Ottawa (Ontario), le 7 février 2007
en présence de monsieur le juge Phelan
entre :
le conseil canadien pour les réfugiés
le conseil canadien des Églises
AMNiSTie INTERNATIONALe, et M. UNTEL
demandeurs
et
sa majesté la reine
MOTIFS DE L'ORDONNANCE provisoire et ordonnance provisoire
[1] Lors de la présentation des observations du présent contrôle judiciaire, les demandeurs ont présenté une requête en injonction interlocutoire qui obligerait la défenderesse à accorder à M. Untel et à son épouse le droit d’entrer au Canada à partir des États-Unis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le présent contrôle judiciaire ou, subsidiairement, qui interdirait à la défenderesse de refuser l’entrée au Canada à M. Untel et à son épouse.
[2] Les demandeurs avaient présenté une requête au juge Hughes en vue d’une injonction semblable en août 2006. Le juge avait rejeté la requête principalement aux motifs que le préjudice irréparable n’avait pas été établi puisque M. Untel n’avait pas épuisé les voies de recours qui lui étaient offertes aux États-Unis; il n’avait pas non plus expliqué son omission de rechercher une protection dans les autres pays; il n’avait pas non plus fourni de preuve suffisante des risques en Colombie. Par conséquent, et étant donné la forte présomption de la légitimité de la loi, la prépondérance des inconvénients pesait en faveur de la défenderesse. Il faut se rappeler que M. Untel a perdu sa cause en immigration aux États-Unis parce qu’en plus de ne pas avoir déposé sa demande dans le délai requis d’un an, il n’y avait pas assez de preuve du risque, en particulier du fait que M. Untel était la cible de criminels en général et non pas du groupe antigouvernemental des FARC.
[3] Depuis la décision du juge Hughes, il y a eu d’importants changements à la situation de M. Untel. Premièrement, il a été arrêté par les autorités des États‑Unis et son renvoi en Colombie est imminent. Deuxièmement, et ce qui est plus important encore, il y a une nouvelle preuve du risque couru par M. Untel s’il était renvoyé en Colombie.
[4] Pour autant qu’on puisse en juger, la preuve donne à penser que les membres des FARC ont continué à chercher M. Untel. Ce qui est révélateur c’est qu’en décembre, son frère a été agressé par des gens qui le cherchaient lui. Son frère a déposé une plainte officielle à la police à propos de l’incident et il est maintenant porté disparu. Il s’agit là d’une preuve qui n’était accessible ni au juge Hughes, ni aux décideurs en immigration des États-Unis.
[5] Lorsqu’on examine le critère à trois volets pour une injonction, il est relativement facile de trancher sur le premier volet qui est de savoir s’il y a une question grave. Les deux jours de présentation des observations et l’abondance des preuves et de la jurisprudence expriment la très grave nature des questions juridiques en litige.
[6] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, même si on tient compte des différences entre les faits de la présente affaire et ceux de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [1999] 4 C.F. 206, le raisonnement du juge Robertson est pertinent ici; il a déclaré ce qui suit :
Aucune violation d'un droit humain fondamental ne peut être mesurée avec précision ou réparée par l'octroi d'une somme l'argent. C'est particulièrement vrai dans des affaires en matière d'immigration comportant le renvoi dans un pays qui ne respecte pas les normes internationales en matière de droits de la personne.
[…]
À l'évidence, il est possible de répondre à la question du préjudice irréparable de deux façons. La première consiste à évaluer le risque de préjudice personnel en cas de renvoi dans un pays donné. La seconde consiste à évaluer l'effet du rejet d'une demande de sursis sur le droit d'une personne d'obtenir une décision sur le fond de sa cause et de profiter des avantages rattachés à une décision positive.
[7] Certes, ces mots peuvent bien s’appliquer à M. Untel, mais jusqu’à un certain point il est l’auteur de ses propres malheurs (ou il y a contribué). Il s’est caché des autorités des États-Unis après avoir reçu l’ordre de quitter le pays et il a omis d’épuiser ses recours juridiques. À ce sujet, je ne parle pas de présenter des requêtes manifestement inutiles, juste pour prouver l’évidence.
[8] Subséquemment à cette nouvelle preuve, M. Untel n’a pas demandé de sursis à son renvoi, ni la réouverture de sa cause en invoquant comme motif de ce qui est sans doute une preuve convaincante du risque.
[9] En présence d’une telle preuve, et sans aucunement présumer parler en lieu et place des autorités des États-Unis, il est difficile de concevoir que ces autorités ne puissent pas au moins faire droit à une telle demande de sursis et que le réexamen ne soit pas entrepris. Même la défenderesse a admis, assez justement, que cette nouvelle preuve pouvait avoir un effet sur un juge en immigration des États-Unis ou sur le BIA (Board of Immigration Appeals) .
[10] En ce qui a trait à la question de la prépondérance des inconvénients, elle dépend de la décision de M. Untel d’épuiser ou non ses recours juridiques.
[11] De plus, la Cour demeure préoccupée par la possibilité que l’affaire devienne théorique. La Cour est également préoccupée par le fait que, comme l’a rappelé l’avocat de la défenderesse, s’il était fait droit à la présente requête et que le demandeur venait au Canada, les autorités canadiennes auraient 90 jours pour prendre une décision sur la recevabilité.
[12] Par conséquent, la Cour suspendra le prononcé de sa décision sur la présente requête en injonction à condition que le demandeur M. Untel soumette une demande de sursis à son renvoi et prenne les autres mesures qui peuvent être nécessaires dans un délai de sept jours de la présente ordonnance. Entre‑temps, la Cour demeure saisie de la présente affaire et les avocats doivent aviser la Cour de toute demande faite aux autorités des États-Unis et de la décision qui s’en suit.
[13] L’ordonnance que la Cour a rendue oralement plus tôt aujourd’hui demeure en vigueur puisque aucune décision n’a été rendue sur la présente demande d’injonction interlocutoire.
[14] La Cour ne rend aucune ordonnance relativement à l’épouse de M. Untel puisqu’il n’y a aucune preuve de risque imminent.
ordonnance provisoire
la cour ordonne : la décision sur la demande d’injonction interlocutoire est reportée selon les conditions contenues dans les présents motifs. L’ordonnance délivrée le 7 février 2007 demeure en vigueur.
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOssier : IMM-7818-05
INTITULÉ : le conseil canadien pour les réfugiés,
le conseil canadien des Églises,
AMNiSTie INTERNATIONALe
et M. UNTEL
c.
sa majesté la reine
lieu de l’audience : Toronto (Ontario)
DATEs DE L'AUDIENCE : les 5 et 6 février 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
provisoire et ordonnance
DATE DES MOTIFS : le 7 février 2007
COMPARUTIONS :
Barbara Jackman Andrew Brouwer Leigh Salsberg
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pour les demandeurs, le conseil canadien pour les réfugiés le conseil canadien des Églises et M. UNTEL
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Lorne Waldman |
pour la demanderesse, AMNiSTie INTERNATIONALe
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David Lucas François Joyal Greg George Matina Karvellas
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pour la défenderesse |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates Avocats Toronto (Ontario)
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pour les demandeurs, le conseil canadien pour les réfugiés, le conseil canadien des Églises et M. UNTEL
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Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario)
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pour la demanderesse, AMNiSTie INTERNATIONALe |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
pour la défenderesse |