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Date : 20070124

Dossier : T-583-06

Référence : 2007 CF 70

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

ENVIREEN CONSTRUCTION (1997) INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

défenderesse

 

et

 

Dossier : T-960-03

 

ENTRE :

 

ENVIREEN CONSTRUCTION (1997) INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

et LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        La principale question que soulèvent les requêtes dont est saisie la Cour est de savoir si la déclaration produite dans l’action la plus récente doit être radiée pour abus de procédure. J’ai conclu par la négative pour les motifs qui suivent.

 

[2]        Le 11 juin 2003, la demanderesse (Envireen) a intenté une action devant la présente Cour sous le numéro de dossier T-960-03 (la première action). La première action nommait comme défendeurs le ministre de la Défense nationale et le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada. Elle visait à demander des dommages-intérêts à la Couronne en raison, alléguait-on, d’un marché attribué à Envireen pour la démolition d’un bâtiment situé à Goose Bay, au Labrador.

 

[3]        La première action n’a pas avancé avec célérité. L’avocate des défendeurs a adopté la position que la défenderesse appropriée était « Sa Majesté la Reine », que les ministres n’avaient aucune responsabilité à titre personnel et que, de toute façon, la déclaration ne leur avait jamais été signifiée personnellement. Le 8 octobre 2003, un projet de déclaration modifiée a été signifié à l’avocate de la Couronne. La déclaration modifiée ajoutait « Sa Majesté la Reine du chef du Canada » comme défenderesse. Le 14 octobre 2003, une défense a été signifiée au nom de la Couronne en réponse à la déclaration modifiée. L’avocate de la Couronne a indiqué que la défense était signifiée dans la perspective où les irrégularités de la demande seraient corrigées. Le 18 mai 2004, l’avocat de la demanderesse a signifié son affidavit de documents à l’avocate de la Couronne et s’est enquis des dates de l’enquête préalable. L’avocate de la Couronne l’a informé qu’il mettait la dernière main à l’affidavit de documents de la Couronne, en réitérant que si les ministres n’étaient pas radiés comme défendeurs, une requête en radiation suivrait.

 

[4]        Le 17 août  2004, la Cour a envoyé aux parties un avis d’examen de l’état de l’instance. L’avis délivré en vertu de l’article 380 actuel des Règles des cours fédérales, DORS/2004-283 (les Règles) demandait à la demanderesse, par la voie d’observations écrites signifiées et produites au plus tard le 20 septembre 2004, de donner les raisons pour lesquelles la première action ne devrait pas être rejetée pour cause de retard. Aucune observation n’a été présentée et, par ordonnance datée du 5 octobre 2004, la juge McGillis a rejeté l’action pour retard.

 

[5]        Sur réception de l’ordonnance de la juge McGillis, l’avocat de la demanderesse a écrit à la Cour et l’avocat des ministres le 6 octobre 2004. Il a reconnu que le Greffe de la Cour l’avait informé que la Cour conservait une confirmation télécopiée qui établissait que l’avis d’examen de l’état de l’instance lui avait été signifié. Il a déclaré, toutefois, que l’avis d’examen de l’état de l’instance [traduction] « a[vait] échappé à mon attention ». Il a conclu en déclarant : [traduction] « J’examinerai les Règles pour établir quel recours est disponible pour régulariser la poursuite de l’instance ». Cependant, aucune requête ou autre mesure n’ont été présentées.

 

[6]        Aucun élément d’importance n’a été communiqué à la Cour ou à l’avocate de la Couronne jusqu’au 31 mars 2006 (près de 18 mois plus tard), date à laquelle Envireen a présenté une nouvelle déclaration dans la présente procédure (la seconde action) et l’a signifiée à la Couronne. Dans la seconde action, la défenderesse nommée est « Sa Majesté la Reine du chef du Canada ». De nouveau, Envireen demande des dommages-intérêts à l’égard de la démolition du même bâtiment, soit celui de Goose Bay, au Labrador. Envireen est représentée par le même avocat.

 

[7]        Dans une lettre qui a trait notamment au calendrier fixé pour le dépôt de la défense à la seconde action, l’avocat de la demanderesse a décrit la déclaration présentée dans la seconde action comme [traduction] « virtuellement identique [à celle de la première action] (sauf pour l’ajout de divers éléments de réparation) ». Il y a des différences entre les deux demandes, mais je suis d’accord avec l’opinion exprimée par l’avocat.

 

[8]        Le 5 octobre 2006, la Couronne a présenté une requête en radiation de la déclaration de la seconde action pour abus de procédure.

 

[9]        En réponse, la demanderesse a déposé une requête incidente visant à obtenir une réparation en cas de radiation de la seconde action. La réparation demandée est une ordonnance annulant l’ordonnance de la juge McGillis.

 

[10]      S’agissant de la requête en radiation de la déclaration relative à la seconde action pour abus de procédure, il existe de la jurisprudence en cette matière. Dans la décision Lifeview Emergency Services Ltd. c. Alberta Ambulance Operators’ Assn., [1995] A.C.F. n° 1199, le juge Rothstein, qui siégeait alors à la Cour, s’est penché sur une requête en radiation d’une déclaration pour abus de procédure. Pour rappeler brièvement les faits, les demanderesses avaient intenté une action devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. Peu de mesures avaient été prises pour la poursuite de l’action parce que la demanderesse attendait l’issue de poursuites criminelles connexes. L’action a ensuite été rejetée en raison de l’application d’une nouvelle règle de procédure de l’Alberta qui prévoyait le rejet sur requête d’une action à l’égard de laquelle aucune mesure n’avait été prise depuis une période de cinq ans pour faire progresser l’action. Par la suite, les demanderesses ont intenté une action devant la Cour en demandant la même réparation. Le juge Rothstein a rejeté la requête en radiation, écrivant aux paragraphes 13 et 14 :

13.       En ce qui a trait à la question de savoir si le fait d’abandonner une action devant un tribunal pour intenter une action devant un autre tribunal aussi compétent constitue un abus, je ne crois pas qu’il existe de règle de droit générale en ce sens. Bien sûr, dans certaines affaires particulières, les tribunaux peuvent juger que le fait d’abandonner une action et d’en intenter une nouvelle, que cela se fasse devant la même cour ou devant des cours différentes, peut constituer un abus, mais une telle conclusion serait fondée sur les faits propres à chaque espèce. En outre, il se peut que dans le cas de régimes législatifs particuliers ou de régimes de règles judiciaires particuliers, il ne soit pas loisible à une partie d’engager une deuxième action devant un autre tribunal compétent si elle a déjà choisi de poursuivre devant une cour. Voir par exemple la décision Re Security Storage Limited and Dominion Furniture Chain Stores Limited, [1943] 1 W.W.R. 433 (motifs du juge Farris, C.S.C.-B.). Mais ni les faits ni les règles judiciaires (Alberta Rules of Court) ni les dispositions législatives pertinentes en l’espèce ne suggèrent que le fait d’intenter une action devant la Cour fédérale contrevient de quelque façon à ces règles ou à ces dispositions législatives ou constitue un abus.

 

14.       Peut-être la demanderesse aurait-elle dû agir avec plus de promptitude devant la Cour du banc de la Reine. En revanche, il n’est pas illogique d’attendre l’issue de poursuites criminelles connexes. Malheureusement, la demanderesse s’est heurtée à la nouvelle règle 244.1(1) non discrétionnaire. Je ne vois rien dans les circonstances de la présente espèce qui puisse faire considérer comme un abus de procédure le fait que la demanderesse intente la présente action devant la Cour.

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[11]      Dans la décision Sauve c. Canada, [2002] A.C.F. n° 1001, mon collègue, le juge Lemieux, a examiné une requête en radiation dans le cas d’une action qui avait été rejetée par la présente Cour sur examen de l’état de l’instance et pour laquelle le demandeur avait ensuite déposé une nouvelle déclaration pratiquement identique à celle de la première action. Au paragraphe 19, le juge Lemieux a résumé les principes juridiques applicables à l’abus de procédure :

19.               Comme je le constate, la jurisprudence a établi les paramètres suivants qui définissent la doctrine de l’abus du droit au recours judiciaire :

 

(1) il s’agit d’une doctrine souple qui ne se limite pas à l’une ou l’autre des nombreuses catégories établies;

 

(2) elle vise l’ordre public sur lequel on a recours pour prononcer l’irrecevabilité de procédures qui ne sont pas conformes à cette fin;

 

(3) son application dépend des circonstances et est fondée sur les faits et le contexte;

 

(4) elle vise à protéger les plaideurs contre des procédures abusives, vexatoires et futiles, sinon à empêcher qu’une erreur judiciaire ne soit commise;

 

(5) un ensemble de règles de procédure particulières peut fournir un cadre particulier en vue de son application.

 

[12]      Appliquant ces principes, le juge Lemieux a radié la seconde déclaration au motif de l’abus de procédure. Cependant, les faits de l’affaire Sauve sont très différents de ceux dont la Cour est saisie en l’espèce. Dans l’affaire Sauve, au terme d’un premier avis d’examen de l’état de l’instance par la Cour, une ordonnance avait été rendue pour autoriser la poursuite de l’action sous réserve qu’une réponse à la défense de la Couronne soit déposée dans un délai de 20 jours et que la poursuite de l’action soit conforme aux Règles. Le demandeur ne s’est pas conformé à l’ordonnance et un second avis d’examen de l’état de l’instance a été donné. La radiation de l’action a alors été ordonnée. En appel devant la Cour d’appel fédérale, l’ordonnance de radiation de l’action a été confirmée pour défaut non justifié du demandeur de s’être conformé à l’ordonnance rendue après le premier examen de l’état de l’instance.

 

[13]      Pour l’application des principes dégagés par le juge Lemieux dans la décision Sauve, j’examinerai toutes les circonstances établies dans la preuve, car l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard de la radiation d’un acte de procédure doit être guidé par les faits et le contexte. Les parties à un litige doivent être protégées contre les procédures abusives, vexatoires ou frivoles.

 

[14]      À mon avis, les considérations importantes dont je suis saisie sont les suivantes :

 

1.         La déclaration produite dans la seconde action n’est pas, à première vue, abusive, vexatoire ou frivole.

 

2.         Je conclus que les difficultés de la demanderesse sont imputables au fait que son avocat n’est pas familier avec la pratique, les Règles et les procédures de la Cour, ce qu’il a d’ailleurs admis lui-même. La preuve n’établit aucun manquement délibéré de sa part aux procédures de la Cour.

 

3.         Rien n’établit que la Couronne subit un préjudice en tant que défenderesse dans la seconde action en raison du délai d’environ 18 mois qui s’est écoulé entre le rejet de la première action et le début de la seconde action.

 

4.         L’article 3 des Règles prévoit que les Règles sont appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et la plus économique possible. L’examen de l’état de l’instance ne vise pas à rejeter des demandes valides sans audience, mais il vise plutôt à permettre à la Cour de faire progresser les instances de manière rapide et efficace.

 

5.         L’inobservation antérieure par la demanderesse du respect du contenu et de l’esprit des Règles peut être réglée par le pouvoir que confère à la Cour le paragraphe 53(1) des Règles d’imposer les conditions qu’elle estime justes. Une condition appropriée serait que la seconde action ne puisse être gérée qu’à titre d’instance à gestion spéciale. On doit s’attendre à ce que la demanderesse collabore en tout temps à l’établissement du calendrier des conférences de gestion d’instance et respecte scrupuleusement les échéances.

 

6.         Lors du rejet de la première action, la Cour n’a pas adjugé de dépens. À titre de condition imposée à l’autorisation d’engager la seconde action, la défenderesse dans la seconde action pourrait être indemnisée de manière importante pour les frais inutiles occasionnés par le comportement de la demanderesse.

 

[15]      Par conséquent, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, la requête en radiation de la défenderesse sera rejetée sous réserve des conditions exposées plus précisément dans l’ordonnance qui suit.

 

[16]      La requête incidente de la demanderesse sera rejetée pour deux motifs. Premièrement, la seconde action n’a pas été rejetée et la requête était subordonnée à ce rejet.

 

[17]      Deuxièmement, le paragraphe 399(1) des Règles prévoit :

399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

[Non souligné dans l’original.]

399. (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.             [underlining added]

 

 

[18]      Tout en acceptant que la demanderesse n’a pas répondu à l’avis d’examen de l’instance par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur, j’estime que les documents au dossier de requête de la demanderesse ne présentent pas une preuve prima facie démontrant pourquoi l’ordonnance de la juge McGillis n’aurait pas dû être rendue.

 


ORDONNANCE

 

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête en radiation de la déclaration relative à la présente procédure constitue un abus de procédure et est rejetée sous réserve des conditions suivantes.

 

2.         La présente action sera gérée à titre d’instance à gestion spéciale. Le juge en chef affectera un juge responsable de la gestion de l’instance.

 

3.         Dans un délai de 20 jours à compter de la date de la présente ordonnance, les parties devront déposer auprès de la Cour un calendrier conjoint pour le déroulement de la présente action.

 

4.         La demanderesse sera tenue de payer sans délai à la Couronne défenderesse les frais inutiles que celle-ci a engagés, fixés selon une échelle élevée d’indemnisation. Si les parties ne s’entendent pas sur la hauteur de ces frais, la défenderesse signifiera et déposera dans un délai de 20 jours à compter de la date de la présente ordonnance des observations écrites relatives aux dépens. Ces observations ne doivent pas excéder trois pages. Par la suite, dans un délai de 27 jours à compter de la date de la présente ordonnance, la demanderesse doit signifier et déposer des observations en réponse au sujet des dépens, sans excéder trois pages. La Cour devra alors se prononcer sur les dépens.

 

5.         Après le prononcé de l’ordonnance relative aux dépens, la demanderesse ne prendra aucune mesure à l’égard de la présente procédure avant d’avoir payé les dépens attribués à la défenderesse.

 

6.         La requête incidente de la défenderesse est rejetée.

 

7.         La défenderesse a droit aux dépens de sa requête et les dépens de la requête incidente de la demanderesse suivront l’issue de la cause.

 

 

« Eleanor R. Dawson »    

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-583-06

 

INTITULÉ :                                       ENVIREEN CONSTRUCTION (1997) INC., demanderesse

                                                            et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, défenderesse

 

DOSSIER :                                        T-960-03

 

INTITULÉ :                                       ENVIREEN CONSTRUCTION (1997) INC., demanderesse

                                                            et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE et LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA, défendeurs

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 24 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

JOHN VAMVAKIDIS                                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

SANDRA NISHIKAWA                                                        POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN VAMVAKIDIS                                                            POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS

VAUGHAN (ONTARIO)

 

JOHN H. SIMS, C.R.                                                              POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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