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Date : 20070130

Dossier : T‑1491‑06

Référence : 2007 CF 102

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

FARHAD HAJ‑KAMALI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Farhad Haj‑Kamali, est devenu résident permanent du Canada le 28 mars 1999. Il a déposé une demande de citoyenneté canadienne le 7 avril 2003, laquelle a été rejetée par le Bureau de la citoyenneté le 8 novembre 2005. M. Haj‑Kamali a contesté cette décision devant la Cour et, avec l’accord du défendeur, l’affaire a été renvoyée devant le Bureau de la citoyenneté pour un nouvel examen. Le Bureau de la citoyenneté s’est prononcé à nouveau le 20 juillet 2006 mais c’était, encore une fois, pour refuser la citoyenneté à M. Haj‑Kamali. Cette décision reposait sur le fait qu’au cours des quatre ans précédant la date de sa demande, M. Haj‑Kamali n’avait pas résidé suffisamment longtemps au Canada, contrairement aux exigences du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi). En l’espèce, M. Haj‑Kamali sollicite l’annulation de la décision du Bureau de la citoyenneté. Il soutient que le Bureau a commis des erreurs susceptibles de révision, tant au niveau des faits que dans l’application de la loi à la preuve produite.

 

I. Le contexte

[2]               M. Haj‑Kamali est un ressortissant iranien admis au Canada comme membre de la catégorie des entrepreneurs. Lui et sa famille semblent être bien établis au Canada. Il ressort du dossier que M. Haj‑Kamali possède, tant au Canada qu’en Iran, d’importants intérêts commerciaux. Il s’occupe notamment de commerce international avec l’Iran, ce qui nécessite de nombreux déplacements. Entre 1999 et 2003, il a effectué de fréquents et parfois de longs séjours en Grande‑Bretagne et en Iran, pour des motifs tant familiaux que commerciaux.

 

[3]               Lorsque M. Haj‑Kamali a demandé la citoyenneté canadienne, il était évident qu’il n’avait pas été physiquement présent au Canada pendant les 1 095 jours qu’exige une interprétation stricte du paragraphe 5(1) de la Loi, ainsi libellé :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix‑huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

 

 

 

 

 

[Non souligné dans l’original.]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

[Emphasis added]

 

Comme M. Haj‑Kamali n’avait pas atteint le seuil numérique exigé pour la durée de sa résidence préalable, il a demandé au Bureau de la citoyenneté de retenir de la disposition exposée ci‑dessus l’interprétation libérale qu’autorise une certaine jurisprudence de la Cour : voir Koo (Re) (1992), 59 F.T.R. 27, [1993] 1 C.F. 286, et Re Papadogiorgakis, [1978] A.C.F. no 31, [1978] 2 C.F. 208. Le Bureau de la citoyenneté a néanmoins rejeté la demande de M. Haj‑Kamali au motif qu’il n’avait pas satisfait aux conditions de résidence prévues par la Loi.

 

II. La décision du Bureau de la citoyenneté

[4]               Dans le cadre de sa décision, le Bureau de la citoyenneté est parvenu aux conclusions de fait suivantes :

[traduction]

 

●          Au cours des quatre ans en question, vous avez été hors du Canada pendant 672 jours au total et présent au Canada pendant 788 jours. Il vous manque 307 jours pour atteindre le minimum de 1 095 jours de résidence qu’exige l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

●          Vous n’avez pas été en mesure de produire le passeport dont vous étiez muni lors de votre arrivée au Canada et qui confirmait les dates de vos absences entre mars 1999 et décembre 2001. Le passeport no 5352317 est venu à expiration le 20 novembre 2000 et votre passeport actuel no S538750 vous a été délivré en Iran le 2 décembre 2001.

 

●          L’écart entre les absences que vous avez déclarées dans votre demande, celles dont vous avez fait état dans le questionnaire portant sur la résidence et dans votre déclaration du 29 juin 2005 ainsi que les tampons apposés à votre passeport soulève une question de crédibilité.

 

●          À l’audience, vous avez affirmé avoir vécu chez des amis au cours des six premiers mois de votre séjour au Canada, puis avoir vécu, à titre de locataire, dans deux appartements différents jusqu’en juillet 2002, date à laquelle vous avez acheté un appartement.

 

●          Vous avez une fille qui habite au Canada et une fille qui habite en Angleterre. Votre mère, vos deux soeurs, votre frère, votre beau‑père et votre belle‑mère vivent en Iran.

 

●          Le 28 novembre 2004, on vous a délivré un visa RX1 vous permettant de vous rendre au Canada pour faire appel de la perte de votre statut de résident permanent. Votre appel a été accueilli le 13 mai 2005 pour des considérations d’ordre humanitaire.

 

●          Selon votre lettre d’appel, vous êtes copropriétaire d’une maison à Téhéran, que vous avez mise en location, et vous vous occupez de l’exportation en Iran de machines. À la page 7 du questionnaire portant sur la résidence, vous avez répondu « NÉANT » à la question concernant la propriété d’entreprises ou de biens hors du Canada.

 

●          Vous avez produit trois gros cahiers d’indices passifs de votre résidence : (Cahier no I) – des factures de service téléphonique de Bell Canada pour la période de janvier 2002 à mai 2006, des factures de Rogers pour la période de 2003 à 2006, des relevés de comptes bancaires et de Visa pour la période de 2003 à 2006; (Cahier no II) – des déclarations d’impôt sur les sociétés (non vérifiées) pour 2000, 2003, 2004 et 2005, les statuts constitutifs de trois sociétés, l’achat d’un véhicule en janvier 2000, des lettres d’appui émanant de divers amis, des relevés de comptes bancaires de la Banque royale du Canada, d’autres relevés de comptes de Bell Canada et de Rogers, des conventions d’achat de divers biens; (Cahier no III) – divers documents réunis à l’intention de la Cour fédérale. Bon nombre de ces indices passifs de la résidence peuvent être obtenus sans qu’il soit nécessaire de séjourner longtemps au Canada. Ces éléments ne permettent donc pas de démontrer la « solidité » ou la « qualité » des liens que vous entretenez avec le Canada.

 

●          Les éléments de preuve que vous avez produits témoignent de l’existence de liens financiers considérables avec le Canada. Vous avez investi dans des entreprises et des immeubles, mais vous avez également, en Iran et en Grande‑Bretagne, des intérêts commerciaux, des biens et de la famille, ce qui vous oblige à vous absenter souvent du Canada. Compte tenu de ces absences considérables, je ne suis pas convaincu que vos liens avec le Canada soient plus importants que vos liens avec l’Iran.

 

 

 

[5]               La décision du Bureau de la citoyenneté contient également une analyse juridique relativement brève et la conclusion suivante que voici :

[traduction]

 

Analyse :

 

« Avant d’approuver votre demande de citoyenneté au titre du paragraphe 5(1) de la Loi, je dois déterminer si vous vous conformez aux exigences de la Loi et de son règlement, y compris l’exigence, énoncée à l’alinéa 5(1)c), d’avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de votre demande. »

 

« Selon ce que je comprends de la jurisprudence récente de la Cour fédérale, interprétant la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, de même que l’intention du législateur qui peut être dégagée du sens ordinaire de l’alinéa 5(1)c), le facteur le plus important à considérer pour la condition de résidence consiste à savoir si l’on peut affirmer que le demandeur a établi sa résidence au Canada en ayant vécu au Canada et en y ayant été présent physiquement. Ainsi que le juge Lemieux le déclarait dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Heny Jreige, (T‑2012‑98, 1990924) :

 

Il est très difficile de s’imprégner des valeurs canadiennes et de s’intégrer dans la société canadienne en raison de si longues absences. Dans les quatre années considérées, il vous manque 307 jours pour atteindre le minimum de 1 095 jours qu’exige l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

Dans un jugement récent, le juge Shore rappelle, au paragraphe 8 de sa décision que : « [8] Le législateur fédéral a bien précisé que l’auteur d’une demande de citoyenneté peut s’absenter du Canada pendant une année au cours de la période de quatre ans qui précède la date de sa demande. Par conséquent, il a prescrit que celui‑ci doit être résident du Canada pendant au moins trois ans, soit 1 095 jours. Bien que le terme « résidence » ne soit pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi, le fait qu’il lui soit permis de s’absenter pendant un an indique nettement que sa présence physique au Canada est exigée durant les trois autres années. »

 

Décision :

 

Pour ces motifs, je ne peux pas accueillir votre demande étant donné que vous n’avez pas satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. »

 

 

 

III. Les questions en litige

 

[6]               M. Haj‑Kamali conteste la décision du Bureau de la citoyenneté, alléguant une erreur de fait et une erreur dans l’application à la preuve du critère juridique servant à déterminer si les conditions de résidence prévues au paragraphe 5(1) de la Loi ont été respectées. Mais avant de se pencher sur ces questions, il y a lieu de préciser quelle est en l’espèce la norme de contrôle devant s’appliquer.

 

IV. Analyse

[7]               Les deux parties conviennent que, en ce qui concerne les conclusions de fait auxquelles est parvenu le Bureau de la citoyenneté (le calcul, par exemple, du temps passé par M. Haj‑Kamali en dehors du Canada), la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cela est conforme à un certain nombre de décisions de la Cour et je retiens en particulier l’analyse à laquelle s’est livré le juge Richard Mosley dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1078, 2005 CF 861, où, au paragraphe 10, il s’exprime en ces termes :

[10]      Cependant, le défendeur fait valoir que dans le cas de conclusions purement factuelles, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge de la citoyenneté, en tant que juge des faits, a accès aux documents originaux et est en mesure de discuter des faits pertinents avec le demandeur. Dans le cas d’un appel en matière de citoyenneté, la présente Cour est une cour d’appel et elle ne devrait pas toucher aux conclusions à moins que ces dernières soient manifestement déraisonnables ou qu’elles fassent état d’une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

 

 

 

[8]               L’application aux faits de l’espèce des dispositions de la Loi en matière de résidence constitue, bien sûr, une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable simpliciter. Sur ce point, je retiens l’analyse à laquelle s’est livré le juge Mosley dans la décision Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004] A.C.F. no 2134, 2004 CF 1752, où, aux paragraphes 9 et 10, il affirme ce qui suit :

9          Appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle à l’examen des décisions des juges de la citoyenneté portant sur la condition de résidence prévue par la Loi, plusieurs juges de la Cour fédérale ont récemment conclu qu’une norme plus adéquate serait celle de la décision raisonnable simpliciter : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, [2004] A.C.F. n° 2069; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, [2004] A.C.F. n° 2051; Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, [2004] A.C.F. n° 1913; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, [2004] A.C.F. n° 1040; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, [2004] A.C.F. n° 88; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F n° 1871.

 

10        Je reconnais que le point de savoir si une personne a rempli la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de droit et de fait et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, parce que ces juges ont l’expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises. Par conséquent, j’admets que la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter et que, ainsi que le disait la juge Snider dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 5, « dans la mesure où ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s’appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue ».

 

 

[9]               L’avocat de M. Haj‑Kamali a fait valoir que le Bureau de la citoyenneté a commis deux erreurs principales lors de son examen de la demande de citoyenneté. La première est une erreur de fait concernant le calcul du nombre de jours passés hors du Canada par M. Haj‑Kamali. Il est allégué que cette erreur a amené le Bureau de la citoyenneté à surévaluer la durée des absences de M. Haj‑Kamali – ajoutant à tort 136 jours d’absence – et ainsi à conclure qu’il manquait au demandeur 307 jours pour atteindre le nombre minimal de jours de résidence requis.

 

[10]           La seconde erreur reprochée au Bureau de la citoyenneté concerne son adoption et son application du critère juridique de la résidence prévu au paragraphe 5(1) de la Loi. Selon M. Haj‑Kamali, si le Bureau de la citoyenneté n’avait pas commis d’erreur quant au nombre de jours passés hors du Canada, il aurait peut‑être conclu que le demandeur satisfaisait effectivement aux conditions de résidence prévues par la Loi. Cette question dépend nécessairement du critère relatif à la résidence qu’a appliqué le Bureau de la citoyenneté lors de son examen de la demande de M. Haj‑Kamali. Si le Bureau de la citoyenneté avait retenu, pour l’évaluation de la durée de la résidence, une approche stricte ou littérale, comme cela a été le cas dans la décision Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, [1993] A.C.F. no 232, l’erreur de fait que le demandeur lui reproche serait sans importance du point de vue juridique, puisque M. Haj‑Kamali ne serait tout de même pas parvenu à établir qu’il avait été physiquement présent au Canada pendant 1 075 jours au cours des quatre ans précédant la date de sa demande de citoyenneté. Si, par contre, le Bureau de la citoyenneté avait, pour l’évaluation de la durée de la résidence, retenu un critère plus souple ou plus libéral, comme cela a été le cas, par exemple, dans la décision Koo (Re), précitée, ou dans la décision Re Papadogiorgakis, précitée, il est allégué que l’erreur de fait reprochée aurait peut‑être eu une incidence importante sur l’issue de l’affaire.

 

[11]           Il ne fait aucun doute que le Bureau de la citoyenneté a effectivement commis une erreur dans son calcul d’au moins une des absences du Canada de M. Haj‑Kamali, cette erreur étant manifeste au vu de la décision. M. Haj‑Kamali a toujours soutenu qu’il s’était absenté du Canada entre le 20 septembre 2000 et le 10 octobre 2000 (21 jours) et à nouveau entre le 24 février 2001 et le 10 mars 2001 (15 jours), ces dates étant comprises. Or, la décision du Bureau de la citoyenneté présente une erreur manifeste quant au calcul des jours d’absence de M. Haj‑Kamali au cours de cette période. Il est précisé dans la décision que M. Haj‑Kamali était absent du Canada du 20 septembre 2000 au 10 mars 2001 (171 jours), et à nouveau entre le 24 février 2001 et le 10 mars 2001 (14 jours). Il est évident que si M. Haj‑Kamali avait quitté le Canada le 24 février 2001, il lui aurait fallu se trouver au Canada avant cette date et, par conséquent, il n’aurait pu être absent du Canada de façon continue du 20 septembre 2000 au 10 mars 2001.

 

[12]           Le défendeur fait valoir qu’on ne relève dans les conclusions du Bureau de la citoyenneté qu’un chevauchement de 14 jours, c’est‑à‑dire un laps de temps qui est sans importance du point de vue juridique. Le problème n’est cependant pas aussi simple, car M. Haj‑Kamali affirme (ses propos n’ayant pas été corroborés) qu’il se trouvait au Canada entre le 11 octobre 2000 et le 23 février 2001 (136 jours). Il est tout à fait impossible, d’après le dossier, de savoir si l’erreur du Bureau de la citoyenneté était de 14 jours ou de 136 jours, et le seul moyen de le savoir serait pour le Bureau de la citoyenneté de parvenir sur ce point à la conclusion de fait nécessaire. Ayant relevé une erreur manifestement déraisonnable dans la manière dont le Bureau de la citoyenneté a interprété cette partie de la preuve, et faute de moyens de résoudre le problème qui se pose ainsi au niveau des faits dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la question ne pourra être résolue que par une nouvelle audience du Bureau de la citoyenneté. Toutefois, une nouvelle audience n’est requise que si l’erreur de fait avait pu entraîner, pour M. Haj‑Kamali, une issue différente de l’affaire.

 

[13]           Le défendeur soutient que le Bureau de la citoyenneté a correctement appliqué le critère de résidence exposé par le juge Francis Muldoon dans la décision Re Pourghasemi, précitée, et que, par conséquent, l’erreur de fait relevée en l’espèce ne pouvait faire aucune différence. Il en est ainsi selon lui parce que, de toute façon, M. Haj‑Kamali n’était pas physiquement présent au Canada pendant trois des quatre années précédant la date de sa demande de citoyenneté.

 

[14]           M. Haj‑Kamali soutient que le Bureau de la citoyenneté n’a pas en l’occurrence appliqué le critère exposé dans la décision Re Pourghasemi, ou du moins ne l’a pas dit assez clairement pour que l’on puisse sûrement ou raisonnablement tenir cela pour acquis. Le demandeur estime qu’il ressort de la décision du Bureau de la citoyenneté que c’est en fait le critère de résidence exposé dans la décision Koo (Re) qui a été appliqué et que, au regard de ce critère‑là, une erreur pouvant représenter jusqu’à 136 jours aurait très bien pu avoir une incidence sur l’issue de la cause.

 

[15]           Pour ce qui est de savoir quel critère juridique le Bureau de la citoyenneté a appliqué aux faits de l’espèce, je me retrouve confronté à un véritable dilemme. Je conviens, avec l’avocat du défendeur, que certains indices relevés dans la décision donnent à entendre que c’est le critère exposé dans la décision Re Pourghasemi, précitée, qui a été appliqué, mais je suis incapable de l’affirmer. De toute évidence, le contrôle judiciaire serait facilité si le Bureau de la citoyenneté citait clairement la jurisprudence sur laquelle il s’est fondé pour trancher la question de la résidence. En l’occurrence, la décision fait renvoi à la décision Jreige c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 175 F.T.R. 250, [1999] A.C.F. no 1469, mais évidemment pas dans le but de dégager ou d’adopter le critère de résidence à appliquer. Le Bureau de la citoyenneté se réfère également à la décision Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 982; 2005 CF 778, dans laquelle la Cour a retenu le critère exposé dans la décision Koo (Re), précitée, qui consiste à se demander où l’intéressé a centralisé son mode d’existence. Au paragraphe 11 de la décision Morales, le juge Michel Shore s’est exprimé ainsi :

[11]      La Cour conclut que le juge de la citoyenneté a appliqué correctement le critère de la décision Koo (Re) (1re inst.). Ses motifs sont clairs et la preuve appuie ses conclusions. Il est clair qu’il n’a pas conclu que la présence physique de l’intéressé est obligatoire, contrairement à ce qu’allègue Mme Morales, et qu’il a envisagé la possibilité que la condition de résidence puisse être remplie malgré son absence physique du pays; en effet, il a fait les observations suivantes :

 

[traduction] Vous savez sans doute que le terme « résidence », tel qu’utilisé dans la Loi sur la citoyenneté, comporte une certaine imprécision ou ambiguïté. Cela a donné lieu à de nombreuses controverses juridiques et, dans la pratique, à un consensus : on peut s’écarter de la période de 1 095 jours prescrite par la Loi, sous certaines conditions et dans des limites raisonnables.

 

 

[16]           Le fait que le Bureau de la citoyenneté semble avoir fondé sa décision sur la décision Morales, ainsi que la manière dont il a examiné les éléments de preuve concernant le degré de l’établissement de fait de M. Haj‑Kamali au Canada, me portent à conclure qu’il entendait appliquer aux faits de l’espèce le critère retenu dans la décision Koo (Re). Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que la Cour devrait s’en tenir à de simples conjectures pour ce qui est du critère juridique que le Bureau de la citoyenneté a appliqué à la question de la résidence. M. Haj-Kamali avait droit à une explication claire de l’analyse juridique à laquelle s’était livré le Bureau de la citoyenneté et c’est à tort que celui‑ci ne lui a pas fourni cette explication. Étant donné que l’erreur de fait commise par le Bureau de la citoyenneté pouvait avoir une incidence importante sur l’issue de la demande de M. Haj-Kamali dans le contexte du critère de la résidence exposé dans Koo (Re) et d’autres décisions semblables, l’affaire doit être renvoyée devant le Bureau de la citoyenneté afin d’être à nouveau tranchée sur le fond.

 

[17]           Bien qu’il soit fait droit à la demande de M. Haj‑Kamali, il convient de relever que la difficulté du Bureau de la citoyenneté à calculer le nombre de jours passés hors du Canada par le demandeur est attribuable en grande partie aux écarts et contradictions contenus dans les éléments de preuve que celui-ci a produits et à l’insuffisance d’éléments de preuve corroborants. Il ne devrait pas être si difficile d’établir de manière claire et convaincante le nombre de jours passés hors du Canada, mais les efforts que M. Haj‑Kamali a déployés en ce sens jusqu’à maintenant laissent beaucoup à désirer.

 

[18]           Ni l’une ni l’autre des parties ne l’ayant demandé et compte tenu des circonstances de l’espèce, il n’y aura aucune adjudication des dépens.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée devant un autre juge du Bureau de la citoyenneté afin d’être tranchée à nouveau sur le fond.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1491‑06

 

INTITULÉ :                                       FARHAD HAJ‑KAMALI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

 

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