Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
et
STRATFORD HOLDINGS CORPORATION,
anciennement connue sous le nom de CRANE PLUMBING CORPORATION,
et CRANE PLUMBING CANADA CORP.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1]
QAD
Inc. allègue que les défenderesses ont violé son droit d’auteur sur un logiciel
utilisé dans la gestion du processus de fabrication. QAD allègue également que
les défenderesses ont omis de payer certains frais de transfert quand elles ont
acquis le logiciel de leurs prédécesseurs. Les défenderesses reconnaissent
avoir violé le droit d’auteur de QAD, mais elles contestent leur responsabilité
en dommages-intérêts et prétendent qu’on doit leur donner le temps de remplacer
le logiciel en question par un autre programme.
[2] QAD prétend que les questions en litige et la preuve sont suffisamment claires pour que je lui accorde un jugement sommaire. Les défenderesses soutiennent que certains facteurs clés ne sont pas encore résolus et que, par conséquent, le litige doit faire l’objet d’un procès.
[3] Je conviens avec QAD que plusieurs questions semblent réglées, mais je ne pense pas que les conditions permettant de rendre un jugement sommaire sont réunies. Je dois donc rejeter la demande.
I. Question en litige
[4] Convient‑il de rendre un jugement sommaire?
II. Analyse
a) Contexte
[5] Le logiciel de QAD s’appelle MFG/PRO. En janvier 1998, QAD a conclu un accord de licence avec Crane Co., une société américaine (qui n’est pas défenderesse dans la présente action). L’accord autorisait Crane Co. à utiliser le logiciel sous réserve de certaines conditions. Crane Co. a payé à QAD des droits de licence fondés sur le nombre d’utilisateurs. Au total, il y avait 384 utilisateurs dans 8 lieux, dont 65 à Montréal.
[6] L’accord obligeait également Crane Co. à aviser QAD de toute vente de ses opérations et à donner à QAD la possibilité de consentir à l’utilisation du logiciel par l’acheteur. En outre, l’accord précisait que l’acheteur devait payer des frais de transfert à QAD et conclure un nouvel accord de licence avec QAD dans les 30 jours.
[7] En octobre 2001, Crane Co. a vendu les actifs de son entreprise montréalaise à Crane Plumbing Corporation, qui est plus tard devenue la défenderesse Stratford Holdings Corporation. En février 2005, Stratford a vendu ces actifs à la défenderesse, Crane Plumbing Canada Corporation (CPCC). Aucune des défenderesses n’a versé des frais de transfert à QAD ni conclu un nouvel accord de licence avec QAD. Stratford a utilisé le logiciel de 2001 à 2005. CPCC utilise le logiciel depuis 2005.
b) Conditions
permettant de rendre un jugement sommaire
[8] Comme je l’ai dit dans Cores Worldwide Inc. c. Le navire à moteur « Camilla » :
La Cour rend des jugements sommaires dans les situations où il n’existe aucune question sérieuse à instruire : Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853. Elle ne peut pas le faire lorsqu’elle est en présence de questions de fait sérieuses qui doivent être résolues : Warner-Lambert c. Concord Confections Inc., 2001 CFPI 139, [2001] A.C.F. no 287. Le demandeur doit présenter des éléments de preuve démontrant qu’il n’existe aucune question factuelle devant être instruite : Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 (C.A.); Irving Ungermann Ltd. c. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545 (C.A.); Ruhl Estate c. Mannesmann Kienzle GmbH , [1997] A.C.F. no 1345. Pour sa part, le défendeur doit « présenter ses meilleurs arguments », c’est‑à‑dire il doit offrir une preuve démontrant qu’il existe un différend d’ordre factuel véritable. Il ne peut pas se contenter de nier les allégations du demandeur ou d’invoquer les actes de procédure : Pizza Pizza c. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225; ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2001 CAF 11, [2001] A.C.F. no 400.
(2004 CF 1160, au paragraphe 3).
c) Faits en litige
i) Connaissance des
défenderesses
[9] Ainsi qu’il est mentionné plus haut, les défenderesses reconnaissent avoir utilisé le logiciel de QAD et avoir violé son droit d’auteur. Toutefois, elles prétendent que leur responsabilité est limitée puisqu’elles n’ont connu les conditions de l’accord de licence original qu’en 2005, lorsque QAD a communiqué avec elles. Elles allèguent que c’était Crane Co. qui devait aviser QAD de la vente d’une partie de ses opérations et obtenir le consentement de QAD. Elles prétendent qu’elles ont tenu pour acquis, lorsqu’elles ont acheté les actifs de leurs prédécesseurs, qu’elles obtenaient le logiciel en même temps. Par conséquent, elles soutiennent qu’il faut tenir compte dans le calcul des dommages‑intérêts de leur ignorance des conditions de l’accord original ainsi que du fait qu’elles ont utilisé le logiciel de bonne foi.
[10]
QAD
souligne que les défenderesses reconnaissent avoir eu en main une copie de
l’accord de licence original et que, par conséquent, elles savaient ou auraient
dû savoir qu’elles avaient des obligations en vertu de cet accord. QAD conteste
la bonne foi des défenderesses.
ii) Avis
à QAD
[11] Stratford affirme avoir avisé QAD de la vente des opérations de Montréal. Elle a communiqué avec QAD en 2002, l’a avisée de la vente et a annulé son contrat d’entretien avec elle. Stratford prétend que QAD savait donc, à ce moment-là, qu’elle utilisait le logiciel et que QAD n’a jamais demandé le paiement de frais de transfert. Par conséquent, Stratford prétend que QAD, ayant attendu 2006 avant d’intenter son action, n’a pas respecté le délai de prescription de trois ans prévu à l’article 41 de la Loi sur le droit d’auteur.
[12] QAD prétend que l’avis de vente était inadéquat. La communication a été envoyée à l’un des représentants de l’entretien de QAD plutôt qu’à une personne responsable en matière de licences.
iii) Responsabilité
de CPCC
[13] CPCC prétend qu’elle n’était pas tenue au paiement de frais de transfert quand elle a acquis les actifs de Stratford en 2005. L’accord de licence original entre Crane Co. et QAD n’exigeait pas le paiement de frais de transfert par une société remplaçante de l’ensemble de l’entreprise ou d’une grande partie de l’entreprise remplacée. Par conséquent, si Stratford avait conclu un accord de licence avec QAD et avait vendu tous ses actifs à CPCC par la suite, CPCC n’aurait pas eu à payer des frais de transfert.
[14] QAD prétend que les deux ventes ont donné naissance à l’obligation de payer des frais de transfert et de remplir d’autres conditions prévues dans l’accord original conclu avec Crane Co.
d) Véritables
questions litigieuses
[15] Selon moi, il existe de véritables questions litigieuses en l’espèce, notamment les différends d’ordre factuel susmentionnés. Je ne suis pas en mesure de régler ces différends à partir des documents dont je suis saisi. Par conséquent, je ne peux pas faire droit à la requête en jugement sommaire présentée par QAD.
[16] Néanmoins, les questions litigieuses sont limitées. Les défenderesses reconnaissent le droit d’auteur de QAD, admettent avoir utilisé son logiciel et avoir violé son droit d’auteur. Les défenderesses ont invoqué en défense le manque de diligence et la préclusion, mais ces moyens de défense ne semblent pas s’appliquer en l’espèce. Toutefois, certaines questions demeurent non résolues concernant l’application de l’article 41, l’application des conditions de l’accord original à la vente des actifs de Stratford à CPCC et le montant des dommages‑intérêts, si dommages‑intérêts il y a. Selon moi, le procès peut porter uniquement sur ces questions.
[17] Par conséquent, la requête en jugement sommaire est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La requête en jugement sommaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-514-06
INTITULÉ : QAD INC.
c.
STRATFORD HOLDINGS CORPORATION, anciennement connue sous le nom de CRANE
PLUMBING CORPORATION, et
CRANE PLUMBING CANADA CORP.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 15 JANVIER 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 18 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Jonathon Colombo POUR LA DEMANDERESSE
Christopher Tortorice
R. Leigh Youd POUR LES DÉFENDERESSES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BERESKIN & PAR POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
BERKOW COHEN LLP POUR LES DÉFENDERESSES
Toronto (Ontario)