Date : 20070329
Toronto (Ontario), le 29 mars 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une requête par laquelle l’intimée Ratiopharm sollicite le rejet de la demande de contrôle judiciaire présentée par les requérantes Wyeth en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93‑133 (le Règlement). Par cette requête, l’intimée conteste l’inscription d’un brevet en ce qui concerne certains avis de conformité délivrés à Wyeth pour son médicament EFFEXOR XR. La requête a été présentée en vertu des alinéas 6(5)a) et b) du Règlement, tel que modifié le 5 octobre 2006. L’avocat de Ratiopharm n’a invoqué dans la requête que le motif prévu à l’alinéa 6(5)a). Pour les motifs qui suivent, je conclus que la requête doit être rejetée en ce qui concerne certains avis de conformité seulement.
[2] Suivant l’alinéa 6(1)a) du Règlement, tel que modifié le 5 octobre 2006, la seconde personne, en l’occurrence Ratiopharm, peut par requête demander à la Cour de rejeter tout ou partie de la demande pour ce qui est des brevets qui ne sont pas admissibles à l’inscription au registre au titre de certains des avis de conformité délivrés à la première des requérantes Wyeth. Ce n’est pas un motif que peut invoquer la seconde personne dans son avis d’allégation à la première personne avant que ne soit engagée une procédure devant la Cour (comparer avec ce que prévoit l’alinéa 5(1)b) du Règlement). Un fabricant de médicaments génériques susceptible de se trouver un jour dans la situation de deuxième personne n’a pas, si n’est en instance aucune procédure engagée au titre du Règlement, qualité pour contester l’inscription d’un brevet au registre (Apotex c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2003), 3 CPR (4th) 1 (CAF)).
[3] Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 187, la Cour a récemment eu l’occasion de se pencher sur la manière dont il y a lieu de procéder en cas de requête fondée sur l’alinéa 6(1)a). La Cour doit rendre une décision chaque fois que les règles de droit en vigueur peuvent être appliquées à des aveux et à des preuves pertinentes pouvant raisonnablement être considérées comme non contredites ou évidentes.
[4] Dans le cadre de la présente requête, Ratiopharm ne prétend aucunement ne pas être une « deuxième personne ». Elle conteste l’inscription par Wyeth, à l’égard de plusieurs avis de conformité délivrés à Wyeth, du brevet canadien no 2,199,778 (le brevet 778) au registre tenu par le ministre de la Santé conformément au paragraphe 3(1) du Règlement.
[5] Le paragraphe 4(2) du Règlement établit les critères d’inscription d’un brevet au registre tenu par le ministre. Le Règlement a été modifié le 5 octobre 2006 mais, selon l’article 6 des dispositions transitoires, les brevets inscrits avant le 17 juin 2006 (et c’est le cas du brevet 778) sont régis par les dispositions de l’article 4 du Règlement applicable avant l’entrée en vigueur des modifications en question.
[6] Le brevet 778 a été délivré le 20 décembre 2005. Il comporte 30 revendications dont plusieurs concernent la formulation à libération prolongée d’un médicament appelé chlorhydrate de venlafaxine, sans aucune restriction quant à son emploi. Par exemple, la revendication 1 prévoit :
[traduction] Formulation de chlorhydrate de venlafaxine à libération prolongée contenant des sphéroïdes composés de chlorhydrate de venlafaxine, de cellulose microcrystalline et d’hydroxypropylméthylcellulose, les sphéroïdes étant recouverts d’un pelliculage d’éthyle cellulose et d’hydroxypropylméthylcellulose.
[7] D’autres revendications, telles que la revendication 29, visent l’emploi de la formulation de venlafaxine à libération prolongée pour traiter la dépression tout en réduisant l’incidence des nausées et des vomissements. Le texte de la revendication 29 (telle que corrigée en vertu d’un certificat de correction) est le suivant :
[traduction] L’emploi d’une formulation de chlorhydrate de venlafaxine à libération prolongée pour traiter la dépression en réduisant la gravité des nausées et l’incidence des vomissements, la préparation produisant au cours des 24 heures suivant la prise du médicament une concentration de venlafaxine dans le plasma sanguin, éliminant les creux et les pics de concentration du médicament dans le plasma sanguin et assurant, dans les quatre à huit heures suivant la prise, une concentration maximum de venlafaxine dans le plasma sanguin ne dépassant pas environ 150 mg/ml.
[8] Wyeth a obtenu plusieurs avis de conformité pour son médicament contenant du chlorhydrate de venlafaxine et vendu sous le nom EFFEXOR ou EFFEXOR XR, le premier de ces avis ayant été délivré le 18 juillet 1994. Depuis, plusieurs avis de conformité ont été délivrés à Wyeth à la suite de présentations supplémentaires de drogue nouvelle. En effet, entre le 18 juillet 1996 et le 1er septembre 2005, huit autres avis de conformité lui ont été délivrés.
[9] Le brevet 778 a été soumis au ministre par Wyeth pour l’inscription au registre le jour même de sa délivrance, c’est‑à‑dire le 20 décembre 2005. Le brevet a été inscrit en ce qui concerne six avis de conformité différents délivrés à Wyeth, dont le premier remonte au 14 mars 2003, les autres avis de conformité ayant été délivrés entre cette date et le 1er septembre 2005.
[10] Affirmant que c’est à tort que le brevet 778 a été inscrit au registre, Ratiopharm fait valoir que les divers avis de conformité à l’égard desquels le brevet a été inscrit n’ont rien à voir avec l’invention brevetée.
[11] Wyeth soutient qu’elle est titulaire de six avis de conformité à l’égard desquels le brevet 778 a été inscrit au registre. Elle reconnaît que l’un de ces avis de conformité est de caractère purement administratif puisqu’il ne fait qu’attester le changement apporté au nom du fabricant. Wyeth ne l’invoque d’ailleurs pas. Selon Wyeth, certains des autres avis de conformité, dont un qui concerne l’atténuation de la nausée et un autre qui concerne le traitement des dépressions graves, justifient l’inscription du brevet 778.
[12] Dans l’arrêt Hoffman‑LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 335, publié le 18 octobre 2006, la Cour d’appel fédérale a examiné ses arrêts antérieurs et les jugements de la Cour fédérale portant sur la question de savoir si une PSDN et l’avis de conformité délivré en vertu de cette présentation pouvaient justifier l’inscription d’un brevet donné. Cet arrêt a été rendu public deux semaines environ avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, 2006 CSC 49.
[13] Dans l’arrêt Hoffman‑LaRoche, précité, la Cour d’appel fédérale a dit, au paragraphe 15, qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle peut être considéré ou non comme un fondement suffisant justifiant le dépôt d’une nouvelle liste de brevets ou d’une liste modifiée selon la raison pour laquelle le supplément est déposé. La Cour a ainsi estimé qu’un changement dans la marque nominative d’une drogue ou le changement de son site de fabrication ou, encore, une fusion de sociétés entraînant un changement de fabricant, ne justifient pas l’ajout d’un brevet à la liste. Par contre, elle a jugé que le supplément déposé pour signaler un changement à une drogue existante ou des modifications à une monographie de produit pour faire un renvoi à un fournisseur d’une drogue combinée pouvait justifier l’inscription d’un brevet. Dans l’arrêt Hoffman‑LaRoche, la Cour a statué que, vu les circonstances de l’affaire dont elle était saisie, il n’y avait pas lieu d’inscrire un brevet à l’égard d’une PSDN qui ne faisait que rendre compte de l’acquisition par la première personne d’une part dans l’entreprise associée aux médicaments fabriqués par un tiers.
[14] Ce qu’il convient de retenir de l’arrêt Hoffman‑ LaRoche ce n’est pas ce qui, au juste, justifierait l’inscription d’un brevet. C’est plutôt le fait que la Cour a statué que certaines PSDN et les avis de conformité à la délivrance desquels elles ont donné lieu pouvaient justifier une telle inscription et d’autres non. Il convient donc d’analyser chaque cas particulier.
[15] La nature de l’analyse dépend du sens à attribuer au mot « pertinents ». L’alinéa 4(7)b) du Règlement emploie ce mot dans une phrase où il est précisé que la première personne doit attester que les brevets dont elle sollicite l’inscription sont « [...] pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue [...] ». Là n’est pas la question en l’espèce.
[16] La Cour d’appel fédérale a eu l’occasion d’analyser la question de la « pertinence » dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140, arrêt que la Cour suprême du Canada a plus tard mentionné dans son arrêt AstraZeneca. Dans l’arrêt Eli Lilly, la Cour d’appel fédérale a examiné l’alinéa 4(7)b) du Règlement ainsi que la thèse avancée par le ministre, à savoir que la « pertinence » exige l’existence d’une relation ou lien entre la drogue indiquée dans l’avis de conformité et le brevet dont l’inscription est demandée. Au nom de la majorité de la Cour (un des juges étant dissident), la juge Sharlow a dit, aux paragraphes 28 à 30 :
28 Je n’ai pas besoin d’analyser les exigences de l’alinéa 4(7)b) de façon détaillée. Je crois comprendre que l’avocat du ministre n’a pas pris la position que le brevet 969 n’est pas « pertinent quant à la forme posologique, la concentration et la voie d’administration » de Tazidime.
29 Sur le fondement de l’interprétation qui précède selon le sens ordinaire et grammatical du Règlement sur les MB(ADC), le brevet 969 devrait pouvoir être inclus dans les listes de brevets pour Tazidime. C’est l’interprétation qu’il y a lieu d’adopter à moins qu’on puisse raisonnablement prêter au texte du Règlement sur les MB(ADC) une signification différente qui s’accorderait mieux avec l’objet du Règlement.
30 L’avocat du ministre a plaidé que le Règlement sur les MB(ADC) exige une relation, qu’il a appelée la « pertinence » , entre la drogue indiquée dans l’avis de conformité et le brevet que l’on veut inscrire dans le registre des brevets. Il a soutenu que cette relation fait défaut si l’invention divulguée dans le brevet n’est pas de quelque façon incluse ou appliquée dans la drogue. En l’espèce, par exemple, il n’est pas contesté que Tazidime n’utilise aucunement l’invention divulguée dans le brevet 969. C’est dans ce sens que l’avocat du ministre fait valoir que le brevet 969 n’est pas « pertinent » par rapport à l’avis de conformité pour Tazidime.
[17] L’argument avancé par le ministre a été rejeté par une majorité de la Cour, et cela pour deux raisons. D’abord, parce que le libellé de l’alinéa 4(7)b) du Règlement n’exigeait aucunement la prise en compte d’une éventuelle relation entre la drogue indiquée dans l’avis de conformité et le brevet dont l’inscription était demandée. La Cour a jugé, en second lieu, que la première personne devait pouvoir faire inscrire un brevet qui offrait la possibilité de prévenir la contrefaçon. La juge Sharlow s’est exprimée en ces termes aux paragraphes 34 à 36 de l’arrêt :
34 Je n’arrive pas à interpréter ces formulations de la manière préconisée dans l’argumentation du ministre. Le paragraphe 4(1) détermine les personnes qui peuvent présenter une liste de brevets, non ce que peut contenir une liste de brevets. De même, les mots soulignés de l’alinéa 4(7)b) ne décrivent pas une relation entre la drogue désignée dans l’avis de conformité et les brevets qui peuvent être inclus dans la liste de brevets. Plutôt « la drogue visée par la demande d’avis de conformité » est simplement Tazidime.
35 D’après Eli Lilly, l’interprétation du ministre irait à l’encontre des objectifs du Règlement sur les MB(ADC). Il est théoriquement possible qu’un fabricant de drogues génériques produise une drogue consistant en une formulation de ceftazidime et de lactose amorphe qui soit bioéquivalente à Tazidime (même si elle n’était pas exactement identique à Tazidime parce que Tazidime ne contient pas de lactose amorphe). Un tel produit pourrait contrefaire le brevet 969. Si l’on ne permet pas que le brevet 969 reste dans les listes de brevets pour Tazidime, Eli Lilly sera privée de son droit de demander au tribunal d’interdire la délivrance de l’avis de conformité pour la nouvelle drogue jusqu’à l’expiration du brevet 969. Si cela se produisait, on se trouverait à avoir empêché le Règlement sur les MB(ADC) de s’appliquer de la manière prévue. Je note qu’un argument semblable a été accepté dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.), mais seulement dans une remarque incidente, dans le contexte de la version du Règlement sur les MB(ADC) antérieure aux modifications de 1998.
36 En somme, il me semble que l’interprétation proposée par Eli Lilly devrait être préférée à celle qui est proposée par le ministre, pour deux raisons. D’abord, elle est plus conforme à la formulation du Règlement sur les MB(ADC). Ensuite, elle offre au moins la possibilité de prévenir la contrefaçon du brevet 969, alors que l’interprétation du ministre ne peut avoir ce résultat.
