Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
ET LE COMMISSAIRE DU
SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Dans cette demande de contrôle judiciaire déposée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le demandeur soulève des questions relevant de la Charte, ainsi que des arguments constitutionnels, pour contester le recours à certains instruments d’évaluation du risque pour les détenus autochtones. Le demandeur sollicite aussi le contrôle judiciaire de la décision de troisième niveau prise par Gerry Hooper le 10 juin 2005 dans le cadre du mécanisme interne de règlement des griefs des délinquants. Le demandeur a comparu en son propre nom.
I. LES POINTS EN LITIGE
[2] Les points soulevés dans cette demande de contrôle judiciaire sont les suivants :
a) Le défendeur, le commissaire du Service correctionnel du Canada, a‑t‑il commis une erreur dans sa réponse au grief de troisième niveau du demandeur?
b) Le recours à des instruments d’évaluation actuarielle pour évaluer le niveau de risque posé par le demandeur porte‑t‑il atteinte aux droits garantis au demandeur par les articles 7, 9, 12 ou 15 de la Charte? Dans l’affirmative, l’atteinte peut‑elle être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, en application de l’article premier de la Charte?
c) La Cour a‑t‑elle compétence pour accorder le redressement sollicité, en limitant le pouvoir discrétionnaire des défendeurs dans la gestion de la population carcérale fédérale?
d) Les questions constitutionnelles posées par le demandeur sont reproduites à l’annexe « A » des présents motifs.
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. LE CONTEXTE
[4] Le demandeur est un délinquant autochtone qui purge la première de deux peines fédérales concurrentes d’emprisonnement à perpétuité prononcées contre lui pour meurtre au deuxième degré et tentative de meurtre, en rapport avec deux événements distincts où il y avait eu agression sexuelle. Le demandeur est incarcéré depuis le 10 juillet 1984 et il était admissible à une libération conditionnelle après avoir purgé un minimum de quinze ans et de sept ans respectivement.
[5] Le demandeur est incarcéré depuis 22 ans, dont plus de 15 ont été purgés dans des établissements à sécurité maximale. Cependant, le demandeur a quelquefois été classé comme détenu à cote de sécurité moyenne ou minimale. Il soutient que la cote de sécurité qui lui est attribuée dépend du bon plaisir du défendeur, le Service correctionnel du Canada (le SCC), qui à cette fin recourt principalement aux instruments contestés d’évaluation du risque, notamment le Guide d’évaluation du risque de violence (GERV), l’Échelle de psychopathie‑Révisée (la PCL‑R), l’Évaluation initiale du délinquant (l’EID), l’Échelle de classement par niveau de sécurité (l’ECNS) et l’Échelle d’information statistique sur la récidive (l’Échelle d’ISR).
[6] Le demandeur est admissible à une libération conditionnelle totale depuis 1999, mais il a constamment renoncé aux examens prévus par la loi pour une libération conditionnelle totale, affirmant qu’il n’était pas prêt pour une réinsertion sociale.
[7] Le 14 avril 2000, le demandeur a déposé une plainte dans laquelle il affirmait que les instruments d’évaluation actuarielle du risque, à savoir l’Échelle d’ISR, l’Échelle de psychopathie (la PCL) et le GERV, de même que la PCL‑R, utilisés par le SCC pour classer et placer les délinquants, ne devraient pas lui être appliqués à lui parce qu’il est un « autochtone ». Dans sa plainte, le demandeur affirmait que ces instruments d’évaluation étaient « alignés » sur la population carcérale générale uniquement et qu’ils ne devraient donc pas s’appliquer aux hommes et aux femmes, aux divers groupes d’âge et aux divers groupes ethniques, notamment aux populations autochtones.
[8] Ce grief a été rejeté en juin 2000 en attendant les conclusions d’une enquête complémentaire. Le 10 juin 2000, le demandeur a déposé un autre grief portant sur le même sujet, en vue d’obtenir le même redressement. Ce grief a lui aussi été rejeté au premier niveau, au motif que l’Échelle d’ISR n’avait pas été utilisée pour l’évaluation du demandeur par le SCC. La décision confirmait aussi la pratique selon laquelle la PCL‑R et le GERV étaient des instruments valides d’évaluation pour les détenus autochtones.
[9] La décision était ainsi formulée :
[traduction]
Votre grief a été examiné au premier niveau.
Il n’est pas d’usage de recourir à l’Échelle d’ISR pour les délinquants autochtones, mais cette échelle est valide (elle donne des prévisions acceptables aussi bien pour les Autochtones que pour les non‑Autochtones) pour les hommes autochtones. L’échelle d’ISR n’a cependant pas été utilisée dans votre cas et son « retrait » de votre dossier est donc un point théorique, comme vous l’a expliqué le Dr Boer le 21 juillet 2000.
La PCL‑R est valide pour les délinquants autochtones. Les hommes autochtones formaient 15 p. 100 de l’échantillon original et aucune différence systémique n’a été observée entre hommes autochtones et hommes non autochtones. En outre, votre cote a été mesurée trois fois, pour donner à chaque fois le même résultat, et elle constitue donc dans chaque cas une donnée fiable. Il n’y a aucune raison de la retirer de votre dossier.
Les auteurs du test GERV n’ont pas analysé dans leurs données les différences au titre de l’origine ethnique et, en fait, le Dr Rice croit que les hommes autochtones ne constituaient pas un fort pourcentage de l’échantillon. Néanmoins, le Dr Rice ne voit aucune raison particulière pour laquelle le GERV serait invalide en ce qui concerne les hommes autochtones. Étant donné que la fréquence des facteurs de risque et des résultats peut varier sensiblement en fonction de l’origine ethnique ou de la culture, l’association entre les résultats du test et la récidive peut varier (c’est‑à‑dire que le test peut donner des prévisions excessives ou insuffisantes du risque). Sans aucun doute, dans votre cas, le GERV indique un niveau moindre de risque de violence que la PCL‑R, et il s’ensuit qu’il n’y a aucune raison valable d’enlever cette information de votre dossier.
[10] Le demandeur a porté l’affaire au second niveau du processus de règlement des griefs, en ajoutant à ses allégations du premier niveau des références à une diversité d’études savantes et d’articles de recherche pour appuyer sa position selon laquelle de tels instruments d’évaluation ne convenaient pas pour les délinquants autochtones. Cependant, ce grief de second niveau a été rejeté le 20 décembre 2000. On pouvait lire dans la décision que le GERV et la PCL‑R sont considérés comme de bons indicateurs prévisionnels de la récidive et ne constituent que quelques‑uns des instruments employés dans le processus de détermination du risque que présente le délinquant, un processus qui comprend, lorsque c’est nécessaire, des aménagements pour l’évaluation par des aînés autochtones.
[11] Le 22 novembre 2002, le demandeur a déposé un grief de troisième niveau en alléguant les mêmes moyens, auxquels il a ajouté le Guide d’évaluation des risques posés par les délinquants sexuels (le GERDS) et l’échelle appelée Échelle du risque de violence – Délinquants sexuels (l’ERVDS). Le demandeur affirmait que ces instruments d’évaluation du risque étaient conçus par et pour les Occidentaux et que, lorsqu’ils servent à évaluer des délinquants autochtones, ils produisent un effet discriminatoire qui défavorise les détenus autochtones dans le système correctionnel fédéral. Selon le demandeur, ces instruments d’évaluation ont un caractère raciste et contribuent à la sur‑représentation des Autochtones dans les établissements correctionnels du Canada.
[12] Le SCC lui a répondu le 21 février 2003 que ses plaintes nécessitaient plus ample examen. Dans le même esprit, le SCC informait le demandeur qu’il avait sollicité l’avis de l’Ordre des psychologues de l’Alberta (l’ABP) sur la validité d’application des instruments d’évaluation aux détenus autochtones. Le 13 juin 2003, la directrice générale de la Direction des droits, des redressements et de la résolution des conflits informa le demandeur que son grief était rejeté. La lettre précisait que les instruments contestés d’évaluation s’inscrivaient dans un processus d’évaluation à méthodes multiples, soumis au jugement professionnel de ceux qui effectuent les évaluations du risque. Par ailleurs, le SCC avait entrepris l’examen d’instruments d’évaluation pour les délinquants autochtones, et des modifications seraient apportées au besoin.
[13] Le 13 septembre 2004, le demandeur a présenté un autre grief, au troisième niveau. Dans ce grief, il reprenait les allégations antérieures et sollicitait un autre redressement, plus précisément sa réinsertion accélérée dans la collectivité. Le demandeur justifiait ce redressement en alléguant de présumées atteintes à la Charte. Il a envoyé un exposé complémentaire au SCC, dans lequel il affirmait que le SCC avait indûment retardé le traitement de son grief du 13 septembre 2004.
[14] Le 10 juin 2005, la décision relative au grief du demandeur était rendue.
III. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
[15] Le 4 août 2005, le demandeur déposait devant la Cour fédérale (n° du greffe T‑1350‑05) dans laquelle il sollicitait le même redressement que celui qu’il avait sollicité dans les procédures antérieures de règlement des griefs. Par décision en date du 30 septembre 2005, mon collègue le juge Frederick Gibson faisait droit à une requête des défendeurs, retranchait les points qui se prêtaient davantage à une procédure de contrôle judiciaire et suspendait l’action T‑1350‑05 jusqu’à l’issue de la présente procédure de contrôle judiciaire, que le demandeur a déposée le 1er novembre 2005.
[16] Cependant, avant d’introduire la présente procédure de contrôle judiciaire, le demandeur a présenté une requête en injonction, dans l’action T‑1350‑05, en vue d’empêcher, jusqu’à l’issue finale de la présente affaire, son transfèrement dans un établissement correctionnel fédéral à sécurité maximale. Cette requête a été traitée dans le cadre de la procédure T‑1974‑05, et rejetée, avec dépens, par la juge Judith Snider le 1er novembre 2005. Le demandeur a déposé, à la suite de l’ordonnance de la juge Snider, une autre requête par laquelle il souhaitait modifier la présente procédure de contrôle judiciaire pour y inclure la cause d’action alléguée dans l’action T‑1350‑05, et par laquelle il sollicitait le contrôle de décisions se rapportant à sa cote de sécurité et à son placement en établissement. Il n’a pas encore été statué sur ladite requête.
IV. LA DÉCISION CONTESTÉE
[17] La décision contestée, rendue par G. R. Hooper le 10 juin 2005, est brève et mérite d’être reproduite ici dans son intégralité :
[traduction]
M. Ewert, vous avez déposé un grief concernant l’emploi de tests actuariels pour les délinquants autochtones au Service correctionnel du Canada. Nous avons tardé à répondre à votre grief et nous vous prions de nous en excuser.
Vous avez déposé un grief à propos de la question ci‑dessus en 2003. À cette époque, vous avez été informé par écrit que le Service correctionnel du Canada était en train de faire examiner et évaluer lesdits instruments par sa Direction générale de la recherche. Le 13 juin 2003, vous avez reçu une lettre de Mme Shereen Benzvy Miller, la directrice générale de la Direction des droits, des redressements et de la résolution des conflits, au Service correctionnel du Canada. Cette lettre renfermait à votre intention une explication détaillée portant sur l’emploi d’instruments actuariels pour les délinquants, sur la procédure d’évaluation que suit le SCC, ainsi que sur le travail entrepris par la Direction générale de la recherche pour examiner l’à‑propos des instruments d’évaluation initiale employés par le SCC pour les délinquants autochtones. Ce processus suit son cours.
Après que le SCC aura procédé à l’évaluation de ces instruments de mesure, il verra alors si des changements ou modifications doivent être apportés aux échelles actuarielles employées aujourd’hui à des fins d’évaluation.
Tant que le réexamen ci‑dessus n’aura pas été achevé, aucune mesure complémentaire n’est requise ».
[Souligné dans l’original]
V. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[18] L’objet de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), est énoncé dans l’article 3, tandis que l’article 4 expose les principes devant guider le Service. Ces dispositions sont ainsi rédigées :
Objet |
Purpose |
3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.
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3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by (a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and
(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law‑abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.
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Principes de fonctionnement |
Principles that guide the Service |
4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :
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4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are
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a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;
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(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;
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b) l’exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment des motifs et recommandations donnés par le juge qui l’a prononcée, des renseignements obtenus au cours du procès ou dans la détermination de la peine ou fournis par les victimes et les délinquants, ainsi que des directives ou observations de la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui touche la libération;
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(b) that the sentence be carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, other information from the trial or sentencing process, the release policies of, and any comments from, the National Parole Board, and information obtained from victims and offenders;
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c) il accroît son efficacité et sa transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d’orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu’au grand public;
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(c) that the Service enhance its effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system, and through communication about its correctional policies and programs to offenders, victims and the public;
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d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;
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(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;
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e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;
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(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;
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f) il facilite la participation du public aux questions relatives à ses activités;
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(f) that the Service facilitate the involvement of members of the public in matters relating to the operations of the Service;
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g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;
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(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;
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h) ses directives d’orientation générale, programmes et méthodes respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones et à d’autres groupes particuliers;
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(h) that correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and be responsive to the special needs of women and aboriginal peoples, as well as to the needs of other groups of offenders with special requirements;
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i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d’octroi des permissions de sortir, des placements à l’extérieur et des libérations conditionnelles ou d’office et qu’ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;
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(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration; and
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j) il veille au bon recrutement et à la bonne formation de ses agents, leur offre de bonnes conditions de travail dans un milieu exempt de pratiques portant atteinte à la dignité humaine, un plan de carrière avec la possibilité de se perfectionner ainsi que l’occasion de participer à l’élaboration des directives d’orientation générale et programmes correctionnels.
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(j) that staff members be properly selected and trained, and be given (i) appropriate career development opportunities, (ii) good working conditions, including a workplace environment that is free of practices that undermine a person’s sense of personal dignity, and (iii) opportunities to participate in the development of correctional policies and programs.
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[19] La cote de sécurité des détenus selon les catégories maximale, moyenne et minimale est régie par l’article 30 de la Loi, ainsi rédigé :
[20] L’objet de l’isolement préventif est exposé dans l’article 31 de la Loi :
[21] Les facteurs à considérer pour l’attribution d’une cote de sécurité à un détenu sont énumérés dans l’article 17 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (le Règlement) :
Cote de sécurité |
Security Classification |
17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l’article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :
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17. The Service shall take the following factors into consideration in determining the security classification to be assigned to an inmate pursuant to section 30 of the Act:
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a) la gravité de l’infraction commise par le détenu;
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(a) the seriousness of the offence committed by the inmate;
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b) toute accusation en instance contre lui;
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(b) any outstanding charges against the inmate;
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c) son rendement et sa conduite pendant qu’il purge sa peine;
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(c) the inmate’s performance and behaviour while under sentence;
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d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s’ils sont disponibles;
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(d) the inmate’s social, criminal and, where available, young‑offender history;
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e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;
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(e) any physical or mental illness or disorder suffered by the inmate;
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f) sa propension à la violence;
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(f) the inmate’s potential for violent behaviour; and
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g) son implication continue dans des activités criminelles.
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(g) the inmate’s continued involvement in criminal activities.
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VI. ANALYSE
A. Le défendeur, le commissaire du Service correctionnel du Canada, a‑t‑il commis une erreur dans sa réponse au grief de troisième niveau du demandeur?
(1) La norme de contrôle
[22] Je dois d’abord procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour savoir quelle norme de contrôle est applicable ici. Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada établissait les quatre facteurs suivants à prendre en compte :
a) La présence d’une clause privative ou d’un droit d’appel
[23] La Loi ne renferme pas de clause privative. Les détenus peuvent faire valoir leurs griefs en recourant à des mécanismes internes détaillés de révision, comme l’a fait le demandeur dans la présente affaire. Le silence du législateur rend ce facteur neutre dans l’analyse pragmatique et fonctionnelle globale et commande la retenue de la part de la juridiction de contrôle lorsque la décision est de nature factuelle comme c’est le cas ici.
b) La spécialisation relative du tribunal administratif par rapport à celle de la Cour
[24] Le législateur a conféré aux responsables de la gestion et de l’entretien des établissements correctionnels fédéraux et de leurs détenus un degré élevé de formation et de spécialisation dans ces domaines, et la juridiction de contrôle est donc astreinte à un surcroît de retenue. Je ne saurais mieux faire que de rapporter les propos tenus par le juge George Addy dans la décision Re Cline (1981), n° du greffe T‑894‑81 (C.F. 1re inst.) :
J’aimerais ajouter que, sauf dans les cas clairs et non équivoques d’injustice sérieuse où il y a mauvaise foi ou partialité, les juges, en règle générale, doivent résister à la tentation de faire usage dans l’atmosphère solennelle et feutrée du prétoire de leur sagesse ex officio et de substituer leur propre jugement à celui des administrateurs expérimentés des prisons. Ces derniers sont littéralement sur la ligne de feu, chargés par la société de la tâche extraordinairement difficile et peu enviable de maintenir l’ordre et la discipline parmi des centaines de criminels reconnus qui, comme catégorie, ne sont pas en général réputés comme les membres de la société les plus disciplinés et les plus stables émotionnellement et qui, du simple fait de leur incarcération, sont privés de plusieurs de leurs droits les plus fondamentaux. De même, les tribunaux devraient éviter d’énoncer des règles de conduite détaillées à l’adresse de ces administrateurs car ils n’ont que fort peu de connaissances pratiques des problèmes que soulèvent le maintien de la sécurité des prisons en général et les cas de tension spécifiques, de pression et de danger qui existent dans une prison quelconque ou dans une situation donnée. De telles règles devraient être laissées au législateur ou mieux encore à ceux qui ont les connaissances requises auxquels le législateur confierait la tâche d’édicter la réglementation pertinente.
c) L’objet du texte de loi
[25] L’article 3 de la Loi énonce l’objet du système correctionnel fédéral, un objet qui est double : protéger le public et réadapter les délinquants. La cote de sécurité attribuée au détenu et le placement du détenu, durant la procédure d’évaluation initiale et d’incarcération, sont les éléments principaux qui permettent de réaliser cet objet. Pour ce faire, le personnel du SCC doit effectuer une évaluation rigoureuse fondée sur tous les faits connus et autres renseignements intéressant le délinquant, et s’efforcer de trouver le juste équilibre entre les intérêts du détenu et ceux de l’ensemble de la société. Il doit donc non seulement examiner soigneusement les faits, mais aussi veiller à bien appliquer les diverses politiques et principes directeurs, notamment la Loi et les Directives et Instructions permanentes du commissaire.
[26] Ainsi que l’écrivait la juge McLachlin dans l’arrêt Dr Q, précité, ce facteur de l’analyse milite en faveur d’un surcroît de retenue.
d) La nature de la question
[27] La nature de la question en jeu appelle un niveau élevé de retenue. Non seulement la décision rendue à la suite du grief de troisième niveau est‑elle largement tributaire des faits, mais elle procède aussi d’un examen des instruments d’évaluation actuarielle employés par le défendeur, à la fois pour le demandeur et pour l’ensemble de la population carcérale autochtone.
[28] En conséquence de cet examen des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la présente procédure de contrôle judiciaire est celle de la décision manifestement déraisonnable.
(2) La décision relative au grief de troisième niveau était‑elle manifestement déraisonnable?
a) Le délai excessif
[29] Bien qu’elle ne soit pas formulée en ces termes, le demandeur soulève une question d’équité procédurale au regard du délai qui s’est écoulé avant qu’il n’obtienne une décision. Je crois devoir examiner cet aspect avant de passer aux autres questions. Je dois aussi faire observer d’entrée de jeu que, selon la Cour d’appel fédérale, la norme de contrôle et l’application de l’analyse pragmatique et fonctionnelle dont il est question dans l’arrêt Dr Q, précité, ne valent que pour les questions de fond et non pour les questions de procédure (voir l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056 (C.A.F.) (QL), paragraphes 40 à 85).
[30] Le critère à appliquer pour savoir s’il y a eu délai excessif est exposé dans l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, où la Cour suprême du Canada a jugé qu’un délai excessif causant un préjudice grave pourrait équivaloir à un abus de procédure. Cependant, comme on peut le lire au paragraphe 133 :
[…] Pour qu’il y ait abus de procédure, le délai écoulé doit, outre sa longue durée, avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public. […]
[31] S’agissant du délai de 23 mois qui s’est écoulé avant que soit signifiée au demandeur la décision qui faisait suite à son grief du 25 octobre 2000, il a été jugé à maintes reprises qu’un délai ne suffit pas à lui seul pour que soit infirmée une décision. Dans le jugement Niaki c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. n° 1393 (C.F.) (QL), au paragraphe 44, mon collègue le juge Yves de Montigny écrivait ce qui suit :
[…] Pour obtenir gain de cause en rapport avec une allégation de délai, il faut que le demandeur établisse deux choses : qu’il y a eu un délai excessif, et que le demandeur, à cause du délai en question, a subi un préjudice véritable. En l’espèce, le processus tout entier (depuis le dépôt de la première plainte jusqu’à la communication du rapport d’enquête) a duré environ 23 mois. Il s’agit certes d’un long délai, sans nul doute causé, en partie du moins, par les deux changements d’enquêteur, mais je ne suis pas convaincu qu’il soit excessif. Quoi qu’il en soit, M. Niaki n’a pas présenté de preuve que ce délai lui avait causé un préjudice véritable. Je suis disposé à accepter que le demandeur a subi un certain stress au cours de cette période, mais pas à conclure que le délai était excessif et qu’il a causé un préjudice véritable dont l’ampleur heurterait « le sens de la justice et de la décence de la société », comme l’écrit la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 132.
[32] Appliquant ce critère à l’affaire dont je suis saisi, je suis d’avis que, bien qu’il se soit écoulé cinq ans entre la date à laquelle le demandeur a déposé son premier grief, à savoir le 14 avril 2000, et la date de la décision ultime, c’est‑à‑dire le 10 juin 2005, ce délai n’était pas excessif si l’on considère la complexité de l’affaire et le fait que le demandeur a déposé au moins quatre griefs sur le même sujet durant cette période, comme le montre le tableau 1 ci‑après :
Tableau 1
Grief déposé le |
Décision rendue le |
Délai |
1. 14 avril 2000 |
6 septembre 2000 |
5 mois |
2. 10 juin 2000 |
8 août 2000 |
2 mois |
3. 25 octobre 2000 |
20 décembre 2000 |
2 mois (décision reçue le 25 octobre 2002) |
4. 26 octobre 2002 |
21 février 2003 |
4 mois |
5. 13 septembre 2004 |
Reçue le 1er octobre 2004 |
2 semaines |
6. 25 novembre 2004 |
10 juin 2005 |
7 mois |
[33] Ce que la Cour juge troublant est le délai de près de deux ans qui s’est écoulé avant que le demandeur reçoive la décision rendue par le défendeur le 20 décembre 2000, puisqu’il l’a reçue le 25 octobre 2002. Cependant, je crois raisonnable l’explication donnée par le défendeur, qui affirme qu’il ne savait pas que le demandeur n’avait pas reçu la décision du 20 décembre 2000. En outre, je relève que le demandeur a attendu une période de 23 mois avant de porter ce fait à l’attention du défendeur. Cette inaction du demandeur donne l’impression que ce délai ne lui a causé aucun véritable préjudice qui soit de nature à heurter la conscience de la collectivité. Le défendeur signale ce qui suit (affidavit du demandeur, pièce C, onglet 6) :
[traduction] Vous [le demandeur] n’aviez aucune raison de ne pas chercher à obtenir la décision de second niveau en vous adressant au bureau du coordonnateur des griefs de l’établissement, quand vous avez constaté que vous ne l’aviez pas reçue, ni aucune raison de ne pas présenter un autre grief de troisième niveau faisant état du retard dans la décision. L’une ou l’autre de ces mesures aurait appelé l’attention sur la question, qui aurait dès lors été résolue.
[34] Par ailleurs, le défendeur s’est excusé auprès du demandeur pour le délai, ainsi que le montre la réponse de M. Hooper en date du 10 juin 2005. Je considère donc que ce point est réglé, puisque le demandeur n’a rien fait durant 23 mois pour informer le défendeur de l’absence de décision, ni ne s’est prévalu, avant de porter l’affaire devant la Cour, du mécanisme de règlement des griefs établi par le défendeur.
b) Les prétentions du demandeur
[35] Le demandeur avance quatre principaux arguments.
[36] Le premier argument : un avis écrit (en date du 28 novembre 2005) du Dr Menzies sur l’exactitude des instruments d’évaluation du risque employés par le SCC pour les détenus fédéraux. Le Dr Menzies, qui détient un doctorat en sociologie de l’Université de Toronto, est professeur au Département des sciences humaines de l’université Simon Fraser de la Colombie‑Britannique. Dans sa conclusion, il écrit ce qui suit :
[traduction] EN CONCLUSION, le Service correctionnel du Canada n’a pas démontré l’exactitude des instruments d’évaluation du risque qu’il a pour habitude d’employer pour attribuer des cotes de sécurité aux détenus fédéraux et pour fixer un éventail de conditions à l’application de leurs peines. Il n’existe pas non plus de données faisant autorité qui attestent que tels instruments sont particulièrement applicables aux délinquants autochtones. Autant que je sache, le GERV, la PCL‑R, l’Échelle d’ISR, l’instrument Statique 99, l’ECNS et autres instruments d’évaluation actuarielle du risque n’ont jamais été soumis à l’épreuve rigoureuse de validations croisées nécessaire afin de juger de leur utilité pour la sous‑population des Autochtones qui purgent des peines dans les pénitenciers fédéraux du Canada. Si l’on considère les cotes de risque démesurément élevées attribuées aux détenus autochtones, ainsi que leur sur‑représentation dans les prisons canadiennes, il y a de fortes chances pour que l’utilisation de ces instruments très faillibles et sous‑analysés d’évaluation du risque produise un effet direct et discriminatoire sur les droits et libertés des détenus autochtones.
[37] Le deuxième argument : un document déposé par les défendeurs, intitulé « Ne pas envoyer au détenu » (dossier des défendeurs, page 122), ainsi que le courriel suivant (dossier des défendeurs, page 129) :
[traduction]
‑Message original‑
Expéditeur : Mason, Randolph (NHQ‑AC)
Envoyé : le lundi 20 janvier 2003, à 9 h 59
À : Sonnichsen, Paul (NHQ‑AC)
Objet : RE: Grief d’un détenu concernant l’emploi des instruments PCL‑R et GERV.
Paul,
Ce sujet est à propos car nous avons déjà signalé cette question comme préoccupante. En fait, la Direction générale de la recherche (AC) a déjà commencé un travail sur le sujet – ne serait‑ce qu’à titre préliminaire. J’ai l’impression que le détenu obtiendra gain de cause et que cela forcera le Service à réagir. Et avec raison! Nous avons toujours pensé que le recours inconsidéré à des échelles et mesures actuarielles a un effet préjudiciable sur notre population autochtone. En réalité, nous croyons que l’emploi de ces mesures a pour effet de gonfler artificiellement les évaluations du risque et des besoins.
Randy Mason.
[38] Le troisième argument : les instruments d’évaluation appliqués au demandeur ne conviennent pas. Par exemple, sa cote de sécurité, qui était dans la catégorie « minimale » en 2000 (dossier du demandeur, page 85), est passée à la catégorie « moyenne » en 2003 (dossier du demandeur, page 87), bien qu’il n’eût été l’objet d’absolument aucune accusation et qu’il se fût soumis à une deuxième série de traitements intensifs, à deux attestations d’orientation et à deux cours sur les solutions de rechange à la violence.
[39] Le quatrième argument : l’Échelle d’ISR lui a été appliquée en 1995. Le demandeur a expliqué avec force détails les résultats négatifs obtenus de cet instrument d’évaluation qui lui a été appliqué, et il affirme, en citant certains extraits du dossier des défendeurs, que cet instrument n’aurait pas dû lui être appliqué parce qu’il est un détenu autochtone.
[40] Par conséquent, de dire le demandeur, les instruments d’évaluation lui sont préjudiciables, à lui et aux autres détenus autochtones.
c) Les prétentions des défendeurs
[41] Les défendeurs soutiennent que, en application de l’article 5 de la Loi, il incombe au SCC de s’assurer que les objectifs énoncés dans l’article 3 sont atteints.
[42] Le paragraphe 6(1) de la Loi accorde au commissaire toute autorité sur le SCC. Il est investi, en vertu des articles 97 et 98 de la Loi, du pouvoir d’émettre, sous la forme de directives et d’instructions permanentes, des règles et lignes directrices à l’intention des employés du SCC pour l’accomplissement de leurs tâches.
[43] Dès son admission dans un établissement carcéral fédéral, le délinquant est soumis à une évaluation initiale.
[44] Le SCC doit s’assurer que le détenu est placé dans l’environnement le moins restrictif possible, compte tenu du degré et du genre de garde et de contrôle qui sont nécessaires pour assurer l’accessibilité au soutien de la communauté d’origine du détenu, ainsi que la disponibilité de programmes.
[45] Un tel placement requiert de prendre en compte le risque d’évasion du détenu, le risque pour la sécurité publique en cas d’évasion, ainsi que le degré de supervision et de contrôle nécessaire pour l’accomplissement des objectifs de la Loi. Ce processus est appelé « processus d’attribution des cotes de sécurité aux détenus ». Les facteurs à prendre en compte sont énoncés dans l’article 17 du Règlement.
[46] L’évaluation initiale du détenu (EID) comporte deux volets : l’évaluation des facteurs statiques et l’évaluation des facteurs dynamiques. Parmi les instruments d’évaluation permettant de mesurer le risque de récidive on trouve : les antécédents criminels, l’Échelle de gravité des infractions, la Liste récapitulative des infractions sexuelles et l’Échelle révisée d’information statistique sur la récidive (Échelle d’ISR‑RI). Dans des cas particuliers, un délinquant pourrait être soumis à une évaluation psychologique spécialisée lorsqu’il y a eu infraction sexuelle.
[47] Les défendeurs disent que l’Échelle d’ISR‑RI constitue un prédicteur valide du risque de récidive en ce qui concerne les détenus autochtones, mais que la taille de l’échantillon sur lequel a été construit le test a conduit le SCC à adopter une approche prudente dans l’application de l’Échelle d’ISR‑RI à ce sous‑groupe. Le SCC affirme que l’Échelle d’ISR‑RI n’a pas été appliquée au demandeur.
[48] Le second volet de l’EID, à savoir l’évaluation des facteurs dynamiques, vise à recenser les facteurs qui peuvent être influencés au moyen de programmes et de traitements.
[49] Les défendeurs font donc valoir que l’évaluation du risque et des besoins est une méthode à volets multiples qui fait intervenir une équipe multidisciplinaire et qu’elle ne se fonde pas sur un instrument unique d’évaluation à l’exclusion des autres. L’ECNS est l’un des instruments qui servent à déterminer la cote de sécurité qui sera attribuée à un détenu.
[50] Les défendeurs indiquent que, au cours de l’évaluation initiale d’un détenu, le personnel concerné peut demander une évaluation psychologique spécialisée, comme ce fut le cas en l’espèce. Les mesures employées dans l’évaluation psychologique spécialisée du risque sont la PCL‑R, le GERV et le GERDS. Les défendeurs prétendent que ces instruments ont été validés pour utilisation sur des échantillons d’adultes de sexe masculin, dans un contexte psychiatrique médico‑légal ou un contexte correctionnel. Ces instruments sont employés au gré du psychologue. D’autres instruments, par exemple la version Échelle des risques de violence : Délinquants sexuels (ERVDS) et le STATIQUE‑99, permettent aussi de prédire les risques à long terme d’une récidive en matière d’infractions sexuelles. Les défendeurs disent que l’emploi de ces instruments renforce le discernement professionnel et permet de garantir la cohérence et l’exactitude prédictive des décisions se rapportant à la réadaptation et à la réinsertion du délinquant.
[51] Les défendeurs ont déposé un avis (daté du 7 janvier 2006) rédigé par le Dr Quinsey, Ph.D., chef du Département de psychologie, professeur de psychologie, de biologie et de psychiatrie à l’université Queen’s, à Kingston (Ontario). Le Dr Quinsey a tiré les conclusions suivantes (dossier des défendeurs, page 32) :
[traduction] En résumé, il n’existe, autant que je sache, aucune preuve montrant que les instruments actuariels jouent contre les délinquants autochtones purgeant des peines dans des établissements carcéraux fédéraux; les données existantes suggèrent le contraire. Plusieurs estimations actuarielles donnent une estimation exacte des chances pour qu’un délinquant soit arrêté ou reconnu coupable en raison d’une nouvelle infraction commise au cours d’une période donnée de possibilité d’infraction. L’exactitude des instruments actuariels est fiable pour une grande diversité de populations. Finalement, il n’y a pas de solution défendable autre que celle consistant à évaluer le risque à l’aide d’instruments actuariels. Plus exactement, le recours à des avis non structurés fondés sur l’intuition est susceptible de conduire à des évaluations du risque qui seront indûment conservatrices, biaisées et inexactes.
[52] Les défendeurs ont aussi produit un affidavit du Dr Motiuk. Le Dr Motiuk détient un doctorat en psychologie de l’université Carleton et une maîtrise en psychologie clinique de l’Université d’Ottawa. Il est le directeur général de la recherche du SCC.
[53] Dans cet affidavit, il explique l’historique de l’évaluation du risque et la mise au point des instruments d’évaluation au SCC. Voici certaines de ses observations (Dossier des défendeurs, onglet 4, pages 24 et 25 de l’affidavit du Dr Motiuk) :
[traduction]
79. L’application de mesures psychologiques spécialisées d’évaluation du risque, par exemple la PCL‑R, le Guide d’évaluation du risque de violence (le GERV) et le Guide d’évaluation du risque posé par les délinquants sexuels (le GERDS), requiert une formation et ne peut être faite que par des psychologues agréés, ou sous la surveillance directe de psychologues agréés. La PCL‑R développée par R. Hare n’était pas à l’origine conçue comme un instrument d’évaluation du risque, mais elle en est venue graduellement à être utilisée comme moyen d’évaluer les probabilités de récidive et d’infractions violentes. La PCL‑R a été validée pour utilisation sur des échantillons d’adultes de sexe masculin, dans un contexte correctionnel ou un contexte psychiatrique médico‑légal. Au cours des années récentes, la recherche a montré que la PCL‑R est un prédicteur relativement fiable de la violence pour une diversité de populations. Les résultats de la PCL‑R sont intégrés dans un certain nombre d’instruments et guides d’évaluation du risque qui ont ultérieurement été développés, par exemple le GERV et le GERDS.
80. Le GERV et le GERDS, instruments développés par V. Quinsey, G. Harris, M. Rice et C. Cormier, sont utilisés pour l’évaluation des probabilités que des délinquants sexuels déjà déclarés coupables récidivent au cours d’une période précise de mise en liberté, en commettant de nouvelles infractions sexuelles ou infractions avec violence. Ces instruments recourent au dossier clinique comme base de cotation et intègrent les résultats de la PCL‑R. Pareillement, le GERV et le GERDS ont été validés pour utilisation sur des échantillons d’adultes de sexe masculin dans un contexte correctionnel ou un contexte psychiatrique médico‑légal.
81. […] Les psychologues sont libres d’utiliser ou non tel ou tel instrument, mais l’on croit que la majorité des psychologues du SCC utilisent ces instruments d’évaluation. On utilise aussi les échelles spécialisées telles que le STATIQUE‑99, mis au point par K. Hanson, et la version Échelle du risque de violence : Délinquants sexuels (l’ERVDS), développée par S. Wong et A. Gordon. Le Statique‑99 et l’ERVDS ont été conçus expressément pour l’évaluation du potentiel à long terme de récidive en matière d’infractions sexuelles parmi les délinquants sexuels de sexe masculin. Jusqu’à maintenant, le Statique‑99 et l’ERVDS ont surtout été utilisés au sein du système correctionnel.
83. Les informations propres à un cas et provenant de plusieurs instruments et autres sources (telles les recommandations fondées sur des observations cliniques) sont combinées pour obtenir des évaluations à méthodes multiples préparées par les psychologues du SCC, pour aboutir à des décisions informées et fiables.
85. La prédiction de la récidive criminelle, qu’elle soit de nature générale ou violente, qui est le fait de personnes libérées d’établissements correctionnels, a été l’objet d’abondantes recherches. Le consensus parmi les chercheurs et praticiens en matière correctionnelle est que la récidive criminelle est prévisible et que l’on peut agir sur elle. Vu l’utilité d’une diversité d’indicateurs prévisionnels (nombre et variété de condamnations criminelles, abus de confiance, associations de malfaiteurs, dépendances, etc.), leur combinaison est un moyen d’augmenter la constance des observations et l’exactitude des prévisions. Connus sous le nom de méthodes actuarielles, il a été bien établi, dans les publications scientifiques, que ces instruments d’origine empirique sont très performants. Cette méthode formelle d’évaluation du risque a été examinée et approuvée dans l’étude de 1996 […]
88. L’inclusion de mesures objectives dans ce processus, par le SCC et autres systèmes correctionnels de par le monde, renforce la constance et l’exactitude des décisions fondées sur ce risque. Les besoins du délinquant peuvent quant à eux être plus efficacement pris en compte grâce à la mise en place de programmes et traitements adéquats, ce qui réduit du même coup le risque que court la société lorsque le délinquant est finalement relâché dans la collectivité.
[54] Le jour de l’audience, les défendeurs ont déposé d’autres documents qui ont été envoyés au demandeur. Certains de ces documents étaient absents du dossier du demandeur. Il n’y a rien de nouveau ici, si ce n’est quelques pages du Rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel pour 2005‑2006, et quelques pages de la réponse du Service correctionnel du Canada au 33e Rapport annuel de l’enquêteur correctionnel de 2005‑2006.
[55] Je reconnais avec les défendeurs que la demande de contrôle judiciaire porte sur la légitimité de l’application de divers instruments d’évaluation psychologique et instruments d’évaluation actuarielle dans l’attribution d’une cote de sécurité au demandeur.
[56] La preuve non contredite montre que la première évaluation initiale effectuée pour le demandeur a eu lieu en 1996 et non en 2001 contrairement à ce qu’a prétendu le demandeur. Aucune Échelle d’ISR n’a non plus été appliquée au demandeur, et cela parce qu’il a été désigné comme autochtone.
[57] Comme on peut le voir, les deux parties ont produit des affidavits contradictoires de leurs témoins experts en ce qui a trait à l’applicabilité des instruments d’évaluation aux délinquants.
[58] La Cour préfère la preuve d’expert des défendeurs à celle du demandeur, pour les raisons suivantes :
- le Dr Menzies est sociologue et non docteur en psychologie, comme le sont les deux autres;
- le Dr Menzies justifie d’un curriculum vitæ considérable et impressionnant, comme les deux autres experts, mais le Dr Quinsey est chef du Département de psychologie de l’université Queen’s, à Kingston (Ontario), et il est l’un de ceux qui ont mis au point le GERV et le GERDS. Le Dr Motiuk a passé 27 ans dans le système correctionnel et il a joué un rôle dans la mise au point de l’évaluation initiale des délinquants;
- la conclusion du Dr Menzies est qu’il n’existe aucune preuve de validation des instruments psychologiques employés par le SCC, mais il n’offre aucune solution de rechange. Les Drs Quinsey et Motiuk, quant à eux, se disent en désaccord avec cette affirmation, en produisant une preuve contraire et en confirmant que les instruments d’évaluation psychologique sont performants et exacts;
- les instruments d’évaluation contestés par le demandeur font partie intégrante d’un processus d’évaluation à méthodes multiples, et le SCC ne se fonde pas sur un unique instrument d’évaluation à l’exclusion des autres;
- le GERV et le GERDS ont à l’origine été développés à l’aide d’un échantillon hétérogène de délinquants qui ne se limitait pas aux délinquants non autochtones. Un très grand nombre d’études complémentaires menées depuis les années 90 ont donné, pour une grande diversité de populations, des prévisions qui se situaient sur le registre allant de bonnes à excellentes.
[59] Le demandeur n’a pas prouvé qu’il aurait obtenu une cote de sécurité de catégorie moindre si les instruments d’évaluation ne lui avaient pas été appliqués.
[60] La Cour est satisfaite de l’explication donnée par les défendeurs à propos des documents (voir le courriel reproduit au paragraphe [37] ci‑dessus). Il ne s’agit pas là d’une opinion officielle du SCC, mais de celle d’un employé qui travaille dans la Section des programmes pour Autochtones. Il s’agit d’un courriel interne envoyé par un employé qui faisait connaître son opinion à un collègue. Le SCC était au fait de cette opinion parce qu’elle a été prise en compte lors du grief de troisième niveau. Dans sa réponse finale au grief, le SCC est arrivé à la conclusion que l’application des instruments d’évaluation actuarielle n’entraînait aucune discrimination à l’encontre du demandeur.
[61] La Cour est convaincue que les défendeurs ont fait ce qu’il fallait lorsqu’ils ont examiné les arguments du demandeur selon lesquels les instruments d’évaluation ne permettaient pas d’évaluer le risque posé par les détenus autochtones tels que lui‑même. Ils ont en effet demandé à l’Ordre des psychologues de l’Alberta un avis impartial sur le GERV et la PCL‑R en tant qu’instruments d’évaluation des délinquants autochtones. Cette initiative a été communiquée au demandeur. Malheureusement, le directeur exécutif de l’Ordre a répondu qu’il ne pouvait proposer le nom que d’un seul psychologue auquel on pouvait s’adresser pour obtenir un avis.
[62] Je relève aussi que les défendeurs ont statué sur le grief de troisième niveau en y ajoutant une mise en garde selon laquelle la décision rendue pouvait changer à la suite des résultats de l’étude entreprise en 2003 par la Direction générale de la recherche du SCC concernant l’applicabilité des instruments d’évaluation actuarielle aux détenus autochtones.
[63] Sur ce point, il vaut la peine de reproduire la décision du SCC concernant son engagement à la suite des résultats de l’analyse effectuée. M. Hooper écrivait ce qui suit :
Vous avez déposé un grief à propos de la question ci‑dessus en 2003. À cette époque, vous avez été informé par écrit que le Service correctionnel du Canada était en train de faire examiner et évaluer lesdits instruments par sa Direction générale de la recherche. Le 13 juin 2003, vous avez reçu une lettre de Mme Shereen Benzvy Miller, la directrice générale de la Direction des droits, des redressements et de la résolution des conflits, au Service correctionnel du Canada. Cette lettre renfermait à votre intention une explication détaillée portant sur l’emploi d’instruments actuariels pour les délinquants, sur la procédure d’évaluation que suit le SCC, ainsi que sur le travail entrepris par la Direction générale de la recherche pour examiner l’à‑propos des instruments d’évaluation initiale employés par le SCC pour les délinquants autochtones. Ce processus suit son cours.
Après que le SCC aura procédé à l’évaluation de ces instruments de mesure, il verra alors si des changements ou modifications doivent être apportés aux échelles actuarielles employées aujourd’hui à des fins d’évaluation.
Tant que le réexamen ci‑dessus n’aura pas été achevé, aucune mesure complémentaire n’est requise ».
[Souligné dans l’original]
[64] Au cours de l’audience, la Cour a prié les défendeurs de lui dire ce qu’elle devait considérer comme le résultat final du grief de troisième niveau déposé par le demandeur. Les défendeurs ont exprimé l’avis que la Cour devrait implicitement considérer que le grief avait été rejeté parce que le décideur estimait à l’époque qu’il ne serait pas mis fin à l’application des instruments d’évaluation contestés.
[65] Après analyse du document, qui se trouve à la page 83 du dossier du demandeur (réponse au grief de troisième niveau déposé par le délinquant), la Cour ne saurait laisser de côté le « x » inscrit dans la case se trouvant juste au‑dessus de la signature de M. Hooper, où il est écrit « Résolu/aucune autre mesure n’est requise ». Ces mots sont intimement rattachés à la dernière phrase de la réponse au grief de troisième niveau, à savoir « Tant que le réexamen ci‑dessus n’aura pas été achevé, aucune mesure complémentaire n’est requise » (souligné dans l’original).
[66] La Cour estime donc qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour le SCC d’arriver à cette conclusion, étant donné la mise en garde susmentionnée, et aussi parce que la procédure d’examen de l’à‑propos de l’application, par le SCC, des instruments d’évaluation initiale des délinquants autochtones se poursuivait.
[67] Maintenant que nous sommes en 2007, la Cour suggère fortement que le SCC devrait expliquer au demandeur les mesures prises par la Direction générale de la recherche et les résultats obtenus, le cas échéant.
B. Le recours aux instruments d’évaluation actuarielle pour évaluer le niveau de risque posé par le demandeur porte‑t‑il atteinte aux droits garantis au demandeur par les articles 7, 9, 12 ou 15 de la Charte? Dans l’affirmative, l’atteinte peut‑elle être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, en application de l’article premier de la Charte?
[68] Le demandeur a retenu la race, comme motif allégué de discrimination. La Cour reconnaît avec les défendeurs que ce qui est en cause ici n’est pas la race, mais les facteurs de risque retenus dans l’application des instruments d’évaluation actuarielle :
[traduction] Dans cette affaire, les instruments d’évaluation font la distinction entre les détenus, non pas sur le fondement de la race, mais essentiellement sur le fondement de la conduite passée du détenu.
[69] Il est donc inutile d’entreprendre une analyse au titre de la Charte et de répondre aux questions constitutionnelles soulevées par le demandeur, compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé dans la présente affaire. Je reprends les propos tenus par ma collègue la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans la décision Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] A.C.F. n° 1879 (C.F.) (QL), où elle conclut ceci, au paragraphe 24 :
Ce n’est pas parce qu’une question constitutionnelle est soulevée que la Cour doit nécessairement la trancher. En fait, en droit canadien, l’usage veut que le juge qui peut trancher une affaire sans aborder une question constitutionnelle doit le faire (R.J. Sharpe, K.E. Swinton et K. Roach, The Charter of Rights and Freedoms, 2nd ed. (Toronto, Irwin Law, 2002), à la page 97). […]
- La Cour a‑t‑elle compétence pour accorder le redressement sollicité, en limitant le pouvoir discrétionnaire des défendeurs dans la gestion de la population carcérale fédérale?
- Les questions constitutionnelles posées par le demandeur sont reproduites à l’annexe « A » des présents motifs.
[70] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour refuse de répondre aux questions C et D.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’est pas adjugé de dépens.
« Michel Beaudry »
Juge
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.
ANNEXE « A »
(déposée par le demandeur)
N° du greffe : T‑1974‑05
Greffe de Vancouver
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
ENTRE :
JEFF EWERT
DEMANDEUR
ET :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
DÉFENDEURS
AVIS DE QUESTION CONSTITUTIONNELLE
LE DEMANDEUR entend mettre en doute la validité constitutionnelle et l’effet de ce qui suit :
• l’article 319 des Règles des Cours fédérales (1998);
• la subordination et la « dévolution » du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut à une autorité unique et centrale, alors que le Canada est un État fédéral [articles 12., 21., 22., 26., 27., 37., 51A., 52., 58‑68., 91., 92. et 146. de la Loi constitutionnelle de 1867]; [articles 30.; 31.; 32 (1)a); 36. (1); 38.(1)a) et b), (2), (3), (4); article 39(1)(2), article 41.a), b) et d), articles 42.(1)a), b), c), d), e) et f); article 43a) et b); article 45 et article 46. (1) de la Loi constitutionnelle de 1982]; [article 28 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985];
• la limitation parlementaire des pouvoirs législatifs du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut [articles 12., 21., 22., 26., 27., 37., 51A., 52., 58.‑68., 91., 92. et 146. de la Loi constitutionnelle de 1867]; [articles 30.; 31.; 32 (1)a); 36. (1); 38.(1)a) et b), (2), (3), (4); articles 39(1)(2), articles 41. a), b) et d), articles 42.(1)a), b), c), d), e) et f), articles 43a) et b), article 45 et article 46. (1) de la Loi constitutionnelle de 1982]; [article 28 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985];
• le fait de conférer au commissaire du Service correctionnel du Canada des pouvoirs discrétionnaires aussi larges que ceux qui lui sont conférés par la Loi sur les pénitenciers et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [articles 96, 97 et 98], soulève la question de savoir si une juridiction canadienne est en mesure de donner suite comme il convient à une demande de contrôle judiciaire;
• toute loi canadienne qui laisse la science incertaine de l’évaluation des risques devenir l’objet essentiel du Service correctionnel du Canada contrevient à l’article 10, alinéa 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Canada est un pays signataire; et
• l’applicabilité, la validité et l’effet des règles du Service correctionnel du Canada qui prévoient l’emploi d’instruments et de pratiques d’évaluation actuarielle et non actuarielle du risque sur les populations autochtones, à l’égard desquelles lesdits instruments et pratiques n’ont pas été validés, dans la mesure où ces règles du SCC (Instructions permanentes et Directives du commissaire) procèdent de lois telles que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; et
• la validité d’une légitimation, au titre de l’article premier de la Charte, des atteintes aux droits prévus par la Charte qui sont commises par les administrateurs des établissements carcéraux du Canada;
• la validité de l’article premier de la Charte, étant donné que le Canada est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ledit pacte interdisant de soumettre une personne à une expérience scientifique sans son libre consentement, et eu égard au fait que la recherche‑développement contemporaine en matière d’évaluation du risque est au mieux une expérience scientifique, et que ladite expérience scientifique se fait au détriment du droit à la liberté des populations autochtones du Canada, et étant donné que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne renferme aucune disposition validant les atteintes à ses dispositions; et
• l’applicabilité et la validité de l’article premier de la Charte dans la mesure où il limite les droits reconnus aux peuples autochtones par l’article 25 de la Charte, disposition qui leur garantit le droit (de par la Proclamation royale de 1763) de faire juger leurs procès civils aussi bien que criminels par les tribunaux compétents de common law et d’equity.
I. Les questions seront plaidées le 10 août 2006, entre 9 heures et 15 heures, à Vancouver.
Il. Les points suivants sont les faits essentiels qui donnent lieu aux questions constitutionnelles :
1. les peuples autochtones ont toujours été sur‑représentés dans les prisons canadiennes, ce qui est injustifiable et inexplicable;
2. le gouvernement du Canada, qui est informé depuis des décennies de l’effet discriminatoire de notre système de justice pénale sur les peuples autochtones du Canada, n’a jamais rien fait pour corriger le problème;
3. lorsqu’ils sont soumis aux instruments contemporains d’évaluation actuarielle et non actuarielle du risque, les peuples autochtones obtiennent artificiellement des évaluations plus rigoureuses du risque et des besoins que les non‑Autochtones, ce qui accentue la détention des Autochtones dans les prisons du Canada;
4. le défendeur, le Service correctionnel du Canada, était informé de ce gonflement artificiel des évaluations du risque et des besoins, et malgré cela il a continué de refuser au demandeur chacun des redressements administratifs qu’il a sollicités;
5. les tribunaux sont généralement peu enclins à procéder au contrôle judiciaire de décisions relevant du bon plaisir des administrateurs d’établissements carcéraux;
6. la grave sur‑représentation des Autochtones dans les prisons et l’inertie ou l’inefficacité du gouvernement du Canada à rectifier la situation produit des effets racistes qui donnent lieu à plusieurs questions constitutionnelles;
7. les Règles des Cours fédérales (1998) ne prévoient pas que les procureurs généraux du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut puissent être parties à des questions constitutionnelles, alors que ces territoires sont largement peuplés d’Autochtones qui, de par leur origine ethnique, devraient être particulièrement intéressés dans les questions constitutionnelles soulevées;
8. la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982 donnent toutes deux au mot « province » le même sens que l’article 28 de la Loi d’interprétation, L.R.C 1985, or les Territoires du Nord‑Ouest, le Yukon et le Nunavut ne sont pas investis des pouvoirs législatifs des provinces restantes du Canada, mais sont plutôt soumis à une « dévolution de pouvoirs » du Parlement fédéral, ou sont par ailleurs subordonnés à l’autorité du Parlement du Canada, ce qui entraîne un fondement constitutionnel qui n’est pas uniforme et qui va à l’encontre des droits conférés par la Charte aux populations des trois territoires du Nord, populations qui sont essentiellement autochtones, et dont les intérêts englobent, suivant la prépondérance de la preuve, les intérêts d’autres peuples autochtones d’autres régions du Canada, en particulier quand on sait que les peuples autochtones du Canada sont aujourd’hui si gravement et si inexplicablement sur‑représentés dans les prisons canadiennes;
9. les tribunaux permettent que les atteintes à la Charte soient validées par l’article premier de la Charte, alors que, dans le même temps, le Canada est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lequel interdit la plupart ou la totalité des mêmes atteintes et ne renferme aucune disposition semblable prévoyant la validation de telles atteintes — d’où le conflit entre la Charte et le Pacte;
10. l’article premier de la Charte est en conflit avec l’article 25 de la Charte, qui garantit que la Charte ne porte pas atteinte aux droits et libertés des peuples autochtones, alors que l’article premier est invoqué pour valider les atteintes aux droits conférés par la Charte aux peuples autochtones.
III. Le texte suivant constitue le fondement juridique des questions constitutionnelles :
Question constitutionnelle n° 1
1. L’article 319 des Règles des Cours fédérales (1998) est‑il inconstitutionnel dans la mesure où il prévoit l’obligation de signifier un avis de question constitutionnelle au procureur général du Canada et aux procureurs généraux des dix provinces du Canada, alors qu’il ne prévoit aucune obligation semblable de signifier un tel avis aux procureurs généraux du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut?
a. Les procureurs généraux des trois grands territoires du Canada ne devraient‑ils pas être parties aux procédures judiciaires ayant une portée constitutionnelle, en particulier lorsqu’une question constitutionnelle intéresse les Indiens, les Premières nations ou les Inuits du Canada?
b. Le fait que le Yukon, les Territoires du Nord‑Ouest et le Nunavut soient exclus de toute participation aux procédures comportant des questions constitutionnelles constitue‑t‑il une violation des règles du fédéralisme?
c. Dans un État fédéral où les autorités régionales et l’autorité centrale ont des pouvoirs « coordonnés » et où toute personne vivant dans cet État fédéral doit se soumettre aux lois des deux autorités, n’est‑il pas inconstitutionnel de laisser les habitants du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut demeurer sous la coupe de la seule autorité fédérale, comme si le Canada était un « État unitaire »?
d. Pourquoi, dans une société libre et démocratique, les pouvoirs législatifs des trois autorités régionales territoriales du Canada n’ont‑ils pas été « coordonnés » avec les dix autorités régionales provinciales du Canada, d’autant qu’une telle modification des pouvoirs régionaux, dans le respect des principes du fédéralisme, ne porterait nullement atteinte aux droits des populations autochtones ou non autochtones des habitants desdits territoires qui sont actuellement garantis par la Charte?
e. La subordination des pouvoirs législatifs du Yukon et des Territoires du Nord‑Ouest, 136 ans après leur admission dans le Canada (et par la suite, le Nunavut [1993?]), présente‑t‑elle une justification qui puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique qui prétend être fondée sur les principes et les règles du fédéralisme?
f. Est‑il constitutionnel de continuer d’appliquer dans l’État fédéral qu’est le Canada, après la promulgation de la loi de 1982 sur le Canada, le principe de dévolution appliqué au Royaume‑Uni?
g. Le fait de limiter les pouvoirs législatifs des populations du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut, populations largement autochtones, constitue‑t‑il une atteinte aux droits conférés à ces populations par l’article 15 de la Charte?
h. Le fait de limiter les pouvoirs législatifs des autorités régionales du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut revient‑il à mettre les populations essentiellement autochtones de ces territoires dans une situation désavantageuse ou à les rendre par ailleurs inégales par rapport aux populations des dix provinces du Canada, au regard de la Loi constitutionnelle de 1867, de la Loi constitutionnelle de 1982, et des procédures parlementaires ou judiciaires du Canada?
b) Limites au contrôle judiciaire
Dans un État fédéral tel que le Canada, où les pouvoirs législatifs sont partagés entre un organe législatif central (le Parlement fédéral) et des organes législatifs régionaux (les corps législatifs provinciaux), l’une des fonctions du contrôle judiciaire est de faire appliquer les règles régissant la répartition des pouvoirs (les règles du fédéralisme).
page 128, Constitutional Law of Canada, Peter W. Hogg, 2003
Question constitutionnelle n° 2
2. Existe‑t‑il une justification qui puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en ce qui concerne le recours à des instruments d’évaluation du risque et des besoins qui comportent, pour les peuples autochtones, des conséquences plus élevées en matière de risque et de besoins, en raison de leurs caractéristiques naturelles et immuables, telles conséquences plus élevées ayant pour effet d’imposer aux populations autochtones « des charges, obligations et désavantages » qui ne sont pas imposés aux populations non autochtones qui se trouvent « dans une situation similaire », hormis la présence des caractéristiques personnelles naturelles et « immuables » des populations autochtones?
a. Y a‑t‑il un objet et une justification autorisant de telles évaluations actuarielles et non actuarielles du risque, évaluations qui sont contestées, lorsque lesdites évaluations entraînent une distinction entre les niveaux de risque des peuples autochtones et ceux des peuples non autochtones, et cela au détriment des peuples autochtones?
b. La justification d’une telle distinction peut‑elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?
52.6 Égalité
c) La définition d’Aristote
Aristote disait que « la justice veut que des personnes qui sont égales devraient se voir attribuer des choses égales » et que « il n’y a pas d’inégalité lorsque des personnes inégales sont traitées en proportion de l’inégalité qui existe entre elles ». Selon la notion aristotélicienne de l’égalité, des personnes qui sont semblables (qui se trouvent dans une situation semblable) devraient être traitées de la même façon, et les personnes qui ne sont pas semblables devraient être traitées différemment, en proportion de leurs différences. Les lois qui appliquent à un groupe donné un traitement spécial ne contreviennent pas au principe d’égalité si elles recourent à des classifications qui font avec à‑propos la distinction entre personnes qui ne sont pas semblables et si elles prévoient une différence adéquate de traitement pour celles qui ne sont pas semblables.
page 1067, Constitutional Law of Canada, Peter W. Hogg, 2003
52.7 Égalité
e) Les motifs analogues font intervenir des caractéristiques personnelles immuables
Une autre manière de considérer l’immutabilité en tant qu’élément commun des caractéristiques personnelles énumérées est de voir que les caractéristiques sont innées et non acquises. Elles ne traduisent pas un choix volontaire de la part de quiconque, mais plutôt un héritage involontaire. Elles décrivent ce qu’une personne est, et non ce qu’une personne fait. L’article 15 proscrit les lois qui établissent entre personnes des distinctions fondées sur leurs attributs naturels, par opposition à leur comportement. L’article 15 ne proscrit donc pas les lois renfermant des dispositions spéciales applicables à ceux qui ont commis un acte criminel, qui deviennent insolvables, qui ont fabriqué des aliments ou des drogues, qui se sont joints à la profession juridique, qui ont fait un testament, qui ont acheté un produit ou service taxable, etc. Il est vrai que des individus peuvent prétendre être traités injustement par la loi pour des conditions qui relèvent de leur propre responsabilité, mais les prétentions de ce type, même pleinement justifiées, n’autorisent pas un recours constitutionnel. Elles relèvent simplement du domaine politique et il vaut mieux qu’elles soient considérées non par les juges mais par ceux qui assument des responsabilités politiques. Ce qui autorise en revanche un redressement constitutionnel est la prétention d’une personne selon laquelle elle a été traitée injustement en raison d’une condition qui ne dépend pas de sa volonté. Dans un tel cas, la force des préjugés peut fort bien avoir faussé le processus politique, et il est opportun pour les juges d’examiner la décision contestée.
page 1084, Constitutional Law of Canada, Peter W. Hogg, 2003
Question constitutionnelle n° 3
3. Est‑il constitutionnel de conférer par la loi à une branche du gouvernement des pouvoirs qui ne peuvent pas être contestés au moyen de la loi même d’où ladite branche du gouvernement tient ses pouvoirs? Autrement dit, est‑il constitutionnel que le commissaire du Service correctionnel du Canada soit investi d’un pouvoir discrétionnaire étendu à un point tel qu’il soit autorisé à contrevenir à la loi même d’où il tient ses pouvoirs discrétionnaires?
a. Est‑il constitutionnel de conférer au commissaire du Service correctionnel du Canada le pouvoir d’établir, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, des « règles » qui « établissent une distinction déraisonnable, irrationnelle, arbitraire, injustifiée ou attentatoire » entre peuples autochtones et peuples non autochtones, tout en privant simultanément la Cour du pouvoir discrétionnaire de revoir lesdites « règles » parce qu’il ne s’agit pas d’une « loi » au sens propre?
b. Quel est le « caractère véritable » d’une telle loi qui permet que de telles règles ne puissent pas être contestées en droit?
c. L’application régulière de la loi dont il est question dans la Déclaration canadienne des droits est‑elle véritablement une application régulière de la loi si ladite loi est interprétée ou appliquée d’une manière qui établit des « distinctions déraisonnables, irrationnelles, arbitraires, injustifiées ou attentatoires » entre les Canadiens auxquels la loi s’applique?
d. De telles « distinctions déraisonnables, irrationnelles, arbitraires, injustifiées ou attentatoires », inhérentes aux pratiques préjudiciables et contestées d’évaluation du risque qui favorisent la détention arbitraire et l’emprisonnement d’Autochtones, peuvent‑elles être validées par l’article premier de la Charte?
e. La validation d’atteintes à la Charte par l’effet de l’article premier peut‑elle se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique lorsque lesdites atteintes ont lieu dans un milieu carcéral, lequel n’est pas « libre et démocratique », et lorsque les conditions contestées qui sont présentes en milieu carcéral sont précisément le résultat de l’abus historique de larges pouvoirs discrétionnaires, abus qui n’ont pas été sanctionnés par les tribunaux?
Le juge Addy, Re Cline (1981), n° du greffe 894‑81 (C.F. 1re inst.)
J’aimerais ajouter que, sauf dans les cas clairs et non équivoques d’injustice sérieuse où il y a mauvaise foi ou partialité, les juges, en règle générale, doivent résister à la tentation de faire usage dans l’atmosphère solennelle et feutrée du prétoire de leur sagesse ex officio et de substituer leur propre jugement à celui des administrateurs expérimentés des prisons.
