Référence : 2007 CF 201
Ottawa (Ontario), le 22 février 2007
en présence de monsieur le juge Harrington
entre :
TANYA AVIANNE ABERDEEN
demanderesses
le ministre de la sécurité publique et
de la protection civile
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ordonnance
[1] Les demanderesses, une mère et sa fille de 12 ans, sont entrées au Canada en juillet 2002 munies d’un visa de visiteur dont la validité était d’un an. Elles n’ont pas réussi à obtenir le statut de résidentes permanentes. Leur première demande faite à partir du Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, leur demande d’asile et leur examen des risques avant renvoi (ERAR) ont tous échoué. Elles doivent être renvoyées à Trinité‑et‑Tobago la semaine prochaine.
[2] Les demanderesses ont demandé à l’agente d’exécution de reporter leur renvoi parce qu’elles avaient deux autres demandes en instance : une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande à titre de travailleur qualifié. L’agente d’exécution a rejeté leur demande; ce rejet fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Entre‑temps, elles ont demandé le sursis à la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur cette demande.
[3] Il était loisible à l’agente d’exécution de reporter le renvoi. Si j’avais été à la place de cette agente, j’aurais bien pu agir ainsi. C’est à regret que j’en suis venu à la conclusion que je ne dispose pas de motifs suffisants pour accorder un sursis en attendant la décision sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
[4] Comme cela a été énoncé dans des décisions telles que Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, pour obtenir un sursis interlocutoire, le demandeur doit satisfaire à un critère à trois volets. Il doit y avoir une question grave qui sous‑tend la demande à la Cour. Si le sursis n’était pas accordé, il y aurait un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients doit favoriser les demandeurs.
[5] Le paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés exige que l’étranger quitte immédiatement le territoire du Canada lorsque la mesure de renvoi est exécutoire, « la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent ». Dans la cause des demanderesses, la mesure de renvoi est devenue exécutoire dès que la décision défavorable d’ÉRAR a été rendue en novembre dernier.
[6] Les demanderesses soutiennent qu’il y avait un certain nombre de raisons pour lesquelles l’agente d’exécution aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et reporter le renvoi; ces raisons sont les suivantes :
a. Une demande à titre de travailleur qualifié a été déposée en janvier 2006.
b. La demande actuelle fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été reçue en avril 2006.
c. Toute la famille des demanderesses est au Canada et non pas à Trinité‑et‑Tobago.
d. Mme Jackson travaille, elle joue un rôle actif au sein de la collectivité et elle a déposé des lettres de référence très élogieuses.
e. Tanya est une excellente élève et elle est très appréciée.
f. Trinité‑et‑Tobago regorge d’agresseurs sexuels.
[7] Dans ses notes du dossier, l’agente d’exécution a pris acte des ces points. L’avocat des demanderesses dit que l’agente a peut‑être pris acte de ces points, mais qu’elle ne les a pas analysés. Toutefois, il y a eu une certaine analyse. Il y a des retards dans la procédure, ces retards, en fait, sont divulgués sur les sites Internet du gouvernement. La décision sur la demande à titre de travailleur qualifié et la décision sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas imminentes. Il ne semble pas y avoir eu d’erreur administrative qui pourrait avoir contribuée au retard comme on peut le déduire de la décision Razzaq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 148, [2006] A.C.F. n° 192 (QL), annulée par 2006 CF 442, [2006] A.C.F n° 554 (QL). L’avocat des demanderesses s’est fondé sur la décision Paterson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 139 (QL), pour soutenir qu’il existe une politique selon laquelle on ne doit pas exécuter une mesure de renvoi si une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en instance depuis plus de six mois. Toutefois, si une telle politique existait à ce moment‑là, aujourd’hui cette politique ne semble pas exister.
[8] On a avancé que Tanya perdrait son année scolaire. Toutefois, aucune preuve n’a été donnée à l’agente d’exécution relativement aux sessions scolaires ni de preuve selon laquelle Tanya ne peut pas suivre de cours d’été.
[9] Enfin, le fondement de la crainte de Mme Jackson de retourner à Trinité‑et‑Tobago est qu’elle serait attaquée par des agresseurs sexuels. Un voisin avait suscité ses inquiétudes. Il se peut que ce voisin ait été mentalement instable puisque la police l’a qualifié de [traduction] « fou ». Et puis, elle avait eu une relation qu’elle estimait violente. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés et l’agent d’ERAR ont analysé ces points avec beaucoup de compassion. Ils étaient d’avis qu’il n’y avait aucun fondement à une demande pour persécution. De plus, les mêmes points ont été pris en compte et rejetés dans la première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[10] La deuxième demande de Mme Jackson fondée sur des motifs d’ordre humanitaire peut très bien réussir puisque ses liens avec le Canada sont maintenant plus forts et qu’elle peut bien être une travailleuse qualifiée qui a le droit de voir sa demande examinée par le consulat canadien à Buffalo. Toutefois, je ne peux pas conclure que la décision de l’agente d’exécution de ne pas reporter le renvoi leur causera, à sa fille et à elle, un préjudice irréparable. Ainsi, à un moment donné, elles pourraient être en mesure de revenir. Cette décision n’appartient pas à l’agente d’exécution.
[11] En outre, dans la présente affaire, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. Dans l’arrêt Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. n° 1200 (QL), le juge Evans a déclaré ce qui suit :
[21] L’avocate des appelants dit que, puisque les appelants n’ont aucun casier judiciaire, qu’ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu’ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l’équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu’à l’issue de leur appel.
[22] Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu’ils sont arrivés ici. À mon avis, l’équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de l’obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s’agit pas simplement d’une question de commodité administrative, il s’agit plutôt de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.
[12] Le fait est que les étrangers n'ont pas de droit absolu de demeurer ici; voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711. La question n’est pas de savoir ce que le ministre aurait dû faire, mais plutôt de savoir si ce qu’il a fait résiste à une analyse sur le sursis judiciaire.
ordonnance
la cour ordonne : la requête de sursis des demanderesses est rejetée.
« Sean Harrington »
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOssier : IMM-666-07
INTITULÉ : Sandra Jackson et
Tanya Avianne Aberdeen
c.
le ministre de la sécurité publique et
de la protection civile
lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 février 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : le 22 février 2007
COMPARUTIONS :
Joel Etienne
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pour les demanderesses |
Anshumala Juyal |
pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Joel Etienne Avocat Toronto (Ontario)
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pour les demanderesses |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada |
pour le défendeur |