Date : 20070330
Dossier : IMM-3323-06
Ottawa (Ontario), le 30 mars 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Mme Gebremaskel est une citoyenne de l’Érythrée dont les demandes de protection présentées en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et sur la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), sur le fondement de crainte de persécution du fait de sa religion et de ses opinions politiques ont été rejetées.
[2] Les éléments de sa demande, qui ont été exposés oralement dans le cadre du présent contrôle judiciaire, portaient sur la crainte du service militaire et son appartenance aux témoins de Jéhovah. Elle a quitté l’Érythrée en 1998 pour se rendre au Royaume-Uni où sa demande d’asile a été rejetée. Elle est ensuite venue au Canada.
[3] Un élément important de sa demande est qu’elle était et est toujours une témoin de Jéhovah. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a ordonné à la demanderesse d’obtenir une preuve du Royaume-Uni et de la congrégation à Toronto confirmant son appartenance. Elle a omis de le faire. La CISR a conclu que non seulement elle n’avait pas présenté la preuve requise, mais aussi qu’elle n’avait pas réussi à établir qu’elle avait fait des efforts sérieux en ce sens. Par conséquent, la CISR a conclu qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle était toujours membre des témoins de Jéhovah. La CISR n’a tiré aucune conclusion quant à sa crainte de service militaire obligatoire.
Service militaire
[4] La demanderesse a soutenu qu’elle craignait le service militaire, car l’Érythrée avait un service militaire mixte obligatoire dont il n’était pas possible d’être exempté pour des motifs tels que la religion. Elle avait une crainte aux facettes multiples : cette crainte était certainement fondée sur ses croyances religieuses en tant que témoin de Jéhovah voulant qu’il soit inadmissible de servir dans l’armée, mais elle était aussi fondée sur sa crainte générale d’être forcée de servir dans l’armée et sur le risque d’être tuée.
[5] Amnistie Internationale avait déposé une preuve devant la CISR selon laquelle les personnes qui refusaient de servir dans l’armée en Érythrée étaient détenues arbitrairement et torturées. Le risque de détention et de torture était encore plus grand si on était témoin de Jéhovah.
[6] Bien que la CISR n’ait pas fait une analyse distincte de l’article 97, cette omission n’entraîne pas toujours l’annulation de la décision si la conclusion selon laquelle une personne n’est pas une personne à protéger peut être tirée de la preuve dont dispose la CISR (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), [2003] A.C.F. no 1540, 2003 CF 1211). Pour que cette conclusion soit maintenue en l’absence d’une analyse distincte de l’article 97, la CISR doit prouver qu’elle a tenu compte de la preuve pertinente et qu’elle avait à l’esprit la question de la protection (Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 84, 2004 CF 84).
[7] En l’espèce, la CISR n’a jamais tenu compte de la preuve de détention arbitraire et de torture qui sont généralement infligées aux déserteurs de l’armée et à ceux qui se soustraient au service militaire. La CISR n’a jamais examiné la preuve objective de risque dans ce contexte, mais semble plutôt n’avoir mis l’accent que sur la question de la pratique religieuse de la demanderesse.
[8] Omettre de tenir compte de cet élément dans une analyse de l’article 97 ou même de l’avoir à l’esprit constitue une erreur de droit. Les commentaires au sujet de l’article 97 qui se trouvent à la fin de la décision ne constituent pas une analyse sur le risque qu’entraînerait un refus de servir dans l’armée.
Appartenance continue aux témoins de Jéhovah
[9] La CISR semble avoir reconnu que la demanderesse était une témoin de Jéhovah jusqu’à ce qu’elle quitte l’Érythrée, mais elle a estimé qu’elle n’était plus membre de cette religion. La demanderesse ne conteste pas la conclusion quant à la continuité de son appartenance religieuse, mais elle allègue que la CISR a omis de prendre en compte le fait qu’elle serait perçue comme étant une témoin de Jéhovah si elle retournait en Érythrée.
[10] De façon générale, on ne saurait reprocher à la CISR de ne pas s'être prononcée sur un motif de la demande qui n'a pas été allégué par le demandeur (Guajardo-Espinoza c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. no 797 (C.A.F.)). La question n’a pas été soulevée comme argument subsidiaire à l’audience tenue par la CISR et ne peut pas servir de fondement pour contester la décision.
[11] Par conséquent, la CISR n’a tiré aucune conclusion erronée quant à la question de savoir si la demanderesse était toujours membre des témoins de Jéhovah.
Conclusion
[12]
Pour
ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il n’y
a aucune question aux fins de certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur elle.
« Michael L. Phelan »
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : ASNAKECH GEBREMASKEL
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 22 MARS 2007
ET ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 30 MARS 2007
COMPARUTIONS :
Michael Crane POUR LA DEMANDERESSE
Maria Burgos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane POUR LA DEMANDERESSE
Avocat
Toronto (Ontario)
John H. Sims c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)