Ottawa (Ontario), le 20 mars 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée par M. Siddhart Juneja qui sollicite une ordonnance visant à faire annuler une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle il a été déclaré interdit de territoire au titre de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). La présente décision fait état des motifs du jugement prononcés à l’audience le 13 mars 2007 à Edmonton (Alberta).
CONTEXTE
[2] En août 2005, M. Juneja est arrivé au Canada en provenance de l’Inde en tant que résident temporaire dans le but d’étudier au Northen Alberta Insitute of Technology à Edmondton. Son permis d’études était valide jusqu’au 30 juillet 2006 et lui interdisait expressément de travailler sauf autorisation contraire du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada (le Ministère).
[3] Au cours d’une enquête, M. Juneja a été aperçu travaillant chez un concessionnaire Ford à Edmonton. Il a été arrêté le 2 mai 2006 parce qu’il travaillait sans y être autorisé ce qui est interdit par le paragraphe 30(1) de la Loi. Une enquête a été ouverte en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi. Le 22 août 2006, la Commission a déclaré M. Juneja interdit de territoire et a pris une mesure d’exclusion l’enjoignant de quitter le Canada.
[4] Il semble que M. Juneja a depuis quitté le Canada après l’expiration de son visa d’étudiant.
L’ENQUÊTE DE LA COMMISSION ET SA DÉCISION
[5] La Commission devait déterminer si M. Juneja, en tant qu’étranger, avait contrevenu au paragraphe 30(1) de la Loi en exerçant un emploi au Canada sans en avoir l’autorisation. Il est admis que M. Juneja n’avait pas de permis de travail au moment où il a été aperçu en train de travailler chez le concessionnaire Ford à Edmonton. La question en litige était de savoir si ses activités dans cette entreprise constituaient du « travail » au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Voici le texte de cette disposition :
« travail » Activité qui donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission, ou qui est en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents sur le marché du travail au Canada. |
“work” means an activity for which wages are paid or commission is earned, or that is in direct competition with the activities of Canadian citizens or permanent residents in the Canadian labour market. |
[6] Bien que la preuve présentée devant la Commission au sujet des conditions de l’entente conclue entre M. Juneja et le concessionnaire Ford était quelque peu imprécise, la Commission était convaincue que ces activités constituaient bel et bien du « travail » aux termes de la Loi et du Règlement. À cet égard, M. Juneja effectuait des tâches assimilables à du travail mais il n’était pas rémunéré. Son employeur accumulait ses heures en banque ou les comptabilisait supposément dans le but de lui payer son salaire lorsqu’il recevrait l’autorisation de travailler du Ministère. Le salaire convenu était de 8 $ l’heure.
[7] La Commission a conclu que ces arrangements satisfaisaient à la définition de « travail ». Elle a jugé que l’entente selon laquelle l’employeur devait accumuler en banque les heures de M. Juneja et lui payer un salaire de 8 $ l’heure (bien que conditionnelle) prévoyait des activités qui soit donnent lieu au paiement d’un salaire, soit sont en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents.
NORME DE CONTRÔLE
[8] La question de savoir si les activités exercées par M. Juneja constituaient du « travail » aux termes du Règlement est sur une question mixte de fait et de droit puisqu’il convient d’appliquer une conclusion de fait à une définition prévue par le Règlement. Cependant, cette question est essentiellement une question de droit qui donne lieu à moins de retenue qu’une question purement ou principalement factuelle. Dans la présente affaire, je suis d’avis que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter. Même si j’ai tort quant à la norme de contrôle applicable, je suis convaincu que la décision de la Commission répond à la norme la moins contraignante, soit celle de la décision correcte.
ANALYSE
[9] Les conclusions de fait de la Commission étaient raisonnables en ce qui concerne les conditions de l’entente de M. Juneja. La Commission a jugé que cette entente prévoyait le paiement à M. Juneja d’un salaire, selon un taux horaire de 8 $, conditionnel à l’obtention subséquente d’un permis de travail. Ces conclusions ont été corroborées par la preuve et, de toute façon, elles ne sont pas contestées par M. Juneja.
[10] La question est donc de savoir si une entente aussi précaire prévoyant le paiement d’un salaire en échange d’un travail répond à la définition légale de « travail » prévue à l’article 2 du Règlement. La Commission a jugé que c’était le cas et, à mon avis, elle avait raison d’en conclure ainsi.
[11] M. Juneja s’attendait à être payé et le concessionnaire avait au moins une obligation conditionnelle à respecter, et peut-être même une obligation légale absolue de le payer pour le travail effectué. Les « activités » de M. Juneja étaient de nature telle qu’elles méritent un salaire et celui-ci s’attendait à en recevoir un.
[12] Même si M. Juneja avait raison en affirmant que la définition de « travail » établit une norme absolue qui ne comprend pas une entente de paiement conditionnel, sa conduite serait toujours régie par la deuxième partie de la définition, soit l’exécution d’une tâche qui est en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents sur le marché du travail au Canada. L’embauche de M. Juneja faisait directement concurrence aux travailleurs qui étaient légalement habilités à travailler au Canada, et ce, que ce soit en retour d’un salaire ou non. Je ne partage pas l’avis de l’avocat de M. Juneja, selon lequel cette partie de la définition ne s’applique qu’aux travailleurs autonomes. La définition n’établit aucun critère de la sorte. Je ne partage pas non plus l’avis selon lequel seuls les employeurs pourraient être en concurrence directe. L’employeur n’était pas en concurrence avec d’éventuels employés canadiens, mais M. Junaja l’était.
[13] On peut trouver des arguments supplémentaires à l’appui de cette interprétation dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié en même temps que le Règlement révisé et dans les Directives du Ministère. Tous deux indiquent que la définition de « travail » comprend le travail non payé effectué dans le but d’obtenir de l’expérience de travail tel qu’un stage habituellement effectué par un étudiant. Bien qu’elles ne lient pas la Cour, ces sources peuvent être utiles dans l’interprétation de la loi et, en l’espèce, elles appuient certainement l’analyse juridique de la Commission.
[14] Je ne crois pas que la jurisprudence sur laquelle se fonde M. Juneja appuie ses arguments en l’espèce. Les deux décisions, Bernardez c. Canada (1995), 101 F.T.R. 203, [1995] A.C.F. no 1297 et Georges c. Canada, [1978] A.C.F. no 140, [1979] 1 C.F. 349 (C.A.), ont été rendues avant la modification de la définition de « travail » dans le Règlement. Voici le texte de l’ancienne disposition : « activité rétribuée, ou normalement susceptible de l'être ». Cette disposition ne mentionnait aucunement la concurrence avec des emplois qui seraient autrement offerts aux Canadiens. Malgré cela, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Georges, précitée, a jugé que la définition antérieure avait comme objet principal de protéger les possibilités d’emploi des Canadiens, que ceux‑ci soient rémunérés ou non. Même si dans les décisions Georges et Bernardez il a été reconnu que l’interprétation de cette définition devait être souple, aucune d’elles ne permet de conclure que, eu égard à la preuve en l’espèce, M. Juneja ne travaillait pas, et ce, autant aux termes de la nouvelle définition de « travail » que de l’ancienne.
[15] En conclusion, je juge que la décision de la Commission est raisonnable compte tenu des faits de la présente affaire et rejette donc la présente demande.
[16] L’avocat de M. Juneja propose de certifier la question suivante :
[traduction] La nouvelle définition de « travail » figurant dans le Règlement comprend-elle l’attente raisonnable de paiement?
Après réflexion, je ne suis pas disposé à certifier cette question. La présente affaire ne soulève pas une pure question de droit, mais elle repose plutôt sur un ensemble de faits particuliers à la situation de M. Juneja. Je ne crois pas que cette décision soulève une question d’importance générale qui pourrait se retrouver dans d’autres causes. De plus, cette question ne serait pas déterminante en l’espèce, car la Commission a conclu que M. Juneja n’a pas satisfait aux deux critères de la définition de « travail » établis par le Règlement. Sauf si la question proposée permet de trancher l’affaire, il est clair qu’elle ne doit pas être certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« R. L. Barnes »
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4703-06
INTITULÉ : SIDDARTH JUNEJA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 MARS 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BARNES
DATE DES MOTIFS : LE 20 MARS 2007
COMPARUTIONS :
Obi Agbarakwe POUR LE DEMANDEUR
Rick Garvin POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
AGB Law Office POUR LE DEMANDEUR
2410, 10235 – 101 Street
Edmonton AB T5J 3G1
(780) 453-6774
Department of Justice Canada POUR LE DÉFENDEUR
211 Bank of Montreal Building
10199 – 101 Street
Edmonton AB T5J 3Y4
(780) 495-4317