande l'application d'une démarche particulière pour établir si le brevet antérieur portant sur cette classe laissait la possibilité de revendiquer ce ou ces composés en tant que nouveaux[32] (voir Du Pont, précité, aux pages 310 et 311). Si cette possibilité était effectivement ouverte, le brevet d'origine ne constitue pas une antériorité (voir les paragraphes 264 à 267 ci‑dessous), mais le ou les composés sélectionnés peuvent néanmoins être antériorisés par d'autres publications, auquel cas les principes habituels sont applicables. Il est également clair que l'activité inventive de la sélection réside dans la découverte que le ou les composés sélectionnés dans une classe connue (par exemple, celle qui fait l'objet du brevet 687) possèdent un avantage particulier qui ne pouvait être prévu avant cette découverte. Tous les composés sélectionnés doivent comporter un avantage « substantiel » (qui peut être l'absence d'un inconvénient présenté par d'autres membres de la classe connue), et cet avantage ne doit pas être tel que la personne du métier s'attendrait à le trouver dans un grand nombre des membres de la classe ou du genre déjà divulgué[33].
[89] Le brevet de sélection est soumis à une autre condition spéciale : le ou les avantages doivent être explicitement décrits dans la divulgation du brevet. Cette condition se révèle particulièrement pertinente lorsque la Cour doit établir si le brevet est invalide au motif de l'insuffisance de la divulgation.
[90] Bien que les brevets de sélection possèdent certains traits distinctifs, l'analyse de leur validité relève en grande partie des mêmes principes que ceux qui s'appliquent à toute autre catégorie de brevets[34]. On leur applique, comme aux autres brevets, la présomption que l'invention (la sélection en l'occurrence) présente les caractères de la nouveauté, de l'inventivité et de l'utilité. De même, il est présumé dans leur cas aussi que la divulgation est suffisante pour permettre à la personne versée dans l'art de tirer pleinement parti de l'avantage procuré par l'invention. Il n'y aucune raison valable de poser des principes différents à l'égard des brevets de sélection s'agissant d'établir ce que la seconde personne doit spécifier dans son AA aux fins d'une instance relative à un avis de conformité.
[91] Cela dit, le défendeur ne peut se soustraire à l'obligation d'énoncer la totalité de ses allégations de fait et de droit dans son AA en se contentant d'affirmer qu'il ne pensait pas que le brevet en cause était un brevet de sélection et qu'il n'était pas tenu de traiter les questions relatives à la sélection avant que le titulaire du brevet ne l'eût fait lui-même. L'obligation d'énoncer les allégations de fait et de droit semble s'appliquer particulièrement à la présente espèce, étant donné qu'Apotex a admis à l'audience que le principal argument qu'elle oppose à la sélection est inédit et n'a encore été accepté par aucun tribunal.
[92] Cet argument nouveau d'Apotex est qu'un brevet de sélection, pour être valide, doit spécifier les avantages particuliers du ou des composés qui en font l'objet. On voit donc qu'Apotex voudrait assimiler les brevets de sélection aux brevets décrivant une nouvelle utilisation de produits connus, dans la mesure où ceux‑ci doivent préciser dans une revendication les avantages particuliers de l'invention.
[93] Vu l'ensemble de la jurisprudence et de la doctrine citées par Apotex et malgré les excellentes explications données par son avocat à l'audience, la Cour estime établi que, contrairement au cas des brevets décrivant une nouvelle utilisation de produits connus, un inventeur peut revendiquer un composé sélectionné sans spécifier ses avantages particuliers dans la revendication.
[94] Cette tolérance dont bénéficient les brevets de sélection paraît bien fondée quand on considère leur justification solide du point de vue de l'intérêt public. Ces brevets, en effet, jouent un rôle important dans la mesure où ils stimulent la poursuite de la recherche et du développement à l'égard de nouveaux composés médicinaux prometteurs dont les propriétés ne sont pas encore entièrement comprises. En outre, il ne paraît pas y avoir de raison convaincante d'exiger que le brevet de sélection spécifie les avantages de l'invention dans ses revendications.
[95] L'analogie qu'établit Apotex entre les brevets de sélection et les brevets de « nouvelle utilisation » n'est pas convaincante. Apotex soutient que l'intérêt public exige que les brevets de sélection énoncent leurs avantages dans une revendication, de peur qu'ils ne servent autrement à soustraire des connaissances au domaine public et à les enfermer dans un monopole de brevet. S'il est vrai que ce facteur d'intérêt public s'applique effectivement aux brevets de nouvelle utilisation, la Cour ne peut souscrire à la prétention d'Apotex selon laquelle les brevets de sélection devraient relever d'un principe analogue. Comme on le verra plus loin dans la section portant sur l'antériorité, le composé même dont il s'agit dans un brevet de nouvelle utilisation est déjà connu, puisqu'il a déjà fait l'objet d'une divulgation explicite ou a déjà été utilisé[35]. Dans le cas de tels brevets, la seule nouveauté de l'invention réside dans l'utilisation même, d'où la nécessité de revendiquer cette utilisation. Dans le cas des brevets de sélection, au contraire, c'est le composé sélectionné lui-même qui est nouveau, n'ayant auparavant été défini qu'en termes généraux ou comme compris dans une classe ou un genre connu de composés.
[96] Ce point de vue paraît généralement admis en pratique au Canada. C'est ainsi qu'on peut lire ce qui suit sous la plume de William L. Hayhurst, c.r., dans l'ouvrage Patent Law of Canada[36], à la section intitulée [traduction] : « L'art de formuler et d'interpréter les revendications » :
[traduction]
Lorsque l'invention consiste en la sélection d'un ou plusieurs éléments d'un groupe antérieurement connu, fondée sur la découverte que les éléments ainsi sélectionnés présentent sur les autres un avantage auparavant inconnu, il faut exposer cet avantage dans le mémoire descriptif pour que la divulgation de l'invention puisse être dite complète. Dans les autres cas, cependant, où l'objet revendiqué n'est pas l'avantage mais le ou les membres sélectionnés, il n'est pas nécessaire d'exposer l'avantage dans la revendication. Celui‑ci est alors inhérent à l'objet revendiqué. [Non souligné dans l'original.]
[97] On trouve le passage suivant dans l'édition en vigueur du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (distribué aux examinateurs canadiens de brevets), au paragraphe 11.12, consacré aux brevets de sélection, dans le chapitre sur les revendications :
La sélection d'éléments dans une classe de substances connue auparavant peut être brevetable si la substance choisie est non évidente et peut produire des résultats nouveaux et utiles. Il faut qu'elle présente un avantage particulier, et que cet avantage, nouvelle propriété ou usage nouveau, soit défini de manière exhaustive dans la description. Par ailleurs, la définition de la substance devrait être énoncée en des termes explicites dans la revendication. [Non souligné dans l'original.]
[98] Il appert en outre que l'Office européen des brevets a en général adopté un point de vue semblable[37]. Il est aussi à noter que les revendications dont la Chambre des lords était saisie dans Du Pont, précité, ne portaient que sur les composés sélectionnés eux‑mêmes, sans faire mention de leurs propriétés particulières. C'était aussi le cas dans Pfizer et Sanofi‑Synthelabo, précités.
[99] Enfin, comme nous l'avons vu plus haut, la Cour d'appel du circuit fédéral américain a tout récemment confirmé la validité du brevet américain no 5 229 382, qui (comme le brevet 113) revendiquait l'olanzapine sans mentionner ses propriétés particulières.
[100] Il faudrait donc une très bonne raison pour que notre cour s'écarte de ce principe largement admis. Le principe contraire proposé par Apotex (comme sa justification) n'est tout simplement pas convaincant. Qui plus est, à la présente étape, la Cour s'estime liée par les récents arrêts précités de la Cour d'appel fédérale.
[101] Apotex soutient en outre qu'à première vue, le brevet 113 n'est pas un brevet de sélection parce qu'il cite divers avantages du composé revendiqué par rapport à l'ensemble des antipsychotiques connus, et non pas seulement ceux dont fait mention le brevet 687. Avec égards, cet argument est tout simplement spécieux.
[102] Apotex n'a invoqué aucun principe de droit qui puisse étayer cette prétention. Il n'y a aucune raison de penser que l'inventeur doive se limiter à l'exposition des avantages de sa sélection sur le seul genre. Il doit certes exposer les avantages particuliers de sa sélection sur l'ensemble de la classe, mais rien ne l'empêche d'aller plus loin dans ce sens, d'autant plus qu'il peut se révéler pertinent de comparer le profil d'ensemble du composé sélectionné à d'autres drogues connues afin de se faire une idée plus précise, par exemple, de la portée des avantages dudit composé sur les autres membres de son genre.
[103] Quand on le lit sans parti pris, il est évident que le brevet 113 se présente comme un brevet de sélection. L'inventeur y cite expressément, à la page 2, le brevet britannique correspondant (GB 1533235) au brevet de genre 687. De plus, il suffit de consulter l'AA pour voir qu'Apotex a bien compris que Lilly avait présenté la demande du brevet 113 à l'examinateur comme une demande de brevet de sélection.
[104] À cet égard, les allégations relatives à l'article 53 sont particulièrement révélatrices. Pour qu'Apotex réussisse à établir une infraction à l'article 53, toute omission ou déclaration inexacte qu'elle invoquerait devrait s'appliquer à des renseignements liés à l'obtention du brevet. Alors qu'il n'est pas normalement nécessaire de décrire les avantages de l'invention dans la divulgation – voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 524 à 527 –, Lilly était tenue de donner une description satisfaisante des avantages du composé sélectionné si elle demandait effectivement un brevet de sélection (voir le paragraphe ci‑dessus et le paragraphe 11.12 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets)[38]. Autrement dit, il est possible d'inférer de l'allégation de présentation inexacte des faits avancée par Apotex qu'elle savait sur quelle base le brevet avait été délivré (c'est‑à‑dire la sélection). Apotex savait donc forcément que le brevet 113 avait été délivré en tant que brevet de sélection.
[105] En outre, à plusieurs reprises dans son AA, Apotex emploie des termes indiquant qu'elle savait que le brevet 113 était un brevet de sélection (encore qu'invalide de son point de vue), par exemple dans les passages suivants [traduction] : « ni [le composé 222] ni l'olanzapine ne présentaient de traits distinctifs particuliers par rapport aux composés revendiqués dans le brevet 687 »; « [le composé 222] n'aide pas Lilly à établir la valeur inventive de l'olanzapine »; « lorsque, pour quelque raison que ce fût, on eut décidé de ne pas donner suite aux substances antérieurement sélectionnées [...], l'olanzapine attendait "dans les coulisses", prête à l'utilisation »[39].
[106] Permettre à Apotex d'invoquer à la présente étape l'argument que le brevet en cause n'est pas un brevet de sélection valide, au motif que le composé sélectionné ne présente pas les avantages promis ou le meilleur profil d'effets secondaires décrit dans la divulgation, équivaudrait en fait à autoriser la défenderesse à ajouter un nouveau motif d'invalidité à ceux qu'elle énumère dans son AA, c'est‑à‑dire à plaider l'invalidité au motif de l'insuffisance de la divulgation.
[107] En effet, la Cour d'appel d'Angleterre fait explicitement observer ce qui suit au paragraphe 56 de Pharmacia Corp. v. American Co. Inc., [2002] R.P.S. 41 :
[traduction]
[...] Ainsi, dans le cas où l'invention consiste en une sélection de composés, afin de procurer un avantage ou d'éviter un inconvénient, le mémoire descriptif doit non seulement contenir suffisamment de renseignements sur la manière de fabriquer ces composés, mais aussi décrire l'avantage ou la manière d'éviter l'inconvénient. En outre, les composés pour lesquels la revendication crée un monopole doivent tous présenter l'avantage en question, ou permettre d'éviter l'inconvénient. Le même principe s'applique au cas où la revendication porte sur une classe de composés. Pour être suffisant, le mémoire descriptif doit définir les caractéristiques de la classe et une méthode de fabrication. De plus, tous les composés revendiqués doivent posséder en substance les caractéristiques de la classe. [Non souligné dans l'original.]
[108] Cela signifierait aussi que la défenderesse a divisé sa cause.
[109] Il est évidemment important pour la première personne de savoir exactement sur quel fondement la validité de son brevet est contestée, car le type de preuve qu'elle devra produire en dépend dans une large mesure. La nature de l'analyse et des moyens de preuve à opposer à des allégations d'invalidité est très différente selon qu'on invoque, d'une part, les motifs de l'antériorité ou de l'évidence, ou, d'autre part, ceux de l'insuffisance de l'exposé ou du défaut d'utilité.
[110] Pour établir si l'invention était ou non évidente, la Cour doit examiner le texte du brevet – correctement interprété – en fonction de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui étaient à la disposition de la personne du métier à la date des revendications. À cet égard, la Cour ne dépasse pas ce qui est exposé dans le brevet, interprété dans les règles. Elle n'a pas à se demander si le contenu de la description est vrai ou exact.
[111] Par contre, lorsque la validité du brevet est contestée au motif de l'insuffisance de l'exposé (ou du défaut d'utilité), la Cour prend en considération des éléments de preuve qui dépassent les faits décrits dans la divulgation. Dans ce cas, la partie qui met en discussion la validité du brevet a le droit de contester le contenu de ce dernier et de faire valoir, par exemple, le caractère erroné des calculs, ou l'inefficacité des instructions, qui y sont consignés. S'agissant d'un brevet de sélection, la partie qui le conteste au motif de l'insuffisance de l'exposé pourrait faire valoir que la personne du métier ne peut en fait obtenir l'avantage intégral du profil décrit dans la divulgation lorsqu'elle fabrique le composé sélectionné[40].
[112] Dans la présente espèce, la lecture de l'AA n'aurait donné à Lilly aucune raison de produire des éléments tendant à prouver la vérité ou l'exactitude du contenu du brevet, en particulier pour ce qui concerne les propriétés de l'olanzapine et des autres composés dont il y est question. Elle n'aurait eu besoin de produire de tels éléments que pour contrer expressément l'allégation de présentation délibérément inexacte des faits avancée sous le régime de l'article 53 de la Loi sur les brevets.
[113] L'écart entre le contenu de l'AA et les prétentions avancées en fin de compte peut se révéler assez important pour influer sur la décision de la première personne de déposer ou non un avis de demande. Si cet écart est considérable, la première personne risque d'être piégée. On ne trouve guère de jurisprudence sur ce point précis, mais il est arrivé à trois reprises que les tribunaux examinent des questions plus ou moins analogues.
[114] Dans Pfizer (2006), précité, la Cour d'appel fédérale a annulé une décision au motif, entre autres, que le juge de première instance avait exprimé la crainte que les seuils à atteindre pour la création d'un brevet de sélection valide ne puissent faire l'objet d'une manipulation. Il avait en effet déclaré que la première personne n'avait pas produit d'éléments tendant à établir l'existence des avantages exposés dans son brevet. La Cour d'appel fédérale a fait observer ce qui suit à ce propos :
32. [...] Il n'a pas considéré, toutefois, que l'insuffisance de preuve relative aux seuils provenait du fait que ratiopharm n'avait pas élevé d'objection à leur sujet dans son avis d'allégation. La question des seuils devait être soulevée dans l'avis d'allégation afin que Pfizer sache ce à quoi elle devait répondre (voir Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd.). Les décisions rendues sur le fondement de thèses non invoquées par les parties peuvent prêter le flanc à l'argument du manquement à l'équité procédurale.
[115] Dans une décision plus récente, soit Pfizer Canada c. Ministre de la Santé, 2006 CF 1471, [2006] A.C.F. no 1848 (QL), là encore dans le contexte d'une instance relative à un AC mettant en jeu un brevet de sélection, notre cour a formulé l'observation suivante (au paragraphe 56) : « L'affaire repose entièrement sur la question du brevet de sélection et, plus précisément, sur l'activité dix fois supérieure d'un des énantiomères par rapport au racémate. » Comme dans la présente espèce, l'AA, dans cette affaire, ne contestait ni le fondement de la sélection, ni le caractère suffisant de la divulgation, ni l'utilité de la sélection.
[116] Toujours dans la décision citée au paragraphe précédent, la Cour a conclu qu'à première vue, le brevet en cause était un brevet de sélection dont la validité dépendait du point de savoir s'il remplissait les critères applicables à un tel brevet. La présence d'un avantage particulier était évidemment l'un des principaux critères. Dans ce contexte, le juge a déclaré ce qui suit à propos du fait que la personne qui contestait le brevet n'eût pas fait mention de l'avantage particulier dans son AA : « Il est donc difficile de croire que Novopharm ne savait pas que les données censées établir cet avantage d'une activité dix fois supérieure seraient en litige. »[41].
[117] La Cour a aussi rejeté l'argument de Novopharm selon lequel sa contestation de la sélection était implicite dans son AA et que, en tout état de cause, Pfizer ne subirait pas de préjudice parce qu'elle avait reçu l'autorisation de produire des éléments de preuve concernant toutes les nouvelles données invoquées dans la preuve principale de Novopharm.
[118] Se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 402, 2002 CAF 290, [2002] A.C.F. no 1018 (QL), la Cour a statué que les arguments relatifs aux données défectueuses faisaient partie de « la cause d'action de Novopharm » et qu'elle aurait par conséquent dû les avancer dans son AA.
[119] Apotex veut inciter la Cour à établir une distinction entre la présente espèce et ces deux affaires en faisant valoir que son argument comme quoi la sélection est simplement un moyen de défense à une allégation d'antériorité n'a jamais été valablement soumis aux tribunaux. Cette thèse, explique Apotex, est très différente de celle (soutenue antérieurement) selon laquelle il était implicite dans l'AA que le défendeur contestait la validité de la sélection. En outre, ajoute‑t‑elle, dans la décision Pfizer la plus récente, la partie contestant le brevet avait admis certains faits qui avaient influé sur la conclusion de la Cour. Comme nous le disions plus haut, la Cour, dans la présente espèce, ne considère pas la position d'Apotex comme conforme au droit. La question des attributs particuliers dont dépend la validité d'une sélection fait partie intégrante de l'analyse fondamentale de la validité du brevet 113. Cette question influe sur chacun des éléments applicables à l'invention que revendique ce brevet (la nouveauté, l'inventivité, l'utilité et le caractère suffisant de l'exposé). Il incombe à Apotex ou à toute autre seconde personne qui souhaite les contester de le faire dans l'AA; elle doit y énoncer en termes clairs tous les motifs d'invalidité qu'elle invoque.
[120] Il convient en outre de rappeler que, dans Bayer AG c. Novopharm Limited et le ministre de la Santé, no T‑697‑04, 24 mars 2006, 2006 CF 379, [2006] A.C.F. no 483 (QL), notre cour a eu encore une fois à examiner une demande portant sur un AC concernant un brevet de sélection où la défenderesse contestait la validité de la sélection en se fondant sur des allégations qui ne figuraient pas dans son AA. Le juge Michael Phelan faisait observer ce qui suit au paragraphe 78 de cette décision :
Le fait de soulever cette question comme on invoque une défense crée une injustice envers le détenteur du brevet en le privant de la possibilité de répondre à la question dans sa preuve et dans son mémoire. Il peut également priver le tribunal des éléments de preuve et des arguments juridiques nécessaires à une appréciation adéquate du litige.
[121] Enfin, la Cour note qu'il convient de se montrer très prudent dans l'examen d'arguments juridiques avancés dans une instance relative à un AC qui risquent d'influer sur le droit des brevets applicable à d'autres types d'instances.
[122] La Cour conclut de ce qui précède que, si Apotex souhaitait contester le fondement de la sélection, ainsi que la validité, le caractère suffisant ou l'exactitude des faits énoncés dans la divulgation de l'invention, il lui fallait formuler toutes ces allégations de droit, et toutes les allégations de fait correspondantes, dans son AA.
[123] Après un examen attentif de l'AA, la Cour décide de ne pas imposer à Lilly la charge de prouver que la divulgation du brevet 113 était suffisante pour permettre à la personne versée dans l'art d'obtenir les avantages décrits, au motif qu'Apotex a omis d'alléguer dans son AA l'insuffisance de l'exposé comme fondement d'invalidité.
[124] Il reste cependant que la Cour doit évidemment analyser la preuve et l'ensemble des allégations contenues dans l'AA pour établir si le brevet 113 est un brevet valide (c'est‑à‑dire un brevet de sélection valide). À cette fin, la Cour doit lire l'AA dans son ensemble avec la volonté de le comprendre. Elle prendra en considération toutes les allégations de fait qui peuvent raisonnablement être jugées pertinentes à l'égard des motifs d'invalidité (explicitement invoqués).
[125] La lecture impartiale de l'AA convainc par exemple la Cour qu'Apotex a allégué que la comparaison entre le composé 222 et l'olanzapine (sous le rapport de la cholestérolémie) n'était pas suffisante pour étayer la conclusion de l'inventivité de la sélection. C'est là un élément que la Cour prendra en considération lorsqu'elle examinera l'allégation d'évidence de l'invention.
c) L'affidavit de M. Pullar
[126] Apotex soutient que la plupart des déclarations que contient l'affidavit de M. Pullar sont fondées sur le ouï‑dire et ne sont donc pas admissibles.
[127] La Cour a examiné attentivement l'affidavit de M. Pullar, ainsi que la transcription de son contre-interrogatoire. Monsieur Pullar est entré chez Lilly en 1975 pour diriger un petit groupe de spécialistes des neurosciences engagé dans la recherche de médicaments antipsychotiques pour le traitement de la schizophrénie et de la dépression.
[128] À son arrivée, il a été initié au projet sur lequel travaillait Lilly par son supérieur d'alors et par M. Chakrabarti, chargé du volet chimie. C'est ainsi que ce dernier (maintenant décédé) a expressément informé M. Pullar que la clozapine était le point de départ que Lilly avait choisi pour sa recherche d'un composé convenant aux besoins[42].
[129] Monsieur Pullar dirigeait aussi l'équipe multidisciplinaire chargée de faire passer l'éthylflumézapine à l'étape des essais cliniques sur des patients schizophrènes. À ce propos, M. Pullar se déclare parfaitement au courant des résultats des divers essais effectués avec ce composé sous sa direction. C'est son équipe qui a demandé l'étude canine, et les toxicologues qui l'ont menée ont rendu compte des résultats à lui‑même et à son équipe. Il a personnellement participé à la décision d'abandonner le développement de l'éthylflumézapine après que l'étude canine eut révélé qu'elle causait chez les chiens de graves troubles hématologiques tels que la neutropénie, ainsi que d'autres effets secondaires. Monsieur Pullar a admis ne pas être un expert en toxicologie, et il n'aborde nulle part dans son affidavit la question de la qualité ou de la validité des études toxicologiques dont il y est fait mention. Il atteste simplement le fait que ces études ont été effectuées et que les résultats lui ont été communiqués.
[130] Plus tard, M. Pullar a dirigé l'équipe chargée de poursuivre la recherche sur la flumézapine[43]. Il a alors demandé qu'on procède à des essais comparatifs de la flumézapine et de l'éthylflumézapine et il a participé à des décisions importantes touchant la flumézapine. C'est dans ce contexte qu'il a pris connaissance de la lettre de la Food and Drug Administration (« FDA ») au groupe médical chargé des essais cliniques aux États‑Unis, jointe à son affidavit en annexe D et directement liée à la cessation desdits essais[44]..
[131] Enfin, M. Pullar est coauteur de quatre articles invoqués par Apotex dans son AA, précités sous les désignations « Chakrabarti 1980 », « Chakrabarti 1980 no 2 », « Chakrabarti 1982 » et « Chakrabarti 1989 ».
[132] Après examen de la jurisprudence citée par Apotex et de l'article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/2004‑283, art. 2, la Cour conclut que cette jurisprudence peut être distinguée de la présente espèce selon les faits.
[133] Pour établir la connaissance personnelle exigée de l'auteur d'un affidavit, il est toujours important de tenir compte de la fin à laquelle cet affidavit est produit. En l'occurrence, comme je le disais plus haut, cette fin n'était pas de prouver l'exactitude ou la validité des études ou des essais cliniques effectués sur les instructions de l'équipe que dirigeait M. Pullar, mais plutôt de décrire en général le processus de développement, ainsi que les décisions prises par M. Pullar et son équipe touchant les composés en question.
[134] La Cour estime établi que M. Pullar avait une connaissance personnelle de la chronologie des événements qui ont ponctué la recherche d'un antipsychotique atypique de remplacement de 1975 à 1982.
[135] La Cour conclut en outre que M. Pullar possède la connaissance personnelle nécessaire pour étayer les déclarations qu'il a faites dans son affidavit touchant l'éthylflumézapine et la flumézapine, et en particulier pour établir le contenu et les motifs des décisions prises à l'égard de ces composés durant la période susdite.
[136] Cependant, s'il connaît bien le protocole et les résultats relatifs à la cholestérolémie joints à son affidavit, M. Pullar n'a pas directement participé aux travaux du groupe chargé de la recherche sur l'olanzapine. La dernière étape à laquelle il ait participé directement paraît être celle des discussions menées dans l'équipe qu'il dirigeait[45], au moment où elle examinait les possibilités qui restaient à Lilly après la cessation des essais cliniques de la flumézapine (paragraphes 31 et 32 de son affidavit). Il n'a pas pris connaissance de l'ensemble des résultats de l'étude sur chiens pour comparer le composé 222 et l'olanzapine. À l'époque, il a seulement été informé de ces résultats par d'autres chercheurs supérieurs de Lilly.
[137] Monsieur Pullar a évidemment le droit de témoigner au sujet de son sentiment personnel sur le point de savoir si l'olanzapine était un bon candidat pour des essais ultérieurs. Il lui est également permis de décrire son propre [traduction] « étonnement » et ses autres réactions devant la dose dont l'efficacité a été établie chez les humains. Cependant, comme il le déclare aux paragraphes 33 et 34 de son affidavit, il ne pensait pas que l'olanzapine devait être le prochain candidat à retenir pour le développement d'un agent antipsychotique. Il se pourrait bien que cela explique qu'il n'ait pas participé directement aux travaux de l'équipe qui a cherché dans cette direction. Quoi qu'il en soit, la Cour souscrit à la prétention d'Apotex selon laquelle les déclarations faites par M. Pullar aux paragraphes 35 à 44 de son affidavit relèvent purement et simplement du ouï‑dire et, à ce titre, ne sont pas admissibles.
[138] Pour ce qui concerne les annexes E et F, la Cour note que, comme les parties l'ont confirmé à l'audience, elles sont des copies de documents cités dans l'AA d'Apotex et déposés à l'office américain des brevets. Ces documents sont publics. Comme l'a demandé Apotex, la Cour ne les prendra en considération qu'aux fins d'identification et pour confirmer que l'étude citée dans le brevet 113 est bien la même que celle dont les résultats ont été déposés à l'office américain des brevets. La Cour n'accepte pas ces documents aux fins de l'établissement de l'exactitude ou de la validité de leur contenu. L'annexe F établit seulement que les résultats qu'elle porte sont ceux sur lesquels Lilly se fonde au paragraphe enjambant les pages 5 et 6 du brevet 113. Quant à l'annexe E, elle prouve seulement que ce protocole a été établi à l'égard de cette étude et que Lilly a présenté ce document à l'examinateur des brevets aux États-Unis. Elle ne prouve aucunement que l'étude a en fait été menée conformément à ce protocole.
[139] Pour en arriver à cette conclusion, la Cour note aussi qu'Apotex ne conteste pas dans son AA que les résultats déposés à l'office américain des brevets et que cite le brevet 113 à propos du taux total de cholestérol sérique constaté chez certaines chiennes étaient bien ceux que Lilly avait obtenus. Apotex soutenait plutôt que ces résultats n'étaient pas significatifs et que l'étude était défectueuse pour les motifs exposés plus haut.
[140] Bien sûr, la règle énoncée à l'article 81 selon laquelle les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle n'exclut pas nécessairement le ouï‑dire. La jurisprudence de la Cour d'appel fédérale établit que de tels éléments peuvent néanmoins être admis suivant la conception « fondée sur des principes »; voir les paragraphes 11 et 12 de Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc., no A‑434‑00, 8 février 2001, 2001 CAF 8, [2001] A.C.F. no 181 (QL). Cependant, Lilly n'a présenté aucun élément de preuve tendant à établir pourquoi il était nécessaire de produire une preuve par ouï‑dire au sujet de la recherche sur le composé 222 et l'olanzapine[46]. Lilly a fait valoir que les résultats de l'étude canine devraient être considérés comme une pièce commerciale de cette société au sens de la Loi sur la preuve au Canada, L.R. 1985, ch. C‑5. Même si cela était, M. Pullar, n'étant plus employé par Lilly depuis janvier 2005, ne serait pas le témoin qui convient pour produire ces documents.
[141] Enfin, Apotex demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable à Lilly du fait que cette dernière n'a pas produit un témoin approprié pour établir comment l'étude comparative sur chiens citée dans le brevet 113 a en fait été menée ni la copie complète demandée par Apotex du compte rendu des résultats de cette étude.
[142] Apotex soutient en outre que la Cour devrait aussi tirer une conclusion défavorable à Lilly du fait que celle‑ci a refusé de produire divers documents demandés à M. Pullar au cours de son contre-interrogatoire, par exemple : (i) les procès-verbaux des réunions où ont été prises les décisions relatives à la flumézapine et à l'éthylflumézapine, (ii) les notes de laboratoire et les fiches récapitulatives relatives aux analyses décrites à la page 21 du brevet 687, (iii) les mêmes documents relatifs aux analyses de la flumézapine décrites au paragraphe 15 de l'affidavit de M. Pullar, (iv) les fiches récapitulatives et les cahiers de laboratoire concernant les analyses de l'éthylflumézapine[47].
[143] Concernant d'abord l'effet des objections de Lilly aux diverses demandes de documents faites par Apotex, la Cour note qu'elle doit prendre en considération les principes généraux applicables à ces contre-interrogatoires sur les affidavits, en particulier pour ce qui concerne les demandes de production de documents : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), no T‑1273‑97, 10 octobre 1997, 80 C.P.R. (3d) 550, [1997] A.C.F. no 1847 (QL) (C.F. 1re inst.), conf. par no A‑718‑97, 23 septembre 1999, 3 C.P.R. (4th) 286, [1999] A.C.F. no 1536 (QL) (C.A.F.), Ward c. Nation crie de Samson, no T‑1244‑92, 6 septembre 2001, 2001 CFPI 990, [2001] A.C.F. no 1383 (QL), au paragraphe 3, Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), no T‑1305‑93, 30 juillet 1996, 69 C.P.R. (3d) 49, [1996] A.C.F. no 1038 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17, Bruno c. Canada (Procureur général), no T‑1506‑02, 4 novembre 2003, 2003 CF 1281, [2003] A.C.F. no 1604 (QL), et Joel Wayne Goodwin c. Procureur général du Canada, no T‑486‑04, ordonnance de la juge Dawson du 6 octobre 2004 (C.F. 1re inst.).
[144] Dans la présente espèce, Apotex a jugé bon de ne pas solliciter d'ordonnance qui aurait obligé Lilly à répondre à ses demandes de production, et il n'est du reste pas du tout certain que toutes ces demandes auraient été considérées comme bien fondées.
[145] C'est un lieu commun du droit que le contre‑interrogatoire sur un affidavit ne correspond pas à la communication préalable. Ce n'est pas là la bonne manière de se procurer des documents pertinents se trouvant en la possession de la partie adverse.
[146] Bien que les articles 91 et 92 des Règles, qui concernent la production de documents pour consultation lors du contre-interrogatoire sur un affidavit, s'appliquent manifestement au cas présent, Apotex a jugé bon de ne pas signifier à M. Pullar, avant son interrogatoire, une assignation à comparaître de la nature visée par ces articles.
[147] Comme le faisait remarquer la juge Dawson dans Joel Goodwin, précité, bien que la Cour doive encourager la coopération et le consensus dans la fixation du calendrier des contre‑interrogatoires, il n'en est pas moins important pour la partie qui souhaite contre‑interroger sur un document particulier se trouvant en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de l'auteur d'un affidavit de s'assurer de demander la production de ce document, soit par la voie d'une demande orale ou écrite faite avant le contre‑interrogatoire, soit, de manière plus formelle, en signifiant une assignation à comparaître. Il en va particulièrement ainsi lorsqu'on souhaite obtenir le document en question pour vérifier la crédibilité de l'auteur de l'affidavit.
[148] Qui plus est, rien ne prouve en l'occurrence que les documents demandés à M. Pullar fussent en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde. Ce témoin a quitté le service de Lilly en janvier 2005 et n'a consulté aucun des documents demandés par Apotex pour établir son affidavit ou préparer son contre-interrogatoire.
[149] Si elle voulait vérifier la crédibilité de M. Pullar au moyen des documents en question, Apotex aurait dû demander qu'ils soient mis à sa disposition avant ou pendant le contre-interrogatoire.
[150] Conformément aux observations formulées par la juge Dawson dans Joel Goodwin, la Cour pense qu'il serait contraire à la nature sommaire des instances relatives à un AC de reporter les contre-interrogatoires sur les affidavits pour permettre la production de documents, en particulier lorsque les témoins (comme c'était le cas de M. Pullar) doivent venir de l'étranger.
[151] En l'occurrence, la Cour n'est pas convaincue que les demandes de production d'Apotex étaient bien fondées, et même si elles l'étaient, la Cour n'est pas disposée, vu l'ensemble des circonstances, à tirer de conclusions défavorables à Lilly de son refus de produire les documents en question.
[152] La Cour, cependant, dans l'évaluation du poids à accorder à la preuve de M. Pullar, a pris en considération le fait qu'il s'est fié à sa mémoire et n'a pas examiné, avant d'établir son affidavit, les documents contemporains des faits qui étaient peut-être en la possession de Lilly. À cet égard, la Cour a aussi pris en compte les passages énumérés à l'onglet 4 du compendium d'Apotex.
[153] Comme la Cour ne prendra pas en considération la preuve de M. Pullar touchant l'étude comparative sur chiens citée dans le brevet 113, il n'est pas nécessaire d'établir l'effet de la non-production par Lilly d'une copie complète du compte rendu des résultats de cette étude sur le poids à accorder à la preuve de ce témoin.
[154] Reste la question de savoir si la Cour devrait tirer une conclusion défavorable à Lilly du fait qu'elle n'ait pas produit de témoin possédant une connaissance personnelle de la manière dont l'étude canine a été concrètement effectuée et des résultats obtenus à l'égard des autres paramètres contrôlés (c'est‑à‑dire autres que les taux généraux de cholestérol).
[155] Le paragraphe 81(2) des Règles permet de tirer des conclusions défavorables pour une partie du fait qu'elle n'offre pas le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits. Il est clair, cependant, que cette décision relève d'un pouvoir discrétionnaire, lequel doit être exercé à la lumière de l'ensemble des faits de l'espèce, y compris la question de savoir si la partie était tenue de produire des éléments de preuve concernant une question donnée.
[156] En outre, dans la présente espèce, le contexte comprend le fait que, lorsqu'elle s'est trouvée effectivement obligée de prouver la validité de ses études comparatives sur chiens lors du litige américain, Lilly s'est révélée en mesure de produire une preuve directe qui a convaincu les tribunaux américains que ces études avaient été effectuées dans les règles. À ce propos, la Cour renvoie aux paragraphes 215 à 302 de la décision de la cour de district américaine produite en annexe C de l'affidavit de Me David Forman, dans le dossier T‑787‑05.
[157] Il appert de l'avis de demande que Lilly partait du principe qu'Apotex ne contestait pas le fait qu'elle a effectué une telle étude comparative sur chiens et que cette étude révélait effectivement une augmentation du taux total de cholestérol chez les quatre chiennes à qui l'on avait administré 8 mg du composé 222.
[158] Comme nous le disions à la section 3b) ci‑dessus, la Cour a conclu qu'Apotex n'avait pas allégué dans son AA que la divulgation du brevet 113 était insuffisante pour permettre à la personne versée dans l'art de tirer parti des avantages décrits dans ce brevet.
[159] Par conséquent, Lilly n'avait pas à prouver que l'olanzapine présentait effectivement sur le composé 222 les avantages exposés dans le brevet. En ce qui a trait à l'évidence, comme nous le disions aussi, l'analyse devait se faire sur la base des faits exposés dans le brevet 113 même, de sorte qu'à cet égard non plus la preuve d'un témoin possédant une connaissance personnelle de l'étude comparative n'était pas nécessaire.
[160] Il s'ensuit que la validité du protocole appliqué à l'étude canine et la manière dont cette étude a été effectuée ne pouvaient être pertinentes que pour les allégations formulées au sujet de l'article 53 de la Loi sur les brevets. Sur ce point, Apotex ne peut s'attendre à ce qu'on lui permette de présenter sa thèse par le truchement des auteurs d'affidavits de la demanderesse. Voir Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada, no A‑80‑94, 2 mai 1994, 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 320, [1994] A.C.F. no 662 (QL) (C.A.F.).
[161] La Cour a déjà conclu qu'elle n'admettrait pas la preuve de M. Pullar touchant les essais comparatifs du composé 222 et de l'olanzapine, ni les opinions d'experts fondées sur cette preuve, sauf aux fins d'identification des annexes E et F comme étant les documents présentés par Lilly à l'office américain des brevets. Il n'y a aucune raison d'accorder plus d'importance à cette question.
[162] Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut qu'il n'y a pas lieu de tirer de conclusions défavorables à Lilly.
d) L'affidavit de Me Forman produit dans le dossier T‑156‑05
[163] Apotex soutient que la Cour ne devrait pas admettre l'affidavit de l'avocat américain David Forman en date du 4 avril 2005, ni lui accorder de poids, aux motifs que la plupart des déclarations qu'il contient constituent du ouï‑dire et que son auteur n'est pas qualifié pour se prononcer sur l'importance des résultats d'une autre étude (désignée « étude de MPI Research, Inc. »).
[164] Maître Forman[48] est employé par le cabinet d'avocats américain dont Lilly a retenu les services pour la représenter dans l'action intentée contre trois fabricants de médicaments génériques qui souhaitaient commercialiser une version générique de l'olanzapine aux États‑Unis. L'avocat canadien occupant pour Lilly dans la présente instance a demandé à Me Forman de communiquer des renseignements sur la demande de brevet de la société IVAX déposée aux États‑Unis, qui est citée comme document no 29 dans l'AA et sur la base de laquelle certains experts d'Apotex ont conclu que le composé 222 ne produisait pas en fait une augmentation du taux de cholestérol chez les chiens, de sorte que l'étude canine de Lilly était défectueuse.
[165] Se fondant sur divers documents qu'il a obtenus pendant la procédure américaine et à l'office américain des brevets, Me Forman formule diverses déclarations ou tire diverses conclusions touchant les questions de savoir qui était l'inventeur inscrit dans la demande de brevet, à quelle fin celle‑ci a été déposée et en quoi les résultats préliminaires consignés étaient incomplets et, en fait, en contradiction directe avec les résultats définitifs. Maître Forman propose aussi des observations sur l'importance des résultats définitifs de l'étude de MPI Research, Inc.
[166] Comme nous le disions plus haut, les documents nos 28 et 29 d'Apotex ne sont plus devant la Cour, qui ne prendra donc pas en considération les opinions directement fondées sur ces documents. La preuve de Me Forman a donc perdu beaucoup de sa pertinence.
[167] Cependant, la Cour comprend que Lilly ait décidé de ne pas retirer cet affidavit parce qu'elle souhaite maintenant invoquer l'étude de MPI Research, Inc. pour établir la validité de sa propre étude. On voit mal comment cette preuve pourrait aider Lilly à réfuter les conclusions des experts d'Apotex sur cette question. En effet, Me Forman n'a pas joint de copie du compte rendu de l'étude de MPI Research, Inc. en annexe à son affidavit. Il s'est contenté d'y annexer une copie du protocole de cette étude, obtenue d'une défenderesse (Zenith Gold Line Pharmaceutical) pendant la communication préalable. Il a en outre admis qu'il n'avait pas de connaissance directe de la manière dont cette étude avait été effectivement menée.
[168] Maître Forman est peut-être un témoin qualifié pour présenter en preuve les divers documents qu'il a annexés à son affidavit. La production de ces documents ne peut que confirmer leur existence et informer la Cour de la manière dont ils ont été obtenus : ils ne peuvent être admis en tant qu'établissant la preuve de leur contenu. De ce point de vue, Me Forman aurait même pu joindre à son affidavit un exemplaire du compte rendu complet de l'étude de MPI Research, Inc.et attester le fait que ce document était devenu public lorsqu'on l'avait déposé comme pièce pendant le procès américain, mais ce n'est pas ce qu'il a fait.
[169] Les avocats ayant participé à des instances ne sont pas le truchement qui convient pour produire des éléments de preuve sur des questions de fond ou sur la vérité du contenu de documents déposés lors de ces instances.
[170] Après examen de l'affidavit et de la transcription du contre-interrogatoire de Me Forman, la Cour n'est pas convaincue que ce témoin soit qualifié pour présenter des observations sur les résultats de l'étude de MPI Research, Inc. et sur la question de savoir si elle confirme ou non les résultats de l'étude canine de Lilly cités dans le brevet 113.
[171] Il est évident que Me Forman s'appuie à cet égard sur les opinions de MM. Thisted, Szot et Bauer. Or, c'est à la Cour qu'il appartient d'évaluer l'effet et le poids de ces opinions.
