demanderesse
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
ET APOTEX INC.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE HARRINGTON
[1] La demande sous-jacente à la présente requête a pour objet le contrôle judiciaire d'une décision du ministre de la Santé concernant deux brevets canadiens. Novopharm, dont l'activité est touchée par une décision analogue relative aux mêmes brevets, a demandé à intervenir dans l'instance. J'ai rejeté sa requête en intervention, mais j'ai ordonné que soient entendues au fond deux demandes semblables de contrôle judiciaire immédiatement après la présente. Voici l'exposé des motifs de cette décision.
LE CONTEXTE
[2] Une ordonnance interlocutoire du juge von Finckenstein a déjà été portée devant la Cour d'appel. Le meilleur moyen d'exposer les faits est de s'inspirer de la décision de la juge Sharlow de la Cour d'appel (Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 7), qui fait actuellement l'objet d'une demande en autorisation de pourvoi devant la Cour suprême.
[3] Sanofi fabrique et vend une drogue dénommée Altace, dont l'ingrédient médicinal est le ramipril. Un certain nombre de brevets sont inscrits à l'égard de l'Altace au registre que tient le ministre sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Deux de ces brevets sont concernés par la présente demande de contrôle judiciaire, soit les brevets canadiens nos 2 382 387 (387) et 2 382 549 (549). Tous deux ont été inscrits à la suite d'une présentation faite par Sanofi en novembre 2003.
[4] Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle où elle soutenait que la version du ramipril qu'elle proposait, baptisée Apo‑ramipril, est un bioéquivalent de l'Altace. Cette présentation a été déposée avant que Sanofi ne dépose elle-même la présentation qui a entraîné l'inscription au registre des brevets 387 et 549.
[5] Apparemment, le ministre a conclu il y a un certain temps que l'Apo-ramipril est un bioéquivalent de l'Altace et qu'un avis de conformité (AC) devrait être délivré dans ce sens, sous réserve des dispositions du Règlement. Sanofi a introduit devant notre Cour une demande en interdiction au ministre de délivrer un tel avis de conformité (dossier T‑87‑06). Elle pensait que l'introduction de cette instance déclenchait le gel pouvant aller jusqu'à 24 mois que prévoit l'alinéa 7(1)e) du Règlement.
[6] Cependant, le ministre a apparemment adopté un nouveau point de vue sur l'administration du Règlement à la lumière de l'arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, rendu par la Cour suprême du Canada en novembre dernier. On peut lire ce qui suit au sommaire de cet arrêt :
Selon le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), (« Règlement AC »), le fabricant de produits génériques qui ne veut pas attendre l'expiration des brevets présentés comme étant pertinents doit contester leur validité ou leur applicabilité au produit qu'il propose (art. 5). La contestation doit être exposée dans un avis d'allégation. La société pharmaceutique innovatrice peut alors demander une ordonnance interdisant la délivrance de l'AC sur le fondement de la pertinence, de la validité et de l'applicabilité des brevets inscrits (art. 7). La demande d'interdiction déclenche un gel de 24 mois prévu par la loi pour la délivrance d'un AC. En l'espèce, le ministre avait le pouvoir de délivrer l'AC à Apotex sur le fondement de sa présentation abrégée de drogue nouvelle, sans imposer le gel de 24 mois prévu par la loi à l'égard des brevets « post-délivrance ». Le Règlement AC vise uniquement les brevets relatifs au produit innovateur véritablement copié et non les brevets délivrés et inscrits au registre par la suite qui ne profitent en rien aux fabricants de produits génériques [paragraphes 3, 14, 28 et 31]
[7] Le ministre a conclu que la comparaison d'Apotex se fondait sur l'Altace tel qu'il était avant que les brevets 549 et 387 ne soient inscrits au registre, et qu'elle ne faisait pas intervenir les changements revendiqués dans ces deux brevets. Il a donc délivré un AC à Apotex, en dépit de la procédure en instance devant notre Cour.
[8] Sanofi a alors demandé une suspension de l'effet de l'AC, qui lui a été accordée par Monsieur le juge von Finckenstein (2006 CF 1559). Cependant, l'ordonnance de ce dernier a été infirmée en appel par Madame la juge Sharlow. La Cour suprême a rejeté une demande en suspension de l'ordonnance de la juge Sharlow, mais a aussi ordonné d'accélérer la procédure de la demande en autorisation de pourvoi de Sanofi.
