Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 avril 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ch. 27, d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) qui, à son tour, était saisie d’un appel d’une décision rendue le 9 août 2006 par un agent des visas, dans laquelle celui-ci a jugé que le fils du demandeur ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial et refusé de délivrer un visa de résident permanent. Le présent contrôle judiciaire a été ajourné du consentement des parties en attendant l’issue de l’arrêt De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ), [2006] 3 R.C.F. 655, qui a été rendue par la Cour d’appel fédérale et dont la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a été rejetée. Ainsi, de nombreux arguments initiaux du demandeur sont désormais sans objet. Cependant, il reste les questions relatives aux motifs d’ordre humanitaire qu’un agent des visas doit prendre en considération dans une demande de résidence permanente.
I. Contexte
[2] Le demandeur, M. Tse, est né en Chine et est devenu résident permanent du Canada en 1992. À son arrivée au Canada, il a déclaré aux responsables de l’immigration canadienne qu’il avait une épouse à Hong Kong. Cependant, ce n’est qu’en 1997 qu’il a déclaré qu’il avait aussi une conjointe de fait aux États-Unis avec laquelle il avait eu deux fils, Victor et Vincent. Victor, le plus jeune des deux enfants, est né en 1988. La conjointe de fait de M. Tse a quitté les États-Unis pour Taiwan en emmenant Victor avec elle. M. Tse a eu la garde de Vincent qui a par la suite obtenu, en 2001, le droit d’établissement au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. En 2002, le mariage de M. Tse avec son épouse à Hong Kong a pris fin. En août 2003, la conjointe de fait a ramené Victor de Taïwan et a confié la garde de celui-ci au demandeur. M. Tse a présenté une demande de parrainage dans le cadre de la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial de Victor. L’agent des visas a rejeté cette demande en application de l’alinéa 117(9)d) lequel ne permet pas à Victor d’être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial étant donné qu’il n’avait pas fait l’objet d’une déclaration ou d’un contrôle lorsque M. Tse a été admis au Canada la première fois. Dans le cadre de l’appel à la SAI, M. Tse a admis ne pas avoir déclaré l’existence de Victor aux responsables de l’immigration canadienne. Cependant, il a soutenu que l’alinéa 117(9)d) allait à l’encontre de l’objet de la loi relativement à l’unification de la famille et était incompatible avec différents instruments internationaux portant sur les droits de l'homme. Ces deux arguments sont devenus sans objet à la suite de l’arrêt De Guzman dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé la validité de l’alinéa 117(9)d) en concluant que celui-ci était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. Les autres questions en litige dans le présent contrôle judiciaire portent sur la question de savoir si l’agent des visas a tenu compte de façon appropriée des motifs d’ordre humanitaire allégués dans la demande initiale.
II. Dispositions législatives
[3] Voici les paragraphes 25(1) et 63(1) et l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, ainsi que l’alinéa 117(9)d) et le paragraphe 117(10) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
III. Questions en litige
[4] Les questions en litige sont les suivantes :
1. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas la compétence pour statuer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas dans la décision en matière de motifs d’ordre humanitaire du fait que celle-ci confirmait le rejet de la demande sur le seul fondement de l’alinéa 117(9)d)?
2. La SIA a-t-elle la compétence requise pour déterminer si l’agent des visas a commis une erreur dans l’exercice de sa compétence en equity dans le cadre d’un appel présenté en application du paragraphe 63(1)?
IV. Norme de contrôle
[5] Selon la décision Sketchley c. Canada (P.G.), [2006] 3 R.C.F. 392, il est clairement établi qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des questions de droit. Étant donné que la présente affaire fait appel à l’interprétation des lois pour juger de la compétence de la SIA, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte.
V. Analyse
A. Question no 1 – Décision quant à la compétence de la SAI pour entendre une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire
[6] Je souligne que cette question n’avait pas été soulevée par le demandeur dans ses allégations initiales avant que ne soit rendue la décision De Guzman. Je suis d’avis que cette question est sans fondement puisque j’estime que la SAI n’a pas commis l’erreur qu’on lui reproche et qu’elle a eu raison de décliner sa compétence. Dans la décision Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 184, il a été clairement établi qu’une personne non déclarée, telle que Victor, n’est pas susceptible d’être considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. Madame la juge Mactavish dans la décision Phan a convenu que la SAI ne peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire aux termes de l’article 65 de la Loi. La juge Mactavish a donc rejeté le contrôle judiciaire, ayant jugé les allégations susmentionnées comme étant « de vaillants efforts pour contrecarrer l'effet de la décision de la Cour dans l'affaire De Guzman… » (en référence à la décision De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 245 D.L.R. (4th) 341 rendue en première instance par le juge Kelen).
[7] L’article 65 de la Loi établit clairement que les motifs d’ordre humanitaire « ne peuvent être pris en considération » par la SAI que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie, et Victor n’appartient pas à cette dernière. Le fait que Victor avait été déclaré aux responsables de l’immigration à l’occasion de la demande de Vincent en 1999 – contrairement à la conclusion de l’agent des visas tel que le demandeur l’a correctement fait remarquer – ne saurait corriger l’omission de le déclarer lors de l’examen de la demande de résidence permanente du demandeur au moment de sa première entrée au Canada en 1992. L’erreur de l’agent des visas n’a eu aucune conséquence sur la conclusion finale selon laquelle M. Tse essayait de cacher l’existence de son enfant à son épouse.
[8] Je suis nettement convaincu que la SAI peut rejeter un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire dans le cas où l’alinéa 117(9)d) du Règlement n’a pas été respecté.
B. Question no 2 - Décision quant au pouvoir de la SAI d’exiger que l’agent exerce sa compétence en equity
[9] Comme dans le cas de la première question, la SAI n’a pas la compétence pour juger d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire interjeté en application des paragraphes 63(1) et 65(1). Voir Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1302.
[10] J’en viens à la même conclusion que la juge Mactavish dans la décision Phan, car je ne suis pas convaincu que l’agent des visas a l’obligation distincte de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire sans que le demandeur lui en fasse la requête expresse : voir Jankovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 243 F.T.R. 248, 2003 CF 1482, et Plata c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 195.
[11] Dans ses observations orales, l’avocate du demandeur a admis qu’il n’y a pas eu de requête expresse en vue de procéder à l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais elle a soutenu que les actions de l’agent de visas étaient telles qu’il s’était tout de même acquitté de cette obligation. Je ne partage pas cette opinion. Je suis d’avis que les actions de l’agent des visas étaient compatibles avec une analyse dans le cadre de l’alinéa 117(9)d) et que celui-ci ne s’est pas lancé dans l’examen des motifs d’ordre humanitaire.
[12] Pour les fins de la présente question seulement, en supposant que l’agent des visas possède une compétence en equity dans ces circonstances, il s’ensuit qu’il ne peut y avoir d’erreur dans le fait que la SAI n’a pas tenu compte de motifs d’ordre humanitaire en l’absence de la preuve que le demandeur a présenté une demande fondée sur de tels motifs, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. En juger autrement enlèverait toute signification au paragraphe 65(1) étant donné que tous les futurs demandeurs pourraient alléguer que la SAI aurait dû conclure que l’agent des visas se devait d’exercer différemment son pouvoir discrétionnaire. La SAI n’a pas la compétence pour exiger qu’un agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire d’une façon ou d’une autre en matière de motifs d’ordre humanitaire.
[13] Dans la décision De Guzman, précitée, le juge Kelen a établi, en première instance, au paragraphe 21 :
Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre peut lever tout ou partie des critères applicables s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants, le justifient. Par conséquent, les deux fils de la demanderesse peuvent présenter une demande en vue d’être exemptés de l’application de l’alinéa 117(9)d), demande qui peut être appuyée par la demanderesse. Le législateur prévoit à l’article 25 une compétence en équité en vertu de laquelle les circonstances d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur de l’enfant doivent être appréciés.
[14] Pour reprendre les termes de la juge Mactavish dans la décision Phan et du juge Kelen dans la décision De Guzman, le demandeur et son fils peuvent réclamer que la demande de résidence permanente du fils soit examinée par la voie d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la LIPR. À la lumière de l’article 65, l’article 25 est le moyen approprié pour chercher réparation, mais il ne permet pas l’élargissement de la compétence de la SAI tel que l’affirme le demandeur.
[15] Je conclus que la SAI n’a pas commis d’erreur en matière de compétence et je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
[16] Le demandeur a proposé de certifier la question suivante :
[traduction] Par l’application de l’alinéa 117(9)d), une conclusion selon laquelle le demandeur n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial empêche-t-elle la Cour de tenir compte de tous les aspects de la lettre de refus, y compris les conclusions relatives à toute demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée dans le cadre de la procédure de parrainage, lorsqu’elle exerce sa compétence conformément aux alinéas 67(1)a) et 67(1)b) de la LIPR?
[17] Je suis d’avis que la question proposée par le demandeur aux fins de certification ne satisfait pas au critère nécessaire pour qu’elle soit certifiée, et ce, pour les motifs invoqués par l’avocat du défendeur dans sa lettre du 16 mars 2007.
[18] À mon avis, la Cour ne devrait pas certifier une question en vue d’un appel sauf si celle-ci est déterminante du contrôle judiciaire. Tel qu’indiqué par le défendeur, le demandeur n’a pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
JUGEMENT
LA COURS STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.
« Max M. Teitelbaum »
Juge suppléant
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-685-05
INTITULÉ : STEPHEN TSE c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 MARS 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE TEITELBAUM
DATE DES MOTIFS : LE 17 AVRIL 2007
COMPARUTIONS :
Catherine A. Sas
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POUR LE DEMANDEUR |
Banafsheh Sokhansanj
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Catherine A. Sas, c.r. Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |