T-526-06
T-527-06
T-1837-05
T-569-06
T-570-06
Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 février 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, M. Wicks, a introduit six demandes de contrôle judiciaire pour contester la thèse du Commissaire aux brevets (le Commissaire) suivant laquelle les deux demandes de brevet du demandeur ont été abandonnées de façon irrévocable et ne peuvent être rétablies. Les présents motifs portent sur chacune des demandes de brevet, ainsi que sur les assertions du demandeur suivant lesquelles le Commissaire s’est trompé quant à la date d’expiration de chacune des demandes de brevet et s’est mépris sur les règles de droit applicables. Malgré les arguments novateurs et insolites du demandeur, j’en suis arrivée à la conclusion que la thèse du Commissaire est bien fondée. Les demandes de contrôle judiciaire seront donc rejetées.
I. Contexte
[2] La question de droit que la Cour est appelée à trancher se résume à une question d’interprétation des lois. Les faits à l’origine du litige commandent que je retourne dans le passé. Il y a lieu de tenir compte de certains usages qui avaient cours auparavant au bureau du Commissaire, des incidences de la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale sur ces usages et de la façon dont le législateur fédéral a réagi à cette jurisprudence. Cette mise en contexte est nécessaire pour bien situer les arguments du demandeur.
[3] Avant d’aborder l’aspect historique, il convient de présenter brièvement le demandeur. M. Wicks affirme être le titulaire de la demande de brevet canadien no 2 159 102 (la demande de brevet 102) et l’auteur de l’invention visée par ce brevet. Il est sans intérêt en l’espèce de préciser la nature de cette invention. La demande de brevet 102 a été déposée le 25 septembre 1995 en tant que demande de la phase nationale canadienne, qui correspondait à la demande de brevet internationale no PCT/US94/002212 déposée le 1er mars 1994 et à son document de priorité apparenté, le brevet américain no 5 890 433 délivré le 6 avril 1999 en réponse à la demande déposée le 25 mars 1993. M. Wicks affirme également être le titulaire de la demande de brevet canadien no 2 228 707 (la demande de brevet 707) et l’auteur de l’invention visée par ce brevet. La demande de brevet 707 a été déposée le 4 février 1998 et le demandeur revendiquait la priorité relativement à la demande de série no 60/037162 déposée aux États-Unis le 4 février 1997. La demande de brevet 707 décrit une amélioration à la demande de brevet 102.
[4] Ainsi, la demande de brevet 102 a été déposée au Canada le 25 septembre 1995, et la demande de brevet 707 a été déposée au Canada le 1er mars 1998. Le régime législatif qui s’applique aux demandes de brevet est exposé plus en détail plus loin dans les présents motifs. Je reviendrai en temps utile aux demandes de brevet 102 et 707. Je passe maintenant à un survol historique. On trouvera un exposé plus complet dans la jurisprudence que je cite plus loin. Il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse plus poussée en l’espèce.
[5] La Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi) et les Règles sur les brevets, DORS/96‑423 (les Règles) obligent la personne qui présente une demande de brevet à payer, à des dates déterminées, une somme d’argent réglementaire désignée sous le nom de « taxe périodique ». En acquittant la taxe périodique, l’intéressé s’assure que sa demande de brevet est maintenue en état. La taxe payable par une « petite entité » (au sens des Règles) est moins élevée que celle qui est exigée d’une « grande entité » (toute entité qui ne répond pas à la définition de petite entité).
[6] Dans les cas où un demandeur payait la taxe exigible d’une petite entité alors qu’il aurait dû payer la taxe exigible d’une grande entité, le Commissaire avait pour usage d’accepter des versements complémentaires pour combler la différence. Les versements complémentaires étaient considérés comme des paiements correctifs rétroactifs et ce, qu’ils soient effectués ou non dans le délai prescrit par la loi pour rétablir une demande de brevet qui était présumée avoir été abandonnée pour défaut de paiement de la taxe réglementaire.
[7] Dans l’affaire Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325, 209 F.T.R. 260, 14 C.P.R. (4th) 499 (Dutch Industries no 1), la question en litige était celle de savoir si le Commissaire aux brevets était compétent pour accepter un paiement complémentaire après l’expiration du délai prescrit de manière à combler le déficit. La Cour a conclu que la Loi et les Règles témoignaient de l'existence d'une obligation impérative de payer les taxes prescrites et des conséquences impératives découlant d'un abandon réputé si les taxes prescrites n'étaient pas payées avant l'expiration du délai prescrit pour leur paiement. Toute demande de rétablissement devait avoir été présentée dans le délai prescrit. La Cour a ajouté que le Commissaire n’avait pas compétence pour accepter des paiements visant à corriger le défaut de payer les taxes périodiques prescrites dans le délai prévu pour rétablir la demande.
[8] En appel, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Dutch Industries c. Canada (Commissaire aux brevets), [2003] 4 C.F. 67, 301 N.R.152, 24 C.P.R. (4th) 157 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée à [2003] C.R.C.S. no 204 (Dutch Industries no 2), convenu que le Commissaire aux brevets n’était pas habilité à accepter un paiement complémentaire après l’expiration du délai prévu pour le rétablissement de la demande. La Cour d’appel a toutefois estimé qu’il était faux de prétendre que le statut de petite entité d'une personne pouvait changer à l'occasion. La Cour d’appel a conclu les dispositions législatives applicables devraient être interprétées de manière à ce que la personne qui répond à la définition de petite entité lorsque le régime des brevets entre en jeu pour la première fois (habituellement, lors du dépôt de la demande de brevet), conserve ce statut en ce qui concerne cette demande de brevet et tout brevet en découlant pendant toute la durée de celui-ci. En d’autres termes, le statut du demandeur est déterminé au départ et il ne change pas par la suite pour l’application de la Loi et des Règles.
[9] En réponse aux décisions rendues dans l’affaire Dutch Industries, le législateur fédéral a inséré dans la Loi l’article 78.6, qui est entré en vigueur le 1er février 2006 en vertu du décret 2005‑1871. Voici les dispositions pertinentes du paragraphe 78.6 (1) :
78.6 (1) Si, avant l’entrée en vigueur du présent article, une personne a payé la taxe réglementaire relative à une petite entité, au sens des Règles sur les brevets dans leur version applicable à la date du paiement, alors qu’elle aurait dû payer celle relative à une entité autre qu’une petite entité, et qu’elle verse la différence au Commissaire aux brevets en conformité avec le paragraphe (2), avant la date d’entrée en vigueur du présent article ou au plus tard douze mois après cette date, le versement est réputé avoir été fait à la date du paiement de la taxe réglementaire, indépendamment de toute instance ou autre procédure engagée à l’égard du brevet ou de la demande de brevet qui fait l’objet de la taxe ou de toute décision en découlant.
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78.6 (1) If, before the day on which this section comes into force, a person has paid a prescribed fee applicable to a small entity, within the meaning of the Patent Rules as they read at the time of payment, but should have paid the prescribed fee applicable to an entity other than a small entity and a payment equivalent to the difference between the two amounts is submitted to the Commissioner in accordance with subsection (2) either before or no later than twelve months after that day, the payment is deemed to have been paid on the day on which the prescribed fee was paid, regardless of whether an action or other proceeding relating to the patent or patent application in respect of which the fee was payable has been commenced or decided.
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II. Dispositions législatives applicables
[10] Plusieurs modifications ont été apportées à la Loi après que M. Wicks eut déposé ses demandes de brevet. Je ne citerai que les dispositions actuellement en vigueur. Les présentes demandes ne font pas entrer en jeu les anciennes dispositions.
[11] Le paragraphe 27.1(2) de la Loi oblige celui qui présente une demande de brevet à payer les taxes réglementaires.
(2) L’inventeur ou son représentant légal doit déposer, en la forme réglementaire, une demande accompagnée d’une pétition et du mémoire descriptif de l’invention et payer les taxes réglementaires.
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(2) The prescribed application fee must be paid and the application must be filed in accordance with the regulations by the inventor or the inventor’s legal representative and the application must contain a petition and a specification of the invention.
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[12] Les taxes réglementaires et le moment où elles doivent être payées sont précisées dans les Règles et à l’annexe II des Règles. Aux termes de l’article 30 de l’annexe II, le demandeur doit en principe payer chaque année une taxe périodique d’un montant précis au plus tard à la date anniversaire de la demande.
[13] L’article 73 de la Loi précise bien que, si le demandeur omet de payer la taxe réglementaire dans le délai prescrit ou fait défaut de demander un examen et de payer la taxe réglementaire, la demande est considérée comme abandonnée.
73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas : a) … b) … c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1; d) de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire; e) … f) …
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73. (1) An application for a patent in Canada shall be deemed to be abandoned if the applicant does not (a) … (b) … (c) pay the fees payable under section 27.1, within the time provided by the regulations; (d) make a request for examination or pay the prescribed fee under subsection 35(1) within the time provided by the regulations; (e) …; or (f) …
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[14] Ainsi, si le demandeur fait défaut de payer la taxe réglementaire exigible, la demande est réputée abandonnée. Elle peut toutefois être rétablie si, dans l’année du défaut, certaines mesures sont prises. Plus précisément, le demandeur peut présenter une requête à cet effet, acquitter les taxes réglementaires en souffrance et payer la taxe de rétablissement prévue. Le mécanisme de rétablissement se trouve au paragraphe 73(3) de la Loi.
(3) Elle peut être rétablie si le demandeur : a) présente au Commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet; b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon; c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire. |
(3) An application deemed to be abandoned under this section shall be reinstated if the applicant (a) makes a request for reinstatement to the Commissioner within the prescribed period; (b) takes the action that should have been taken in order to avoid the abandonment; and (c) pays the prescribed fee before the expiration of the prescribed period. |
[15] Les taxes réglementaires et le délai prescrit sont précisés à l’article 152 des Règles.
152. Pour que la demande considérée comme abandonnée en application de l’article 73 de la Loi soit rétablie, le demandeur, à l’égard de chaque omission mentionnée au paragraphe 73(1) de la Loi ou visée à l’article 151, présente au Commissaire une requête à cet effet, prend les mesures qui s’imposaient pour éviter la présomption d’abandon et paie la taxe prévue à l’article 7 de l’annexe II, dans les douze mois suivant la date de prise d’effet de la présomption d’abandon.
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152. In order for an application deemed to be abandoned under section 73 of the Act to be reinstated, the applicant must, in respect of each failure to take an action referred to in subsection 73(1) of the Act or section 151, make a request for reinstatement to the Commissioner, take the action that should have been taken in order to avoid the deemed abandonment and pay the fee set out in item 7 of Schedule II before the expiry of the twelve-month period after the date on which the application is deemed to be abandoned as a result of that failure.
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III. La thèse cristallisée du demandeur
[16] Le dossier du demandeur renferme un historique documentaire exhaustif qui semble comprendre tout ce qui concerne les demandes de brevet 102 et 707. Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur invoque des moyens tirés des principes de droit administratif et des déclarations de principe de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC), en plus d’affirmer que les droits que lui reconnaissent le paragraphe 27(1) et l’article 78.6 de la Loi ont été violés, ainsi que les droits qui lui sont garantis par la Déclaration canadienne des droits. Il invoque également la doctrine des attentes légitimes et celle de l’erreur.
[17] À l’audience, l’avocat du demandeur a renoncé à tous ses arguments, sauf un. Il a par ailleurs précisé que l’on pouvait ignorer la plupart des pièces versées au dossier parce qu’elles n’ont aucune valeur probante. Le contenu du dossier a donc été considérablement réduit et la thèse du demandeur a été ramenée à une seule question, celle de savoir si le paragraphe 78.6(1) s’applique à ses demandes de brevet. C’est la seule question qui a été débattue et c’est la seule qui sera examinée dans les présents motifs.
[18] Les avocats ont ensuite traité des six demandes de contrôle judiciaire (trois pour chacune des demandes de brevet contestées). La demande de brevet 102 porte sur les dossiers nos T-1836-05, T‑526-06 et T-527-06. La demande de brevet 707 concerne les dossiers nos T-1837-05, T-569-06 et T-570-06. L’avocat du demandeur a officiellement demandé que je n’examine que le dossier T‑527‑06 relativement à la demande de brevet 102, et que je n’examine que le dossier T-569-06, pour ce qui est de la demande de brevet 707. L’avocat du demandeur a affirmé (avec l’accord de l’avocate du Commissaire) que la décision qui serait rendue dans le dossier T-527-06 vaudrait aussi pour toutes les demandes de contrôle judiciaire portant sur la demande de brevet 102, et que la décision qui serait rendue dans le dossier T-569-06 vaudrait aussi pour toutes les demandes de contrôle judiciaire portant sur la demande de brevet 707. Bien que j’aie invité l’avocat à simplement se désister des quatre autres demandes, les raisons pour lesquelles il a refusé de le faire m’échappent toujours. En conséquence, mon analyse sera axée sur les dossiers nos T-527-06 et T-569-06. Toutefois, comme les autres demandes de contrôle judiciaire n’ont pas fait l’objet d’un désistement en bonne et due forme, une copie des présents motifs sera également déposée dans chacun des autres dossiers.
[19] Par ailleurs, l’avocat du demandeur a formellement reconnu l’exactitude de la chronologie des faits proposée par le Commissaire. Comme le contexte factuel de chacune des demandes de brevet est différent, je vais examiner à tour de rôle chacune des demandes de brevets.
IV. Question en litige
[20] La seule question en litige est celle de savoir si le demandeur tombe sous le coup du paragraphe 78.6(1) de la Loi.
V. Norme de contrôle
[21] Pour répondre à cette question, il faut interpréter le paragraphe 78.6(1) de la Loi. Les questions d’interprétation des lois sont de pures questions de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Il faut que la thèse du Commissaire au sujet des demandes de brevet 102 et 707 soit bien fondée.
VI. Demande de brevet 102
[22] Voici les faits à l’origine de la demande de brevet 102 :
25 septembre 1995 La demande de brevet 102 entre dans la phase nationale canadienne. Pour le compte du demandeur, en sa qualité de grande entité, les taxes réglementaires et le deuxième versement sont payés à l’OPIC, qui représente le Commissaire.
1er mars 1997 Le demandeur fait défaut d’acquitter le troisième versement de la taxe périodique à la date d’échéance. La demande de brevet est considérée comme abandonnée.
9 avril 1997 L’OPIC publie un avis d’abandon.
25 février 1998 Le demandeur soumet un formulaire dans lequel il affirme qu’il a le statut de petite entité depuis janvier 1997. (Dans leur rédaction alors en vigueur, les Règles renfermaient une définition beaucoup plus complexe de l'expression « petite entité », mais l'économie de la taxe périodique était essentiellement la même.)
27 février 1998 Le demandeur demande le rétablissement de sa demande en acquittant la taxe réglementaire. Le demandeur acquitte, en tant que petite entité, le troisième versement (en souffrance) et paie le quatrième versement annuel.
11 mars 1998 L’OPIC publie un avis de rétablissement.
1990-2000 Le demandeur acquitte le cinquième et le sixième versements annuels.
1er mars 2001 Le demandeur fait défaut de payer le septième versement annuel à la date d’échéance. La demande est considérée comme abandonnée.
29 mars 2001 L’OPIC publie un avis d’abandon.
1er mars 2002 Expiration du délai de 12 mois dans lequel la demande pouvait être rétablie. Aucune demande de rétablissement n’a été présentée et aucun paiement n’a été fait dans ce délai de 12 mois.
16 novembre 2004 Le demandeur transmet le paiement des versements 7 à 10, avec la surtaxe associée.
14 décembre 2004 L’OPIC informe le demandeur que sa demande de brevet [traduction] « est devenue caduque le 1er mars 2002 pour défaut de paiement des taxes réglementaires ».
31 janvier 2005 Le demandeur effectue le onzième versement.
8 mars 2005 L’OPIC rappelle au demandeur que sa demande est considérée comme abandonnée et que le délai prévu pour son rétablissement est expiré. L’OPIC informe le demandeur que le présumé onzième versement lui sera remis sur demande.
6 avril 2005 L’OPIC retourne au demandeur ses versements 7 à 10.
5 juillet 2005 Le demandeur réclame le rétablissement de sa demande en soumettant de nouveau les versements 7 à 10 avec la surtaxe exigible.
19 septembre 2005 L’OPIC rappelle de nouveau au demandeur que sa demande est considérée comme abandonnée et que le délai prévu pour son rétablissement est expiré. L’OPIC informe le demandeur que les présumés versements qu’il a faits lui seront remis sur demande.
19 octobre 2005 Le demandeur introduit une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1836-05 pour contester la « décision » contenue dans la lettre du 19 septembre 2005 de l’OPIC.
31 janvier 2006 Le demandeur transmet 550 $ à l’OPIC et autorise le Commissaire à [traduction] « prendre toutes les mesures utiles » pour débiter son compte Visa pour [traduction] « toute somme d’argent complémentaire nécessaire pour acquitter les taxes complémentaires exigibles ».
1er février 2006 Le demandeur transmet le 12e versement avec la différence entre la somme payable par une petite entité et celle exigible d’une grande entité.
21 février 2006 L’OPIC rappelle de nouveau au demandeur que le délai de rétablissement de sa demande est expiré et l’informe que le présumé versement du 31 janvier lui sera remis sur demande.
27 février 2006 S’agissant du présumé versement du 1er février 2006, l’OPIC rappelle une fois de plus au demandeur que sa demande est caduque.
23 mars 2006 Le demandeur introduit une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-526-06 pour contester la « décision » contenue dans la lettre du 21 février 2006 de l’OPIC.
Le demandeur introduit une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-527-06 pour contester la « décision » contenue dans la lettre du 27 février 2006 de l’OPIC.
[23] Le demandeur soutient que l’article 78.6 s’applique à ses demandes de brevet. Il admet que, si l’on fait abstraction du paragraphe 78.6(1), les demandes de brevet ont expiré et que la thèse du Commissaire est bien fondée. En résumé, si la Cour retient l’argument invoqué par le demandeur au sujet du paragraphe 78.6(1), elle doit lui donner gain de cause. Toutefois, si elle rejette son argument, elle doit rejeter les demandes de contrôle judiciaire.
[24] La thèse du demandeur est que le Commissaire s’est trompé quant à la date d’expiration des deux demandes de brevet et qu’il a mal compris les conséquences juridiques de l’arrêt Dutch Industries no 2 et du paragraphe 78.6(1). Lors des débats, le demandeur a uniquement cité l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Dutch Industries. Il ne sera donc désormais question que de l’arrêt Dutch Industries no 2.
[25] Selon le demandeur, la bonne date d’expiration en ce qui concerne les deux demandes de brevet est celle à laquelle le demandeur a effectué son versement incorrect de taxe (la date à laquelle le demandeur a payé la taxe en tant que petite entité au lieu de l’acquitter en tant que grande entité). L’arrêt Dutch Industries impose ce résultat parce que la Cour a statué que la personne qui répond à la définition de petite entité lors du dépôt de la demande de brevet conserve ce statut en ce qui concerne cette demande de brevet et tout brevet en découlant pendant toute la durée de celui-ci. Le statut de petite ou de grande entité est déterminé une fois pour toutes lorsque le régime des brevets entre en jeu pour la première fois. À cet égard, l’arrêt Dutch Industries a un effet rétroactif. Dans l’arrêt Dutch Industries, la Cour d’appel a interprété les dispositions de la Loi et son interprétation tient toujours.
[26] Le demandeur affirme qu’en adoptant le paragraphe 78.6(1), le législateur a cherché à atténuer la rigueur de l’arrêt Dutch Industries, en accordant aux titulaires de brevets et aux demandeurs un délai d’un an pour « corriger » leur demande en complétant leurs versements, permettant ainsi de faire revivre leurs demandes de brevet caduques. À l’appui de son argument, le demandeur invoque la Loi d’interprétation, L.R.C., ch. I-21, et plus précisément l’article 12, qui prévoit que tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. Il se fonde aussi sur divers extraits des Débats de la Chambre des communes et du Sénat, et plus précisément sur les propos du sénateur Joseph A. Day qui sont rapportés au volume 142, numéro 37 (17 février 2005).
[27] Le demandeur affirme que l’arrêt Johnson & Johnson Inc. et autres c. Arterial Vascular Engineering Canada Inc. et al. (2006), 351 N.R. 87 (C.A.F.) (Johnson) étaye davantage sa thèse. Il cite notamment les observations que l’on trouve aux paragraphes 5, 6, 8 et 10 et affirme qu’il ressort du raisonnement de la Cour que le paragraphe 78.6(1) a un effet rétroactif qui permet de retenir une date présumée de paiement avec effet rétroactif.
[28] Il découle de l’argument du demandeur que la demande de brevet 102 est « devenue caduque » le 27 février 1998. Ce jour-là, le demandeur a payé en tant que petite entité les taxes périodiques et les taxes de rétablissement exigibles pour ses demandes de brevet. Toutefois, comme le demandeur avait d’abord présenté ses demandes en tant que grande entité (le 25 septembre 1995), il aurait dû payer les taxes en tant que grande entité depuis le début. L’arrêt Dutch Industries s’applique rétroactivement et, par effet de la loi, la demande de brevet est devenue caduque le 27 février 1998 par suite de l’arrêt Dutch Industries. L’article 78.6 a été adopté expressément pour remédier aux conséquences de l’arrêt Dutch Industries. Ainsi, lorsque le demandeur a réglé les taxes, l’article 78.6 est entré en jeu et c’est à tort que le Commissaire a rétabli la demande de brevet.
[29] En toute déférence, j’estime que l’argument du demandeur n’est pas défendable parce que ce dernier ne tombe pas sous le coup du paragraphe 78.6(1). La véritable question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si l’article 78.6 permet de remédier au défaut de paiement de la taxe. Je conclus que, si on l’interprète comme il se doit, l’article 78.6, qui est une disposition transitoire, ne permet pas de remédier au défaut de paiement de la taxe. Il s’ensuit que le demandeur ne peut s’en prévaloir.
[30] La Cour suprême du Canada a réitéré à de nombreuses reprises la méthode qu’il convient d’adopter en matière d’interprétation des lois. Dans l’arrêt R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 77, la Cour a expliqué que « il faut déterminer l’intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi ». La Cour a appuyé cet énoncé de principe en citant expressément la Loi d’interprétation, les arrêts Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re.), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, et l’ouvrage de E.A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983) à la page 87. Cette approche a été confirmée de nouveau dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, dans lequel, au paragraphe 15, le juge en chef explique qu’en matière d’interprétation législative il faut toujours chercher à découvrir l’intention du législateur et qu’il y a lieu de tenir compte de l’objet de la loi lorsque cet objet s’applique à une disposition transitoire.
[31] Cette recherche de l’intention du législateur constitue un exercice visant à discerner, conformément au principe susmentionné, ce que le législateur cherchait à accomplir. Il ne s’agit pas d’adopter l’interprétation que les parties ou le tribunal pourraient préférer, lorsque l’intention du législateur est évidente.
[32] Il est évident que l’article 78.6, à sa face même et conformément à l’intention du législateur, a été édicté pour atténuer la rigueur de l’arrêt Dutch Industries. Ainsi que je l’ai signalé, le demandeur affirme que l’arrêt Dutch Industries s’applique rétroactivement à lui parce que le 27 février 1998, il a commencé à faire des paiements en tant que petite entité. Sa demande est devenue caduque à cette date, parce qu’il l’avait d’abord déposée en septembre 1995 en tant que grande entité. Je n’en disconviens pas. Toutefois, si le demandeur avait continué à payer les taxes périodiques en tant que petite entité, bien que par erreur (par suite de l’arrêt Dutch Industries), il tomberait sous le coup de l’article 78.6. Or, le demandeur n’a pas effectué de versement. Lorsque la taxe réglementaire était exigible, en mars 2001, il n’a rien payé et il n’a pas présenté de demande de rétablissement dans le délai prescrit de 12 mois. En fait, le demandeur a attendu jusqu’au 16 novembre 2004 pour chercher à acquitter les taxes exigibles relativement à la demande de brevet 102.
[33] L’arrêt Dutch Industries porte sur la date à laquelle le statut de l’entité est déterminé. Il ne porte pas et ne prétend pas porter sur les demandes de brevet qui ont été abandonnées pour non‑paiement de taxes.
[34] Le libellé du paragraphe 78.6(1) n’est pas ambigu. Il démontre, tout comme les extraits du Hansard cités par le demandeur, que le législateur voulait protéger les titulaires de brevet et les demandeurs qui avaient, involontairement mais de bonne foi, faits par erreur des paiements insuffisants au titre des taxes réglementaires. Ces personnes étaient visées par les « conséquences rigoureuses » de l’arrêt Dutch Industries. Les dispositions transitoires ont été édictées pour accorder à ces personnes un délai d’un an pour « compléter » leurs paiements pour que leur brevet et leur demande soient en règle. Par souci de commodité, l’article 78.6 est de nouveau reproduit.
78.6 (1) Si, avant l’entrée en vigueur du présent article, une personne a payé la taxe réglementaire relative à une petite entité, au sens des Règles sur les brevets dans leur version applicable à la date du paiement, alors qu’elle aurait dû payer celle relative à une entité autre qu’une petite entité, et qu’elle verse la différence au Commissaire aux brevets en conformité avec le paragraphe (2), avant la date d’entrée en vigueur du présent article ou au plus tard douze mois après cette date, le versement est réputé avoir été fait à la date du paiement de la taxe réglementaire, indépendamment de toute instance ou autre procédure engagée à l’égard du brevet ou de la demande de brevet qui fait l’objet de la taxe ou de toute décision en découlant.
[Non souligné dans l’original.] |
78.6 (1) If, before the day on which this section comes into force, a person has paid a prescribed fee applicable to a small entity, within the meaning of the Patent Rules as they read at the time of payment, but should have paid the prescribed fee applicable to an entity other than a small entity and a payment equivalent to the difference between the two amounts is submitted to the Commissioner in accordance with subsection (2) either before or no later than twelve months after that day, the payment is deemed to have been paid on the day on which the prescribed fee was paid, regardless of whether an action or other proceeding relating to the patent or patent application in respect of which the fee was payable has been commenced or decided.
[Emphasis mine] |
[35] Le demandeur affirme avoir effectué les versements avant la date à laquelle l’article en question est entré en vigueur. Cela est fort possible, mais il n’en demeure pas moins que le paiement doit avoir été effectué en conformité avec les Règles sur les brevets, spécialement celles concernant le moment où ils doivent être faits.
[36] L’extrait du Hansard dans lequel se trouvent les propos du sénateur Day est également révélateur. Après avoir situé l’affaire Dutch Industries dans son contexte, le sénateur Day déclare ce qui suit :
Autrement dit, si la demande de brevet est déposée par une petite entité, le titulaire du brevet continue à payer les taxes exigibles aux petites entités pendant toute la durée de vie du brevet.
Honorables sénateurs, on estime qu'environ 7 000 brevets et demandes de brevet sont menacés par cette décision. Ces brevets pourraient être déclarés invalides au motif que le montant de certaines taxes acquittées ne correspond pas au statut de l'entité appropriée.
Sans les modifications de forme proposées dans ce projet de loi, honorables sénateurs, les demandeurs et les titulaires de brevet n'ont aucune possibilité de remédier à cette situation. Sans ce projet de loi, ils ne peuvent préserver leurs droits de brevet en versant un paiement rectificatif.
Le projet de loi C-29 prévoit un délai de 12 mois au cours duquel les demandeurs et titulaires de brevet visés par la décision de Dutch Industries pourront de plein droit acquitter les paiements rectificatifs et préserver ainsi leurs droits.
[Non souligné dans l’original.]
[37] Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Johnson, la Cour d’appel fédérale explique, au paragraphe 5 : « [I]l découle du paragraphe 78.6(1) que les versements complémentaires effectués à l’égard des brevets en cause doivent être traités, pour l’application de la Loi sur les brevets, comme s’ils avaient été effectués à la date à laquelle les paiements insuffisants ont été faits initialement ».
[38] Si j’ai tort sur ce point et si l’on peut considérer que le libellé du paragraphe 78.6(1) est ambigu, l’intention claire du législateur fait disparaître tout doute qui pourrait subsister quant à son sens. En résumé, il faut avoir acquitté la taxe pour pouvoir bénéficier de la mesure de clémence prévue à l’article 78.6. Or, le demandeur cherche à faire appliquer cet article pour être relevé des conséquences de son défaut d’acquitter les taxes exigibles. L’article 78.6 ne permet pas de remédier au défaut d’effectuer un paiement.
[39] En ce qui concerne l’argument du demandeur suivant lequel, vu l’arrêt Dutch Industries, une personne ne ferait pas des paiements sachant qu’ils sont « illégaux », sinon agir autrement s’apparenterait à de la fraude, j’avoue que la sagesse de ce raisonnement m’échappe. L’arrêt Dutch Industries n’avait pas encore été rendu lorsque le demandeur a fait défaut d’acquitter les taxes réglementaires.
[40] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée en ce qui concerne le dossier T-527-06, tout comme les demandes de contrôle judiciaire introduites dans les dossiers T-1836-06 et T-526-06.
VII. Brevet 707
[41] Les moyens de droit invoqués au sujet de la demande de brevet 707 sont identiques à ceux qui ont été articulés au sujet de la demande de brevet 102. Il s’ensuit nécessairement que les demandes de contrôle judiciaire relatives à la demande de brevet 707 doivent également être rejetées. J’estime toutefois que le demandeur n’a pas réussi à atteindre l’étape où ces moyens pouvaient même être examinés en ce qui a trait à la demande de brevet 707. Par souci d’exhaustivité, je vais donc traiter brièvement de la faiblesse inhérente à la thèse du demandeur.
[42] On trouvera ci-dessous les principaux éléments de la chronologie de la demande de brevet 707. Les faits postérieurs à la date d’expiration du délai prescrit pour demander un rétablissement sont, pour l’essentiel, les mêmes que ceux relatifs à la demande de brevet 102, même s’ils n’y sont pas identiques. Comme ils n’ont aucune incidence, ils ne sont pas repris ici.
4 février 1998 Le demandeur dépose la demande de brevet 707 en tant que petite entité. Les taxes réglementaires sont payées à l’OPIC, qui représente le Commissaire.
4 février 2000 Paiement du deuxième versement.
4 février 2001 Le demandeur fait défaut d’acquitter le troisième versement de la taxe périodique à la date d’échéance. La demande de brevet est considérée comme abandonnée.
5 mars 2001 L’OPIC publie un avis d’abandon.
4 février 2002 Expiration du délai de 12 mois dans lequel la demande pouvait être rétablie. Aucune demande de rétablissement n’a été présentée et aucun paiement n’a été fait dans ce délai de 12 mois.
[43] Le demandeur m’exhorte à conclure que la demande de brevet 707 est devenue « caduque » (du fait de l’arrêt Dutch Industries) le jour où elle a été déposée. Manifestement, cela tient au fait que le demandeur a soumis sa demande en tant que petite entité alors qu’il aurait dû la présenter dès le départ en tant que grande entité.
[44] Ainsi que je l’ai fait savoir aux avocats à l’audience, il n’y a rien dans le dossier qui appuie l’argument que la demande aurait dû être soumise en tant que grande entité. Il existe un document (dossier du demandeur, volume 1, onglet 1) qui indique que la demande a été déposée par « RailRunner Systems Inc. » (RailRunner). Mais on n’en sait pas plus. Il n’y a aucun élément de preuve au sujet de la nature de RailRunner. J’ignore s’il s’agit d’une petite ou d’une grande entité et je n’ai aucun moyen de le savoir. L’avocat n’a pas réussi à m’indiquer dans le dossier un élément qui aurait pu m’éclairer.
[45] Le demandeur affirme que je peux déduire de la lettre adressée au Commissaire le 1er février 2006 (autorisant le Commissaire à se faire payer, relativement à la demande de brevet 707, en tant qu’entité autre qu’une petite entité) que le demandeur est une grande entité et qu’il devait donc l’être aussi à la date de la demande initiale. Ainsi que je l’ai expliqué aux avocats, il serait tout à fait malvenu et inconvenant de tirer une telle conclusion sans preuve à l’appui. Qui plus est, le dossier renferme des éléments de preuve contraires, en l’occurrence la requête en date du 25 février 1998 par laquelle le demandeur revendiquait le statut de petite entité rétroactivement au 1er janvier 1997.
[46] Il n’y a pas eu d’autres arguments au sujet de la caducité de la demande de brevet 707 en raison de l’effet rétroactif de l’arrêt Dutch Industries. Comme les moyens de droit qui ont été invoqués au sujet de la demande de brevet 707 doivent reposer sur un fondement, je considère que cette omission est fatale. Cependant, comme je l’ai déjà signalé, les arguments formulés au sujet de l’article 78.6 de la Loi étaient les mêmes dans le cas des deux demandes de brevet. Ces arguments ont été rejetés. En conséquence, pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée en ce qui concerne le dossier T-569-06, ainsi que les demandes de contrôle judiciaire relatives aux dossiers T-1837-05 et T-570-06.
[47] Le défendeur n’a pas réclamé de dépens et aucuns ne lui sont adjugés.
ORDONNANCE
LA COUR REJETTE les demandes de contrôle judiciaire.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-527-06
INTITULÉ : HARRY O. WICKS
c.
LE COMMISSAIRE AUX BREVETS
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 février 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS : Le 26 février 2007
COMPARUTIONS :
Aiyaz A. Alibhai James J.D. Wagner
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Banafsheh Sokhansanj
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MBM Intellectual Property Law Vancouver (Colombie-Britannique)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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