[9] Nous nous contenterons de faire observer que la décision du ministre d'administrer le Règlement d'une nouvelle manière est d'une importance considérable et entraîne de sérieuses conséquences.
[10] Le juge von Finckenstein avait ordonné que la présente demande soit entendue au fond dans les plus brefs délais. L'audience devrait en principe avoir lieu le mois prochain.
[11] Novopharm a aussi demandé au ministre de la Santé un AC relatif à sa version générique du ramipril. Le ministre l'a dispensée, comme il a dispensé Apotex, de l'obligation de présenter une argumentation touchant les deux mêmes brevets. Mais Novopharm doit contester la validité ou l'applicabilité de deux autres brevets, de sorte qu'elle n'a pas encore obtenu l'AC demandé. Néanmoins, son produit fait l'objet d'une demande en interdiction semblable de la part de Sanofi à l'égard des brevets 387 et 549 (dossier T‑2188‑06).
[12] Sanofi a introduit contre le ministre une autre demande (dossier T‑2189‑06), semblable en ce qu'elle se rapporte au même AC délivré à Apotex. Il se pourrait que la présente instance décide du sort de cette demande.
LA QUALITÉ D'INTERVENANT
[13] La Cour doit prendre en considération un certain nombre de facteurs pour décider s'il y a lieu d'accorder la qualité d'intervenant sous le régime de l'article 109 des Règles des Cours fédérales. La Cour d'appel en a énuméré six dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International ltée, [2000] A.C.F. no 220 (QL), 95 A.C.W.S. (3d) 249. Selon mon interprétation de cet arrêt, il n'est pas nécessaire que ces six critères soient tous remplis, pas plus qu'il n'est inutile ou interdit de prendre d'autres facteurs en considération. Les six facteurs en question sont les suivants :
a. La personne qui se propose d'intervenir est-elle directement touchée par l'issue du litige?
b. Y a‑t‑il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu'un véritable intérêt public?
c. S'agit‑il d'un cas où il semble n'y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?
d. La position de la personne qui se propose d'intervenir est-elle défendue adéquatement par l'une des parties au litige.
e. L'intérêt de la justice sera‑t‑il mieux servi si l'intervention demandée est autorisée?
f. La Cour peut-elle entendre l'affaire et statuer sur le fond sans autoriser l'intervention?
[14] Sanofi soutient que les deux brevets en question ont profité aussi bien à Apotex qu'à Novopharm. C'est là une question de fait qui pourrait très bien commander des réponses différentes d'une demande à l'autre. Le ministre est parfaitement capable de défendre sa position, tout comme l'est Apotex. L'affaire peut être décidée sans l'aide de Novopharm. Qui plus est, la Cour a déjà exprimé le désir que soit hâtée l'audience au fond. Or, il est tout à fait possible que l’ajout d'un intervenant vienne compliquer l'affaire et retarder l'audience.
[15] La question se résume à mon sens comme suit : Novopharm a un intérêt dans la nouvelle interprétation que le ministre donne du Règlement, mais cet intérêt ne suffit pas à justifier que la Cour l'autorise à intervenir, du moins à ce niveau.
[16] Le même raisonnement s'applique à la requête en réunion des trois demandes. Cependant, j'ai ordonné que, si elles sont en état, les demandes T‑2188‑06 et T‑2189‑06 soient entendues immédiatement après la présente espèce. Étant donné que les trois affaires concernent les deux mêmes brevets, le même médicament, le rapport de l'arrêt AstraZeneca avec le Règlement et l'administration de celui‑ci par le ministre, il me paraît être dans l'intérêt de la justice que le même juge les entende toutes les trois.
« Sean Harrington »
Ottawa (Ontario)
Le 5 février 2007
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑2196‑06
INTITULÉ : SANOFI-AVENTIS CANADA INC.
c.
LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET APOTEX INC.
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 30 JANVIER 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 5 FÉVRIER 2007
COMPARUTIONS :
Steven Garland Jeremy Want
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POUR LA DEMANDERESSE |
Rick Woyiwada |
POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |
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Ben Hackett
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POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.
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Jonathan Stainsby Mark Davis |
POUR L'INTERVENANTE ÉVENTUELLE NOVOPHARM LTÉE |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar Avocats
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |
Goodmans LLP Avocats |
POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC. |
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Heenan Blaikie LLP Avocats |
POUR L'INTERVENANTE ÉVENTUELLE NOVOPHARM LTÉE |