[172] Étant donné que la preuve de Me Forman est une preuve d'opinion, la Cour doit conclure qu'elle n'est pas admissible, suivant les critères formulés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à la page 20, [1994] A.C.S. no 36 (QL), soit :
a) la pertinence,
b) la nécessité d'aider le juge des faits,
c) l'absence de toute règle d'exclusion,
d) la qualification suffisante de l'expert.
e) L'étude de MPI Research, Inc.
[173] Comme nous le disions plus haut, l'étude de MPI Research, Inc. a été commandée par Zenith Gold Line Pharmaceutical Inc. (filiale du fabricant américain de médicaments génériques IVAX), qui était défenderesse à l'action intentée par Lilly aux États‑Unis. Il appert de la décision de la cour de district en date du 14 avril 2005[49] que cette étude a été effectuée aux fins de ladite action, qu'elle a duré six mois et qu'elle a porté sur un nombre de chiens beaucoup plus important que celle de Lilly (l'étude de MPI Research, Inc. comportait aussi l'administration à des chiens d'olanzapine et du composé 222).
[174] Messieurs Szot, Bauer et Thisted se réfèrent tous à l'étude de MPI Research, Inc. dans leurs affidavits et s'en servent dans une certaine mesure pour réfuter les allégations d'Apotex touchant l'insuffisance supposée de l'étude de Lilly citée dans le brevet 113.
[175] Apotex soutient que les opinions de ces experts ne sont pas admissibles au motif qu'elles ne se fondent ni sur la connaissance personnelle des déclarants ni sur un fait que Lilly aurait valablement établi au moyen, par exemple, d'un affidavit signé par un témoin en ayant une connaissance personnelle.
[176] Lilly admet qu'aucun de ces experts n'a participé directement à l'étude de MPI Research, Inc. Il semble qu'ils ont d'abord pris connaissance de parties de cette étude lors de leur participation au litige américain relatif à l'olanzapine.
[177] Cela étant, la Cour peut-elle admettre en preuve la partie de ces opinions fondée sur l'étude de MPI Research, Inc. et, dans l'affirmative, devrait-elle accorder à ces opinions tant soit peu de poids, étant donné que Lilly a refusé de produire le compte rendu intégral de cette étude et l'ensemble des documents justificatifs demandés par Apotex au moment du contre‑interrogatoire de ces auteurs d'affidavits?
[178] L'affirmation d'Apotex semble juste dans une large mesure; cependant, il n'y est pas tenu compte du fait qu'aucune opinion d'expert n'est entièrement exempte de ouï-dire. Comme l'on dit à la page 142 de l'ouvrage The Law of Evidence in Canada (Sopinka, Lederman et Bryant, LexisNexis, 1992) :
[traduction]
Comme l'expert, par définition, possède dans le domaine pertinent des compétences ou des connaissances spéciales supérieures à celles du tribunal, sa qualité d'expert se fonde dans une large mesure sur le ouï‑dire. L'opinion d'un expert est fondée sur son expérience et sur sa formation. Or cette dernière comprend naturellement l'étude et la lecture des ouvrages qui font autorité dans le domaine, ainsi que l'accumulation d'informations puisées à de nombreuses sources.
[179] Un bon nombre des propres témoins experts d'Apotex ont formulé, sur des questions telles que la pertinence du modèle canin, des opinions fondées sur des publications qui rendaient compte des points de vue d'autres experts, ainsi que sur des études et des faits qui n'ont pas été établis de manière indépendante devant la Cour. La Cour devrait-elle rejeter ces opinions au motif que l'on n'a pas produit de preuve indépendante touchant la manière dont les études en question ont été effectuées? La Cour devrait-elle refuser tout poids à ces opinions au motif que Lilly n'a pas eu la possibilité de contre‑interroger les experts d'Apotex sur la validité des études en cause ou qu'ils n'y ont manifestement pas participé?
[180] Il faut répondre à ces questions par la négative, étant donné que, par définition, [traduction] « les connaissances d'un expert sont le produit de la distillation des affirmations d'autres personnes qui ne sont pas devant le tribunal » (paragraphe 12.88 de The Law of Evidence in Canada).
[181] Normalement, les experts se fondent sur des études ou des opinions publiées dans des revues spécialisées ou ailleurs. Or ces publications ne sont pas toutes de qualité égale et n'ont pas toutes été contrôlées par les collègues des auteurs. Souvent aussi, les experts font référence à des documents distribués à des conférences ou séminaires.
[182] La Cour devrait-elle accorder une valeur différente aux autres connaissances acquises par l'expert lors de son activité professionnelle si la source de ces connaissances est fiable et que l'expert a les moyens d'en contrôler l'exactitude? Et si l'expert a accès à des études privées qui sont devenues publiques par d'autres voies que la publication et les conférences? Et si l'expert, étant souvent appelé à témoigner dans des litiges civils, peut prendre ainsi connaissance de renseignements publics très pertinents? Pourquoi devrait‑on lui interdire d'utiliser ces renseignements et les connaissances ainsi acquises de la même manière qu'il utiliserait les autres connaissances et renseignements qu'il a intégrés à son expérience et à sa compétence?
[183] Comme nous l'expliquerons plus loin, la Cour ne pense pas qu'Apotex puisse donner une réponse satisfaisante à ces questions en invoquant l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, [1990] A.C.S. no 36 (QL), étant donné que l'étude de MPI Research, Inc. n'a pas été effectuée pour une partie à la présente instance ou pour son compte. Cette étude ne provient pas d'une source « fondamentalement suspecte ». C'est une partie aux intérêts opposés à ceux de Lilly qui l'a commandée. Un tribunal judiciaire l'a admise en preuve, s'est fondé sur elle et l'a analysée dans son jugement. La validité et la fiabilité de l'étude en question ont manifestement été évaluées lors d'un procès public.
[184] Bien que Lilly n'ait pas produit d'éléments de preuve formelle établissant qu'il ne lui avait pas été possible d'obtenir la coopération de Zenith (les parties étaient encore devant la Cour d'appel à l'époque pertinente), j'aurais certainement été tentée d'admettre ces éléments de preuve[50] s'ils s'étaient révélés vraiment essentiels pour trancher les questions dont je suis saisie.
[185] On penche encore plus dans ce sens quand on pense au fait qu'Apotex connaissait bien la source de l'étude en question. En fait, elle avait en sa possession les résultats de l'autre étude comparative sur chiens effectuée pour une autre défenderesse au même procès (l'étude de la société Calvert) et l'a utilisée dans son contre-interrogatoire de M. Bauer (pièce 2). Rien n'indique qu'Apotex ne disposait pas aussi d'une copie du compte rendu de l'étude de MPI Research, Inc.
[186] Cependant, j'ai conclu que ce document et les parties de la preuve d'expert basées sur lui ne sont pas pertinents aux fins de ma décision touchant les allégations d'invalidité de l'AA fondées sur l'antériorité et l'évidence.
[187] Quant aux allégations formulées en vertu de l'article 53 de la Loi sur les brevets, elles n'auraient pas d'effet déterminant sur ma décision, parce que, comme je le disais plus haut, j'ai conclu qu'Apotex ne s'était pas acquittée du fardeau de présentation qui reposait sur elle touchant un élément fondamental de ces allégations, soit l'intention délibérée d'induire en erreur, dont cet article fait une condition nécessaire.
[188] Par conséquent, je remets à plus tard la réponse définitive à cette question et m'abstiendrai, aux fins de ma décision, de prendre en considération l'étude de MPI Research, Inc., ainsi que les opinions d'expert fondées sur elle, que je récapitule dans la section suivante.
f) L'effet sur les témoignages des experts de Lilly
[189] À l'onglet 24 de son compendium (partie 2A, intitulée [traduction] « Brevets de sélection »), Apotex propose un tableau récapitulatif des paragraphes des affidavits de MM. Nichols, Bauer, Szot et Thisted et du Dr Williams que la Cour devrait selon elle déclarer inadmissibles au motif qu'ils sont fondés sur la preuve par ouï-dire de M. Pullar.
[190] À cet égard, Apotex invoque l'arrêt Lavallée de la Cour suprême du Canada, précité, et en particulier le résumé des conclusions de la Cour donné par la juge Bertha Wilson dans R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, ainsi que les motifs complémentaires formulés par le juge John Sopinka aux pages 898 à 900.
[191] Selon la défenderesse, dans la mesure où les experts ont formulé leurs opinions en se fondant sur des faits qu'ils [traduction] « tenaient de Lilly », la demanderesse était obligée d'établir ces faits de manière indépendante. Or, soutient Apotex, elle a manqué à cette obligation. Par conséquent, ces opinions d'expert ne sont pas admissibles.
[192] Comme nous le disions à la section précédente, la Cour estime que M. Pullar était qualifié pour témoigner touchant la flumézapine et l'éthylflumézapine, ainsi que l'objet général des travaux de son équipe de spécialistes des neurosciences, mais qu'il ne l'était pas pour ce qui concerne le développement de l'olanzapine et les essais comparatifs cités dans le brevet 113. En outre, l'étude de MPI Research, Inc. n'a pas été valablement présentée en preuve à la Cour.
[193] La Cour examinera maintenant sur le fondement de ce qui précède les passages des affidavits d'expert énumérés dans le tableau récapitulatif.
Le Dr Williams
[194] Après examen du contre-interrogatoire de ce témoin et de l'ensemble des paragraphes attaqués par Apotex, la Cour conclut qu'elle ne tiendra pas compte du paragraphe 49 et du passage suivant du paragraphe 65 : [traduction] « jusqu'à ce que les chercheurs de Lilly découvrent que le composé 222, contrairement à l'olanzapine, causait une augmentation importante du taux de cholestérol ». Le reste du paragraphe 65 est fondé sur l'expérience personnelle du Dr Williams en tant que psychiatre clinicien utilisant des antipsychotiques.
[195] La Cour ne tiendra pas compte non plus du paragraphe 43 dans la mesure où il se rapporte au composé 222 ou à l'olanzapine. Cependant, il est loin d'être évident que ce paragraphe se rapporte à ces composés. En fait, étant donné que le Dr Williams cite expressément le document no 15, qui ne concerne pas la recherche de Lilly, il se pourrait bien que la question 371 de son contre-interrogatoire donne une fausse idée de sa preuve.
M. Thisted
[196] La Cour ne prendra pas en considération les annexes C, D et F, ni les passages suivants concernant l'étude de MPI Research, Inc. : les paragraphes 29, 31, 32 et 36, la dernière phrase du paragraphe 38, le paragraphe 39 et les paragraphes 42 à 49.
M. Szot
[197] La Cour conclut que ne sont pas admissibles : les paragraphes 27, 33, 37 et 48 à 52, la partie du paragraphe 67 commençant à la deuxième phrase, la première ligne du paragraphe 68, et les paragraphes 74, 77 à 86, 90 à 92, 94, 95 et 127. La Cour écartera également les annexes C, D et F.
Mme Schuurmans
[198] Pour ce qui concerne l'affidavit de Mme Nancy Schuurmans, technicienne juridique employée par le cabinet d'avocats Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L. (qui occupe pour Lilly), la Cour conclut que son annexe E est admissible, non pas en tant que preuve de son contenu, mais seulement aux fins d'établir que le tableau en question a été communiqué à l'examinateur au cours de la poursuite de la demande, tel qu'il figure dans le dossier public consultable au Bureau des brevets.
M. Bauer
[199] Après examen des paragraphes contestés par Apotex et du contre‑interrogatoire de M. Bauer, la Cour déclare les passages suivants inadmissibles : les paragraphes 33 à 38, 52 et 54, la partie du paragraphe 57 commençant par [traduction] « la répartition des taux de cholestérol chez les chiens donne à penser [...] », la première phrase du paragraphe 62, la troisième phrase du même paragraphe à partir de [traduction] « particulier » jusqu'à [traduction] « par rapport au composé 222 », et les paragraphes 63, 69, 71, 74, 80, 81, 82, 88, 90 à 94 et 96 à 98.
M. Nichols
[200] Les paragraphes contestés par Apotex sont pour la plus grande partie fondés sur l'examen du brevet 113 par M. Nichols. Ils sont tous admissibles aux fins d'établir comment la personne du métier aurait interprété le brevet à l'époque pertinente.
g) Les qualités professionnelles des experts et les questions influant sur le poids à accorder à leurs opinions
[201] La Cour a pris en considération toutes les objections soulevées par les parties à l'égard des qualités professionnelles des experts, ainsi que leurs observations touchant le poids à accorder aux opinions de ceux‑ci sur les diverses questions faisant l'objet des affidavits qu'ils ont signés. À cette fin, la Cour a analysé tous les passages énumérés dans les exposés des faits et du droit et les journaux respectifs des parties. En fait, la Cour a pratiquement examiné la totalité des contre‑interrogatoires.
[202] La Cour a conclu de cet examen que la plupart des experts étaient suffisamment qualifiés pour qu'au moins elle admette leur preuve. Il est cependant évident qu'une bonne partie de l'affidavit que Me Gerald O. S. Oyen, avocat et agent de brevets, a signé pour le compte d'Apotex traite de questions de droit, sur lesquelles la preuve d'opinion n'est pas nécessaire; la Cour n'a donc pas tenu compte de cet affidavit relativement à de telles questions.
[203] La Cour a aussi de sérieuses réserves touchant la qualité d'expert de M. Dordick, qui s'exprime sur des questions très diverses dans son long affidavit. Monsieur Dordick ne possédait pas les caractéristiques de la personne du métier (ou personne versée dans l'art), selon la définition de la Cour, avant la date des revendications, ni même ne les possède maintenant. Il n'explique pas en quoi il serait qualifié pour témoigner relativement aux connaissances générales courantes qui étaient à la disposition de la personne du métier à l'époque pertinente[51] ou à la manière dont cette personne interpréterait ou comprendrait l'état de la technique et le brevet 113.
[204] De 1980 à 1986, M. Dordick suivait encore des études supérieures en biochimie. On ne voit pas bien non plus comment il a acquis ses compétences en statistique ou son aptitude à se prononcer sur la convenance du modèle canin au type d'études que décrit le brevet.
[205] La Cour a en fin de compte décidé d'admettre sa preuve, mais de n'y accorder que très peu de poids. En plus des réserves notées plus haut, la Cour note que M. Dordick possède peu de compétences pertinentes sur les questions liées aux antipsychotiques. Il reste que, en tout état de cause, il est un professeur et un savant[52]. L'examen de son contre-interrogatoire donne à penser qu'il n'a acquis que récemment ses connaissances sur de nombreuses questions au sujet desquelles il propose son opinion dans la présente instance. Bien qu'il ait pu répondre à la plupart des questions qu'on lui a posées, certaines de ses réponses ne laissent pas de surprendre.
[206] À la question de savoir si la dépression est liée aux ESEP, il a répondu : [traduction] « Certaines formes de dépression pourraient l'être, quoique dans bien des cas ce soit difficile à dire, parce que ces médicaments sont souvent utilisés pour traiter la dépression. » Cette réponse ne concorde certainement pas avec les exposés sur les ESEP qu'on trouve dans les affidavits des autres experts. À d'autres moments, il paraissait incapable de répondre à des questions simples sans consulter un document ou un autre. Par exemple, il ne pouvait se rappeler lequel du test CAT ou du test de conditionnement d'évitement se rapportait à l'efficacité. Or ces concepts jouent un rôle crucial dans les questions ici en litige.
[207] Son objectivité aussi est quelque peu douteuse. On peut lire à la page 5247 du dossier de la demande que lorsqu'on lui a demandé s'il avait consulté tel document pour établir son affidavit, il a répondu qu'il ne s'en souvenait pas, ajoutant : [traduction] « Mais je ne m'en suis certainement pas servi dans mon AA » [non souligné dans l'original].
[208] Dans l'ensemble, la Cour n'a tout simplement pas jugé son témoignage très crédible.
[209] Messieurs Nichols, McClelland et Castagnoli sont quant à eux crédibles et très qualifiés. Tous trois travaillaient dans le domaine à l'époque pertinente et possèdent les caractéristiques soit de la personne versée dans l'art, soit d'une personne qui ferait partie de l'équipe décrite par Lilly. Certaines de leurs opinions sont contradictoires; à propos des questions les plus importantes, la Cour essaiera de préciser lequel de leurs témoignages elle a retenu de préférence aux autres et pourquoi. La raison de la préférence de la Cour sera souvent liée à la méthode adoptée pour traiter la question. À ce propos, la Cour note que les témoins experts ont reçu des instructions juridiques très complexes et qu'il n'est pas évident qu'ils en aient bien compris toutes les conséquences. La Cour s'est donc concentrée sur les motifs à l'appui de leurs conclusions.
[210] Le Dr Williams est aussi un expert très qualifié, disposant d'une expérience de première main de l'usage de l'olanzapine et d'autres agents antipsychotiques. Diplômé en médecine, il possède une vaste expérience clinique. Il travaille dans le domaine depuis les années 1970. La Cour le considère comme un témoin crédible.
[211] Monsieur Mayersohn est manifestement un expert en sciences pharmaceutiques, mais, en matière de neuroleptiques et d'antipsychotiques, il est nettement moins qualifié que nombre d'autres auteurs d'affidavits tels que MM. Nichols, McClelland et Castagnoli. Il s'intéresse en particulier à la biodisponibilité et à la caractérisation pharmacocinétique des médicaments. La Cour a accordé moins de poids à son témoignage qu'à ceux des trois autres auteurs d'affidavits susdits.
[212] Le Dr Jenike est un médecin accompli et un professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine de l'Université Harvard. Son affidavit concerne surtout les réalisations et communications postérieures à l'invention, par exemple les découvertes récentes concernant l'olanzapine (gain de poids, diabète, etc.), ainsi que la pertinence du modèle canin considérée à la lumière de la demande de brevet de la société IVAX. (Comme il a été dit plus haut, la Cour ne tiendra pas compte de la preuve fondée sur la demande de brevet de la société IVAX, étant donné que cette preuve n'est pas très utile pour l'examen des questions dont elle est valablement saisie.)
[213] Leurs affidavits respectifs font douter de la crédibilité du Dr Jenike et de M. Nagy, un physiologiste. En effet, il est admis que ces deux affidavits coïncident dans une mesure considérable. En fait, de grandes parties sont identiques à la virgule près. Cela aurait pu s'expliquer facilement, ainsi que l'a fait valoir Apotex, par le fait que les avocats de cette dernière ont aidé ces experts à rédiger leurs affidavits. Cependant, lorsqu'on leur a demandé expressément au cours de leurs contre-interrogatoires de préciser comment la rédaction s'était faite, les deux témoins ont soutenu qu'ils avaient rédigé personnellement la plupart de ces paragraphes. Monsieur Nagy a déclaré qu'il s'était fait aider pour le [traduction] « jargon juridique » et n'a pu expliquer les similitudes des textes. Quant au Dr Jenike, il a émis l'hypothèse que, du moins pour ce qui concerne certains paragraphes, la ressemblance pourrait s'expliquer par le fait qu'ils avaient tous deux copié des passages des mêmes articles. La Cour, après examen de ces explications, conclut à leur insuffisance.
[214] Messieurs Bauer, Szot et Thisted possédaient tous trois les qualités professionnelles requises pour se prononcer sur les questions soulevées dans leurs affidavits, et leur preuve est crédible. Cependant, comme nous l'avons vu plus haut, une grande partie de cette preuve a dû être écartée parce qu'elle se fondait sur des faits ou des documents qui n'avaient pas été valablement présentés à la Cour.
[215] Monsieur Klibanov, qui a signé un affidavit pour Apotex, est professeur de chimie et de génie biologique au MIT. Le poids à attribuer à son opinion a fait l'objet d'un débat considérable. Il est chimiste médical, titulaire d'un doctorat en chimie organique, et ses nombreuses publications comme les nombreuses récompenses qu'il a reçues attestent la place éminente qu'il occupe dans sa profession. En fait, le niveau de ses qualités professionnelles ne fait aucun doute. La contestation porte plutôt sur son objectivité et sa crédibilité à titre d'expert indépendant.
[216] Lilly soutient que les défauts et problèmes relevés dans Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, s'appliquent à la preuve proposée par M. Klibanov dans la présente espèce. Le juge Roger Hugues écrivait ce qui suit dans cette décision récente :
J'ai trouvé préoccupante la manière dont M. Klibanov a témoigné, surtout en contre‑interrogatoire. Il s'est montré querelleur et dogmatique et a cherché à plusieurs reprises à accuser l'avocat qui le contre‑interrogeait de [traduction] « déformer » ses propos. Son témoignage était parsemé d'expressions juridiques à la mode comme [traduction] « motivé » ou « valant la peine d'être tenté ». J'accorde un poids moindre à la preuve de M. Klibanov, particulièrement lorsque cette preuve contredit la preuve d'autres experts.
[217] La Cour doit certes évaluer elle-même la preuve dont elle est saisie. Cependant, ces observations de mon collègue expriment la réaction que j'ai eue en examinant l'affidavit de M. Klibanov avant l'audience (et avant de lire ces observations). Par exemple, il évoque l'absence de données à la date du dépôt (paragraphe 34), et le fait que, pour ce qui concerne l'innocuité, les revendications du brevet 113 elles-mêmes ne font pas mention de l'innocuité ou des effets secondaires (paragraphe 162). Les termes [traduction] « motivé », « sagesse rétrospective », etc., se rencontrent aussi sous sa plume.
[218] Quelques passages suffiront à donner une idée de l'attitude générale de M. Klibanov en tant que témoin :
[traduction]
Vous venez de me citer incorrectement. J'ai dit que la personne du métier – et comme vous semblez ne pas vouloir tenir compte de ma déclaration, permettez-moi d'insister – la personne désireuse de comprendre [...]
(Question 190)
[...]
Pourriez-vous me laisser achever ma réponse, Me Creber? Je dois dire que vous m'avez interrompu à de nombreuses reprises alors que je vous avais demandé de ne pas le faire. J'ai moi-même eu la politesse de ne pas vous interrompre. Vous rougissez, vous élevez la voix, vous vous penchez vers moi : si c'est là votre tactique de contre‑interrogatoire, Maître, elle ne marchera pas avec moi. Vous pouvez vous conduire de quelque manière que vous voudrez, mais, je vous en prie, ne m'interrompez pas. C'est impoli et indigne de votre profession [...]
(Question 299)
[...]
[Avocat] : Je ne rougis pas. Je veux que vous me disiez sous serment si j'ai le visage rouge ou non.
[M. Klibanov] : Si, vous avez le visage rouge, et je ne vois vraiment pas comment vous pouvez affirmer qu'il n'est pas rouge puisqu'il n'y a pas de miroir, que je sache, dans cette pièce. Peut-être disposez-vous du pouvoir de voir votre propre visage, mais les autres gens en sont dépourvus. Oui, vous avez bel et bien le visage rouge, Maître.
(Question 301)
[...]
Non, vous avez tort. Pourriez‑vous le lire à Monsieur Je‑sais‑tout pour qu'il constate son erreur?
(Question 442)
[219] L'avocat d'Apotex a fait valoir que le comportement de M. Klibanov pouvait s'expliquer par un différend personnel entre lui et Me Creber. Cette explication n'est pas plausible, étant donné que Me Creber n'a pas participé à l'affaire Janssen-Ortho, précitée.
[220] En outre, M. Klibanov se conduisait manifestement en défenseur d'Apotex et répugnait à admettre des faits que d'autres témoins experts cités par cette dernière avaient volontiers reconnus.
[221] La décision n'était pas facile, mais la Cour conclut que la preuve de M. Klibanov a peu de poids en comparaison de celle des autres témoins qualifiés qui ont témoigné sur les mêmes questions. Comme le juge Hughes, la Cour accordera moins de poids à sa preuve qu'à celle des autres experts, en particulier en cas de contradiction.
[222] Monsieur Brock est un expert en toxicologie. Bien que qualifié pour exprimer une opinion sur l'étude canine et les essais toxicologiques nécessaires aux premières étapes du développement d'un médicament, il l'est moins, pour ce qui concerne les questions de l'évidence et de l'antériorité, que MM. Castagnoli et McClelland, à la preuve desquels la Cour attribuera certainement plus de poids. Monsieur Brock soulève dans son affidavit certaines questions dont il n'est pas fait mention dans l'AA (par exemple, les taux de prolactine et la qualité des études de Lilly sur la flumézapine), lesquelles ne seront donc pas prises en considération.
[223] Il n'est pas nécessaire de faire d'observations sur la preuve présentée par les autres auteurs d'affidavits, étant donné soit que ces derniers étaient crédibles, soit que leurs déclarations n'influaient pas particulièrement sur les questions à trancher.
4) Le fardeau de la
preuve
a) La présomption établie par l'article 43
[224] Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir qui a le fardeau de la preuve et quel est l'effet sur ce fardeau de la présomption légale établie par le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, libellé comme suit :
Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.
[225] Les parties s'opposent en particulier touchant l'effet de cette présomption sur le fardeau de la preuve, parfois appelée « fardeau de non-persuasion » : voir Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353, à la page 397, [1991] A.C.S. no 53 (QL), le juge Sopinka.
[226] Apotex admet l'existence de la présomption et le fait qu'il s'ensuit pour elle un fardeau de présentation l'obligeant à produire des éléments suffisants pour étayer son allégation d'invalidité. Une fois que de tels éléments sont produits, soutient Apotex, la présomption perd son effet. Selon elle, le fardeau de la preuve (le fardeau de non‑persuasion), c'est‑à‑dire l'obligation de réfuter les allégations d'invalidité suivant la prépondérance de la preuve, incombe en tout temps à la demanderesse.
[227] La longue liste des décisions qu'Apotex invoque à l'appui de cette thèse est donnée dans son exposé des faits et du droit, et elle l'a complétée par des notes additionnelles utilisées à l'audience.
[228] Lilly, quant à elle, s'appuie principalement sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Bayer c. Canada, no A‑518‑98, 7 avril 2000, 6 C.P.R. (4th) 285, [2000] A.C.F. no 464 (QL), pour affirmer que la présomption légale a pour effet de faire passer le fardeau de la preuve (le fardeau de non‑persuasion) à Apotex, à qui il incombe alors d'établir, suivant la prépondérance de la preuve, que son allégation d'invalidité est fondée. Lilly soutient qu'un arrêt ultérieur de la Cour d'appel, Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada, 2004 CAF 393, [2005] 2 R.C.F. 269, vient renforcer cette thèse. Lilly a également cité une série d'autres décisions qui, selon elle, étayent aussi sa position.
[229] Chacune des parties invoque de nombreuses autres décisions de notre cour qui sont censées étayer leurs interprétations respectives et dont la Cour d'appel fédérale a confirmé certaines sans proposer d'observations particulières sur la question du fardeau de la preuve. D'où le dilemme.
[230] Le juge Michael Phelan a formulé une observation très juste sur la question du fardeau de la preuve lors d'une instance récente relative à un AA, soit dans la décision Bayer AG c. Novopharm Ltd., no T‑697‑04, 24 mars 2006, 2006 CF 379, [2006] A.C.F. no 483 (QL) : « Dans ce domaine, particulièrement dans le contexte de la présomption légale de validité, le droit est quelque peu obscur. » Étant donné les désaccords fréquents que suscite cette question, il ne serait pas inutile d'examiner de manière un peu détaillée la présomption établie par l'article 43.
[231] Le juge en chef John Richard a défini succinctement comme suit le fardeau de la preuve dans le récent arrêt Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., no A‑431‑05, 13 février 2006, 2006 CAF 64, [2006] A.C.F. no 208 (QL) :
La jurisprudence de la Cour d'appel fédérale énonce avec clarté que le fardeau de preuve dans les instances relatives à un avis de conformité incombe au demandeur et que la preuve est appréciée selon la prépondérance des probabilités, une présomption légale de validité étant établie en faveur du titulaire du brevet en ce qui concerne les allégations d'invalidité.
[232] Le juge James W. O'Reilly a récemment examiné en détail la question du fardeau de la preuve dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., no T‑2137‑04, 12 janvier 2007, 2007 CF 26, [2007] A.C.F. no 36 (QL), prononcée à l'issue d'une instance relative à un AC. Le résumé de la question qu'il propose aux paragraphes 5 à 13 de cette décision me paraît excellent, et je souscris entièrement à son point de vue et à son raisonnement. De plus, je ne pense pas que l'arrêt Procter & Gamble de la Cour d'appel (qui n'a apparemment pas été porté à son attention) ait une incidence sur la validité de son analyse. Dans cet arrêt, la Cour d'appel a semblé confirmer la conclusion de Bayer, précité, concernant la présomption de validité. Il est cependant à noter que l'objet principal de l'attention de la Cour d'appel dans Procter & Gamble n'était pas l'effet de la présomption, mais la question de savoir si la présence du terme « fondée » au paragraphe 6(2) du Règlement influait sur la norme générale de preuve au civil applicable à la partie ayant le fardeau ultime de la preuve.
[233] Comme le juge O'Reilly, je ne pense pas que la juge Karen Sharlow ait voulu dans Bayer changer le droit en quoi que ce soit, ni même décider définitivement l'effet de la présomption établie par l'article 43 sur le fardeau de la preuve (le fardeau de non‑persuasion) ou laisser entendre que l'existence de cette présomption modifie nécessairement la norme de preuve à appliquer.
[234] Il ressort des observations formulées par le juge Robert Décary dans Diversified Products Corp. c. Tye‑Sil Corp., no A‑801‑87, 7 février 1991, 35 C.P.R. (3d) 350, [1991] A.C.F. no 124 (QL) (C.A.F.), auxquelles la juge Sharlow se réfère dans Bayer, que la présomption, à son avis, se rapporte seulement à l'incidence de la preuve et non à la norme de preuve.
[235] Qui plus est, ainsi que le juge Ian Binnie le faisait remarquer au paragraphe 43 de l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation, [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77, [2002] A.C.S. no 78 (QL), « la formulation de la présomption de validité du brevet [...] est plutôt faible ». Il s'agit là d'une présomption légale qui, comme bien d'autres de son espèce, ne va pas sans difficultés d'application.
[236] Le juge Sopinka, dans l'arrêt Geffen, rappelle que les commentateurs et les tribunaux ont parfois des opinions divergentes sur la question de savoir si les présomptions de droit ont une incidence sur le seul fardeau de présentation ou à la fois sur le fardeau de présentation et le fardeau ultime. Il note que la Cour suprême du Canada, dans Circle Firm Enterprises Inc. c. Canadian Broadcasting Corporation, [1959] R.C.S. 602, et Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218, a adopté le point de vue selon lequel ces présomptions n'influent que sur le fardeau de présentation :
Chaque point ayant été couvert par des éléments de preuve, les présomptions se sont trouvées repoussées. Il appartenait donc au juge des faits de trancher les questions litigieuses à la lumière de toute la preuve produite.
[237] Dans Geffen, le juge Sopinka a conclu que les faits de l'espèce ne l'obligeaient pas à trancher définitivement la question de l'effet des présomptions sur le fardeau ultime. Il a cependant fait observer qu'« [u]n fardeau de présentation impose à la partie qui en est chargée l'obligation d'avancer des éléments de preuve, tandis que le fardeau ultime est imposé à la partie qui en est chargée si la preuve, une fois appréciée, ne réussit pas à convaincre ».
[238] Peu avant la date des présents motifs, la Cour d'appel fédérale a rendu l'arrêt Abbott Laboratories c. Canada, no A‑510‑05, 19 avril 2007, 2007 CAF 153, par lequel elle a confirmé l'application de la présomption par le juge Michael Phelan. La juge Sharlow, s'exprimant au nom de la Cour, y écrivait ce qui suit au paragraphe 9 : « Il ne fait désormais plus aucun doute qu’il incombe au requérant qui sollicite une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement de démontrer le bien‑fondé de sa demande. » Elle a en outre réaffirmé que « [l]a formulation de la présomption prévue au paragraphe 43(2) est plutôt faible », ajoutant que cette présomption ne peut avoir d'effet déterminant dans une instance relative à un AC si « le dossier contient la moindre preuve susceptible, si elle est admise, de réfuter la présomption en question » [souligné dans l'original]. Voilà qui, à mon sens, clôt le débat et dissipe toute ambiguïté qu'il a pu y avoir.
[239] Il est à noter que, durant l'audience, Lilly a déclaré, après avoir passé en revue les arrêts Circle, Powell et Wellcome Foundation de la Cour suprême du Canada, tous précités, que, dans le cas où la présomption n'aurait que l'effet d'imposer un fardeau de présentation à Apotex, elle concédait que cette dernière s'était acquittée de ce fardeau de présentation à l'égard de ses allégations d'invalidité du brevet aux motifs de l'antériorité et de l'évidence.
[240] Cependant, Lilly a aussi fait valoir qu'Apotex ne s'était pas acquittée de son fardeau de présentation relativement à l'allégation de nullité du brevet au motif d'une infraction supposée à l'article 53 de la Loi sur les brevets. J'examinerai cette question lorsque je traiterai cette allégation.
b) L'alourdissement du fardeau de la preuve
[241] Se fondant sur un autre passage de l'arrêt Wellcome Foundation, précité, soit les paragraphes 42 à 44, Lilly soutient dans son mémoire que, comme la contestation de la validité d'un brevet est en fait une attaque incidente de la décision du commissaire de délivrer ce brevet, la norme de contrôle applicable à cette question est celle du caractère raisonnable simpliciter. Le fardeau de la preuve incombant à Apotex se trouverait ainsi alourdi.
[242] La Cour d'appel fédérale a très récemment examiné cet argument, dans Aventis Pharma, précité. Elle l'a rejeté au motif que, par définition, les instances relatives à un AC sont de nature sommaire et ne comportent pas de décision sur la validité du brevet. La Cour décide seulement si l'AA est fondé et si une ordonnance d'interdiction devrait être prononcée.
[243] Lilly fait aussi valoir que les allégations d'Apotex ne sont pas originales, au sens où les mêmes allégations, s'appuyant sur les mêmes documents d'antériorité (en particulier les articles de MM. Chakrabarti et Schauzu), ont été avancées devant un tribunal américain, qui les a rejetées à l'issue d'un procès complet. Cette décision a maintenant été confirmée par la Cour d'appel du circuit fédéral américain, qui a conclu à la validité du brevet américain correspondant. Ces précédents, selon Lilly, ont pour effet d'alourdir le fardeau de la preuve qui pèse sur Apotex.
[244] Notre Cour n'est pas liée par les décisions des tribunaux étrangers concernant les brevets correspondants. Comme le rappelait la Cour d'appel fédérale, « [b]ien que des brevets étrangers puissent être pratiquement identiques, il est peu probable que le droit étranger le soit également et il faut, dans tous les cas, en faire la preuve » (Imperial Oil Ltd. c. Lubrizol Corp., no A‑737‑90, 4 décembre 1992, 45 C.P.R. (3d) 449). Cette observation se révèle particulièrement pertinente dans la présente espèce, qu'on peut distinguer du procès américain sous de nombreux rapports, notamment la nature de l'instance, la preuve et le fardeau de la preuve.
[245] Avant de conclure, il n'est pas inutile de rappeler que la présomption de l'article 43 s'applique à chacun des éléments qui constituent l'invention. En fait, dans la présente espèce, la délivrance du brevet 113 établit la présomption que l'olanzapine présente le caractère de la nouveauté, que les avantages décrits dans la divulgation ont une valeur inventive et que celle‑ci est suffisante pour permettre la réalisation de l'invention (c'est‑à‑dire la fabrication du composant sélectionné avec les avantages décrits dans la divulgation). Il est également présumé que le brevet est valide en ce qu'il ne contient aucune inexactitude relevant de l'article 53.
5) L'antériorité
[246] L'invention doit être nouvelle. Dans la présente espèce, Apotex soutient que l'invention telle que la décrivent les revendications du brevet 113 est entièrement divulguée par le brevet 687 et l'article de M. Schauzu. Comme on l'a vu plus haut, Apotex avait d'abord allégué dans son AA que les revendications en cause étaient antériorisées par « Chakrabarti 1980 »; cependant, il ne sera pas nécessaire d'examiner cet article en détail, étant donné qu'Apotex n'a guère attiré l'attention sur lui à l'audience. Qu'il suffise ici de noter que les parties s'entendent pour dire que « Chakrabarti 1980 » ne divulgue pas explicitement l'olanzapine et que cet article est beaucoup plus pertinent pour l'analyse relative à l'évidence.
a) Principes généraux
[247] Le juge Binnie, dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, [2000] A.C.S. no 67 (QL), a adopté le critère formulé par le juge James Hugessen dans Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, no A‑362‑84, 10 février 1986, 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 297, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.F.). Le juge Binnie formulait les observations suivantes au paragraphe 26 de l'arrêt susdit :
Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d'antériorité :
Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.
[248] Le juge Binnie, au même paragraphe, a aussi repris à son compte le passage suivant de l'arrêt General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la page 486 :
[traduction]
Aussi clair qu'il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l'invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l'inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.
[249] Le juge note également ce qui suit au paragraphe 25 :
La défense fondée sur l'antériorité découlant d'une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu'il n'est que trop facile, après la divulgation d'une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d'ingéniosité pour constituer un dossier d'antériorité lorsqu'on dispose du recul nécessaire.
[250] Le juge Hugues a récemment cité (dans Janssen Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., no T‑2175‑04, 17 octobre 2006, 2006 CF 1234, [2006] A.C.F. no 1535) un arrêt de la Chambre des lords (Synthon v. Smithkline Beecham, [2005] U.K.H.L. 59) qui s'avère particulièrement utile dans la mesure où il établit que l'antériorité est subordonnée à deux conditions : la mise à la disposition des moyens nécessaires (enablement) et la divulgation.
[251] La Chambre des lords explique en outre dans Synthon que la divulgation peut se produire de deux façons : l'invention peut être communiquée explicitement dans une publication, ou elle peut être divulguée par une action qui contreferait nécessairement le brevet. Pour ce qui concerne la divulgation par publication, la Cour établit clairement, à mon sens, qu'elle ne doit comporter la nécessité d'aucune expérimentation. C'est pour cette raison que le juge Hugues écrivait ce qui suit au paragraphe 107 de Janssen Ortho, précité :
De l'avis de la défenderesse, l'énoncé [traduction] « uniquement grâce à une habileté d'ordre technique » et l'extrait « production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif » signifient que si une personne ordinaire versée dans l'art pouvait appliquer à la publication les connaissances actuelles et les techniques courantes à jour et qu'il en résultait l'invention revendiquée, il y aurait antériorité. Il ne s'agit pas là de l'interprétation correcte du critère de l'antériorité formulé par la Cour suprême du Canada.
[252] La Chambre des lords, cependant, a aussi établi que la personne versée dans l'art est présumée essayer de comprendre ce que l'auteur a voulu dire (Kirin-Amgen Inc. & Ors v. Hoechst Marion Roussel, [2004] U.K.H.L. 46, au paragraphe 32, [2005] 1 All E.R. 667). Cette règle s'applique non seulement à l'interprétation du brevet en litige, mais aussi à l'examen de l'état de la technique supposé commander une conclusion d'antériorité ou d'évidence.
[253] Naturellement, il peut aussi y avoir antériorité découlant d'une fabrication ou d'un usage antérieurs – voir l'exposé des motifs de la juge Sharlow dans Abbott Laboratories c. Canada, no A‑384‑05, 18 mai 2006, 2006 CAF 187, [2006] A.C.F. no 782 (QL) –, et un tel usage constituera une antériorité, que l'utilisateur ait été ou non conscient qu'il réalisait ou divulguait l'invention.
[254] De même, dans Synthon, précité, la Chambre des lords explique aussi, au paragraphe 22, qu'il n'est pas nécessaire que la prise de possession dont parle l'arrêt General Tire, précité, soit consciente, mais qu'elle doit avoir pour effet la contrefaçon du brevet postérieur.
[255] Pour ce qui concerne la mise à la disposition des moyens nécessaires ou la capacité de mise en oeuvre, la Chambre des lords précise bien que, contrairement au cas de la divulgation explicite, qui doit être absolument claire, la personne versée dans l'art peut corriger des erreurs évidentes et réaliser l'invention en recourant aux connaissances générales courantes et aux techniques ordinaires :
[traduction]
Mais une fois que l'objet même de l'invention a été divulgué par une antériorité et que la question est devenue celle de savoir si les moyens de réalisation nécessaires ont été mis à la disposition, la personne versée dans l'art est censée être prête à procéder par tâtonnements pour réaliser l'invention. (Synthon, paragraphe 30.)
[256] Dans la présente espèce, la question de la mise à la disposition des moyens nécessaires n'est pas en litige, Lilly ayant admis que la personne versée dans l'art possédait toutes les connaissances et compétences générales nécessaires pour produire l'olanzapine et la composition médicinale revendiquée par le brevet 113.
[257] Pour ce qui concerne les brevets de sélection, les principes généraux exposés plus haut restent applicables, mais leur application se trouve quelque peu modifiée. Il faut une méthode d'analyse différente pour établir si une revendication portant sur un composant sélectionné fait l'objet d'une antériorité en raison d'un brevet antérieur qui revendiquait une classe ou un genre comprenant le ou les membres sélectionnés.
[258] Comme la Cour d'appel fédérale le faisait remarquer en 2006 dans Pfizer Canada, précité, la jurisprudence canadienne est plutôt mince en ce qui a trait aux brevets de sélection. Mais la Cour d'appel fédérale a confirmé dans ses deux arrêts récents que notre cour doit s'inspirer des critères et des principes formulés par la Chambre des lords dans E.I. Du Pont de Nemours & Co. Application, [1982] F.S.R. 303 (Ch. des lords), où cette dernière a explicitement adopté les conclusions et le critère spécial établis par le juge Maugham dans I.G. Farbenindustrie (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.). D'autres décisions se révèlent pertinentes aussi dans la mesure où elles visent à appliquer les principes de Farbenindustrie : Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories International S.A. (1978), 16 R.P.C. 521 (Ch. des lords), Beecham Group Ltd's (New Zealand) Application (1982), 8 F.S.R. 181 (C.A. N.‑Z.), et Rambaxy UK Ltd. v. Warner‑Lambert Co., [2006] EWCA Civ 876 (C.A.), [2005] EWHC 2142 (brevets)[53].
[259] Les parties souscrivent à ce point de vue, mais leurs interprétations de ces décisions divergent.
[260] Selon Apotex, l'invention a été divulguée lorsque l'antériorité décrit l'invention ou lorsque l'objet revendiqué dans le brevet antérieur (en l'occurrence le brevet 687) contreferait le brevet postérieur (le brevet 113 dans la présente espèce). En outre, poursuit Apotex, comme la découverte des propriétés inhérentes à un composé n'est pas une invention, il n'est pas nécessaire que la publication antérieure divulgue les avantages particuliers du ou des composés sélectionnés (c'est‑à‑dire les avantages inhérents), ou même en tienne compte, pour constituer une antériorité.
[261] Du point de vue de la défenderesse, il n'existe pas de règle selon laquelle un composé sélectionné ne pourrait être antériorisé par la divulgation d'une classe comprenant ce composé. Et l'antériorité découlant de la publication n'est pas subordonnée à la condition que le composé sélectionné ait été effectivement réalisé.
[262] Lilly, se situant à l'autre extrémité du spectre, soutient qu'un composé chimique ne fait l'objet d'une antériorité que s'il a été effectivement produit. Le brevet antérieur portant sur une classe de composés ou un genre qui ne désigne ou ne distingue pas le composé sélectionné (par exemple en l'inscrivant sur une liste) ne constitue pas une antériorité.
[263] Vu l'ensemble de la jurisprudence et de la doctrine, la Cour conclut que, pour l'instant du moins, le droit se situe quelque part entre ces deux positions.
[264] Comme le faisait remarquer la Cour d'appel fédérale dans Apotex c. Sanofi‑Synthelabo, précité, lord Wilberforce a donné dans Du Pont de Nemours quelques indications pour établir dans quel cas une publication antérieure rendra non brevetable un objet connexe dans le contexte des brevets de sélection. Le passage cité par le juge Noël au paragraphe 18 est libellé comme suit (les passages ici soulignés le sont dans l'original et les caractères gras sont de moi) :
[traduction]
... la divulgation d'une invention n'équivaut pas à la publication antérieure d'une invention postérieure si la première invention ne fait qu'indiquer une direction pouvant mener à la seconde. Dans un passage maintes fois cité et très utile de l'arrêt General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 456, p. 486, de la Cour d'appel, le juge Sachs a écrit :
Aussi clair qu'il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l'invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l'inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.
Les métaphores séduisantes peuvent certes être dangereuses pour qui recherche la précision, mais cet extrait n'en illustre pas moins que ce qu'on prétend être une divulgation antérieure doit indiquer clairement que l'utilisation des éléments pertinents (soit ceux qui seront finalement sélectionnés) donne un produit présentant les avantages prédits pour la catégorie de composés. La Cour d'appel de la Nouvelle‑Zélande a bien exprimé ce principe. Au sujet de la pénicilline semi‑synthétique, le juge Cooke a dit :
Lorsqu'un tel composé n'a pas encore été fabriqué, il est souvent difficile de prédire ses propriétés avec un tant soit peu de confiance et, alors, il ne serait ni exact ni juste d'affirmer que l'invention revendiquée a été « publiée », même si un chimiste compétent pourrait se rendre compte de la possibilité d'obtenir le composé par des moyens courants. Il faut que le composé ait été réalisé et que ses propriétés aient été découvertes pour qu'il y ait invention pouvant donner lieu à publication. (Je souligne.)
Cette conclusion va dans le sens de l'énoncé suivant du juge Maugham en lui ajoutant une précision utile :
Naturellement, il faut se souvenir que les composés sélectionnés n'ont pas été faits auparavant, car alors le brevet ne satisferait pas à l'exigence de nouveauté (I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents, 1 c. p. 321.)
[265] Lord Wilberforce ajoutait un peu plus loin dans Du Pont de Nemours :
[traduction]
C'est à cause de la non-découverte des avantages particuliers, ainsi que de la non‑réalisation, qu'il est possible à de telles personnes de faire une invention liée à un membre de la classe.
[266] Voilà ce qui, selon le lord juge, permet au tribunal d'établir si le brevet d'origine laisse le champ libre à d'autres chercheurs (voir Du Pont, à la page 311). Seuls peuvent faire l'objet d'une sélection les composés qui n'ont pas été réalisés auparavant et dont les propriétés ne peuvent être prédites avec tant soit peu de certitude (c'est‑à-dire dont la découverte des avantages particuliers exige des recherches empiriques). Ces composés ne feront pas l'objet d'une antériorité s'il y a eu divulgation de leur classe en termes généraux ou la simple énumération des noms des membres de cette classe.
[267] C'est dans ce contexte que le juge en chef Richard formulait les observations suivantes dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., no T‑2389‑94, 18 août 1997, [1997] A.C.F. no 1087, 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.), à la page 556 :
Le brevet d'ICI est un brevet d'origine tandis que celui de Pfizer est un brevet de sélection. Le premier revendique le genre; le deuxième l'espèce. Le brevet no 263 d'ICI vise généralement les triazoles et les imidazoles fongicides. Le fluconazole n'y est pas expressément décrit, non plus que son efficacité supérieure et antérieurement inconnue n'est décrite ou connue. Le brevet d'ICI n'incluait pas le composé appelé fluconazole. ICI n'était pas le premier inventeur de ce composé et elle ne l'a jamais fabriqué.
Il n'est pas contesté que la portée générique large des revendications du brevet d'ICI englobe le fluconazole et qu'il en est de même à l'égard des procédés, mais que le fluconazole n'y est pas expressément mentionné.
[268] C'est en fonction de ces principes que la Cour établira si le brevet 687 constitue une antériorité. La Cour examinera ensuite la question de savoir si l'article de M. Schauzu divulgue l'olanzapine.
b) Application
(i) La personne versée dans l'art
[269] Selon Apotex, la personne versée dans l'art à qui s'adresse le brevet 113 est un chimiste médical, détenteur d'un doctorat en chimie organique et possédant une expérience considérable de l'utilisation et de la fabrication de composés neuroleptiques ou antipsychotiques. Cette personne est également au courant de l'état de la technique et de tous les faits nouveaux publiés. Enfin, elle est capable de prendre des décisions raisonnées sans être inventive. (Affidavit de M. McClelland, paragraphe 8.)
[270] Selon Lilly, dont aucun des experts n'a traité expressément cette question dans son affidavit, la personne du métier détient un diplôme d'études supérieures en chimie organique et possède une certaine expérience de l'utilisation et de la fabrication de composés neuroleptiques ou antipsychotiques. Mais cette personne ne travaille pas seule; elle est aidée, premièrement, d'un chercheur qui possède un diplôme d'études supérieures en toxicologie et un certificat de spécialiste et qui a de l'expérience en matière de travail sur les animaux (notamment en matière d'études canines), et, deuxièmement, d'un psychiatre détenteur d'un doctorat en médecine, spécialisé dans le traitement de la schizophrénie et pouvant faire état d'une expérience des essais cliniques et de l'utilisation d'antipsychotiques.
[271] Bien que, comme nous le disions plus haut, la décision américaine ne lie pas notre cour, il est à noter que, dans le procès en question, M. Nichols était aussi un témoin expert de Lilly. Il appert du jugement de première instance que M. Nichols a décrit la personne du métier à qui s'adressait le brevet américain correspondant à peu près dans les mêmes termes que M. McClelland.
[272] La Cour accepte la preuve de M. McClelland, mais pense comme Lilly que, dans la plupart des entreprises pharmaceutiques, la personne du métier ferait partie d'une équipe de chercheurs, comme c'était le cas chez Lilly.
(ii) Le brevet 687
[273] Comme il a été dit plus haut, le composé désigné olanzapine ne comptait pas parmi les nombreux exemples que décrit le brevet 687. Bien que l'olanzapine fasse partie d'une grande classe de composés les plus privilégiés que le brevet 687 décrit de manière générale en fonction de plusieurs critères et, à ce titre, appartienne au genre qui fait l'objet des revendications de ce brevet, il n'y est pas explicitement divulgué.
[274] Apotex n'affirme pas dans son AA que l'olanzapine eût déjà été réalisée au moment de la délivrance du brevet 687 en 1980. En réponse à une question expresse de la Cour à ce propos, Apotex a confirmé qu'elle n'avait aucune raison de penser que l'olanzapine eût été réalisée avant 1982, soit l'année qu'indique la décision rendue aux États-Unis touchant le brevet américain et que donne M. Pullar (par ouï‑dire).
[275] Cependant, Apotex soutient que le brevet 687 prédisait les propriétés de l'olanzapine, y compris les [traduction] « prétendus avantages » qu'expose le brevet 113, et qu'une simple vérification permettait de les établir. Sur ce sujet, la plupart des arguments[54] et des éléments de preuve invoqués par la défenderesse sont les mêmes que ceux qu'elle a présentés à l'appui de sa position subsidiaire relative à l'évidence.
[276] L'examen de la preuve convainc la Cour que Lilly a démontré que, malgré l'existence et la disponibilité d'indicateurs sommaires tels que le test de conditionnement d'évitement et le test CAT, seule la recherche empirique pouvait établir les effets secondaires de l'olanzapine, qui n'avait pas encore été réalisée, recherche qui comprenait beaucoup plus que ces tests et exigeait, en plus d'autres études sur animaux, des essais cliniques sur l'homme.
[277] Se fondant sur les principes et la jurisprudence exposés ci‑dessus, la Cour conclut que le brevet d'origine 687 laissait certainement la possibilité à un autre inventeur (ou au même par un autre brevet) de revendiquer l'olanzapine en tant que nouveau composé. Par conséquent, ce brevet d'origine ne constitue pas une antériorité par rapport aux revendications du brevet 113.
(iii) L'article de M. Schauzu
[278] Comme il a été mentionné, cet article scientifique intitulé « Free‑Wilson Study of 4‑Piperazinyl-10H-thienobenzodiazepine Analogues » (Étude par analyse de Free‑Wilson d'analogues de 4-pipérazinyle-10H-thiénobenzodiazépine) est un article d'une page publié en 1983 qui rend compte des calculs mathématiques[55] effectués par M. Schauzu et son coauteur en vue d'évaluer la puissance des essais de liaison menés dans le cerveau de rats par M. Chakrabarti[56] et son équipe avec 12 composés visés par le brevet 687. Les résultats des tests de M. Chakrabarti (essais de liaison) avaient été publiés un an auparavant dans le document no 18 (Chakrabarti 1982).
[279] Même si le titre porte spécifiquement sur les analogues des thiénobenzodiazépines, les auteurs utilisent le terme benzodiazépines tout au long de l'article, y compris dans le titre du tableau des composés substitués pour lesquels les calculs ont été faits.
[280] Par exemple, l'article débute ainsi :
[traduction]
L'activité antipsychotique ainsi que les effets secondaires extrapyramidaux de la majorité des agents neuroleptiques ont une corrélation avec leur activité antidopaminergique. Parmi ces séries de composés, notre intérêt s'est porté sur les benzodiazépines. L'une des raisons était que certaines benzodiazépines majeures, tel le diazépam, augmentent aussi considérablement l'efficacité prophylactique et thérapeutique des antidotes de type oxime utilisés contre les intoxications par les insecticides organophosphorés.
[Non souligné dans l'original]
[281] Dans son avis d'allégation, Apotex soutient que l'article de M. Schauzu divulgue à la fois les composés antipsychotiques substitués de 4-méthyl-pipérazinyle et ceux de 4‑méthyl pipéridinyle, composés dont la formule est illustrée comme suit dans l'article :
[282] Il est clair que la formule ci‑dessus ne renferme qu'un seul atome d'azote (NMe) dans l'anneau supérieur. Elle divulguerait donc un pipéridinyle. Cependant, Apotex affirme qu'une personne versée dans l'art saurait qu'en fait, les auteurs voulaient inclure un deuxième atome d'azote là où l'anneau supérieur est lié à la structure tricyclique, surtout à cause des chiffres inscrits dans l'anneau (2‑5). Le deuxième N aurait simplement été omis par erreur. Avec deux atomes d'azote, l'anneau supérieur serait un pipérazinyle, comme l'indique le titre de l'article.
[283] Selon les experts de Lilly, soit que la formule dans l'article de M. Schauzu demeure telle quelle avec un seul atome d'azote (et ne pourrait pas inclure l'olanzapine), soit que toutes les « erreurs » dans la formule illustrée comparativement à la formule dans sa source de référence devraient être corrigées.
[284] Avant d'évaluer la preuve et de déterminer s'il est clair qu'une personne versée dans l'art aurait conclu que l'article divulgue précisément l'olanzapine, il serait utile d'examiner la formule présentée dans Chakrabarti 1982 pour comprendre la position de Lilly :
[285] Lilly affirme que la formule de base des composés substitués dans l'article de M. Schauzu devrait normalement être identique à la formule ci‑dessus, présentée dans Chakrabarti 1982.
[286] On peut ainsi voir que la structure illustrée dans l'article de M. Schauzu renferme deux erreurs :
(i) il manque le deuxième N (azote) à la position où il devrait être présent dans le pipérazinyle;
(ii) il manque aussi un F en position 7 (substituant fluor) dans l'anneau benzène.
[287] Pour revenir au point principal, soit celui de savoir comment la personne versée dans l'art, correctement définie, aurait interprété l'article de M. Schauzu, la Cour se trouve devant un bon nombre de questions sans réponse.
[288] Par exemple, il n'est pas du tout certain que la personne versée dans l'art aurait à mettre en oeuvre des connaissances courantes spéciales que ne posséderait pas n'importe quel chimiste expérimenté pour interpréter l'article de M. Schauzu de la manière proposée par les experts d'Apotex.
[289] À ce propos, la Cour note le témoignage non contredit de M. Klibanov selon lequel le chimiste expérimenté connaîtrait le système de numérotation de l'UICPA, même si d'autres systèmes de numérotation et de nomenclature sont aussi utilisés[57]. En outre, il semble que le chimiste expérimenté saurait aussi que l'illustration des formules et des structures n'était pas aussi fiable à l'époque pertinente qu'elle l'est aujourd'hui.
[290] S'il en est ainsi, la déclaration de M. Nichols comme quoi deux des services de catalogage les plus estimés (Beilstein et Chemical Abstract Services) ont catalogué les 12 composés de l'article de M. Schauzu comme pipéridinyles se révèle très convaincante. Il s'agit là en fait du seul élément contemporain permettant d'établir comment le chimiste expérimenté aurait alors interprété cette publication antérieure (les extraits produits ont été publiés vers 1986)[58].
[291] Il est évident que le personnel de ces publications[59] ne possède probablement pas les caractéristiques de la personne versée dans l'art, mais cela importerait peu s'il s'avérait que les connaissances nécessaires pour interpréter l'article de M. Schauzu ne sont pas propres à cette personne.
[292] Cependant, s'il est vrai, comme l'affirme M. McClelland (au paragraphe 8 de son affidavit), que la personne versée dans l'art aurait lu l'article Chakrabarti 1982 et en connaîtrait le contenu, on ne s'explique pas pourquoi une telle connaissance (voir le paragraphe 54 ci‑dessus) n'amènerait pas cette personne à corriger toutes les erreurs de la formule illustrée dans l'article de M. Schauzu. Il est tout à fait clair que, si elle le faisait, tous les composés contiendraient des substituants d'halogène et qu'il ne pourrait alors divulguer l'olanzapine.
[293] La Cour note également que le texte de l'article de M. Schauzu a aggravé la confusion. Même M. McClelland, qui a manifestement consacré beaucoup de temps à l'examen de cet article, en cite erronément le titre au paragraphe 63 de son affidavit ([traduction] « étude par analyse de Free‑Wilson d'analogues de 4-pipérazinyle-10H-thienodiazépine »).
[294] L'examen attentif de l'ensemble de la preuve ne convainc pas la Cour que les auteurs de l'article de M. Schauzu aient indubitablement « pris possession » de l'olanzapine dans leur tableau I (composé 11).
[295] Après une analyse minutieuse de l'ensemble de la preuve, la Cour conclut que l'article de M. Schauzu ne remplit pas les conditions rigoureuses qui s'appliquent à l'antériorité. Cet article, par conséquent, ne constitue pas une antériorité par rapport à l'olanzapine.
6) L'évidence
a) Principes généraux
[296] La Cour d'appel fédérale a rappelé les principes suivants au paragraphe 38 de Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., no A‑168‑05, 22 décembre 2006, 2006 CAF 421, [2006] A.C.F. no 1945 :
Le critère applicable en matière d'évidence a été énoncé dans l'arrêt Beloit, à la p. 294 :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
[297] Le juge Hugessen, à la page 295 de l'arrêt Beloit, précité, a aussi mis en garde contre la sagesse rétrospective :
Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez‑vous pas fait? ». [Non souligné dans l'original.]
[298] À ce propos, il est particulièrement important de noter que la personne du métier peut compter sur l'état de la technique et sur les connaissances générales courantes; au sujet de la distinction entre ces concepts, voir, par exemple, Steel Co. of Canada Ltd. c. Sivaco Wire and Nail Co., no T‑309‑71, 9 juillet 1973, 11 C.P.R. (2d) 153, aux pages 186 et 187, et Beloit Technologies v. Valmet Paper Machinery, [1997] R.P.C. 489 (C.A. Angl.). Cependant, comme le faisait observer la Cour suprême du Canada au paragraphe 71 de Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, cette personne ne possède pas les « connaissances internes » du titulaire du brevet.
[299] La Cour suprême du Canada a formulé elle aussi des remarques éclairantes sur le problème de l'analyse ex post facto dans Farbwerke Hoechst AG vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929 :
Très peu d'inventions sont des découvertes imprévues. En pratique, tous les travaux de recherches suivent l'orientation donnée par l'état de la technique. Dans ces conditions et avec l'avantage du recul, il y aurait presque toujours moyen de dire qu'il n'y a aucun esprit inventif dans les nouveaux perfectionnements parce que chacun peut alors voir comment les réalisations antérieures montraient la voie.
[300] C'est un lieu commun du droit que l'évidence se distingue de l'antériorité en ce qu'elle peut être établie par la constitution d'une mosaïque de publications antérieures.
[301] L'invention n'est évidente que si la solution du problème est claire comme de l'eau de roche. Au Canada, le critère de l'évidence n'est pas la question de savoir si la solution « méritait un essai », mais plutôt si l'invention supposée aurait pu se faire sans réflexion, expérimentation ou recherche sérieuses; voir par exemple Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, aux paragraphes 81 et 82, [1995] O.J. no 141 (QL) (C.J. Ont.).
[302] Ainsi que le faisait remarquer la Cour suprême du Canada dans Farbwerke Hoechst, précité (citant une décision antérieure) : « Le chercheur patient a droit aux mêmes avantages du monopole d'exploitation que celui qui fait une découverte par chance ou par inspiration soudaine. »
[303] Comme il a été dit plus haut, la question de savoir si sont prévisibles les propriétés d'un composé sélectionné compris dans une classe que revendique le brevet d'origine est pertinente pour l'analyse de la nouveauté. Cependant, il ne fait aucun doute que l'inventivité du brevet de sélection réside dans les propriétés particulières qui doivent être énoncées dans la divulgation : Pfizer (2006 CAF 214), précité.
[304] Pour établir si un composé non encore réalisé a des propriétés imprévues, il faut répondre à la question de savoir si une simple vérification pouvait confirmer ces propriétés ou si, au contraire, il fallait une recherche empirique. La Cour d'appel fédérale a expliqué la différence entre ces concepts aux paragraphes 21 à 24 de Pfizer, précité :
[21] Il importe de préciser dès le départ que la recherche empirique visant à opérer une sélection au sein d'une catégorie n'est pas de la vérification. Lord Wilberforce, dans Beecham [précité au paragraphe 4], a signalé que la sélection d'éléments d'un ensemble de composés possibles et la réalisation de recherches empiriques visant à établir s'ils possèdent les qualités voulues diffèrent de la vérification et donnent des résultats différents (à la page 568).
[22] Les recherches empiriques débouchant sur une invention protégée par un brevet de sélection doivent comporter [traduction] « à tout le moins la découverte que les éléments retenus possèdent des qualités inconnues jusque là, qui leur sont propres et qui ne peuvent leur être attribuées du fait de leur appartenance à une catégorie décrite par une invention antérieure » (voir In the Matter of an Application for a Patent by Henry Dreyfus, Robert Wighton Moncrieff and Charles William Sammons (1945), 62 R.P.C. 125, à la page 133, juge Evershed).
[23] Dans Pope Alliance Corp. v. Spanish River Pulp & Paper Mills, Ltd., [1929] 1 D.L.R. 209 (P.C.), le vicomte Dunedin signale, à la page 216, une invention est simplement [traduction] « la découverte de quelque chose qui n'a pas été découvert par d'autres ». Un inventeur a droit à un brevet dans lequel il peut démontrer que ses efforts ont abouti à la découverte de connaissances fondamentales pour son invention. On ne saurait opposer que d'autres auraient également pu faire la découverte par expérimentation (voir aussi T. A. Blanco White, Patents for Inventors and the Protection of Industrial Designs, 5e éd. : (Londres : Stevens, 1983), à la page 99).
[24] La vérification, elle, confirme des qualités prévues ou prévisibles de composés connus, c.‑à‑d. des composés déjà découverts et réalisés. Personne ne peut obtenir un brevet de sélection simplement parce qu'il a vérifié les propriétés d'une substance connue (voir SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2003] 1 C.F. 118 (C.A.), au paragraphe 21).
[305] Sont également pertinentes à ce propos les observations formulées par lord Diplock à la page 579 de Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521 :
[traduction]
La preuve produite dans la présente espèce est plus que suffisante à établir qu'il n'est pas encore possible de prédire, le cas échéant, les avantages thérapeutiques particuliers que possédera la pénicilline préparée d'une façon donnée. La seule façon d'en avoir le coeur net est de la réaliser et de découvrir ses caractéristiques thérapeutiques en la soumettant à des essais approfondis in vitro et in vivo.
[306] Enfin, comme le rappelait la Chambre des lords à la page 310 de Du Pont de Nemours, précité, la taille de la classe et le champ particulier décrits dans le brevet d'origine (en l'occurrence le brevet 687) sont des éléments à prendre en considération aux fins d'établir si la sélection est évidente.
[307] La Cour appliquera maintenant ces principes fondamentaux aux faits de la présente espèce.
b) Application
[308] Apotex soutient qu'il suffit à la Cour d'établir si la personne versée dans l'art cherchant un bon neuroleptique[60] ou un antipsychotique atypique de remplacement serait directement et facilement arrivée à l'olanzapine. La Cour, explique‑t‑elle, n'a pas à être convaincue que les avantages que décrit le brevet 113 étaient eux aussi évidents, puisqu'ils sont simplement des propriétés inhérentes à l'olanzapine. En outre, selon elle, une simple vérification pouvait établir ces avantages, étant donné que tous les tests utilisés par Lilly étaient connus.
[309] Apotex affirme que, quoi qu'il en soit, si un composé est évident pour une fin donnée, tout avantage supplémentaire qu'il s'avère présenter est une prime dénuée de pertinence : voir Hallen v. Brabantia (U.K. Ltd.), 1991 R.T.C. 195, et IVAX Pharmaceutical (U.K. Ltd.) v. Chugai Seiyaku Kabushiki Kaisha, [2006] EWHC 756 (Pat) (Ch. D.), au paragraphe 65v). Enfin, fait-elle valoir, même si la personne versée dans l'art avait le choix entre de nombreuses possibilités évidentes, toutes les voies qui se présentent sans exercice d'esprit inventif sont évidentes : IVAX, précité, au paragraphe 65i).
[310] La Cour n'est pas convaincue que tous ces principes soient applicables au Canada ou, en tout cas, dans la présente espèce[61]. Le point de vue proposé relativement au choix entre une multiplicité de possibilités évidentes, en particulier, ressemble à s'y méprendre à la théorie de la solution qui « mérite un essai », laquelle, comme nous le disions, ne fait pas partie du droit canadien des brevets.
[311] Les experts sont tous d'accord pour dire que la grande majorité des candidats retenus aux fins du développement d'un médicament échoue – même M. Klibanov, qui quantifie ce taux d'échec à 99,9 %. Cette règle paraît particulièrement applicable au domaine des antipsychotiques, où l'on savait relativement peu de chose sur l'activité concrète de ces médicaments et les raisons pour lesquelles ils produisaient des ESEP ou se révélaient hématotoxiques, comme la clozapine[62].
[312] Dans un tel contexte, la thèse d'Apotex selon laquelle l'olanzapine était un composé évident parmi d'autres se rapproche encore plus, malgré ses dénégations, de la théorie de la solution qui « mérite un essai ».
[313] Cependant, même en admettant l'applicabilité de ces principes, la Cour n'estime pas établi le fait que l'olanzapine fût une possibilité parmi une multiplicité d'autres d'évidence égale.
[314] La Cour a examiné de très près la preuve des experts d'Apotex à la lumière des observations formulées par cette dernière dans son mémoire et du sommaire de son argumentation sur l'évidence utilisé à l'audience. La Cour ne peut en conclure non plus que la personne versée dans l'art serait directement et facilement arrivée à la solution que représente l'olanzapine.
[315] Le nombre des experts cités par Apotex ne l'a guère aidée à cet égard. En fait, MM. McClelland, Castagnoli et Klibanov arrivent tous à l'olanzapine, mais par des voies quelque peu différentes, ce qui, à en juger intuitivement, semble aller à l'encontre du critère applicable, qui exige une solution claire comme de l'eau de roche.
[316] Ces experts s'appuient tous sur l'état de la technique pour expliquer comment ils en sont arrivés à inclure l'olanzapine dans leur liste restreinte de candidats, ou de candidats de réserve, au développement d'un nouveau médicament. Mais la Cour a la nette impression qu'ils ont tous appliqué une sagesse rétrospective.
[317] Monsieur McClelland, utilisant le brevet 687 et le document no 16 (Chakrabarti 1980), est arrivé à un ensemble de douze composés (olanzapine comprise) qui [traduction] « auraient une activité antipsychotique très satisfaisante et des ESEP minimaux ». Cependant, il reconnaît que six seulement de ces douze composés, l'olanzapine non comprise, avaient été effectivement réalisés et testés, et se trouvaient désignés explicitement dans ces publications. Monsieur McClelland reconnaît aussi que le résultat consigné dans le document no 16 donne à penser que l'olanzapine aurait une activité quelque peu inférieure à l'autre composé de méthyl de la liste, c'est‑à‑dire la flumézapine.
[318] Monsieur McClelland n'explique pas de manière satisfaisante comment la personne versée dans l'art saurait que l'olanzapine obtiendrait au test CAT d'aussi bons résultats que ses autres candidats effectivement testés (document no 16). Rien n'indique que ces renseignements aient été publiés avant la date des revendications.
[319] La plupart des experts conviennent qu'un test CAT était nécessaire pour évaluer sommairement le potentiel d'un neuroleptique sous le rapport des ESEP.
[320] Monsieur McClelland ne convainc pas en invoquant la mention d'un [traduction] « index thérapeutique élevé » dans le brevet 687. Il n'est pas contesté que le seul médicament atypique utilisé jusqu'alors était la clozapine. Messieurs McClelland et Castagnoli ont tous deux reconnu qu'à l'époque pertinente, la personne versée dans l'art aurait su que les antipsychotiques atypiques sont rares. Dans ce contexte, comment cette personne aurait-elle pu interpréter le brevet 687 comme affirmant que la classe considérable de composés sur laquelle il portait ne produirait vraisemblablement que des ESEP minimaux?
[321] Comme nous le disions plus haut, les définitions de l'index thérapeutique semblent varier suivant le contexte. La Cour conclut que l'interprétation de M. Nichols est la plus crédible dans ce cas précis[63].
[322] La Cour conclut qu'il n'est pas du tout certain que le brevet 687 aurait amené la personne du métier à prévoir ou à prédire que l'olanzapine ne produirait que des ESEP minimaux, comme le soutient M. McClelland.
[323] Selon M. Castagnoli, sur les centaines de milliers de composés structurés possibles revendiqués dans le brevet 687, le document no 16 indique clairement que seuls huit composés (nos 6, 8, 9, 12, 17, 22, 28 et 29) présentent un grand intérêt, et ils sont tous des analogues structuraux proches de l'olanzapine. Parmi ces composés, de l'avis de M. Castagnoli, l'olanzapine était le choix le plus évident de candidat pouvant remplacer la flumézapine (composé no 9), qui est l'analogue de l'olanzapine fluoré en position 7, et cela parce que le document no 21 (rédigé par M. Sullivan, chez Lilly), publié en 1985, indique qu'il vaut mieux éviter la flumézapine et d'autres composés halogénés.
[324] Cet article divulgue qu'un métabolite thiométhyl a été identifié après que la flumézapine eut été ingérée par des chiens. Les auteurs examinent deux voies par lesquelles ce métabolite aurait pu se former, dont l'une pourrait être associée à une toxicité.
[325] Il vaut la peine de souligner que M. McClelland ne mentionne pas cette publication ni le fait qu'elle inciterait à ne pas utiliser de composés halogénés, même si des renvois précis à ce document étaient présents dans l'avis d'allégation et qu'il aurait clairement incité à choisir un composé non substitué, telle l'olanzapine, si, comme il a été dit, le document incite à ne pas utiliser de composés halogénés.
[326] Dans leurs affidavits en réponse, M. Nichols et M. Szot soulignent que cet article ne mentionne pas que la flumézapine est toxique ni que la formation d'un métabolite thiométhyl est en soi une indication de toxicité. À cet égard, il est noté que même des médicaments couramment utilisés, comme le Tylenol, produisent un tel métabolite. La question de la toxicité est donc directement liée à l'identification de la voie par laquelle le métabolite se forme.
[327] Il ressort clairement du contre‑interrogatoire de M. Castagnoli que celui‑ci est d'accord pour dire que le document no 21 n'est d'aucune façon concluant. Il soulève une question qui n'est toujours pas résolue et dont l'étude, selon M. Castagnoli, serait encore à l'état embryonnaire[64].
[328] Comme l'indique son curriculum vitae, M. Castagnoli a mené des recherches spéciales et s'intéresse particulièrement aux voies métaboliques. Rien n'indique que cet intérêt spécial et les connaissances de M. Castagnoli auraient été partagés par une personne versée dans l'art à l'époque.
[329] La Cour soupçonne aussi que M. Castagnoli aurait été influencé par ses connaissances sur le devenir de la flumézapine lorsqu'il a examiné le document no 21 et a tiré ses conclusions[65]. Il était aussi particulièrement centré sur ce que pensait réellement l'équipe de Lilly[66].
[330] En fait, les activités de l'équipe de recherche de Lilly décrites dans le document no 25 (Chakrabarti 1989) semblent directement contredire les hypothèses de M. Castagnoli sur ce que pensait l'équipe de Lilly. Après 1985, l'équipe a continué d'afficher une préférence évidente pour les composés halogénés.
[331] En ce qui concerne le document no 21, la Cour considère que les éléments mis de l'avant par M. Szot aux paragraphes 6 à 13 de son affidavit en réponse sont particulièrement crédibles.
[332] Ayant rejeté la position d'Apotex relative à l'évidence pour l'olanzapine elle‑même, la Cour doit terminer son examen de la question de l'évidence en considérant les propriétés spéciales de l'olanzapine telles qu'elles sont décrites dans le brevet 113. Comme il a été dit, c'est principalement là que se manifeste la valeur inventive de la sélection. Dans ce contexte, la Cour examinera aussi l'assertion d'Apotex selon laquelle les propriétés de l'olanzapine étaient prévisibles et pouvaient être constatées par une simple vérification.
[333] Encore une fois, il est utile de mentionner qu'en l'espèce, la Cour doit considérer les avantages décrits dans la divulgation. Il lui importe peu de savoir si, de nos jours, l'olanzapine offre aujourd'hui le meilleur profil global décrit dans le brevet 113.
[334] La première étape consiste donc à examiner ce que renferme le brevet. À la fin de l'audience, la Cour avait l'impression que les parties n'étaient pas en désaccord pour ce qui est de l'interprétation du brevet[67]. Elles semblaient s'entendre[68] sur le fait que l'olanzapine était décrite comme un antipsychotique qui, en situation clinique, avait globalement un meilleur profil que les agents antipsychotiques déjà connus (y compris les composés visés par le brevet 687) en raison :
(i) de sa forte activité chez l'homme (meilleure que ce à quoi on s'attendait d'après les tests chez l'animal);
(ii) de ses ESEP minimes;
(iii) de l'élévation faible et temporaire des enzymes hépatiques et de la CPK;
(iv) de l'élévation du taux de prolactine plus faible que celle causée par d'autres médicaments neuroleptiques utilisés actuellement;
(v) de l'absence d'effet sur la numération des leucocytes;
(vi) de l'absence d'augmentation du taux de cholestérol chez le chien (et donc d'un risque plus faible de hausse du taux de cholestérol chez l'homme).
[335] Cependant, au cours d'une conférence téléphonique tenue avec les parties, il est apparu que cela n'était pas le cas pour la cholestérolémie. Dans une lettre complémentaire du 2 avril 2007, Apotex soutient [traduction] « que le brevet 113 pose que l'olanzapine n'entraînerait pas chez l'homme une élévation cliniquement significative du taux de cholestérol ». À cet égard, la défenderesse s'appuie en particulier sur le libellé du premier paragraphe de la page 6 du brevet 113. Elle se réfère aussi au paragraphe 34 de l'affidavit de M. Klibanov, qui porte en fait sur la comparaison entre le composé 222 et l'olanzapine plutôt que sur la question précise des avantages attribués à l'olanzapine elle-même.
[336] En fait, lorsqu'on a demandé à MM. McClelland et Castagnoli lors de leurs contre-interrogatoires de donner une interprétation à première vue du brevet, ils ont tous deux semblé le comprendre comme posant que l'olanzapine n'élevait pas le taux de cholestérol chez les chiens.
[337] Quoi qu'il en soit, la Cour n'a pas à se prononcer de manière définitive sur cette question. Dans les faits, même si la Cour adoptait, aux seules fins de la présente espèce, l'interprétation proposée par Apotex, elle ne conclurait pas que son allégation d'évidence soit fondée.
[338] Cela dit, quels éléments de preuve la Cour peut-elle prendre ici en considération?
[339] À la question de savoir comment la Cour devrait utiliser les publications et réalisations postérieures énumérées dans l'AA et sur lesquelles ses experts avaient fondé leurs opinions touchant l'évidence des avantages exposés dans le brevet, Apotex a répondu que, si la question de l'évidence doit se trancher sur la base de l'état de la technique à la date des revendications, aucune règle de preuve n'empêche de prime abord de tenir compte des publications et réalisations postérieures dans cette analyse. [traduction] « Comme tout autre élément de preuve, les publications et réalisations postérieures doivent être probantes à l'égard d'une question en litige, laquelle est, en l'occurrence, l'état de la technique à l'époque pertinente » : Abbott Laboratories Ltd. c. Nu-Pharm Inc., no A‑84‑98, 28 septembre 1998, 83 C.P.R. (3d) 441 (C.A.F.), aux paragraphes 4 à 17, et Merck-Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), no T‑1502‑96, 18 décembre 1998, 84 C.P.R. (3d) 492 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 32, conf. par no A‑39‑99, 27 juin 2000, 8 C.P.R. (4th) 48, au paragraphe 8 (C.A.F.).
[340] La Cour souscrit à ce principe, mais il ne semble guère s'appliquer à la présente espèce. Il ne pourrait certainement pas justifier la prise en considération de la connaissance des propriétés de l'olanzapine acquise après la date des revendications. L'examen desdites publications et réalisations postérieures convainc la Cour qu'elles ne sont pas pertinentes à l'égard des questions à trancher sous la rubrique de l'évidence[69].
[341] Comme on l'a vu plus haut, la plupart des experts étaient d'accord pour dire qu'il était rare, et qu'il l'est encore, de trouver un médicament antipsychotique à ESEP minimaux[70], sans parler d'un tel médicament qui serait suffisamment actif[71] pour traiter une maladie grave telle que la schizophrénie et qui ne produirait pas de troubles hématologiques comme la clozapine ni d'hépatotoxicité comme la flumézapine.
[342] Le Dr Williams, témoin particulièrement crédible touchant les effets secondaires des antipsychotiques, explique qu'à l'époque pertinente, on croyait en général que tous les antipsychotiques entraîneraient normalement une élévation du taux de prolactine. Il ajoute qu'on ignorait, jusqu'à la publication du brevet 113, que les antipsychotiques puissent élever le taux de cholestérol[72].
[343] Enfin, la Cour note que M. Castagnoli a confirmé lors de son contre‑interrogatoire que, si toutes choses étaient égales entre le composé 222 et l'olanzapine (il n'existe aucun élément tendant à prouver que le composé 222 présente en aucune façon un meilleur profil que l'olanzapine), la différence sous le rapport du taux de cholestérol constaté chez les chiennes suffirait pour que lui ou la personne versée dans l'art retienne l'olanzapine de préférence au composé 222.
[344] Les experts d'Apotex n'ont guère présenté d'éléments de preuve de valeur sur la question de savoir si la personne versée dans l'art jugerait substantiels les avantages exposés dans le brevet 113. En fait, la plupart des observations de ces experts sont faussées par leur connaissance ou leur prise en considération d'informations dont ne disposait pas la personne versée dans l'art à l'époque pertinente, telles que l'association de l'olanzapine à la prise de poids, son association possible au diabète, les niveaux de triglycérides plus élevés, etc. Même la monographie du Zyprexa n'était pas à la disposition de la personne versée dans l'art à l'époque pertinente et ne devrait pas être prise en compte.
[345] La découverte du fait que l'olanzapine présentait un profil d'effets secondaires plus satisfaisant n'exigeait-elle qu'une simple vérification? La position d'Apotex sur ce sujet se fonde sur les éléments établissant que les tests utilisés par l'inventeur et l'ensemble du processus de recherche qu'il a suivi étaient connus et n'étaient pas des nouveautés scientifiques. Or, comme nous le disions à la section intitulée « Principes généraux », la différence entre la vérification et la recherche empirique ne dépend pas de la question de savoir si l'inventeur a dû concevoir un nouveau test pour découvrir les propriétés du composé sélectionné.
[346] En réponse à une question sur le document no 25 (Chakrabarti 1989)[73], M. Castagnoli a défini le processus de découverte d'un médicament comme un ensemble complexe d'essais qui dépasse de beaucoup les tests divulgués dans ce document. Selon lui, tous les tests dont parlent les publications énumérées dans l'AA ne feraient que contribuer à établir si les composés analysés présentent un intérêt pharmacologique. Comme il a été dit plus haut, on ne savait pas grand-chose sur la manière exacte dont ces médicaments agissaient et les raisons pour lesquelles ils entraînaient de graves effets toxiques tels que troubles hématologiques, augmentation des taux d'enzymes hépatiques ou ESEP[74].
[347] Monsieur McClelland a expressément fait remarquer que [traduction] : « Malgré le temps écoulé depuis (je parle évidemment de la période postérieure à 1990), on est encore en train de se faire une idée plus précise de ce qui cause aussi bien l'effet antipsychotique que les symptômes extrapyramidaux, et la question est toujours débattue. Je pense que, le temps aidant, le chimiste médical pourrait devenir capable de concevoir des composés en sachant qu'ils auront un effet et non l'autre. »
[348] Enfin, il est évident que, malgré sa connaissance approfondie de ce qu'enseignaient, entre autres, le brevet 687 et les documents nos 16, 17 et 18, l'équipe de Lilly ne pouvait prévoir que l'éthylflumézapine entraînerait de la toxicité sanguine ou que la flumézapine causerait certains ESEP à une dose inférieure au seuil d'efficacité, ainsi qu'une augmentation des taux d'enzymes hépatiques (hépatotoxicité)[75].
[349] Dans l'ensemble, la recherche qui a conduit à la découverte des avantages en question de l'olanzapine est analogue à celle que décrit Beecham, précité, relativement à la nouvelle pénicilline.
[350] La Cour conclut que la découverte des avantages particuliers de l'olanzapine exigeait une recherche empirique et constituait une activité inventive.
[351] En outre, vu l'ensemble de la preuve, la Cour ne doute pas que le profil global d'effets secondaires décrit dans le brevet 113 témoigne d'un avantage substantiel du composé sélectionné par rapport aux autres membres de la classe faisant l'objet du brevet 687, ainsi qu'à d'autres agents antipsychotiques connus.
Les indices secondaires
[352] Le titulaire du brevet peut invoquer ce qu'on appelle des indices secondaires pour étayer la thèse que son invention n'était pas évidente. Notre cour a décrit à d'autres occasions ces facteurs secondaires. Par exemple, la juge Elizabeth Heneghan a récemment proposé le résumé suivant du droit à cet égard dans CertainTeed Corporation c. Canada, no T‑496‑05, 4 avril 2006, 2006 CF 436, [2006] A.C.F. no 535 (QL) :
[42] Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.), à la page 555, la Cour fédérale a énuméré plusieurs facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si un brevet est évident. Un brevet ne sera pas considéré comme évident si :
1. le dispositif est nouveau et supérieur à ce qui était disponible jusqu'alors;
2. depuis lors, il a été largement utilisé de préférence à d'autres dispositifs;
3. les concurrents ainsi que les experts dans ce domaine n'avaient jamais songé à la combinaison;
4. la première publication a causé l'étonnement;
5. le succès commercial.
Même si pris isolément, aucun de ces facteurs ne détermine nécessairement la question de l'évidence, il est possible d'examiner leur effet cumulatif.
[43] L'idée que le succès commercial étaye la présomption d'inventivité a été analysée dans l'arrêt Windsurfing International Inc. c. Trilantic Corporation (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.). Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, la Cour a conclu que si les membres d'un secteur d'activité se heurtent à un problème sans trouver de solution, c'est la preuve que l'invention n'était pas évidente.
[353] Lilly affirme avoir produit une preuve suffisante pour établir l'existence, dans la présente espèce, d'indices secondaires étayant la non-évidence de son invention : le succès commercial (c'est‑à‑dire des ventes considérables), la satisfaction d'un besoin de longue date, le fait que la découverte de l'olanzapine ait été saluée par la profession (comme en témoignent les prix décernés), et le fait qu'on veuille imiter ce composé (Apotex et divers autres fabricants américains de médicaments génériques essaient de le produire).
[354] Apotex répond que le succès commercial qu'invoque Lilly s'explique principalement par une activité intense de mise en marché et par une « importante » utilisation non indiquée sur l'étiquette.
[355] La Cour conclut qu'il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur de tels indices pour conclure au caractère infondé de l'allégation d'évidence.
[356] Cela dit, la Cour ajoute que Lilly l'a convaincue que l'on sentait effectivement depuis longtemps le besoin d'un autre médicament antipsychotique atypique[76]. Bien que les connaissances exposées dans le brevet 687 et les autres publications antérieures qu'invoque l'AA étaient disponibles depuis longtemps déjà, il a fallu plus de dix ans pour sélectionner un composé satisfaisant parmi les membres du genre visé par ce brevet.
[357] De plus, exception faite de l'olanzapine, tous les membres de la classe considérable revendiquée par le brevet 687 sont maintenant dans le domaine public depuis plus de dix ans. Or, aucun élément de preuve ne donne à penser qu'on aurait découvert dans aucun de ces composés la totalité des propriétés que décrit le brevet 113, notamment dans le composé 222, qui, selon Apotex et en particulier M. Klibanov, était le membre le plus prometteur de ce genre.
[358] Apotex a avancé de nombreux arguments valables qui diminuent la valeur probante du succès commercial de l'olanzapine. Cependant, même si l'on accepte ces arguments, il reste évident que le profil global de ce médicament est un facteur essentiel de son succès.
7) Le double brevet
[359] La Cour d'appel fédérale explique comme suit le concept du « double brevet » dans l'arrêt Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., no A‑155‑05, 21 juin 2006, 2006 CAF 229, [2006] A.C.F. no 980 (QL) :
Le concept du « double brevet » renvoie à une certaine jurisprudence élaborée pour empêcher les « renouvellements à perpétuité » des brevets. Le renouvellement à perpétuité est le prolongement indu du monopole conféré par la loi au breveté grâce à des brevets successifs obtenus par des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37).
Jusqu'à présent, la jurisprudence a défini deux catégories de double brevet. Dans la première catégorie, celle du « brevet pour la même invention », deux brevets sont identiques ou il y a « identité » des revendications des deux brevets. La seconde catégorie, celle du « double brevet relatif à une évidence », a une portée un peu plus large. Dans ce type de double brevet, il n'y a pas « identité » des revendications des deux brevets; cependant le dernier brevet comporte des revendications qui ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles de l'autre brevet, ou ne comporte aucune nouveauté ou ingéniosité.
[360] Apotex soutient que le brevet 113 est invalide au motif du double brevet. Selon elle, on trouve dans la présente espèce les deux formes du double brevet par rapport au brevet 687. Dans le reste de sa plaidoirie, cependant, Apotex n'invoque que le double brevet relatif à une évidence et se fonde sur les mêmes moyens et les mêmes antériorités que ceux qu'elle a fait valoir relativement à l'évidence.
[361] La juge Sharlow notait au paragraphe 69 de Pharmascience que l'exemple classique de double brevet relatif à une évidence est l'arrêt Commissaire aux brevets c. Farbwerke Hoechst Aktien-Gesellschaft vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49.
[362] La question du double brevet a récemment été soulevée dans Apotex c. Sanofi‑Synthelabo, précité. La Cour d'appel a rejeté cet argument en formulant succinctement ses motifs comme suit, au paragraphe 46 :
Pour répondre brièvement à cet argument, précisons qu'on invoque à son égard les mêmes antériorités que pour les arguments relatifs à l'antériorité et à l'évidence. Puisque l'examen de ces arguments a débouché sur la conclusion que les brevets 875 et 777 portaient sur des composés distincts, il ne peut y avoir « double brevet ».
[363] Comme j'ai constaté à la suite de mon analyse des moyens d'Apotex que l'état de la technique cité dans l'AA et invoqué dans les divers affidavits d'experts produits devant moi ne constitue pas une antériorité ni n'établit l'évidence de l'olanzapine et de ses avantages pour le traitement de la schizophrénie, la Cour conclut qu'il ne peut y avoir double brevet dans la présente espèce.
[364] La Cour est arrivée à cette conclusion après avoir examiné et rejeté l'argument d'Apotex suivant lequel le raisonnement suivi par la Cour d'appel dans Apotex c. Sanofi‑Synthelabo, précité, ne s'appliquerait pas à la présente instance au motif d'une distinction fondée sur les faits. Malgré les différences évidentes qui séparent ces deux affaires, il n'y a aucune raison de ne pas adopter ici un raisonnement semblable.
8) L'article 53
[365] Apotex soutient que Lilly a délibérément omis d'informer l'examinateur d'antériorités pertinentes et qu'elle lui a communiqué, au sujet de l'étude comparative sur chiens (voir la ligne 25 de la page 5 du brevet 113), des renseignements qui induisent en erreur pour diverses raisons liées à la pertinence du modèle canin, à la qualité de l'étude et à sa signification statistique.
[366] Apotex a pratiquement admis ne posséder aucun élément de preuve directe de l'intention qu'aurait eue Lilly d'induire le commissaire aux brevets en erreur, mais elle fait valoir qu'on peut déduire une telle intention de la preuve produite dans la présente espèce, qui établit selon elle que l'information en question induit en fait en erreur.
[367] L'article 53 de la Loi sur les brevets est libellé comme suit :
[368] La jurisprudence relative à cet article de la Loi est plutôt mince. Dans l'arrêt Wellcome, le juge Binnie a simplement noté au paragraphe 94 que la partie alléguant une déclaration inexacte doit établir que celle‑ci était « importante » et était « volontairement faite pour induire en erreur ».
[369] Lilly invoque à ce propos une décision de notre cour, soit Bourgault Industries Inc. c. Flexi‑Coil, no T‑2413‑95, 27 février 1998, 80 C.P.R. (3d) 1, [1998] A.C.F. no 264. S'il est vrai que cette affaire est un exemple utile de l'attitude qu'adopte généralement la Cour à l'égard des allégations fondées sur l'article 53, elle ne portait pas sur un brevet de sélection, dont l'exposé (comme il a été dit plus haut) doit indubitablement spécifier l'avantage de l'invention (ou le désavantage qu'elle permet d'éviter). Or, il ne fait aucun doute pour la Cour que Lilly a poursuivi la demande du brevet en litige, et que l'examinateur l'a l'administrée, en tant que demande de brevet de sélection.
[370] Les déclarations de Lilly touchant son étude sur chiens étaient donc importantes dans le contexte de la demande du brevet en litige, car elles visaient manifestement à décrire le désavantage que le composé sélectionné permettait d'éviter.
[371] Lilly fait valoir que l'étude sur chiens n'était pas une description ou un exposé de l'avantage (ou du désavantage évité), mais plutôt un élément tendant à établir son existence. La Cour ne peut accepter cet argument. Lilly aurait en effet pu n'employer que des mots pour décrire les avantages du composé sélectionné, par exemple en disant qu'il présentait un plus faible risque d'élévation du taux de cholestérol chez l'homme. Or, elle a jugé bon de faire référence à l'étude elle-même pour décrire cet avantage.
[372] En ce qui a trait aux antériorités dont Lilly aurait omis d'informer l'examinateur, la Cour fait d'abord remarquer qu'Apotex n'a pas établi qu'en droit canadien, le demandeur de brevet soit tenu de produire toutes les antériorités dont il a connaissance.
[373] En fait, selon la preuve de Kevin Murphy, témoin de Lilly, que la Cour accepte, une telle obligation n'existe pas en pratique. Qui plus est, selon l'article 29 des Règles sur les brevets, c'est l'examinateur qui définit, dans sa ou ses demandes de renseignements, ce que le demandeur de brevet doit lui communiquer.
[374] Dans la présente espèce, l'examinateur a demandé communication des antériorités citées dans la poursuite de la demande de brevet aux États-Unis et trouvées en Europe. Eli Lilly s'est manifestement conformée à cette exigence. En produisant la page couverture du brevet américain correspondant, Lilly a communiqué l'existence du document « Chakrabarti 1980 » et du rapport de recherche européen, qui mentionnait le brevet 687 comme brevet canadien correspondant au brevet britannique expressément cité par Lilly dans sa demande[77]. Aucun élément de preuve ne donne à penser que Lilly, avant l'introduction aux États-Unis de l'action où ils ont été cités, aurait eu connaissance ou aurait dû nécessairement avoir eu connaissance de l'« article de M. Schauzu » et des autres documents d'antériorité qu'Apotex s'est contentée de produire en preuve par la voie de l'affidavit d'une dénommée Mme Ellis, technicienne juridique chez Goodmans.
[375] Face à un tel dossier, la Cour n'a même pas à se poser la question de savoir si l'on peut en déduire une intention d'induire en erreur. Apotex ne s'est manifestement pas acquittée de son fardeau de présentation (défini plus haut), de sorte que la présomption de validité n'a pas été réfutée.
[376] Pour ce qui concerne l'étude comparative sur chiens, Apotex n'a guère proposé d'éléments de preuve crédibles pour étayer ses allégations. Ses experts ont à l'évidence spéculé en se fondant sur des faits qui ne sont pas devant la Cour. Par exemple, il n'a pas été produit de preuve touchant la hasardisation, le régime alimentaire, le cycle oestral ou la santé des sujets canins[78].
[377] Aucun élément de preuve ne tend à établir que Lilly savait, à l'époque pertinente, que le modèle canin ne convenait pas, que son étude était viciée ou que les résultats de celle‑ci étaient non significatifs.
[378] En fait, la Cour accepte la preuve de MM. Szot et Bauer comme quoi le chien, animal résistant à la cholestérolémie, était un modèle reconnu à l'époque pour ce genre d'étude. Il est également à noter à ce propos que l'expert d'Apotex n'a pas déclaré qu'une autre espèce animale était plus reconnue ou convenait mieux comme modèle.
[379] Ce qui précède ne signifie pas que les résultats de l'étude canine s'appliquent à l'homme, ni même que le modèle alors reconnu soit en fait un modèle valable[79]. Même si le chien n'était pas un modèle reconnu ou un modèle valable de facto dans le cas qui nous occupe, Lilly paraît certainement avoir cru qu'il l'était, étant donné les éléments de preuve qui établissent clairement qu'elle a eu recours à des études canines pour tester d'autres composés tels que la flumézapine et l'éthylflumézapine, ainsi que d'autres substances faisant l'objet de Chakrabarti 1989 (document no 25).
[380] Lilly a même mis fin au développement de l'éthylflumézapine sur la seule base d'une étude canine. À cet égard, elle a indubitablement joint l'acte à la parole. Tout cela, bien avant la découverte de l'olanzapine.
[381] Comme nous le disions plus haut, il n'existe aucun élément de preuve directe que Lilly ait cherché à induire en erreur sciemment. Il est également évident que la Cour ne peut déduire du dossier de preuve produit par Apotex une intention de tromper. Comme il a aussi été dit plus haut, c'est là un élément essentiel pour établir la validité de l'allégation avancée par Apotex sous le régime de l'article 53. Par conséquent, la Cour n'est pas d'avis qu'Apotex se soit acquittée de son fardeau de présentation et que la présomption de validité soit réfutée.
[382] Quoi qu'il en soit, vu l'ensemble de la preuve, la Cour conclut que cette allégation n'est pas fondée.
9) Conclusion
[383] Lilly a établi que les allégations de droit de l'AA ne sont pas fondées. En conséquence, la Cour accueille ses demandes en interdiction.
[384] Les parties ont présenté des observations approfondies sur les dépens, lesquels, ainsi que nous le disions plus haut, feront l'objet d'une ordonnance distincte.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. que les demandes en interdiction sont accueillies.
2. que la question des dépens fera l'objet d'une ordonnance distincte.
« Johanne Gauthier »
Juge
Traduction certifiée conforme
Yves Bellefeuille, réviseur
ANNEXE A : Liste des experts et des autres auteurs d'affidavits
Pour Apotex
Daniel A. Bloch, Ph. D. (expert en statistique pour Apotex)
Monsieur Bloch est professeur au Département de recherche et de politiques en matière de santé, Division de la biostatistique, de l'Université Stanford. C'est un universitaire et un statisticien extrêmement compétent qui a présenté des exposés lors de nombreux événements prestigieux. Depuis 1987, il est consultant spécial pour des entreprises pharmaceutiques et biotechniques.
William J. Brock, Ph. D. (expert en toxicologie pour Apotex)
Monsieur Brock est membre du conseil d'administration de l'American Board of Toxicology. Il a travaillé comme toxicologue et consultant pour les industries médicale, chimique et pharmaceutique en plus d'avoir de l'expérience dans la conception d'études. Il compte de nombreuses publications sur ces sujets. Actuellement, il est professeur adjoint à la University of Medicine and Dentistry du New Jersey.
Neal Castagnoli, Ph. D. (expert en toxicologie et en neurochimie pour Apotex)
Monsieur Castagnoli est professeur de chimie à l'Université Virginia Tech. C'est un éminent chercheur et universitaire. Il a conseillé d'importants organismes publics et a reçu des subventions généreuses des National Institutes of Health (NIH). Il a aussi obtenu pour ses travaux du financement de l'OTAN, de certains instituts de maladies et de l'industrie du tabac. C'est un expert en toxicologie biochimique et en neurochimie.
Jonathon S. Dordick, Ph. D. (expert en génie chimique et biologique pour Apotex)
Monsieur Dordick est professeur de génie chimique et biologique au Département de biologie du Rensselaer Polytechnic Institute à Troy, dans l'État de New York. Il a été cofondateur d'entreprises vouées à la découverte de médicaments et a fait partie de conseils scientifiques consultatifs de diverses entreprises pharmaceutiques et chimiques. Il est également consultant pour diverses entreprises pharmaceutiques et chimiques. En tant qu'étudiant diplômé, il semble avoir été dirigé par un autre expert d'Apotex, M. Klibanov. Globalement, son curriculum vitae et ses compétences ne sont pas aussi impressionnants que ceux des autres experts dans cette affaire.
Megan Ellis (technicienne juridique chez Goodmans)
Madame Ellis a présenté les avis d'allégation (datés du 16 décembre 2004 et du 21 mars 2005) et les documents d'Apotex no 1 à 63.
Le Dr Michael Jenike (expert en psychopharmacologie pour Apotex)
Le Dr Jenike est un médecin doué qui est professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine de l'Université Harvard.
Alexander M. Klibanov, Ph. D. (expert en chimie médicale et en formulation de médicaments pour Apotex)
Monsieur Klibanov est professeur de chimie et de génie biologique au MIT. Il est très qualifié dans son domaine et a publié de nombreux articles et reçu de nombreux prix. Il est membre d'un certain nombre d'associations prestigieuses.
Michael Mayersohn, Ph. D. (expert en pharmacocinétique, en biopharmaceutique et en pharmaceutique pour Apotex)
Monsieur Mayersohn est professeur de sciences pharmaceutiques à l'Université de l'Arizona. Il s'intéresse à la biodisponibilité orale et à la caractérisation pharmacocinétique des médicaments et des métabolites chez l'animal et l'homme. La pharmacocinétique est l'étude des façons dont l'organisme absorbe, distribue, métabolise et excrète les médicaments. Ses réalisations ne sont pas aussi marquantes que celles de certains autres auteurs d'affidavits, mais il est professeur depuis longtemps et a beaucoup publié dans son domaine.
Robert McClelland, Ph. D. (expert en chimie et en chimie médicale pour Apotex)
Monsieur McClelland est professeur au Département de chimie de l'Université de Toronto. Ses réalisations sont très impressionnantes. Il est considéré comme un expert mondial en chimie biologique et en chimie organique physique et a obtenu des prix prestigieux. Il est expert dans les domaines de la substitution nucléophile (qui consiste à faire changer de position des atomes d'halogènes dans des liens carbone-halogène) et de la synthèse de nouveaux analogues. Il a mené des recherches pour synthétiser de nouveaux médicaments en vue d'essais cliniques.
Timothy R. Nagy, Ph. D. (expert en sciences de la nutrition pour Apotex)
Monsieur Nagy est professeur agrégé et directeur de la Division de la physiologie et du métabolisme au Département des sciences de la nutrition de l'Université de l'Alabama. Il a publié de nombreux articles et a souvent présenté des exposés sur la relation entre la composition de l'organisme et les états pathologiques chez des modèles animaux et chez l'homme. Il étudie actuellement, au moyen d'un modèle animal, la façon dont les médicaments atypiques (dont l'olanzapine) induisent un gain de poids et la résistance à l'insuline.
Gerald O. S. Oyen (avocat et agent de brevets qui appuie Apotex)
Maître Oyen est associé au cabinet Oyen Wiggs Green & Mutula de Vancouver. Il exerce depuis 1967 dans le domaine du droit des brevets et de la propriété intellectuelle et est agent de brevets depuis 1968.
Pour Eli Lilly
John E. Bauer, Ph. D. (expert dans les domaines des petits animaux et de la nutrition des animaux et dans le domaine du cholestérol pour Eli Lilly)
Monsieur Bauer est professeur de sciences cliniques – petits animaux à l'Université Texas A&M. Il occupe un poste de professeur spécial en nutrition clinique des petits animaux. Il étudie le métabolisme du cholestérol et des lipides sériques chez le chien, le chat et d'autres espèces. Il a reçu des subventions des NIH, a publié beaucoup d'articles et a prononcé nombre d'exposés sur le métabolisme du cholestérol chez des animaux de compagnie tel le chien. Grâce à ses recherches, il a aussi acquis des connaissances sur les effets du cholestérol sur la santé humaine.
Robert Burk, Ph. D. (expert en chimie pour Eli Lilly)
Monsieur Burk est un chimiste qui enseigne à l'Université Carleton. Il est actuellement directeur du College of Natural Sciences.
Carlo J. Di Fonzo, Ph. D. (vice-président adjoint – affaires réglementaires chez Eli Lilly)
Monsieur Di Fionzo s'occupe des rapports à transmettre sur les médicaments approuvés par Santé Canada. Il est chargé de fournir des comptes rendus sur les problèmes de santé potentiels associés aux médicaments de Lilly.
David S. Forman (avocat américain d'Eli Lilly)
Maître Forman et son cabinet ont représenté Lilly dans le litige aux États‑Unis relatif au brevet de Lilly visant l'olanzapine.
Le Dr Mark Goldberg (pharmacologue clinique pour Eli Lilly)
Le Dr Goldberg est un médecin qui travaille pour Eli Lilly. Il était responsable des essais cliniques sur l'olanzapine menés en 1986 et 1987. Son affidavit concerne uniquement la question de savoir si ces essais étaient ou non « publics ».
Kevin Murphy (agent de brevets qui appuie Eli Lilly)
Monsieur Murphy est agent de brevets au bureau montréalais d'Ogilvy Renault. Il a rédigé des articles sur les brevets canadiens et se spécialise dans les brevets dans le domaine des produits chimiques et pharmaceutiques et dans des domaines connexes.
Rama Chandran Nair, Ph. D. (expert en épidémiologie et en biostatistique pour Eli Lilly)
Monsieur Nair n'a pas déposé d'affidavit principal. Il est professeur à l'Université d'Ottawa et occupe provisoirement le poste de chef du Département d'épidémiologie et de médecine sociale. Il agit aussi à titre de consultant pour le ministère de la Santé de l'Ontario sur des questions de qualité des médicaments et de thérapeutique.
David E. Nichols, Ph. D. (expert en chimie et en pharmacologie pour Eli Lilly)
Monsieur Nichols est professeur de chimie médicale et de pharmacologie moléculaire à l'Université Purdue. Il se spécialise dans les mécanismes d'action des médicaments sur le cerveau et s'intéresse depuis peu à la schizophrénie. Il est expert dans les molécules médicamenteuses et la conception de médicaments. Il est cofondateur d'une petite entreprise qui effectue actuellement des essais cliniques sur la schizophrénie. Il affirme que l'olanzapine fait partie de son domaine d'expertise.
Ian Alexander Pullar, Ph. D. (chercheur pour Eli Lilly)
Monsieur Pullar est un chercheur à la retraite qui a travaillé pour Lilly pendant 30 ans. Il a aussi été corédacteur de plusieurs articles liés à l'état antérieur de la technique dont il est question dans l'avis d'allégation.
Nancy Schuurmans (technicienne juridique chez Gowlings, au nom d'Eli Lilly)
Madame Shuurmans a présenté l'avis d'allégation soumis par Apotex ainsi que plusieurs pièces. Elle a expliqué pourquoi deux dossiers distincts étaient nécessaires dans cette affaire.
Robert J. Szot, Ph. D. (expert en toxicologie pour Eli Lilly)
Monsieur Szot compte des dizaines d'années d'expérience dans les essais sur divers médicaments visant à déterminer leur toxicité et leur seuil thérapeutique. Il est titulaire d'un diplôme en toxicologie de l'Université Harvard et a travaillé pour de nombreuses entreprises pharmaceutiques. Depuis 1996, il est consultant auprès d'entreprises dans le domaine de la toxicologie lors de la mise au point de médicaments.
Ronald Thisted, Ph. D. (expert en statistique et en conception et analyse d'essais cliniques pour Eli Lilly)
Monsieur Thisted est chef du Département des études sur la santé de l'Université de Chicago. Il est aussi professeur de statistique ainsi que d'anesthésie et de soins critiques. Il enseigne aux étudiants en médecine et à d'autres personnes les méthodes de conception et d'analyse des essais cliniques. Monsieur Thisted est très doué. Il est membre d'associations scientifiques prestigieuses et a publié des articles dans des revues de premier ordre comme le New England Journal of Medicine et The Lancet.
Le Dr Richard Williams (expert en psychiatrie et en schizophrénie pour Eli Lilly)
Le Dr Williams est professeur de clinique au Département de psychiatrie de l'Université de la Colombie‑Britannique. Il a obtenu un diplôme en médecine et est directeur du programme sur la schizophrénie dans un hôpital de Victoria. Il a publié nombre d'articles dans les domaines de la psychiatrie et de la schizophrénie, a reçu des prix et est membre d'associations professionnelles et de sociétés savantes.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : T‑156‑05 ET T‑787‑05
INTITULÉ : ELI LILLY CANADA INC. et
APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
ELI LILLY AND COMPANY LIMITED
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATES DE L'AUDIENCE : DU 19 AU 27 FÉVRIER 2007 (7 JOURS)
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS : LE 27 AVRIL 2007
COMPARUTIONS :
Anthony Creber Jay Zakaib John Norman Cristin Wagner
|
POUR LA DEMANDERESSE, ELI LILLY CANADA INC. |
H. B. Radomski Andrew R. Brodkin Richard Naiberg Sorelle A. Simmons
|
POUR LA DÉFENDERESSE, APOTEX INC. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L. Ottawa (Ontario)
|
|
Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
[1] La Cour prend acte du fait qu'avant qu'Apotex n'ait signifié le premier avis d'allégation à l'égard de l'olanzapine, Lilly avait intenté aux États‑Unis à d'autres fabricants de médicaments génériques un procès concernant des questions relatives à la contrefaçon et à l'invalidité d'un brevet correspondant. Un bon nombre des questions soulevées dans l'avis d'allégation sont identiques ou très semblables à des questions soulevées par les défendeurs à ce procès. Le juge américain de première instance a rendu sa décision en avril 2005. Il a conclu que le brevet en cause était valide, et il a rejeté les arguments fondés sur l'évidence, l'antériorité et le double brevet, ainsi que l'allégation d'inconduite envers l'office américain des brevets (U.S. Patent Office). La Cour d'appel du circuit fédéral américain a récemment confirmé cette décision. S'il est vrai que notre cour a accepté d'examiner les documents relatifs à ce procès, elle a avisé les parties que l'objet des instances relatives à un AC est très différent de celui du procès américain. La preuve dont je suis saisie est elle aussi extrêmement différente, même si certains des témoins experts de Lilly dans le procès américain ont déposé des affidavits dans la présente espèce. Inutile de dire que la Cour n'est pas liée par les décisions de cette nature.
[2] En 1989 ou vers cette année-là.
[3] Ces composés (à l'exception de l'olanzapine) sont du domaine public depuis l'expiration du brevet 687, en avril 1995.
[4] Le nombre de composés privilégiés qui renferment de l'olanzapine est d'au moins 122 000.
[5] c.‑à‑d. efficaces contre les nausées ou les vomissements.
[6] La Cour note l'utilisation dans le brevet du mot « mammifère » pour décrire la posologie. Il semble donc que dans le brevet 687, on envisageait l'utilisation des composés chez l'animal, dans des applications sur le SNC autres que le traitement antipsychotique, étant donné que selon la preuve, seul l'homme souffre de schizophrénie ou de maladies mentales similaires.
[7] En fait, malgré leurs ressemblances apparentes, la flumézapine et l'éthylflumézapine provoquent des effets secondaires très différents.
[8] Fritz Hunziker et al., « Neuroleptic piperazinyl derivatives of 1OH-thieno [2,3-C][1]benzazepines » (1981), 5 European Journal of Medical Chemistry.
[9] Jiban K. Charkrabarti et al., « 4‑Piperazinyl‑10H-thieno[2,3‑b][1,5]Benzodiazepines as Potential Neuroleptics » (1980), Vol. 23, No. 8, Journal of Medicinal Chemistry.
[10] Dans « Chakrabarti 1980 », ibid., les auteurs ont mené des expériences sur trois types de composés dont la structure était visée par le brevet 687. La première structure décrite est celle qui ressemble le plus à l'olanzapine. Les auteurs ont testé 45 variations de la première version, 3 de la deuxième et 11 de la troisième.
[11] Cette information n'avait pas été rendue publique à la date des revendications. Il semble qu'elle aurait été divulguée pour la première fois dans une lettre adressée à l'examinateur du brevet en 1997.
[12] L'échelle AIMS (Abnormal Involuntary Movement Scale) est décrite dans le brevet 113 comme une échelle bien connue pour évaluer les symptômes extrapyramidaux.
[13] Jiban K. Chakrabarti et al., « 10-Piperazinyl-4H-thieno[3,2-b][1-5]benzodiazepines as Potential Neuroleptics » (1980), Vol. 23, No. 8, Journal of Medicinal Chemistry.
[14] Jiban K. Chakrabarti et al., « Effects of Conformationally Restricted 4-Piperazinyl-10H‑thienobenzodiazepine Neuroleptics on Central Dopaminergic and Cholinergic Systems » (1982), Vol. 25, No. 10, Journal of Medicinal Chemistry.
[15] Jiban K. Chakrabarti et al., « Synthesis and Pharmacological Evaluation of a Series of 4-Piperazinylpyrazolo[3,4b]-and-[4,3-b][1-5]benzodiazepines as Potential Anxiolytics » (1989), Vol. 32, No. 12, Journal of Medicinal Chemistry. (Cet article traite de l'activité anxiolytique et anti‑dopaminergique d'une série différente de composés. Rien n'indique si ces composés sont visés par le brevet 687 ou sont simplement liés aux composés de thiénobenzodiazépine.)
[16] Demande de brevet américain, publication no 2004/0063694 A1 (document no 29 d'Apotex).
[17] Apotex a confirmé à l'audience qu'elle n'invoquerait pas la demande de brevet de la société IVAX (ibid.). Lilly a fait valoir que cette demande avait été déposée par l'avocat interne d'un fabricant de médicaments génériques qui contestait une action en contrefaçon liée au brevet américain correspondant au brevet 113. L'étude de MPI Research, Inc. dont il sera question plus loin dans le présent exposé paraît avoir été commandée par ce fabricant américain de médicaments génériques.
[18] À la page 41 de son AA, Apotex précise que ses allégations concernant les études canines sont fondées sur l'hypothèse qu'il s'agit des mêmes que celles dont les résultats ont été déposés lors de la poursuite liée au brevet américain correspondant, soit le brevet no 5 229 382 (document no 1A d'Apotex), résultats auxquels Apotex avait manifestement accès.
[19] Kristina I. Melkersson et al., « Elevated Levels of Insulin, Leptin, and Blood Lipids in Olanzapine-treated Patients with Schizophrenia or Related Psychoses » (2000), 61:10 Journal of Clinical Psychology.
[20] Document d'Apotex no 58 : Elkis H. et al., (résumé) « Weight Gain, Glucose, Cholesterol and Triglycerides Elevations: A Comparison between Haloperidol, Clozapine and Olanzapine » (2003), Vol. 60, Schizophrenia Research.
[21] Document no 19 d'Apotex : H.G. Schauzu et al., « A Free-Wilson Study of 4-Piperaziny-10-thienobenzodiazepine Analogues » (1983), vol. 38:8 Die Pharmazie.
[22] Document no 27 d'Apotex : G.S. Hagopian et al., « Teratology Studies of LY170053 in Rats and Rabbits » (1987), vol. 35:2 The International Journal of Abnormal Development.
[23] Le brevet américain no 3 951 981, délivré le 20 avril 1976.
[24] Cité plus haut, à la note 13.
[26] Cité plus haut, à la note 21.
[27] Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, paragraphe 53(1).
[29] Cités plus haut, aux notes 9 et 14.
[31] Apotex a confirmé à l'audience que, bien qu'elle croie que la [traduction] « sélection comme moyen de défense » n'est véritablement pertinente qu'à l'égard de l'antériorité, il serait sans effet concret sur le fond que la Cour conclue qu'elle constitue en fait également un moyen de défense à ses autres allégations de droit.
[33] La Cour ne souscrit pas à la thèse d'Apotex selon laquelle absolument aucun des membres non sélectionnés du genre ne devrait posséder le même avantage. Tout dépend de la taille de la classe.
[34] Dans Terrell on the Law of Patents, 16th ed., Sweet & Maxwell, 2000, l'auteur examine l'effet des conditions particulières applicables aux brevets de sélection sous le rapport des divers motifs de validité (voir le chapitre 7). Voir aussi T. A. Blanco White, Patents for Inventions and the Protection of Industrial Designs, 5th ed., Londres, 1983, en particulier les paragraphes 4‑110 (nouveauté), 4‑224 et 4‑303 (évidence) et 4‑511 (insuffisance).
[35] En outre, il est à noter que si l'on découvrait une nouvelle utilisation pour ce composé, cela constituerait une invention distincte qu'on pourrait revendiquer comme telle en spécifiant cette nouvelle utilisation dans les revendications.
[36] Gordon F. Henderson (réd.), Carswell Legal Publications, 1994.
[37] Voir par exemple la décision T 7/86‑3.3 de la Chambre de recours technique (citée au Journal officiel de l'OEB, octobre 1988, à la page 381). Mais il peut y avoir des exceptions; à ce sujet, on consultera avec profit le paragraphe 7‑42 de Terrell.
[38] L'annexe I de l'affidavit de Kevin Murphy confirme que c'est exactement ainsi que l'invention a été présentée à l'examinateur (voir en particulier les pages 763 et suivantes). Ce document faisait partie du dossier public consultable au Bureau des brevets.
[39] Avis d'allégation d'Apotex, pages 43, 84 et 91.
[40] Il incomberait ainsi au demandeur d'établir la validité et le caractère suffisant des faits exposés dans le brevet. Or, dans Pfizer et Aventis Pharma, précitées au paragraphe 82, les deux affaires invoquées par Apotex à l'appui de la prétention que Lilly devait prouver les faits exposés dans le brevet, Apotex contestait manifestement la validité des brevets sur un fondement autre que simplement l'antériorité, l'évidence ou le double brevet. Dans Pfizer (voir en particulier les paragraphes 29, 31, 47, 50, 51 et 68 à 69), la Cour examinait la validité du brevet en fonction d'allégations selon lesquelles il ne contenait aucun raisonnement qui aurait permis au lecteur de conclure que tous les composés revendiqués seraient utiles (c'est‑à‑dire une prédiction valable) et comme quoi, en fait, la titulaire du brevet n'avait pas de base factuelle qui aurait pu fonder une telle prédiction. Dans Aventis Pharma (voir les paragraphes 85, 86, 159 à 166 et 178), la Cour examinait aussi des allégations d'absence de fondement solide pour la prédiction et d'insuffisance ou d'inexactitude de la divulgation.
[41] Il en va certainement de même dans la présente espèce, compte tenu en particulier du fait qu'Apotex connaissait manifestement les arguments avancés dans la procédure américaine. À en juger d'après ses allégations touchant les renseignements déposés auprès de l'office américain des brevets et ses allégations fondées sur l'article 53, elle disposait très probablement de tous les renseignements contenus dans ces dossiers de brevet.
[43] Question 485 de son contre-interrogatoire.
[44] Voir aussi la page 770 (annexe 1 de l'affidavit de Kevin Murphy).
[47] On trouve une liste complète de ces refus à l'onglet 3 du compendium d'Apotex, sous le titre [traduction] « Réponses aux questions pendantes ».
[48] Me Forman est aussi titulaire d'un doctorat.
[49] Déposée comme annexe C à l'affidavit de Me David Forman, en date du 3 mai 2005 (dossier T‑787‑05).
[50] Sous réserve des autres questions soulevées par Apotex, touchant le poids à leur accorder.
[51] Ce qui comprend normalement les attitudes, les tendances, les préjugés et les attentes (voir Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Limited, no T‑2175‑04, 17 octobre 2006, 2006 CF 1234, au paragraphe 113).
[52] Monsieur Dordick est l'auteur de nombreux articles savants, dont il a rédigé plusieurs en collaboration avec un autre auteur d'affidavit d'Apotex, M. Klibanov (dont les compétences sont examinées plus loin). Il est en outre inscrit comme inventeur conjoint (dans un cas avec M. Klibanov) dans plusieurs brevets et demandes de brevet.
[53] Cet arrêt n'examine ni ne mentionne l'arrêt Du Pont de Nemours v. Beecham de la Chambre des lords.
[54] Par exemple, l'index thérapeutique élevé des composés faisant l'objet du brevet 687 et le fait que le test de conditionnement d'évitement et le test CAT étaient bien connus.
[55] Analyse de Free‑Wilson.
[56] Il s'agit du libellé de l'article lui‑même. La Cour accepte la preuve de M. Nichols qui le confirme.
[57] Il appert de la preuve que, selon le système utilisé, la numérotation pourrait se faire dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens inverse. Elle pourrait même commencer à des atomes différents. Par exemple, dans le brevet 113, on pourrait numéroter la structure tricyclique en partant de S en position 1 ou S pourrait se trouver en position 3.
[58] Monsieur McClelland n'a pu expliquer pourquoi ces deux publications tenues en haute estime avaient catalogué ces composés comme pipéridinyles, sinon en disant que la personne chargée de la classification en cause n'avait peut-être pas consacré beaucoup de temps à l'examen de la question. La Cour note qu'en fait, le service de catalogage a même modifié la numérotation de l'anneau supérieur.
[59] Il n'y a pas beaucoup d'éléments de preuve permettant d'établir la nature de ce personnel, mais la Cour note que M. Klibanov a fait des traductions pour Beilstein après avoir obtenu son doctorat et que M. Nichols connaissait en Angleterre un professeur de chimie à la retraite qui travaillait pour cette publication. Il ne fait guère de doute que les services en question emploient des chimistes connaissant bien le système de numérotation de l'UICPA et d'autres systèmes de cette nature, et particulièrement avertis de la possibilité d'erreurs dans les structures illustrées des publications, étant donné que leur tâche principale consiste à cataloguer des milliers de celles‑ci, notamment en chimie organique dans le cas de Beilstein.
[60] Apotex emploie cette expression à la page 1710 de la transcription, mais ses experts se sont manifestement concentrés sur le principal problème que définit le brevet 113, soit le besoin d'un antipsychotique qui ne produit pas les graves effets secondaires associés aux médicaments connus tels que l'halopéridol et la clozapine.
[61] Par exemple, le principe exposé dans Hallen, précité, paraît aller à l'encontre du but même des brevets de sélection, tel que l'a expliqué la Chambre des lords, suivie en cela par la Cour d'appel fédérale. Quoi qu'il en soit, dans cette instance, la Cour n'avait pas affaire à un brevet de sélection, ce qu'elle dit expressément à la page 218.
[62] Selon l'hypothèse proposée par Lilly dans le document no 16, un [traduction] « déséquilibre électronique » entre les anneaux extérieurs de la structure tricyclique pourrait expliquer la réduction des ESEP.
[63] Comme il l'a noté, on savait que l'halopéridol avait un index thérapeutique élevé, mais c'était un antipsychotique typique. De plus, son interprétation est compatible avec le fait que le brevet 687 doit être interprété comme présentant valablement l'éthylflumézapine et la flumézapine en tant que composés à index thérapeutique élevé, bien que tous deux produisent des effets toxiques, et l'un d'eux, des ESEP. Une telle interprétation validerait cette déclaration, qui s'applique à la flumézapine (ESEP) et à l'éthylflumézapine, toutes deux productrices d'effets toxiques graves.
[64] Voir aussi le par. 12 de l'affidavit en réponse de M. Szot.
[66] Cela est particulièrement évident dans son contre‑interrogatoire, bien qu'il en soit aussi question dans son affidavit. Voir par exemple la dernière partie de l'alinéa 60b).
[67] En fait, on a dit à la Cour que l'interprétation des revendications n'était pas en litige. Les parties n'ont absolument rien mentionné en ce qui concerne une interprétation différente de la divulgation au moment de l'audience.
[68] Apotex a évidemment nié que la découverte d'une telle propriété constituait une invention.
[69] La question de la convenance du modèle canin n'est pas vraiment pertinente ici.
[70] On a même relevé des ESEP chez des patients à qui l'on avait administré des doses non efficaces de flumézapine.
[71] S'il est vrai que la dose quotidienne de l'olanzapine s'inscrit dans la très large fourchette (de 7 à 1 400 mg par jour) que prévoit le brevet 687, la dose de 1 à 20 par jour se situe néanmoins à son extrémité tout à fait inférieure et reste un avantage par rapport aux autres membres du genre.
[72] Cela pourrait bien expliquer en partie pourquoi M. Castagnoli écrit au paragraphe 43 de son affidavit qu'on pourrait affirmer avec autant d'assurance qu'était surprenante l'élévation du taux de cholestérol chez les chiennes à qui on avait administré le composé 222.
[73] Les tests décrits dans cet article sont pour l'essentiel les mêmes que ceux que divulgue le document no 16.
[74] On s'en convainc encore plus à la lecture de la réponse donnée par M. Castagnoli à la question 402 de son contre-interrogatoire, comme quoi, selon le texte du brevet 113, le profil de l'olanzapine est très compliqué en ce qu'il met en jeu [traduction] « tout un mélange hétéroclite de récepteurs, y compris les D‑2 ».
[75] La Cour peut prendre en considération dans une certaine mesure (compte tenu du fait que l'inventeur est plus qu'une personne versée dans l'art, puisqu'il est aussi doué d'esprit inventif) le processus de développement effectivement suivi chez Lilly, étant donné qu'on peut y trouver des indications importantes pour répondre à la question que pose le critère objectif de savoir ce que la personne versée dans l'art aurait pu prévoir : General Tire and Rubber & Co., précité, à la page 498, lignes 15 à 27, et Apotex c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2006 CAF 421, aux paragraphes 35 et 36.
[76] Selon M. Castagnoli, ce besoin existe encore aujourd'hui.
[77] Selon les notes manuscrites figurant sur la copie du dossier de poursuite produite en annexe G à l'affidavit de Kevin Murphy, il semble que l'examinateur a aussi demandé une copie papier de l'article de M. Chakrabarti. De plus, à côté de la mention du brevet britannique, on peut lire le mot [traduction] « sélection » écrit à la main.
[78] En ce qui a trait à la mort de l'un des chiens, la Cour constate qu'Apotex disposait à l'évidence d'une copie du compte rendu des résultats déposé auprès de l'office américain des brevets et n'a pas soulevé cette question dans son AA. Elle ne peut donc la soulever maintenant.
[79] La Cour n'a pas à trancher cette question ni à examiner les publications et réalisations postérieures qui pourraient se révéler pertinentes à son égard.