[18] Cet arrêt a été invoqué devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire AstraZeneca, la Cour suprême l’évoquant notamment au paragraphe 23 de ses motifs unanimes. La Cour suprême a souligné que des brevets précis doivent être liés à des demandes précises. Il est clair que la Cour suprême n’approuvait pas l’inscription de brevets au registre uniquement parce qu’ils portaient sur la même drogue et elle a rejeté l’analyse à laquelle la Cour d’appel fédérale s’était livrée dans l’arrêt Eli Lilly. La Cour suprême a dit :
23 AstraZeneca s’appuie sur l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140, 2003 CAF 24, pour affirmer qu’une liste de brevets est soumise à l’égard d’une drogue et non d’une demande en particulier. En l’espèce, c’est également l’avis de la majorité de la Cour d’appel fédérale. Selon ce point de vue, la « première personne » pourrait perpétuer son produit en ajoutant de nouveaux brevets de peu d’importance qui déclencheraient une série indéfinie de gels de 24 mois prévus par la loi, même si les brevets inscrits ultérieurement ne font pas l’objet des « travaux préalables » effectués par le fabricant de produits génériques et que celui‑ci n’en tire aucun avantage (comme c’est le cas en l’espèce). Comme en témoigne la présente affaire, AstraZeneca a même réussi à greffer les brevets 037 et 470 au SPDN, qui est de nature administrative. Une interprétation qui empêcherait un fabricant de mettre sur le marché un produit générique pour encore au moins deux ans dans les circonstances, alors qu’AstraZeneca a retiré son produit en 1996, va à l’encontre des fins limitées autorisées au par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets. On ne peut présumer que le par. 4(5) du Règlement AC insiste sans raison sur la nécessité d’établir un lien entre des brevets précis et des demandes précises.
[19] Les paragraphes 39 et 40 de l’arrêt AstraZeneca renforcent l’idée que, selon la Cour suprême du Canada, pour qu’un brevet soit inscrit au registre, il faut qu’il soit pertinent à l’avis de conformité à l’égard duquel son inscription est demandée :
39 [...] À mon avis, le par. 5(1) du Règlement AC exige une analyse portant sur des brevets précis, à savoir que le fabricant de produits génériques n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’AC relatif à la drogue de comparaison, en l’occurrence la version de 1989 du Losec 20.
40 Si AstraZeneca avait commercialisé un produit Losec 20 fondé sur les AC obtenus ultérieurement et si Apotex avait fait référence à ce produit modifié pour démontrer la bioéquivalence de son produit, Apotex aurait eu à déposer un avis d’allégation à l’égard des brevets 037 et 470.
[20] L’emploi par la Cour suprême des expressions « drogue de comparaison » et « produit modifié » montre bien, comme le ministre l’a fait valoir dans l’arrêt Eli Lilly, qu’il doit exister une relation entre l’avis de conformité et le brevet inscrit. Il faut que l’un soit en rapport avec l’autre, c’est‑à‑dire qu’il doit y avoir un lien de « pertinence » entre la drogue visée par l’avis de conformité et le brevet dont on demande l’inscription.
[21] La question se pose alors de savoir comment un tel lien peut être établi. Dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533 (Biolyse), la Cour suprême du Canada a analysé la question. Au paragraphe 53 de l’arrêt, le juge Binnie, se prononçant au nom d’une majorité de la Cour, rappelle que ce ne sont pas toutes les utilisations d’une invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement :
53 Deuxièmement, ce ne sont pas toutes les utilisations de l’invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement ADC. Le paragraphe 55.2(4) est expressément destiné à prévenir la contrefaçon par les personnes qui utilisent « l’invention brevetée » en se prévalant des exceptions relatives aux « travaux préalables » et à l’« emmagasinage » susmentionnées aux par. 55.2(1) et 55.2(2). Voilà tout ce que le gouverneur en conseil est autorisé à réglementer. (L’exception relative à l’emmagasinage a été abrogée par L.C. 2001, ch. 10, par. 2(1), sanctionnée le 14 juin 2001.)
Au paragraphe 52 de l’arrêt Biolyse, le juge Binnie a précisé qu’il faut tenir compte de l’invention brevetée, cette invention ne correspondant pas nécessairement aux revendications du brevet. Le Règlement vise, en effet, l’« invention brevetée » :
Premièrement, le règlement doit s’appliquer aux personnes qui utilisent l’« invention brevetée ». Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34, l’invention brevetée ne correspond pas nécessairement aux revendications du brevet. Dans cette affaire, cette distinction était cruciale pour la question de la réparation. S’il est vrai que l’agriculteur, M. Schmeiser, avait utilisé le produit breveté (des graines de canola Roundup Ready), il n’avait tiré aucun avantage de l’invention brevetée (sa résistance à l’herbicide) parce qu’il n’avait pas pulvérisé de Roundup sur ses cultures. La Cour a ainsi débouté Monsanto de sa prétention aux profits que Schmeiser avait tirés de sa récolte de canola :
Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention. [Souligné dans l’original; par. 103.]
L’emploi de l’expression « invention brevetée » à l’art. 55.2 est donc un indice important de la portée des règlements que cette disposition autorise à prendre. BMS n’a pas inventé ni découvert le paclitaxel.
[22] Les arrêts AstraZeneca et Biolyse permettent de constater que ce que le ministre doit faire, en vertu du paragraphe 3(1) de la version du Règlement en vigueur avant le 5 octobre 2006, pour décider si un brevet doit être inscrit à l’égard d’un avis de conformité donné, c’est examiner l’« invention brevetée » et déterminer s’il existe avec celle-ci un « lien » qui fait en sorte qu’il est « pertinent » à l’avis de conformité à l’égard duquel il est demandé que le brevet soit inscrit au registre ou, s’il est déjà inscrit, qu’il en soit rayé.
[23] De ce point de vue, il convient d’examiner le brevet 778 afin de décider qu’elle est au juste l’« invention brevetée » (ce qui n’est pas nécessairement la même chose que la revendication). Si l’on passe au mémoire descriptif, de la ligne 32 de la page 1 à la ligne 7 de la page 2, on constate que la forme médicamenteuse déjà connue (antériorité) est décrite comme étant un comprimé qui, parce qu’il libère rapidement la drogue, entraîne des nausées et des vomissements :
[traduction] La venlafaxine, 1‑[2‑diméthylamino)‑1‑(4‑méthoxyphényl)éthyl] cyclohexanol, est une drogue importante de la panoplie neuropharmacologique employée dans le traitement de la dépression. La venlafaxine et ses sels d’addition acides sont divulgués dans le brevet américain 4,535,186. Le chlorhydrate de venlafaxine est administré aux adultes, sous forme de comprimés de 75 à 350 mg/par jour, la posologie étant divisée en deux ou trois doses quotidiennes. Dans sa posologie thérapeutique, les comprimés de chlorhydrate de venlafaxine se dissolvent rapidement et entraînent une augmentation rapide du taux de l’ingrédient actif dans le plasma sanguin, suivie d’une baisse du taux de concentration du médicament dans le plasma sanguin au cours des heures qui suivent, au fur et à mesure que le composant actif est éliminé ou métabolisé, jusqu’à ce que, 12 heures environ après la prise du médicament, on atteigne des taux de concentration infrathérapeutique du médicament dans le plasma, ce qui appelle une nouvelle prise. Avec la prise de plusieurs doses quotidiennes, l’effet secondaire le plus communément constaté est la nausée, éprouvée par environ 45 p. 100 des patients traités à l’aide du chlorhydrate de venlafaxine. Environ 17 p. 100 des patients sont également atteints de vomissements.
[24] Puis, on trouve, à la page 2, une description sommaire de l’invention, une préparation microencapsulée qui permet la libération de l’ingrédient médicinal sur une période de 24 heures. Aux lignes 12 à 15 du mémoire descriptif, on trouve ceci :
[traduction] On obtient, avec cette invention, une préparation microencapsulée à libération prolongée (LP) avec comme composé actif le chlorhydrate de venlafaxine, chaque capsule assurant, pour 24 heures, un taux thérapeutique de médicament dans le sérum sanguin.
[25] L’emploi de cette formulation, selon la description qui va de la ligne 28 de la page 2 à la ligne 2 de la page 3, atténue les creux et les pics de concentration dans le plasma sanguin et réduit l’incidence de nausées et de vomissements :
[traduction] Ainsi, au niveau de l’emploi, cette invention offre une méthode permettant d’atténuer les pics et les creux de concentration du médicament dans le plasma sanguin qu’entraîne l’emploi pharmacocinétique d’une posologie à doses quotidiennes multiples de chlorhydrate de venlafaxine, et consiste à administrer aux patients devant être traités à l’aide du chlorhydrate de venlafaxine, une formulation de chlorhydrate de venlafaxine à libération prolongée prise une seule fois par jour.
L’emploi, une seule fois par jour, des formulations de chlorhydrate de venlafaxine découlant de cette invention réduit, par voie d’adaptation, la gravité des nausées et l’incidence des vomissements résultant de la prise quotidienne de doses multiples. Selon les essais cliniques, chez les personnes prenant du chlorhydrate de venlafaxine ET, la probabilité de nausées diminue de beaucoup après la première semaine.
[26] La revendication 1, exposée plus haut, est une revendication générale qui vise une formulation médicamenteuse sous forme de capsules enrobées sphéroïdales. Les revendications 16 et 17 visent l’encapsulation de ces sphéroïdes. Aucune des revendications 1 à 21 ne vise un emploi ou un avantage thérapeutique précis. Par contre, selon la revendication 22, la formulation en question [traduction] « permet de réduire la gravité des nausées et l’incidence des vomissements ». Les revendications 23 à 25 et 29 et 30 visent l’emploi de la formulation [traduction] « dans le traitement de la dépression, permettant de diminuer la gravité des nausées et l’incidence de vomissements » et chiffrent les taux de concentration du médicament dans le plasma sanguin.
[27] Ainsi, aux fins du Règlement, l’« invention brevetée » est une formulation d’un médicament connu, sous forme de sphéroïdes pouvant être microencapsulés afin d’assurer, chez le patient, une libération relativement uniforme du médicament sur une période de 24 heures, de manière à réduire les nausées et les vomissements.
[28] Il y a lieu, ensuite, d’examiner les avis de conformité délivrés pour ce médicament. Ils sont énumérés ci‑dessous, un astérisque marquant les avis de conformité à l’égard desquels le brevet 778 est actuellement inscrit au registre.
Présentation no |
Date de la présentation |
Date de l’avis de conformité |
Description |
|
21 octobre 1991 |
18 juillet 1994 |
Drogue nouvelle : comprimés d’EFFEXOR |
|
23 décembre 1996
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16 février 1998 |
Nouvelle forme posologique : gélules d’EFFEXOR XR |
|
|
28 septembre 1999 |
Nouvelle indication : soulagement des symptômes de l’anxiété chez les patients souffrant d’anxiété généralisée |
082937 |
21 février 2003 |
14 mars 2003 |
Changement du nom du fabricant * |
070529 |
9 août 2000 (ou 1er mars 2001) |
25 avril 2003 |
Nouvelle indication : thérapie d’entretien des troubles dépressifs majeurs * |
074443 |
10 octobre 2001 |
13 juin 2003 |
Nouvelle indication : phobie sociale * |
083387 |
25 février 2003 |
13 septembre 2004 |
Révisions de la monographie du produit en ce qui concerne l’atténuation des nausées * |
088901 |
14 novembre 2003 |
10 décembre 2004 |
« description des essais cliniques portant sur le traitement des troubles affectifs saisonniers » : présentation de nouvelles données sur l’innocuité et l’efficacité à long et à court terme en ce qui concerne les indications approuvées * |
094252 |
22 septembre 2004 |
1er septembre 2005 |
Nouvelle indication : soulagement des symptômes des troubles paniques * |
[29] Le premier de ces avis de conformité, délivré le 18 juillet 1994, concerne l’« antériorité », c’est‑à‑dire le médicament présenté sous forme de comprimé.
