Ottawa (Ontario), le 11 avril 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Mme Lynch est une citoyenne de Trinité-et-Tobago qui a fondé sa demande d’asile sur des motifs de violence conjugale. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande principalement au motif que la protection de l’État existait dans son pays d’origine. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.
I. CONTEXTE
[2] La demanderesse soutient qu’elle a été agressée physiquement et sexuellement par son mari pendant une période de neuf ans. Elle a signalé le premier incident d’agression à la police qui a refusé de l’aider. Elle n’a signalé aucun autre incident jusqu’en 1998, avant de quitter le pays pour venir au Canada, et la police n’avait alors encore rien fait. Elle a indiqué qu’elle craignait de signaler ces événements à la police, parce qu’elle croyait que son mari l’a tuerait et que la police ne ferait rien.
[3] Mme Lynch est arrivée au Canada en 1998, mais n’a pas présenté de demande avant 2004. Elle a expliqué ce délai par le fait qu’elle avait espoir au début que son mari et elle puissent résoudre leurs différends et que, selon des consultations juridiques, sa demande serait rejetée.
[4] La Commission a rejeté sa demande pour deux motifs. Premièrement, la demanderesse n’avait aucune crainte subjective, comme le corrobore le long délai qui s’est écoulé avant qu’elle ne présente de demande et son omission de présenter une demande aux États-Unis lorsqu’elle s’y est rendue en voyage. Deuxièmement, Trinité-et-Tobago offre une protection efficace dont la demanderesse ne s’est pas réclamée.
III. ANALYSE
[5] La conclusion selon laquelle la Commission a jugé qu’il y avait absence de crainte subjective est sérieusement mal fondée. La Commission a reconnu que la demanderesse avait été agressée physiquement et sexuellement, deux fois par semaine, pendant neuf ans. Il est difficile de comprendre comment la Commission a pu conclure qu’il n’existait aucune crainte subjective après avoir reconnu ce fait.
[6] La Commission a tiré des inférences négatives qui ont eu une incidence sur la conclusion relative à la crainte subjective. La première inférence se rapportait au délai que la Commission a tirée sans examiner les raisons invoquées, particulièrement en qui a trait aux conseils juridiques reçus. La deuxième inférence négative a été tirée du fait que la demanderesse avait omis de présenter une demande aux États-Unis où, selon la Commission, elle aurait séjourné pendant quelques jours. Il s’agissait, en fait, d’un voyage d’un jour en vue de faire du magasinage à une époque où la demanderesse admet qu’elle n’avait pas l’intention de demander l’asile parce qu’elle espérait résoudre les différends avec son mari.
[7] Bien que la conclusion de la Commission relativement à l’absence de crainte subjective soit difficile à justifier, la présente affaire repose sur la conclusion de la Commission concernant la protection de l’État. Comme il a été statué dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 193, la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État est celle du caractère raisonnable. Les conclusions de fait sont généralement assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732 (QL)).
[8] Même s’il existait des éléments de preuve indiquant que Trinité-et-Tobago avait et a toujours eu des difficultés à lutter contre la violence familiale, une preuve abondante révélait que le pays dispose d’un système efficace de protection. La preuve faisait référence à de récents rapports du Département d'État des États-Unis et aux Réponses à des demandes d’information de la Commission elle-même. La Commission a souligné l’existence d’institutions démocratiques et judiciaires dans ce pays.
[9] De plus, la Commission a souligné le fait que la demanderesse s’était seulement adressée à la police à deux reprises sur une période d’agression de neuf ans et n’avait fait aucun effort pour obtenir de l’aide ailleurs ou même pour se rendre à une maison de refuge du fait qu’elle offrait seulement une protection à court terme.
[10] La Commission a tenu compte de la preuve objective relative à la protection de l’État et à la situation personnelle de la demanderesse pour déterminer si elle pouvait raisonnablement obtenir cette protection. Les motifs de la Commission étaient suffisants et la demanderesse était en mesure de comprendre le raisonnement adopté par la Commission pour en arriver à ses conclusions. La demanderesse s’oppose en fait aux conclusions de la Commission et non à la suffisance des motifs.
[11] Après avoir lu la décision en entier, la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État et à la possibilité pour la demanderesse d’obtenir cette protection est raisonnable, particulièrement dans une optique prospective. Les erreurs de la Commission dans ses conclusions relatives à la crainte subjective ne semblent pas avoir eu une incidence sur son analyse et sur ses conclusions quant à la protection de l’État.
[12] La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1425-06
INTITULÉ : JOANNE MARGARET LYNCH
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 MARS 2007
ET JUGEMENT : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 11 AVRIL 2007
COMPARUTIONS :
Jesuorobo Kingsley
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Asha Gafar
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jesuorobo Kingsley Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |