Ottawa (Ontario), le 5 mars 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Srinivas Kumar Vellanki en vue de contester la décision par laquelle une agente des visas a refusé sa demande de visa de résident permanent.
Contexte
[2] Le 1er mars 2000, M. Vellanki a soumis à l’ambassade du Canada à Buenos Aires une demande de visa de résident permanent dûment remplie. Il cherchait à venir au Canada en provenance de l’Inde à titre de travailleur qualifié, et plus particulièrement en tant qu’expert-conseil en marketing. Malgré les solides indications indiquant qu’il remplissait les conditions requises pour obtenir un visa, M. Vellanki a essuyé un refus par lettre du 6 janvier 2006 signée par Juana Leschziner. Ce refus était fondé sur le défaut de M. Vellanki de fournir les pièces à l’appui exigées dans le délai que Mme Leschziner lui avait imposé le 19 octobre 2005.
[3] Une brève chronologie des faits est utile pour comprendre le fondement de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.
· 1er mars 2000 - Demande soumise à l’ambassade du Canada à Buenos Aires, en Argentine, pour le compte de M. Vellanki.
· 29 mai 2000 - Accusé de réception de la demande par le Ministère.
· 10 mai 2001 - M. Vellanki est reçu en entrevue à Buenos Aires; on lui réclame de plus amples renseignements au sujet de sa sœur canadienne.
· 16 mai 2001 - M. Vellanki soumet des renseignements pour prouver son lien de parenté avec sa sœur canadienne.
· 20 juin 2001 - L’avocate de M. Vellanki demande où en est le traitement de la demande.
· 19 juillet 2001 - Le Ministère répond que la vérification des antécédents scolaires et professionnels de M. Vellanki est en cours à New Delhi.
· 10 juillet 2002 - Le Ministère fait savoir que la vérification des antécédents scolaires et professionnels de M. Vellanki n’est pas terminée et qu’il a besoin de renseignements complémentaires et de plus d’argent pour obtenir les dossiers requis.
· 12 août 2002 - L’avocate de M. Vellanki fournit les renseignements demandés par le Ministère et confirme le paiement des sommes exigées.
· 23 septembre 2002 - L’avocate de M. Vellanki demande qu’on lui précise où en est le traitement de la demande.
· 4 octobre 2002 - Le Ministère réclame de plus amples renseignements pour vérifier les antécédents professionnels de M. Vellanki.
· 7 novembre 2002 - L’avocate de M. Vellanki fournit au Ministère les renseignements réclamés au sujet des antécédents professionnels de son client.
· 31 mars 2003 - Le Ministère réclame une Déclaration d’antécédents (formule IMM8) et un certificat de police à jour.
· 14 avril 2003 - Le Ministère demande qu’on lui fournisse dans un délai de trois (3) mois des renseignements complémentaires au sujet des personnes ressources de l’employeur de M. Vellanki.
· 13 juin 2003 - L’avocate de M. Vellanki produit une Déclaration d’antécédents à jour (IMM8) et réclame des précisions au sujet du certificat de police indien réclamé.
· 3 octobre 2003 - Le Ministère réclame de nouveau des renseignements au sujet des personnes ressources de l’employeur actuel de M. Vellanki et précise qu’il s’agit du « dernier rappel ».
· 16 octobre 2003 - L’avocate de M. Vellanki confirme que le nom de la personne ressource de l’employeur demeure le même.
· 12 mars 2004 - L’avocate de M. Vellanki demande au Ministère de la mettre au courant de l’évolution de la situation en rappelant que la demande est en instance depuis trois ans.
· 31 mars 2004 - Le Ministère répond que la vérification des antécédents professionnels de M. Vellanki est toujours en cours à son bureau de Delhi.
· 6 juillet 2005 - Le Ministère réclame une Déclaration d’antécédents partiellement actualisée (Formule 8 – annexe 1), une attestation de services à jour et quatre photos récentes, le tout devant lui être soumis dans un délai de deux (2) mois (c.-à-d. avant le 6 septembre 2005).
· 23 septembre 2005 - L’avocate de M. Vellanki réclame un délai supplémentaire de 60 jours pour fournir les renseignements réclamés par le Ministère.
· 19 octobre 2005 - Le Ministère réclame de nouveau des documents à jour et précise qu’il s’agit du « dernier rappel ». La lettre du Ministère précise également ce qui suit : [traduction] « Si nous ne recevons pas les documents exigés d’ici le 30 décembre 2005, nous tiendrons pour acquis que vous n’êtes plus intéressé à donner suite à votre demande, auquel cas votre demande sera refusée et le dossier sera clos ».
· 6 janvier 2006 - Le Ministère écrit à M. Vellanki, par le truchement de son avocate, pour l’informer du refus de sa demande en raison de son défaut de produire les documents réclamés dans le délai expirant le 30 décembre 2005.
· 11 janvier 2006 - Après son retour au travail à la suite d’une maladie et après les vacances de Noël, l’assistant juridique de l’avocate de M. Vellanki spécialisé en immigration vérifie l’état de la demande sur Internet et constate qu’elle est toujours « en traitement ».
· 16 janvier 2006 - L’avocate de M. Vellanki soumet des documents à jour par télécopieur et par messager, mais le Ministère maintient sa décision de refuser la demande de visa de M. Vellanki.
[4] Il ressort du dossier qu’en 2005, le Ministère a cessé les démarches qu’il avait entreprises en vue de vérifier les antécédents professionnels et scolaires de M. Vellanki par le truchement de son bureau de Delhi et a conclu qu’il remplissait les conditions requises pour être sélectionné comme travailleur qualifié. Il ne restait plus qu’à vérifier s’il devait être interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité ou des motifs sanitaires. La demande que le Ministère avait présentée le 6 juillet 2005 en vue d’obtenir une formule 8 actualisée et des photos récentes portait directement sur ces questions non réglées.
Questions à trancher
[5] a) Quelle norme de contrôle s’applique à la décision de l’agente des visas de refuser de délivrer un visa à M. Vellanki?
b) L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de M. Vellanki pour les motifs qu’elle a invoqués?
Norme de contrôle
[6] Les questions soulevées pour le compte de M. Vellanki dans le cadre de la présente demande ont toutes été qualifiées de questions d’équité procédurale ou d’interprétation des lois. Elles doivent, de ce fait, être tranchées en fonction de la norme de la décision correcte (Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 336, 2006 CF 268).
Analyse
[7] Il ressort du dossier que la demande de M. Vellanki s’est retrouvée dans une sorte de bourbier bureaucratique ou, comme son avocate l’a dit avec justesse, dans une [traduction] « odyssée qui a duré cinq ans ». Une partie de ces retards s’expliquent, mais il est difficile de justifier que la procédure d’approbation ait traîné autant en longueur d’autant plus qu’il semble que, dans le cas qui nous occupe, M. Vellanki satisfaisait aux critères de sélection qui lui auraient permis d’être admis au Canada en tant que travailleur qualifié. La seule question qu’il restait à trancher en l’espèce était celle de savoir si M. Vellanki était interdit de territoire pour des raisons de sécurité ou des motifs sanitaires et c’est relativement à ces questions que le Ministère avait réclamé des renseignements à jour pour la période comprise entre 2003 et 2005. Bien que l’avocate de M. Vellanki ait probablement raison de dire que la demande aurait pu être traitée indépendamment de ces renseignements, il n’en demeure pas moins que l’agente des visas a réclamé des renseignements actualisés et qu’elle avait des raisons valables de le faire. C’est le type de décision qui commande un degré élevé de retenue judiciaire (voir le jugement Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, au paragraphe 15).
[8] Le principal argument avancé au nom de M. Vellanki est que la décision de l’agente des visas de refuser sa demande était mal fondée parce qu’à sa face même, elle n’était pas conforme au pouvoir discrétionnaire de refuser un visa conféré à l’agent des visas par le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et parce qu’elle ne renfermait pas de motifs clairs et précis. Plus particulièrement, l’avocate de M. Vellanki signale que, dans sa lettre de décision, l’agente des visas n’explique pas pourquoi elle n’est « pas convaincue » que M. Vellanki n’est pas admissible. Elle se fonde aussi sur le libellé de la lettre de « rappel final » du 19 octobre 2005 dans lequel le Ministère précisait que le défaut de produire les documents exigés serait interprété comme un manque d’intérêt de M. Vellanki à poursuivre sa demande, ce qui entraînerait le refus de sa demande. L’avocate de M. Vellanki fait valoir que le présumé « manque d’intérêt » ne constitue pas un motif reconnu permettant de refuser une demande de visa.
[9] En dépit des arguments originaux avancés pour le compte de M. Vellanki, je ne décèle rien dans la lettre de décision qui permettrait de penser que l’agente des visas a débordé le cadre du mandat que lui confie la loi. Le paragraphe 11(1) de la LIPR précise que l’étranger doit convaincre l’agent des visas qu’il n’est pas interdit de territoire. Cette disposition doit être rapprochée de l’article 16 de la LIPR, qui oblige l’auteur d’une demande de visa à présenter les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis, y compris des photographies. En l’espèce, la décision par laquelle la demande de visa a été refusée tournait précisément autour du défaut de M. Vellanki de produire les renseignements requis par l’agente des visas; ce raisonnement est d’ailleurs clairement exprimé dans la lettre de décision. À mon sens, dans sa première lettre « de rappel final », l’agente des visas a simplement repris en d’autres mots le même message et faisant clairement comprendre à M. Vellanki que tout défaut de répondre entraînerait un refus. En termes simples, l’agente des visas n’était « pas convaincue » que M. Vellanki n’était pas interdit de territoire parce qu’il n’avait pas fourni les renseignements dont elle avait besoin pour être convaincue et pour terminer son évaluation.
[10] M. Vellanki soutient également que la décision d’appliquer rigoureusement le délai qui lui était imparti pour produire les documents est « injuste » surtout si l’on tient compte du relâchement dont le Ministère a fait preuve dans le traitement de sa demande. Bien que je convienne avec l’avocate de M. Vellanki qu’il semble y avoir eu « deux poids, deux mesures » en l’espèce et que ce traitement pourrait répondre à une définition populiste de l’« injustice », je ne crois pas que ce traitement viole quelque principe de justice naturelle que ce soit ou constitue un manquement à l’équité procédurale. Il ressort à l’évidence des lettres que le Ministère a adressées à M. Vellanki que sa demande serait refusée si les renseignements exigés n’étaient pas produits dans le délai qui lui était imparti. Il en a été avisé la première fois le 6 juillet 2005 et ce délai a été prorogé au 30 décembre 2005. Il a eu presque six (6) mois pour obtempérer et pour accomplir une tâche dont il aurait pu s’acquitter en quelques jours à peine et son défaut ne peut être attribué à un manquement de la part du Ministère. La décision de refus est exclusivement attribuable au défaut de M. Vellanki de fournir les renseignements nécessaires au traitement de sa demande.
[11] Il est vrai que la publication de la décision sur le site Internet du Ministère accusait quelques jours de retard, mais cet état de fait n’a pas amené M. Vellanki ou son avocate à agir ou à s’abstenir d’agir à leur propre détriment. Des mesures correctives ont été prises dès qu’on a découvert que le délai était expiré, mais la décision de refus avait alors déjà été prise. À défaut d’un acte de confiance préjudiciable, je ne puis conclure que les attentes raisonnables de M. Vellanki ont été frustrées par le léger retard qu’accusait la publication de la décision sur le site du Ministère. Sur ce point, il y a lieu de faire une distinction avec l’affaire Mumin c. Canada (MCI) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 217, [1996] A.C.F. no 611 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le demandeur s’était fié à des renseignements erronés ou incomplets fournis par le Ministère, ce qui l’avait amené à ne pas déposer un document dans le délai prescrit. Dans le cas qui nous occupe, le délai était déjà expiré et la décision était prise lorsque l’avocate de M. Vellanki a vérifié le statut de la demande sur l’Internet. M. Vellanki ne peut donc exciper de la confiance préjudiciable.
[12] Aussi décourageante que soit la tournure des événements pour M. Vellanki, il a toujours la faculté de présenter une nouvelle demande de visa et je l’encourage à le faire. Compte tenu de la léthargie dont le Ministère a fait preuve dans le traitement de la première demande, il y a lieu d’espérer que toute nouvelle demande que M. Vellanki pourrait présenter sera traitée avec célérité.
[13] La présente demande est rejetée. Aucune des deux parties n’a proposé de question à certifier et la présente décision ne soulève pas de question grave de portée générale.
JUGEMENT
LA COUR REJETTE la présente demande.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1610-06
INTITULÉ : SRINIVAS KUMAR VELLANKI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON
défendeur
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 FÉVRIER 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 5 MARS 2007
COMPARUTIONS :
Catherine M. Kerr POUR LE DEMANDEUR
Leanne Briscoe POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kerr & Associates
Avocats
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR