Toronto (Ontario), le 29 novembre 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Mactavish
ENTRE :
SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE (SCPCP)
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) présente une demande en vertu des dispositions de l’alinéa 34(4)c) et du paragraphe 88(1) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42. La SCPCP cherche à obtenir le paiement d’une somme de 97 382,25 $, plus les intérêts, qui lui serait due par la défenderesse Gogh Wholesale Inc. (Gogh) conformément aux dispositions des Tarifs pour la copie privée. La somme réclamée se rapporte à l’importation et à la vente de supports audio vierges par Gogh du 1er janvier 2002 au 28 février 2003.
[2] La SCPCP sollicite également une ordonnance enjoignant à Gogh de se soumettre à une vérification de ses registres d’entreprise, financiers et comptables, et de payer les autres sommes dont la vérification pourrait établir qu’elles sont dues.
[3] Enfin, la SCPCP sollicite une ordonnance enjoignant à Gogh de se conformer aux obligations de rapport et aux échéances des paiements et des rapports exposées dans les tarifs pour la copie privée applicables, aussi longtemps qu’elle continuera d’être un fabricant ou un importateur de supports audio vierges.
[4] Gogh n’a produit aucun document relativement à la demande et n’a pas comparu à l’audience.
Les Tarifs pour la copie privée
[5] Dans la décision Société canadienne de perception de la copie privée c. Cano Tech Inc., [2006] A.C.F. n° 170, 2006 CF 28, 47 C.P.R. (4th) 350, j’ai examiné l’historique, la nature et l’objet des Tarifs pour la copie privée, et je reproduis ci-dessous le résumé que j’en ai fait :
[4] Avant le 19 mars 1998, la copie non autorisée d’œuvres musicales, de prestations d’œuvres musicales et d’enregistrements sonores d’œuvres musicales (désignés collectivement sous l’expression « musique enregistrée »), pour un usage privé, constituait une violation du droit d’auteur.
[5] En raison de la difficulté de faire respecter ces droits, le Parlement a adopté la partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur, qui prévoit que la reproduction de la musique enregistrée pour un usage privé ne constitue plus une violation du droit d’auteur.
[6] Simultanément, la Loi a été modifiée pour créer un régime destiné à fournir aux titulaires de droits une rémunération équitable par l’imposition d’un tarif ou d’une redevance aux fabricants et aux importateurs de supports audio vierges vendus au Canada. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 R.C.F. 655, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée [2005] S.C.C.A. no 74 (QL), la redevance a été instituée pour venir en aide aux créateurs et aux entreprises culturelles, en créant un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs (au paragraphe 51).
[7] Le tarif de la redevance est fixé chaque année par homologation d’un tarif pour la copie privée par la Commission du droit d’auteur du Canada, conformément à la partie VIII de la Loi. Depuis décembre 1999, la Commission a homologué quatre tarifs déterminant les supports audio vierges qui sont assujettis à des redevances, les montants des redevances ainsi que les modalités et conditions applicables au paiement des redevances.
[8] La SCPCP est une société sans capital‑actions et sans but lucratif, dont les membres sont les sociétés de gestion qui exercent le droit à rémunération sur la copie à usage privé pour le compte des titulaires de droits. La SCPCP a été désignée par la Commission du droit d’auteur du Canada comme l’organisme de perception, conformément à l’alinéa 83(8)d) de la Loi.
[9] Les redevances perçues par la SCPCP sont ensuite réparties entre les sociétés de gestion admissibles, qui en font la redistribution aux titulaires de droits.
[10] Selon les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur et des tarifs pour la copie privée, les fabricants et les importateurs de supports audio vierges sont tenus de suivre les activités de vente et d’en faire rapport à la SCPCP. Ils doivent également tenir des registres à partir desquels la SCPCP peut rapidement établir, par une vérification, les sommes à payer. Les Tarifs emportent également obligation pour les fabricants et les importateurs de payer des intérêts sur les sommes en souffrance dues à la SCPCP.
La SCPCP a-t-elle le droit de recouvrer de Gogh les redevances impayées de 97 382,25 $ plus les intérêts?
[6] En septembre 2004, la SCPCP a appris qu’il se pouvait que Gogh importe et vende des supports audio vierges sans avoir présenté de rapport sur ces activités à la SCPCP et sans avoir remis les redevances liées à ces activités.
[7] À la suite d’un échange de correspondance entre la SCPCP et Bernard Tan, son unique administrateur, Gogh a produit des rapports pour la période comprise entre le 1er janvier 2002 et le 28 février 2003.
[8] Il ressort de ces rapports que Gogh a importé et vendu au Canada au cours de cette période 463 725 disques audionumériques enregistrables (CD-R) génériques ou en vrac. Chaque CD-R était assujetti à une redevance de 0,21 $, conformément aux Tarifs en vigueur pendant la période pertinente. Jusqu’à maintenant, Gogh n’a payé aucune redevance à l’égard de ces articles.
[9] Par conséquent, me fondant sur les renseignements fournis par Gogh elle‑même, j’estime que Gogh doit à la SCPCP la somme de 97 382,25 $ pour les redevances impayées.
[10] En fait, il ressort de l’examen de la correspondance échangée par M. Tan et la SCPCP que Gogh ne conteste pas sa dette. M. Tan se contente plutôt de dire que Gogh est une société inactive, sans aucun élément d’actif. Que cela soit vrai ou non, cela ne libère pas la société de ses obligations, encore que, sur le plan pratique, cela puisse poser des problèmes pour l’exécution du jugement.
[11] Par conséquent, une ordonnance enjoindra à Gogh de payer à la SCPCP la somme de 97 382,25 $ pour les redevances impayées pour la période allant du 1er janvier 2002 au 28 février 2003.
[12] Les Tarifs prévoient également le paiement d’intérêts sur les paiements tardifs de redevances. Le 29 novembre 2006, les intérêts dus sur les redevances impayées, calculés conformément aux Tarifs applicables, s’élèvent à 17 642,01 $ et il est ordonné à Gogh de payer cette somme additionnelle à la SCPCP.
La SCPCP a-t-elle le droit de procéder à une vérification de Gogh?
[13] Les Tarifs pour la copie privée obligent les fabricants et importateurs de supports audio vierges à tenir des registres. Par exemple, le Tarif de 2003 prévoit :
9. (1) Le fabricant ou importateur tient et conserve pendant une période de six ans les registres permettant à la SCPCP de déterminer facilement les montants exigibles et les renseignements qui doivent être fournis en vertu du présent tarif.
(2) La SCPCP peut vérifier ces registres à tout moment durant les heures régulières de bureau et moyennant un préavis raisonnable. |
9. (1) Every manufacturer or importer shall keep and preserve for a period of six years, records from which CPCC can readily ascertain the amounts payable and the information required under this tariff.
(2) CPCC may audit these records at any time on reasonable notice and during normal business hours.
|
[14] En l’espèce, il est clair que Gogh n’a jamais respecté les obligations que lui imposent les tarifs en matière de rapports jusqu’à ce que la SCPCP la force à le faire. De plus, les renseignements fournis par M. Tan au sujet du respect par Gogh de ses obligations en matière de tenue de registres étaient contradictoires. Par exemple, M. Tan a invoqué au début le besoin d’effectuer des recherches dans les registres archivés de Gogh pour établir les rapports nécessaires et, par la suite, il a prétendu que de tels registres n’existaient pas.
[15] De plus, même si, au début, il a consenti pour le compte de Gogh à la vérification, M. Tan a par la suite refusé que la vérification se fasse.
[16] Ainsi que je l’ai fait observer dans la décision Société canadienne de perception de la copie privée c. Cano Tech Inc., précitée, au paragraphe 97 :
[É]tant donné que le régime de redevances est fondé sur l’auto‑cotisation et l’auto‑déclaration des renseignements nécessaires au calcul des redevances selon le Tarif, l’efficacité du régime commande qu’il y ait certains moyens de vérifier l’exactitude et l’exhaustivité des renseignements communiqués.
[17] Je suis donc convaincue que la SCPCP a le droit de vérifier les registres de Gogh pour établir si la société a respecté ses obligations en vertu des Tarifs. Il est enjoint à Gogh de prendre toutes les mesures raisonnables pour faciliter la vérification et de fournir les renseignements prévus par les dispositions des Tarifs pour la copie privée ainsi que tout document, registre ou renseignement pouvant servir à la SCPCP pour établir les sommes dues.
La SCPCP a-t-elle le droit d’obtenir une ordonnance déclarant qu'elle a droit au paiement des sommes dues?
[18] La SCPCP demande également une ordonnance déclarant qu’elle a droit à toutes les sommes dont il pourra être établi qu’elles lui sont dues par Gogh dans le cadre de la vérification, y compris les coûts de la vérification, si les conditions prévues dans les Tarifs sont réunies.
[19] Le juge von Finckenstein a examiné une demande similaire de la SCPCP dans la décision Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp., [2006] A.C.F. n° 1598, 2006 CF 1284. En refusant cette demande au motif qu’elle était prématurée, le juge a formulé les observations suivantes :
¶ 41 La loi contient des dispositions sur la question de la perception. Premièrement, elle précise que toute personne qui fabrique ou importe des supports audio vierges est tenue de payer une redevance (paragr. 82(1)). Deuxièmement, elle prévoit la désignation d’un organisme de perception (art. 83). Troisièmement, elle autorise l’organisme de perception à poursuivre le recouvrement en justice (art. 88). En outre, elle habilite la cour à imposer des pénalités dans les cas appropriés (art. 88). Cependant, contrairement aux autres lois prévoyant l’imposition de droits tels que l’impôt sur le revenu ou les droits de douane (par exemple, la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supp.), art. 222), la Loi sur le droit d’auteur ne contient aucun mécanisme de cotisation ni aucune disposition prévoyant que le montant de cotisation déterminé est exigible sur réception d’un avis de cotisation. Toute perception de redevance en vertu de la partie VIII de la Loi [sur le droit d’auteur] repose donc sur les principes applicables en matière de droit des créances. Tant que la créance n’a pas été établie, je ne suis pas disposé à en ordonner le paiement, encore moins le paiement du coût de la vérification et des intérêts en souffrance.
[20] Je suis d’avis que ces observations s’appliquent également à la présente affaire et je refuse donc de rendre l’ordonnance demandée par la SCPCP.
Dépens
[21] Enfin, la SCPCP a demandé que les dépens lui soient accordés selon le maximum prévu à la colonne V. Au soutien de cette demande, la SCPCP souligne que Gogh n’a pas respecté ses obligations en vertu des Tarifs, que celle‑ci lui devait sans conteste une somme de 97 382,25 $ au titre des redevances impayées et qu’elle a forcé la SCPCP à introduire la présente demande pour faire respecter les obligations prévues aux Tarifs.
[22] Je suis convaincue qu’une telle adjudication des dépens est justifiée compte tenu des faits de la présente affaire et je rendrai une ordonnance en conséquence.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La présente demande est accueillie.
2. Gogh doit payer à la SCPCP la somme de 97 382,25 $ au titre des redevances impayées, plus les intérêts avant jugement s’élevant à 17 642,01 $.
3. La SCPCP a le droit de vérifier les registres de Gogh, en lui donnant un préavis écrit d’au moins cinq jours. Il est ordonné à Gogh de prendre toutes les mesures raisonnables pour faciliter la vérification et de fournir les renseignements prévus par les dispositions des Tarifs pour la copie privée ainsi que tout document, registre ou renseignement pouvant servir à la SCPCP pour établir les sommes dues.
4. La SCPCP a droit aux dépens de la présente demande, selon le maximum prévu à la colonne V.
« Anne Mactavish »
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-698-06
INTITULÉ : SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE (SCPCP)
c.
GOGH WHOLESALE INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 28 NOVEMBRE 2006
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 29 NOVEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Rosamaria Longo
|
POUR LA DEMANDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Société canadienne de perception de la copie privée Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
|
|