Référence : 2007 CF 73
Toronto (Ontario), le 24 janvier 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Layden-Stevenson
ENTRE :
DIANA ELIZABETH NAVARRO CANSECO
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Mlle Canseco est une citoyenne du Mexique victime de violence conjugale. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande et a décidé qu’elle n’était ni une réfugiée, ni une personne à protéger. La SPR a conclu qu’une protection de l’État était offerte au Mexique.
[2] Mlle Canseco prétend que la SPR a omis de prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et la preuve psychologique dans son évaluation de la protection de l’État. Elle soutient qu’il faut tenir compte du contexte dans l’analyse. Malgré ma compassion à l’égard de Mlle Canseco, je conclus que la décision est justifiée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Les faits
[3] Mlle Canseco a fait la connaissance de son conjoint de fait lorsqu’elle avait 17 ans. Trois années plus tard, ils ont emménagé ensemble. Peu de temps après, elle est devenue victime de violences verbales, physiques et sexuelles. Elle a déposé une plainte à la police, mais la police n’a rien fait. Lorsqu’elle a appris que son mari vendait et consommait de la drogue, elle l’a quitté et est allée vivre chez sa tante. Il a découvert où elle était et a promis de changer si elle rentrait à la maison. Mlle Canseco, qui était alors enceinte de jumeaux, est rentrée à la maison.
[4] Les violences ont continué. En août 2004, Mlle Canseco a été hospitalisée pendant deux jours à la suite d’une dispute qui a entraîné la perte des bébés. À sa sortie d’hôpital, elle a été confiée aux soins de sa mère, mais son conjoint lui rendait visite chez sa mère. Le couple s’est reformé en septembre et les violences ont cessé jusqu’à quelque temps après Noël. En février 2005, le conjoint de Mlle Canseco l’a violé et a tenté de l’agresser à l’aide d’un couteau. Grâce à l’intervention d’un voisin, Mlle Canseco s’est enfuie chez sa mère et a commencé à concevoir des plans pour se rendre au Canada. Pendant les deux semaines où elle est demeurée chez sa mère, son conjoint lui a rendu visite et « a demandé à avoir des relations sexuelles ». Lorsque Mlle Canseco est entrée au Canada le 13 mars 2005, elle était enceinte. Elle a présenté une demande d’asile le 29 mars. Son fils est né au Canada.
La décision
[5] La SPR a conclu que Mlle Canseco était crédible et digne de foi. La SPR a pris acte de sa dénonciation en 2003, mais a également noté qu’elle est retournée chez son conjoint après cela, de sorte que la police pouvait difficilement faire quoi que ce soit. La SPR a conclu qu’une protection adéquate de l’État était offerte au Mexique et elle s’est référée à plusieurs organisations gouvernementales et non gouvernementales qui aident les victimes de violence. Lors de l’audience, Mlle Canseco a admis qu’elle connaissait ces ressources, mais elle a déclaré qu’elle avait trop peur pour s’adresser à elles. La SPR a également tenu compte de l’existence d’injonctions restrictives et elle a fait remarquer que Mlle Canseco n’avait pas recherché ce genre de protection. La SPR a fait référence à la preuve documentaire qui établissait que le gouvernement du Mexique faisait des efforts pour éradiquer la corruption et pour réformer la police. La SPR a conclu que Mlle Canseco n’avait pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État.
Les questions en litige
[6] Mlle Canseco soulève trois questions :
(1) l’omission de la SPR de vérifier s’il existait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI);
(2) l’omission de la SPR d’analyser la demande conformément aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et conformément à la preuve psychologique;
(3) l’omission de la SPR d’utiliser le bon critère pour la protection de l’État.
Analyse
[7] En ce qui a trait à la première question, lors de l’audience, l’avocat de Mlle Canseco a reconnu que la SPR n’avait pas tenu compte de la PRI. Même si la SPR avait intitulé la partie analyse de ses motifs « Possibilité de refuge intérieur/protection de l’État », elle a décidé la cause sur la base de la protection de l’État. Par conséquent, elle n’avait pas besoin de définir un lieu comme étant une PRI.
[8] Pour ce qui est de la deuxième question, Mlle Canseco s’est offensée du commentaire de la SPR selon laquelle elle semble être « une personne faible, incapable de se séparer de son conjoint malgré tout ce qu’il lui aurait présumément fait subir ». Elle prétend que ce commentaire dénote une insensibilité de la SPR aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et une insensibilité à l’expertise psychologique.
[9] Après avoir soigneusement examiné la transcription et le dossier, je dois exprimer mon désaccord. La SPR a expressément affirmé qu’elle avait tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elle avait pris acte, entre autres choses, du rapport psychologique. La SPR n’a pas été insensible, au contraire, elle a estimé que cette preuve l’avait aidée à tirer sa conclusion sur la crédibilité. La SPR a reconnu que Mlle Canseco n’avait pas la volonté de faire quoi que ce soit. En effet, son avocat lors de l’audience (pas son avocat dans la présente demande) a déclaré qu’elle « était comme figée ».
[10] Je suis d’accord que, dans les affaires de violences conjugales, il appartient à la SPR de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. C’est ce que la SPR a fait dans la présente affaire. Toutefois, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne délient pas nécessairement les demandeurs de leur obligation de rechercher la protection de l’État. L’expertise psychologique conclut à la crainte subjective. La SPR a reconnu que Mlle Canseco avait une crainte subjective. L’expertise psychologique n’est d’aucun secours à la demanderesse relativement à la question objective de la protection de l’État, ce qui m’amène à la troisième question.
[11] Les parties s’accordent pour dire, et je suis du même avis qu’elles, que relativement à la conclusion sur la protection de l’État, la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable.
[12] Je conviens avec Mlle Canseco que la SPR a commis une erreur dans un aspect relatif à la preuve documentaire. Il est vrai que, selon les documents, les injonctions restrictives ne sont décernées que pour les personnes mariées victimes de violences conjugales. La SPR a commis une erreur en concluant autrement. Cela étant dit, je ne conclus pas que cette erreur est fatale à l’ensemble de la décision.
[13] Prise dans son ensemble, la décision souligne la palette de mesures de protection offertes aux victimes de violence conjugale au Mexique et le peu d’effort fait par Mlle Canseco pour obtenir cette protection. En définitive, la SPR a conclu que, le fait de se rendre à la police une fois en septembre 2003 n’était pas suffisant pour réfuter la présomption de la protection de l’État.
[14] Il n’y a pas de doute, le Mexique est une démocratie avec un président élu et un parlement bicaméral. Le Mexique détient la maîtrise de son territoire, de ses institutions, de son armée, de sa police et de ses autorités civiles. La SPR a conclu que le Mexique déploie de grands efforts pour protéger ses citoyens et que « [l]e seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ne peuvent pas se réclamer de sa protection ». À mon avis, cette conclusion était raisonnable vu la preuve dont disposait la SPR. J’adhère complètement au raisonnement du juge Russell dans la décision Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1365, A.C.F. 1716, lorsqu’il déclare ce qui suit aux paragraphes 43 et 44 :
¶ 43 Je dois dire tout d’abord, après avoir examiné la preuve et la décision de la Commission, qu’il aurait été tout à fait raisonnable que celle‑ci donne raison aux demandeurs, ce qui ne veut pas dire cependant que ses conclusions défavorables étaient manifestement déraisonnables, ou même déraisonnables. C’est d’ailleurs sur cette question que porte la présente instance en contrôle judiciaire.
¶ 44 En fin de compte, les demandeurs estiment tout simplement incroyable que la Commission ait pu tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée, compte tenu de la preuve dont elle disposait, des détails de l’affaire et des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Il s’agit cependant uniquement d’un désaccord avec la Commission, et un tel désaccord n’est pas une raison suffisante pour que la Cour modifie la décision rendue par celle‑ci.
[15] Il est bien établi en droit que plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile doit avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui; voir Kadenko c. Canada (Procureur général) (1996), 143 D.L.R. (4th ) 532 (C.A.F.).
[16] Bien entendu, chaque affaire est examinée à la lumière de ses propres faits. Dans la présente affaire, il y avait une preuve suffisante devant la SPR pour qu’elle conclue comme elle l’a fait. Sa conclusion est appuyée par une analyse qui résiste à un examen assez poussé. Par conséquent, je n’ai pas à intervenir.
[17] Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1567-06
INTITULÉ : DIANA ELIZABETH NAVARRO CANSECO
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 23 JANVIER 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE Layden-Stevenson
DATE DES MOTIFS : LE 24 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Daniel M. Fine
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POUR LA DEMANDERESSE |
Gordon Lee
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel M. Fine Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Gordon Lee Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |