Date : 20070220
Ottawa (Ontario), le 20 février 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE
ENTRE :
MARIA ISABEL RIBEIRO DA COSTA SOARES
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] La Section de la protection des réfugiés a statué que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective en raison de l’énorme retard de trois ans mis à demander l’asile au Canada. De plus, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse pouvait se prévaloir d’une protection adéquate de l’État au Portugal et que le gouvernement du Portugal déployait de sérieux efforts pour protéger les victimes de violence conjugale. Après examen de la décision rendue par la Commission, rien ne justifie l’intervention de la Cour.
LA PROCÉDURE JUDICIAIRE
[2] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 29 mars 2006, que la demanderesse n'avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.
LE CONTEXTE
[3] La demanderesse, Mme Maria Isabel Ribeiro Da Costa Soares, est une citoyenne du Portugal âgée de 37 ans. En juillet 1990, Mme Da Costa Soares a épousé M. Jose Carlos Morino Soares. Ils vivaient avec les parents de Mme Da Costa Soares et ont deux filles.
[4] Mme Da Costa Soares allègue qu’elle est victime de violence conjugale et qu’elle a subi de la violence physique de la part de son mari pendant onze ans.
[5] En 2001, la demanderesse a informé son père des mauvais traitements allégués et il a expulsé le mari de la demanderesse de la maison. Le couple a divorcé en juillet 2002; néanmoins, elle fait valoir qu’il a continué à la suivre et à lui faire des appels téléphoniques de menaces. Elle soutient qu’il la menaçait de lui enlever les enfants et de la tuer parce qu’elle avait mis fin à leur relation. La demanderesse a toutefois refusé de demander l’aide de la police au motif que son ex‑mari avait [traduction] « des amis influents ». De plus, elle ne croyait pas que la police serait en mesure de la protéger en tant que victime de violence conjugale.
[6] En août 2002, un ami de Mme Da Costa Soares l’a mise en rapport avec un parent au Canada. La demanderesse a quitté le Portugal et a laissé la garde de ses enfants à ses parents. Mme Da Costa Soares est entrée au Canada avec un visa de visiteur valide pour six mois et lorsque son visa a pris fin, elle a continué à résider au Canada sans statut pendant trois ans, jusqu’en novembre 2005.
[7] Pendant qu’elle vivait au Canada, la demanderesse s’est engagée dans une relation avec un autre homme et ils ont eu un enfant le 8 février 2004. Quand son ex‑mari a découvert qu’elle avait une nouvelle relation et qu’elle avait eu un enfant, il aurait, au dire de la demanderesse, informé l’une de leurs filles qu’il la tuerait.
[8] En novembre 2005, les autorités canadiennes ont découvert que Mme Da Costa Soares résidait au Canada sans statut. Ce n’est qu’alors que la demanderesse a présenté une demande d’asile fondée sur son appartenance à un groupe social, soit les femmes victimes de violence de la part de leur ex‑conjoint, en vertu de l’article 96 de la LIPR. Dans sa demande d’asile, elle a également soutenu qu’elle avait qualité de personne à protéger, au motif qu’elle serait personnellement exposée à une menace à sa vie, au risque d’être soumise à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR si elle était renvoyée en Portugal.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[9] La Commission a statué, dans sa décision en date du 29 mars 2006, que la demande d’asile de Mme Da Costa Soares n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi selon lesquels elle craignait d’être persécutée pour l’un ou l’autre des motifs énumérés dans la Convention. La Commission a donc conclu qu’elle n’avait pas qualité de personne à protéger en vertu de la LIPR. La Commission a également statué que le renvoi de Mme Da Coasta Soares au Portugal ne ferait pas en sorte qu’elle serait personnellement exposée à une menace à sa vie, au risque d’être soumise à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[10] 1) La Commission a‑t‑elle enfreint les règles d’équité procédurale en écartant certains documents non traduits?
2) La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant à sa conclusion sur la protection de l’État?
3) La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans l’application des directives du président sur la persécution fondée sur le sexe (intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe)?
4) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en ce qui a trait à l’examen de la crainte subjective de persécution éprouvée par la demanderesse?
LE RÉGIME LÉGAL
[11] L’article 96 de la LIPR est rédigé comme suit :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
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a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
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(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
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b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
[12] Le paragraphe 97(1) de la LIPR est rédigé comme suit :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
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a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
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(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
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b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
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(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
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(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
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(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
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(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
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(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
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(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,
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(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
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(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
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LA NORME DE CONTRÔLE
[13] En ce qui a trait à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle adéquate est la décision correcte. Par conséquent, la Cour doit étudier les circonstances particulières de l’affaire pour établir si le décideur a respecté les principes de l’équité procédurale. Si la Cour statue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, elle doit renvoyer la décision devant le décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue. (Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, [2005] A.C.F. no 693 (QL), au paragraphe 9; Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, [2005] A.C.F. no 544 (QL); Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] A.C.F. no 8 (QL), au paragraphe 15; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. no 1560 (QL), au paragraphe 5; Trujillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 414, [2006] A.C.F. no 595 (QL), au paragraphe 11; Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1581, [2005] A.C.F. no 1942 (QL), au paragraphe 7.)
[14] En ce qui concerne la protection de l’État, la juge Danièle Tremblay‑Lamer, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL), au paragraphe 11, après avoir mené une analyse pragmatique et fonctionnelle, a conclu que l’évaluation de la protection de l’État implique une application de la loi aux faits et qu’à ce titre, il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, susceptible de révision suivant la décision raisonnable simpliciter. Cela dit, il n’y a aucun motif de s’écarter de cette norme en l’espèce. Par conséquent, en ce qui touche la protection de l’État, une décision de la Commission ne sera pas infirmée si elle est étayée par des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé. (Canada (Directeur des enquêtes et recherches [Loi sur la concurrence]) c. Southam Inc.), [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.)
ANALYSE
1) La Commission a‑t‑elle enfreint les règles d’équité procédurale en écartant certains documents non traduits?
[15] Mme Da Costa Soares fait valoir qu’elle n’a pas eu droit à une audience équitable parce que la Commission ne lui a pas accordé un ajournement qui lui aurait permis de fournir la traduction de documents clés, du portugais à l’anglais, à l’appui de sa demande d’asile; de plus, la demanderesse soutient que la Commission a manqué à l’équité procédurale en faisait fi des articles 28, 29, 30 et 37 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles de la SPR) en omettant de prendre en compte la pertinence, l’importance et la valeur probante de documents non traduits pour décider de les admettre en preuve ou non.
[16] Premièrement, le paragraphe 28(1) des Règles de la SPR exige que tous les documents déposés soient traduits en anglais ou en français :
28. (1) Tout document utilisé dans une procédure doit être rédigé en français ou en anglais ou, s’il est rédigé dans une autre langue, être accompagné d’une traduction française ou anglaise et de la déclaration du traducteur. |
28. (1) All documents used at a proceeding must be in English or French or, if in another language, be provided with an English or French translation and a translator's declaration |
[17] L’alinéa 29(4)a) des Règles de la SPR exige que les documents soient déposés 20 jours avant l’audience :
29. (4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :
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29. (4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than
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a) soit vingt jours avant l’audience; |
(a) 20 days before the hearing; or |
b) soit, dans le cas où il s’agit d’un document transmis en réponse à un document reçu de l’autre partie ou de la Section, cinq jours avant l’audience. |
(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.
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[18] L’article 30 des Règles de la SPR exige que la Commission prenne en compte une série de facteurs pour décider d’admettre ou non les documents qui ne sont pas déposés à temps conformément à l’article 29 :
30. La partie qui ne transmet pas un document selon la règle 29 ne peut utiliser celui‑ci à l’audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l’utilisation du document à l’audience, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :
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30. A party who does not provide a document as required by rule 29 may not use the document at the hearing unless allowed by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including
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a) la pertinence et la valeur probante du document;
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(a) the document's relevance and probative value;
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b) toute preuve nouvelle qu’il apporte;
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(b) any new evidence it brings to the hearing; and
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c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.
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(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29. |
[19] Les mêmes facteurs s’appliquent à une demande en vue de faire examiner des preuves par la Commission après à l’audience en vertu de l’article 37 des Règles de la SPR :
37. (1) Pour transmettre, après l’audience, un document à la Section pour qu’elle l’admette en preuve, la partie en fait la demande à la Section. |
37. (1) A party who wants to provide a document as evidence after a hearing must make an application to the Division. |
[20] En l’espèce, les articles 29, 30 et 37 des Règles de la SPR sont inapplicables, car ces dispositions s’appliquent à une situation dans laquelle un demandeur d’asile n’a pas divulgué des documents en temps opportun conformément à la procédure énoncée au paragraphe 29(4) des Règles de la SPR. Il importe de noter qu’il faut faire une distinction entre les décisions citées par la demanderesse, à savoir Ahmmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1433, [2005] A.C.F. no 1758 (QL); S.E.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 791, [2005] A.C.F. no 985 (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1351, [2005] A.C.F. no 1652 (QL); Ayalogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 380, [2006] A.C.F. no 484 (QL), et la présente affaire, car elles se rapportent toutes à des documents qui n’avaient pas été communiqués en temps opportun.
[21] La demanderesse n’a pas omis de se conformer à la règle de la divulgation dans un délai de 20 jours; elle a plutôt tenté de produire en preuve des documents en portugais non traduits, en contravention du paragraphe 28(1) des Règles de la SPR; en conséquence, les facteurs qui sont énoncés dans les articles 30 et 37 des Règles de la SPR n’ont aucune incidence sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission en ce qui touche l’admission des documents en question.
[22] Deuxièmement, il est bien établi en droit qu’il incombe au demandeur d’asile de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour prouver les éléments importants de sa prétention. Bien que la Cour ait statué qu’une partie non représentée a droit à toute la latitude possible et raisonnable pour présenter l’intégralité de sa preuve et que les règles strictes et techniques devraient être assouplies dans le cas des parties non représentées, la Cour a également statué à de nombreuses reprises que la Commission a également le pouvoir discrétionnaire d’exclure la preuve qui n’est pas substantielle quant à l’affaire dont elle est saisie. La décision de la Commission de ne pas admettre la preuve qui lui est présentée ou de ne pas faire référence à chacun des éléments de preuve n’équivaut pas à une erreur susceptible de révision. (Yushchuk c.Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1324 (QL), au paragraphe 17.)
[23] De fait, la Commission dispose d’une grande latitude pour ce qui est de la preuve sur laquelle elle peut se pencher. Elle n’est liée par aucune règle de preuve technique ou légale et peut se fonder sur la preuve qu’elle juge crédible ou digne de foi dans les circonstances. (Alinéas 173 c) et d) de la LIPR, Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] A.C.F. no 395 (QL), au paragraphe 7.)
[24] De plus, en ce qui concerne les articles ayant trait au manque de protection de l’État pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale au Portugal, il ressort de la décision de la Commission qu’elle a procédé à une analyse adéquate de la preuve documentaire se rapportant aux conditions au Portugal. (Décision de la Commission, aux pages 2 et 3.)
[25] La Cour conclut que la Commission a bien apprécié les aspects objectifs et subjectifs de la prétention de la demanderesse et n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre certains éléments de preuve non traduits.
2) La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant à sa conclusion sur la protection de l’État?
[26] Mme Da Costa Soares fait valoir que la Commission a interprété le droit sur la protection de l’État de manière erronée en concluant, selon ce qu’elle allègue à tort quant à la conclusion de la Commission, que le demandeur d’asile a l’obligation absolue de demander de la protection à son gouvernement avant que la protection internationale puisse s’appliquer; de plus, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de son défaut de demander la protection de la police au Portugal.
[27] Dans sa décision, la Commission a conclu ce qui suit relativement à la protection de l’État :
La demandeure d'asile a déclaré n’avoir jamais porté plainte au corps policier, car il n’offre aucune aide dans les cas de violence conjugale. De plus, son mari compte des amis chez les policiers et il l’a informée qu’elle porterait plainte en vain; pour ce même motif, la demandeure d’asile n’a pas demandé l’émission d’une ordonnance de non‑communication à l’endroit de son mari. Elle n’a pas mentionné ces faits dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP), car elle n’y a pas pensé. Elle ne s’est adressée à aucun organisme d’aide, car il n’y en avait pas dans la région où elle habitait.
La preuve documentaire relative aux femmes indique notamment ce qui suit :
[traduction]
La violence familiale et conjugale constituait un problème. L’Association d’aide aux victimes (APAV), un organisme sans but lucratif fournissant des services confidentiels et gratuits aux victimes de tout type de crime à l’échelle nationale, a reçu au cours de l’année 7 515 demandes d’aide par l’entremise de sa ligne d’aide sans frais et dans ses bureaux situés dans
13 villes. Les personnes qui ont demandé de l’aide (près de 86 % d’entre elles étaient des femmes) ont fait état de 13 511 crimes, dont plus de 80 % étaient liés à la violence familiale. Selon l’ONG des droits de la femme, l’Union des femmes en quête de solutions de rechange et de réponses (UMAR), 47 femmes ont été tuées par leur mari ou leur conjoint au cours de l’année. La Commission pour l’égalité et les droits des femmes dirigeait 14 maisons d’hébergement pour femmes battues et offrait également un service téléphonique jour et nuit, 7 jours sur 7.
La loi prévoit des sanctions pénales dans les cas de violence conjugale, et le système judiciaire poursuivait les personnes accusées de violence à l’endroit des femmes; toutefois, les mentalités traditionnelles de la société découragent beaucoup de femmes violentées de s’adresser au système judiciaire. Aux termes de la loi, les auteurs de violence familiale peuvent se voir interdire tout contact avec leur victime et, dans des cas extrêmes, le corps policier peut ordonner leur expulsion immédiate du domicile de la victime. Selon la définition de la loi, la violence familiale est un crime de nature publique, ce qui donne au corps policier et aux tribunaux plus de poids pour entamer des poursuites et enlève aux femmes victimes de violence une partie du fardeau de porter des accusations, car toute partie intéressée a la capacité de porter des accusations dans les dossiers de violence familiale.
La loi reconnaît expressément l’illégalité du viol, y compris dans un couple, et le gouvernement applique ces lois avec efficacité.
Comme en témoigne également le document de la demandeure d'asile, les paragraphes précédents illustrent les efforts entrepris et mis en œuvre par l’État pour améliorer la situation des femmes victimes de violence au Portugal. Une décision de la Cour d’appel fédérale rendue sur la question de la protection de l’État endosse le principe que, lorsque l’État en question est démocratique, les demandeurs d'asile doivent épuiser tous les recours qui s’offrent à eux. Comme il est statué dans l’arrêt Ward, la demandeure d'asile est tenue de produire une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption selon laquelle l’État a la capacité de la protéger. Le tribunal estime que la présomption de la capacité de l’État d’assurer la protection n’a pas été réfutée en l’espèce.
[28] Contrairement à ce qu’affirme Mme Da Costa Soares, la Commission n’a pas déclaré qu’il existe une exigence absolue selon laquelle tous les demandeurs d’asile doivent s’adresser à des organismes d’exécution de la loi pour obtenir de la protection peu importe leur situation personnelle. En réalité, le fait que les demandeurs d’asile soient tenus ou non de s’adresser à leur gouvernement avant de demander une protection internationale est fonction de la question de savoir s’il est déraisonnable qu’un demandeur d’asile n’ait pas demandé la protection de l’État et s’il aurait obtenu de la protection dans l’éventualité où il se serait adressé aux autorités pour obtenir de l’aide.
[29] Il convient de noter que dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux paragraphes 49, 50 et 52, la Cour suprême du Canada a statué que l’État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens en l’absence de l’effondrement complet de l’appareil étatique. Le danger d’une application trop large de cette présomption est allégé par l’exigence selon laquelle une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection doit être soumise. Un demandeur d’asile pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée ou encore sa connaissance personnelle de l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens. Un demandeur peut également produire des documents sur les conditions dans le pays pour réfuter la présomption selon laquelle un État est apte à protéger ses citoyens. (Voir également Avila c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439 (QL), aux paragraphes 27 à 32.)
[30] La preuve révélait que le gouvernement portugais prend le problème de la violence conjugale très au sérieux et s’efforce de protéger les victimes de violence conjugale.
[31] La Commission n’a donc pas commis d’erreur dans son évaluation de la protection de l’État au Portugal. Au contraire, la décision de la Commission montre que celle‑ci a tenu compte des observations présentées par la demanderesse quant au fait qu’elle n’avait pas demandé la protection de la police; toutefois, elle a statué que le défaut de la demanderesse de demander de la protection policière n’était pas justifié compte tenu de la preuve sur les conditions du pays indiquant que la police réagissait au problème de la violence conjugale et que les auteurs de tels crimes étaient poursuivis.
3) La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans l’application des directives du président sur la persécution fondée sur le sexe?
[32] La demanderesse prétend que le raisonnement de la Commission établit clairement que la Commission n’a pas tenu compte des directives sur la persécution fondée sur le sexe et ne les a pas appliquées aux faits et aux circonstances de sa situation particulière.
[33] Il importe de signaler que la Commission, dans sa décision, a bel et bien pris en compte et suivi les directives sur la persécution fondée sur le sexe, car l’analyse de la Commission est conforme au format d’examen établi par les directives.
[34] Il est bien établi qu’on doit interpréter les demandes d’asile en étant conscient de la possibilité d’une discrimination fondée sur le sexe. Si la persécution fondée sur le sexe est alléguée, il faut fournir la preuve du préjudice.
[35] Les directives sur la persécution fondée sur le sexe adoptées par la Commission prévoient une approche utile permettant de décider de questions relatives au danger de persécution couru par les femmes qui fuient la violence conjugale. La Cour fédérale a décrit les directives comme « […] un effort positif, éclairé et nécessaire de la part de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de considération sensible et bien informée du témoignage des femmes revendiquant le statut de réfugié pour des raisons de violence conjugale ». (Griffith c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1142 (QL), aux paragraphes 2 et 3 et 18 à 20). Les directives s’appliquent à la décision de la Commission et aux délégués du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
[36] Le caractère universel de la violence faite aux femmes n’est pas pertinent pour décider si les crimes liés au sexe représentent de la persécution. Les véritables questions qui se posent dans les cas de discrimination fondée sur le sexe sont les suivantes. Premièrement, il faut se demander si la discrimination en cause constitue une violation grave d’un droit fondamental de la personne, et deuxièmement, dans quelles circonstances on peut affirmer que la discrimination fondée sur le sexe résulte de l’inexistence d’une protection efficace de l’État. Les femmes possèdent un droit international de protection contre la violence conjugale et le défaut d’accorder cette protection constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe.
[37] En l’espèce, la Commission a fait explicitement référence aux directives sur la persécution fondée sur le sexe dans ses motifs; de plus, un examen approfondi des motifs de la Commission révèle qu’elle a examiné à fond l’explication de la demanderesse sur les raisons pour lesquelles elle ne s’est pas adressée à la police pour obtenir de la protection et sur les motifs pour lesquels elle n’avait pas confiance dans le régime de justice pénale du Portugal. Cela dit, la Commission n’a pas jugé ces explications convaincantes parce que la preuve documentaire sur les conditions au Portugal établissait que la demanderesse aurait eu accès à la protection de l’État si elle avait demandé l’aide de la police. (Décision de la Commission, aux pages 2 et 3.)
[38] Compte tenu du fait que les victimes de violence conjugale ont accès à la protection de l’État au Portugal, la Cour conclut que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son application des directives sur la persécution fondée sur le sexe. (Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, [2005] A.C.F. no 462 (QL); Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, [2004] A.C.F. no 1756 (QL).)
4) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en ce qui a trait à l’examen de la crainte subjective de persécution éprouvée par la demanderesse en raison du fait qu’elle avait tardé à demander l’asile?
[39] La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crainte subjective de persécution au motif qu’elle avait trop tardé à demander l’asile, sans tenir compte des raisons pour lesquelles elle n’avait pas fait de demande d’asile plus tôt à son arrivée au Canada.
[40] Tarder à demander d’asile est « un facteur important dont [la Commission] peut tenir compte en examinant une revendication du statut de réfugié ». (Voir également : Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 271 (QL).)
[41] Les motifs de la Commission établissent donc clairement qu’elle n’a pas fait fi des raisons avancées par Mme Da Costa Soares pour expliquer pourquoi elle avait tardé à demander le statut de réfugié. La Commission a plutôt jugé ces raisons inadéquates et insatisfaisantes compte tenu de la très longue période de trois ans qui s’était écoulée avant que la demanderesse présente sa demande et du fait que la demanderesse n’avait fait sa demande du statut de réfugié qu’une fois que les autorités canadiennes avaient eu découvert qu’elle se trouvait illégalement au Canada, en novembre 2005. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa décision.
[42] Cette longue période de trois ans qui s’est écoulé avant que la demanderesse présente sa demande d’asile, et seulement une fois qu’elle eut été découverte par les autorités canadiennes, était assez importante en soi pour amener la Commission à conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution. (Ilie c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1758 (QL), les motifs du juge Andrew Mackay; Gamassi c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1841 (QL), les motifs du juge Yvon Pinard.)
CONCLUSION
[43] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑1978‑06
INTITULÉ : MARIA ISABEL RIBEIRO DA COSTA SOARES
c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 12 FÉVRIER 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS : LE 20 FÉVRIER 2007
COMPARUTIONS :
Leigh Salsberg
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Robert Bafaro
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
JACKMAN & ASSOCIATES Toronto (Ontario)
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JOHN H. SIMS, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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