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Date :  20070307

Dossier :  IMM-4284-06

Référence :  2007 CF 263

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2007

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

MARIA DEL PILAR VILLARREAL ZEMPOALTE

MONSERRAT HERNANDEZ VILLARREAL

AMNER HERNANDEZ VILLARREAL

LUIS ANGEL HERNANDEZ VILLARREAL

 

partie demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue le 17 mai 2006 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié selon laquelle les demandeurs ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger », tel que défini aux articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               La demanderesse principale, Maria Del Pilar Villarreal Zempoalte, et ses trois enfants mineurs, tous citoyens du Mexique, ont quitté leur pays pour le Canada en août 2005. Ils ont demandé l'asile au Canada en raison de l’appartenance à un groupe social particulier de la demanderesse principale, soit les femmes victimes de violence.

 

[3]               Ils allèguent les faits suivants au soutien de leur revendication :

 

[4]               Durant les 11 ans de son mariage, la demanderesse a été battue par son mari, surtout lors de leurs relations sexuelles. La demanderesse aurait déposé des dénonciations à la police en 2004 et 2005, mais sans conséquence, ce qui aurait rendu le mari plus violent et aurait amené la demanderesse à se cacher dans la ville de Puebla. Son mari l’aurait retrouvée et l’aurait forcée à retourner vivre avec lui.

 

[5]               La demanderesse et son mari ont divorcé en 2005; ce dernier est devenu plus agressif envers elle et les enfants après le divorce. Elle a suivi une thérapie familiale, mais cela n’a pas amélioré la situation. En jugeant qu’elle ne pouvait pas recevoir la protection des autorités policières, elle quitte son pays pour le Canada avec ses enfants en août 2005.

 

[6]               En rejetant la revendication de la demanderesse, la SPR a conclu qu’elle n’était pas crédible en raison des omissions, de l’absence de document probant et de sa preuve nébuleuse.

 

Analyse

 

[7]               Il est bien établi que la SPR a une expertise pour déterminer des questions de fait et pour évaluer la crédibilité des demandeurs d'asile (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), aux paras. 3-4) de sorte que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               Ceci dit, la décision de la SPR doit tout de même s’appuyer sur la preuve et ne doit pas être tirée de façon abusive, arbitraire ou fondée sur des conclusions de fait erronées ou en ignorant des éléments de preuve présentés (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100 au par. 38; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au para. 14).

 

[9]               Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour en omettant de tenir compte des Directives données par la présidente sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives), dans son analyse de la crédibilité de la demanderesse.

 

[10]           La jurisprudence de la Cour fédérale a clairement établi que la SPR est censée prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et le l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1142 (1re inst.) (QL); Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1127 (C.F.) (QL), 2006 CF 871).

 

[11]           Cependant, l’omission de mentionner les Directives de manière explicite n’est pas nécessairement déterminante. Ce qui importe c’est que la SPR démontre un degré de compréhension et de sensibilité dans l’appréciation des déclarations et de la conduite d’une revendicatrice, ce qui doit être reflété dans ses motifs.

 

[12]           À cet égard, dans l’affaire Kaur c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 1345 (QL), 2006 CF 1066 au paragraphe 12, le juge Yves de Montigny s’exprimait ainsi :

S'agissant d'abord des Directives, il est exact que la SPR n'y réfère pas explicitement dans ses motifs. Cela n'est cependant pas fatal en soi, puisque le silence du commissaire à cet égard ne permet pas de tirer la conclusion que les Directives n'ont pas été considérées dans son analyse du dossier. De la même façon, la seule mention exécutée de manière rituelle à l'effet que les Directives ont été considérées ne suffira pas toujours à établir que le tribunal s'y est conformé. Ce qui importe, c'est que les motifs de la décision témoignent de la sensibilité du décideur à la situation particulière des femmes lorsque le fondement de leur revendication est relié à leur vulnérabilité. Bien que les Directives ne lient pas la SPR, elles doivent néanmoins être considérées dans les cas appropriés (Fouchong c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 88 F.T.R. 37 au paragr. 10-11 (C.F.), [1994] A.C.F. no 1727 (QL); Khon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 143, (2004), 36 Imm. L.R. (3e) 55 au paragr. 18 (C.F.), [2004] A.C.F. no 173 (QL)). [Je souligne.]

 

[13]           À mon avis, les motifs de décision dans le présent dossier ne témoignent pas de la sensibilité du décideur envers sa situation particulière d’une femme battue. Sa vulnérabilité pouvait expliquer son comportement, plus particulièrement concernant le fait que celle-ci n’ait pas signalé les sévices qu’elle aurait subis de la part de son ex-mari.

 

[14]           Ainsi, le Commissaire a attaqué la crédibilité de la demanderesse au motif qu’elle aurait dû dénoncer son mari au personnel hospitalier lorsqu’elle s’est fait soigner à l’hôpital, et qu’elle aurait dû le dénoncer à la police. Confrontée, elle a expliqué qu’elle avait peur, que son mari était à l’extérieur avec les enfants et qu’il l’avait menacé ainsi que les enfants si elle le dénonçait.

 

[15]           Le Commissaire a rejeté son explication. Or, la réticence de la victime a révélé l’existence ou la gravité des mauvais traitements est compatible avec le syndrome de la femme battue et explique pourquoi une femme reste dans sa situation abusive (R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852).

 

[16]           À cet égard, les rapports psychologiques de la thérapie qu’elle a suivie au Mexique et au Canada expliquent le comportement de la demanderesse. Il s’agissait d’une preuve importante au dossier de la revendicatrice. Cependant, ces rapports ont été complètement écartés par le Commissaire puisqu’ils ne faisaient pas foi de la véracité des renseignements sur lesquels l’expertise était fondée.

 

[17]           À mon avis, ceux-ci démontraient à tout le moins l’état de traumatisme dans lequel se trouvait la demanderesse et expliquaient de façon détaillée les nombreux symptômes dont elle souffrait suite à la violence conjugale.

 

[18]           À cet effet, la Cour suprême du Canada affirmait dans Lavallée, ci-dessus, que le témoignage d’expert est admissible pour aider les juges de fait à faire des inférences dans les domaines où l’expert possède des connaissances ou une expérience pertinente qui dépassent celles du profane. La Cour rappelle qu’il n’est pas nécessaire que chacun des faits précis sur lesquels est fondée l’opinion de l’expert soit établi en preuve pour donner une valeur probante à cette opinion. En l’espèce, les allégations de violence conjugale et la sensibilité particulière qu’il faut démontrer dans un tel cas, auraient dû amener le décideur à examiner ses rapports psychologiques et décider quel poids leur accorder.

 

[19]           Le Commissaire ne pouvait écarter d’emblée cette preuve pertinente et affirmer qu’il n’y avait aucune preuve probante qui lui permettait de conclure à la crédibilité de la demanderesse.

 

[20]           En l’espèce, j’estime que la SPR n’a pas seulement négligé de mentionner les Directives, mais ne les a pas considérées dans son analyse du dossier. Cette erreur, ainsi que l’absence de considération d’une preuve pertinente importante, constituent des erreurs déterminantes dans l’issue du présent dossier et justifient l’intervention de la Cour.

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

 


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-4284-06

 

INTITULÉ :                                       MARIA DEL PILAR VILLARREAL ZEMPOALTE

MONSERRAT HERNANDEZ VILLARREAL

AMNER HERNANDEZ VILLARREAL

LUIS ANGEL HERNANDEZ VILLARREAL

 

                                                            et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Eveline Fiset

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

477, rue St-François-Xavier

Bureau 308

Montréal, Québec

H2Y 2T2

 

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Ministère de la Justice

Montréal, Québec

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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