[30] Le deuxième de ces avis de conformité, qui a été délivré le 16 février 1998, a trait à la nouvelle préparation microencapsulée. Le brevet 778 n’est pas inscrit par rapport à cette préparation. Lors de la demande d’avis de conformité, c’est‑à‑dire le 23 décembre 1996, la demande concernant le brevet 778 n’avait pas encore été déposée au Canada. Une demande de priorité avait été déposée devant le bureau américain des brevets le 29 mars 1996, mais ce n’est que le 12 mars 1997 que la demande a été déposée au Canada. Or, ce n’est qu’à partir de la date du dépôt au Canada que peut être invoqué le droit de faire inscrire un brevet en vertu du Règlement (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 138, au paragraphe 13). J’en profite pour revenir sur les motifs de ma décision dans l’affaire Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, où j’ai évoqué, à la toute dernière phrase du paragraphe 43, la date présentée comme date du dépôt en vertu des obligations découlant du PCT (Traité de coopération en matière de brevets). Dans le cadre de la présente requête, l’avocat a soutenu que, dans la mesure où la date présentée aux fins du PCT peut également être, dans certains cas, la date de priorité, c’est sans doute de la date de priorité dont je voulais parler. Il n’en est rien, car je parlais bien de la date présumée être la date du dépôt au Canada.
[31] L’avis de conformité à l’égard duquel il aurait été le plus logique d’inscrire le brevet 778 au registre ne peut donc pas être retenu car la demande de brevet canadien n’avait pas encore été déposée au moment du dépôt de la demande d’avis de conformité. Le paragraphe 4(4) du Règlement empêchait par conséquent l’inscription du brevet sur la liste.
[32] Le brevet 778 a donc été inscrit au registre à l’égard des six autres avis de conformité. L’avocat de Wyeth reconnaît que l’avis de conformité délivré le 14 mars 2003 concernait un changement du nom du fabricant et ne peut donc pas, comme en atteste la jurisprudence examinée dans l’arrêt Hoffman‑LaRoche, justifier l’inscription du brevet. Sur les cinq autres avis de conformité, l’avocat de Wyeth n’en invoque que deux, celui du 25 avril 2003 concernant une nouvelle indication, la [traduction] « thérapie d’entretien des troubles dépressifs majeurs », et celui du 13 septembre 2004 visant les [traduction] « révisions de la monographie du produit en ce qui concerne l’atténuation des nausées ». Selon le témoignage non contredit du Dr Schneider, le témoin expert cité par Ratiopharm, les trois autres avis de conformité n’ont rien à voir avec le brevet 778.
[33] En ce qui concerne la [traduction] « thérapie d’entretien des troubles dépressifs majeurs », le Dr Schneider fait une distinction entre « thérapie d’entretien », dépression à « épisode isolé » et troubles « à répétition ». Citant des exemples tirés du brevet 778, il a fait valoir, aux paragraphes 33 à 35 de son affidavit, que ces exemples ne porteraient pas un psychiatre ou un médecin à conclure qu’une « thérapie d’entretien » était envisagée.
[34] L’avocat de Wyeth fait pour sa part valoir que la monographie de produit de Wyeth, sous la rubrique « Indications et usage clinique » précise bien que le médicament doit être employé pour [traduction] « le soulagement des symptômes des troubles dépressifs majeurs » ainsi que pour [traduction] « entretenir une réaction antidépressive ». Wyeth fait en outre valoir qu’il est expressément questions dans les revendications 23 à 30 du brevet 778 du traitement de la dépression.
[35] Quant à l’avis de conformité se rapportant aux [traduction] « révisions de la monographie du produit en ce qui concerne l’atténuation des nausées », les révisions en question sont des ajouts aux pages 6 et 11 de la révision en date du 7 décembre 2004. Les voici :
À la page 6 :
[traduction] Les résultats d’essais menés chez des volontaires sains ont indiqué des différences quant au profil de tolérabilité gastro‑intestinale du médicament selon la forme posologique administrée. En effet, on a observé une diminution de l’incidence et du degré de sévérité de la nausée chez les volontaires sains prenant les capsules Effexor XR comparativement aux sujets recevant les comprimés à libération immédiate.
À la page 11 :
[traduction] Selon l’analyse des données concernant l’innocuité, l’incidence de la nausée survenant pendant le traitement et son degré de gravité au fil du temps étaient plus faibles avec les capsules Effexor XR qu’avec les comprimés de venlafaxine à libération immédiate. De plus, l’incidence des vomissements était moins importante avec Effexor XR qu’avec les comprimés de venlafaxine à libération immédiate.
[36] L’avocat de Ratiopharm soutient que les changements ainsi apportés à la monographie de produit sont insignifiants et ne permettent pas d’établir un « lien » entre le brevet 778 et l’avis de conformité en question. L’avocat de Wyeth a soutenu que les changements traitaient explicitement de la nausée et des vomissements et étaient manifestement liés à l’invention brevetée.
[37] La jurisprudence examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hoffman‑LaRoche, précité, notamment aux paragraphes 19 et 20 où il est justement question d’une monographie de produit, montre bien que de réelles modifications apportées à une monographie de produit peuvent effectivement justifier l’inscription d’un brevet au registre à l’égard de l’avis de conformité correspondant. Il convient, en outre, comme la Cour d’appel fédérale l’a rappelé au paragraphe 21 de l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 31 C.P.R. (4th) 321, de tenir compte des connaissances spécialisées du ministre, les questions de droit devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte et les questions de fait et les conclusions factuelles devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[38] On peut, certes, raisonnablement soutenir qu’en ce domaine le droit est en pleine évolution, mais, selon la règle de droit actuellement applicable, le ministre doit décider s’il existe un « lien » entre l’« invention brevetée » visée par le brevet 778 et l’objet des deux avis de conformité en question, concernant l’un une [traduction] « thérapie d’entretien des troubles dépressifs majeurs » et l’autre des [traduction] « révisions de la monographie du produit en ce qui concerne l’atténuation des nausées », c’est‑à‑dire si l’on peut conclure à une certaine « pertinence » entre les deux. En droit, le ministre a créé ce lien en inscrivant le brevet 778 à l’égard de ces avis de conformité. Même s’il n’y a aucun document concernant les données retenues lors de cette décision, le ministre a décidé d’établir un tel lien et il faut supposer qu’il a agi délibérément et qu’il a jugé, au vu des faits, qu’un tel lien existait. Une présomption de ce genre ne saurait exister dans tous les cas, notamment lorsqu’il est clair que ce lien n’existe pas. Dans les cas, cependant, où l’on peut raisonnablement débattre des faits et des opinions permettant d’établir l’existence d’un tel lien, il convient de s’en remettre à la décision du ministre.
[39] La Cour doit par conséquent conclure à l’existence d’un lien suffisant entre l’« invention brevetée » visée par le brevet 778, et les avis de conformité respectivement datés du 25 avril 2003 concernant la [traduction] « thérapie d’entretien des troubles dépressifs majeurs » et du 13 septembre 2004 concernant les [traduction] « révisions de la monographie du produit en ce qui concerne l’atténuation des nausées », et il n’y a, par conséquent, pas lieu dans le cadre de la présente requête, d’annuler l’inscription de ce brevet à l’égard de ces avis de conformité. Pour ce qui est des autres avis de conformité à l’égard desquels le brevet 778 a été inscrit, étant donné la preuve et de l’aveu même de l’avocat de Wyeth, les inscriptions correspondantes devraient être radiées.
[40] La requête est par conséquent rejetée en ce qui concerne les avis de conformité du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004, mais elle est accueillie pour ce qui est des avis de conformité des 14 mars 2003, 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005. Étant donné la nouveauté des règles de droit applicables en ce domaine et le succès partagé des parties, il n’y aura aucune adjudication de dépens.
ORDONNANCE
Pour les motifs susmentionnés, LA COUR ORDONNE :
1. La requête est rejetée pour ce qui est des avis de conformité concernant les gélules d’EFFEXOR XR, délivrés le 25 avril 2003 et le 13 septembre 2004.
2. La requête est accueillie en ce qui concerne les avis de conformité des 14 mars 2003, 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005, et il est ordonné au ministre de radier l’inscription du brevet canadien no 2,199,778 en ce qui concerne ces avis de conformité.
3. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑243‑06
INTITULÉ : WYETH CANADA et WYETH
c.
RATIOPHARM INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 MARS 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HUGHES
DATE DES MOTIFS : LE 29 MARS 2007
COMPARUTIONS :
Anthony Creber
James E. Mills POUR LES REQUÉRANTES
Glen Bloom POUR L’INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson LLP
Ottawa (Ontario) POUR LES REQUÉRANTES
Osler Hoskin & Harcourt LLP POUR L’INTIMÉE
Ottawa (Ontario) RATIOPHARM INC.
John H. Sims, c.r. POUR L’INTIMÉ
Sous‑procureur général du Canada LE MINISTRE DE LA SANTÉ
Ottawa (Ontario)