Trono (sous‑commissaire, Région du Pacifique, Service correctionnel du Canada) c. Gallant, 68 C.R. (3d) 173
[traduction] « La décision de transférer le détenu n’a pas été prise d’une manière conforme aux principes de la justice fondamentale, puisqu’il n’a pas eu une occasion véritable de répondre à l’allégation portée contre lui. S’agissant de l’article premier de la Charte, la Loi sur les pénitenciers donne au commissaire et à ses représentants le pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu. Dans une société libre et démocratique, il est raisonnable et sans doute même nécessaire de conférer un pouvoir discrétionnaire aussi large aux autorités pénitentiaires. Partant, la décision de transfèrement était validée par l’article premier ».
Question constitutionnelle n° 4
4. Les pratiques contemporaines du Service correctionnel du Canada en matière d’évaluation du risque, qui présument l’homogénéité et qui sont discutables sur le plan international, outre qu’elles sont encore au « stade préliminaire » de la recherche et du développement, ne sont‑elles rien de plus que l’« expérience scientifique » qui est proscrite par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques? L’article 7 du Pacte est ainsi rédigé :
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Article 7
Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.
a. Une telle expérience est‑elle inconstitutionnelle au Canada dans la mesure où le Canada est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques?
[traduction]
‑Message original‑
Expéditeur : Mason, Randolph (NHQ‑AC)
Envoyé : le lundi 20 janvier 2003, à 9 h 59
À : Sonnichsen, Paul (NHQ‑AC)
Objet : RE: Grief d’un détenu concernant l’emploi des instruments PCL‑R et GERV.
Paul,
Ce sujet est à propos car nous avons déjà signalé cette question comme préoccupante. En fait, la Direction générale de la recherche (AC) a déjà commencé un travail sur le sujet – ne serait‑ce qu’à titre préliminaire. J’ai l’impression que le détenu obtiendra gain de cause et que cela forcera le Service à réagir. Et avec raison! Nous avons toujours pensé que le recours inconsidéré à des échelles et mesures actuarielles a un effet préjudiciable sur notre population autochtone. En réalité, nous croyons que l’emploi de ces mesures a pour effet de gonfler artificiellement les évaluations du risque et des besoins.
Randy Mason.
(Courriel envoyé par Randy Mason, commissaire adjoint, Service correctionnel du Canada, Administration centrale, à Paul Sonnichsen, directeur des Relations avec la communauté autochtone, Section des questions autochtones, Service correctionnel du Canada)
p. 000129, Dossier des défendeurs, affidavit de Shereen Benzvy
Miller, directrice de la Direction des droits, des redressements et de la résolution des conflits, Service correctionnel du Canada
Contrairement à la PCL‑R, le GERV a été conçu pour permettre de mesurer le risque posé par les populations violentes, et construit en tant qu’instrument d’évaluation actuarielle du risque (la PCL‑R est une échelle de notation clinique) (Quinsey et autres, 1998). L’échantillon était composé de 618 délinquants de sexe masculin qui avaient été des patients de l’établissement psychiatrique de Oak Ridge, en Ontario. Le GERV contient douze variables dont l’une est le pointage de la PCL‑R (Rice et Harris, 1995). On a constaté que le GERV était un prédicteur fiable de récidive en matière d’infractions violentes, mais il a été jugé un prédicteur moins fiable de la récidive en matière d’infractions sexuelles violentes. Dans un paradoxe, les auteurs (Quinsey et autres, 1998, page 29) ont conçu un instrument (le Guide d’évaluation des risques posés par les délinquants sexuels) expressément pour ce groupe, en dépit de leur affirmation selon laquelle les instruments de prédiction liés à la récidive en matière d’infractions violentes « ne varient pas en fonction de la population qui est étudiée ». Ainsi, la PCL‑R et le GERV sont tous deux des sources discutables d’évaluation sans validation sur des délinquants australiens, car ils se sont révélés être des instruments moins exacts et offrant une faible prédiction du risque dans les populations qui diffèrent de l’échantillon de validation.
Hypothèse d’homogénéité, Deborah Dawson, Université Edith Cowan, Australie‑Occidentale, page 686, dossier du demandeur
Question constitutionnelle n° 5
5. Les pratiques contestées du Service correctionnel du Canada en matière d’évaluation du risque contreviennent‑elles à l’article 10, alinéa 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où l’objet essentiel desdites pratiques n’est pas la réhabilitation et le reclassement social, mais plutôt la détention continue et l’incarcération prolongée des Autochtones soumis à des expériences d’évaluation du risque?
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Article 10
3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social.
Question constitutionnelle n° 6
6. L’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés peut‑il à juste titre valider les atteintes aux droits reconnus par la Charte aux peuples autochtones, alors que l’article 25 de la Charte prévoit que la Charte ne porte pas atteinte aux droits des peuples autochtones, outre qu’il garantit les droits et libertés reconnus aux peuples autochtones du Canada par la Proclamation royale du 7 octobre 1763? La Proclamation royale contient notamment ce qui suit :
Et comme il contribue beaucoup au prompt établissement de nos susdits Gouvernements, que nos bien aimés sujets soient informés de nos soins paternels pour la sûreté, liberté et biens de ceux qui sont et qui en deviendront habitants, Nous avons jugé nécessaire de publier et déclarer par notre présente proclamation, que nous avons dans les lettres patentes, sous le Grand Sceau de la Grande Bretagne par lesquels les dits Gouvernements sont constitués, donné pouvoir exprès, et instructions à nos Gouverneurs de nos dites Colonies respectivement qu’aussitôt que les circonstances des dites colonies le permettront, qu’ils feront par l’avis et le consentement des membres de Notre Conseil, ajourner, convoquer des assemblées générales dans nos dits Gouvernements respectivement, en telle manière et forme usitée et enjointe dans les dites colonies des provinces de l’Amérique, qui sont sous notre Gouvernement immédiat. Et nous avons aussi donné pouvoir à nos dits Gouverneurs, avec l’avis de nos conseils et les représentants du peuple ainsi convoqués comme ci‑dessus, de faire, constituer, passer des lois, statuts, et ordonnances, pour le bien du public, conservation, et le bon ordre de nos dites colonies, et de ses habitants, autant que cela pourra convenir avec les lois d’Angleterre, et sous tels règlements et restrictions qui sont en usage dans les autres colonies; Et en attendant, et jusqu’à ce que telles assemblées puissent être convoquées, comme il est dit ci‑dessus, toutes personnes habitants actuellement, ou qui se rendront dans nos dites colonies, peuvent être assurées de notre protection Royale en la jouissance des avantages des lois du Royaume d’Angleterre; à ces fins nous avons donné pouvoir à nos Gouverneurs de nos dites colonies respectivement, sous le Grand sceau, d’ériger et de constituer par l’avis de nos dits Conseils respectivement, des cours de judicature et de justice publique, dans nos dites colonies, pour entendre et déterminer toutes causes tant criminelles que civiles, suivant les lois et l’Équité, et autant que faire se pourra suivant les lois d’Angleterre, avec liberté à toutes personnes qui se croient lésées par les sentences de telles cours en matière civile, d’en appeler sous les limitations et restrictions usitées à nous dans notre Conseil privé.
[Non souligné dans l’original]
Les droits et libertés des autochtones ne sont pas affectés par la Charte
25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada, notamment :
a) aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre 1763;
b) aux droits ou libertés acquis par règlement de revendications territoriales.
Notes
La Terre de Rupert et le Territoire du Nord‑Ouest (1870) existaient comme partie du Dominion du Canada avant les provinces de la Colombie‑Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de Terre‑Neuve. Le Manitoba a été formé à partir de la Terre de Rupert, par une loi fédérale en 1870, après que la Terre de Rupert avait déjà été admise dans le Canada. Ce qui restait de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord‑Ouest est devenu les Territoires du Nord‑Ouest. En 1898, le Territoire du Yukon a été retiré des Territoires du Nord‑Ouest pour former un territoire distinct. En 1905, par loi fédérale, les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan ont été établies à partir des Territoires du Nord‑Ouest.
La Colombie‑Britannique a résulté de la fusion de deux colonies établies, à savoir l’île de Vancouver (constituée par loi impériale en 1849) et la Nouvelle‑Calédonie (constituée par loi impériale en 1858). Les deux colonies ont été fusionnées en 1866, par loi impériale, et baptisées Colombie‑Britannique. La Colombie‑Britannique a été admise dans le Canada en 1871, par décret impérial, pris à la requête de son conseil législatif, ce qui était la procédure prévue par l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. L’Île‑du‑Prince‑Édouard a été admise dans le Canada en 1873. Terre‑Neuve y a été admise en 1949.
Le Yukon, les Territoires du Nord‑Ouest (1870) et le Nunavut ne sont pas validement subordonnés à l’autorité nationale. Ils ne sont pas une cité, une municipalité ni un comté, mais plutôt des « territoires », tandis que le Canada est un État fédéral, et non un État unitaire.
Le tout respectueusement soumis.
« signé Jeff Ewert »
Jeff Ewert, en son propre nom
4732 Cemetery Road
C.P. 2000
Agassiz (C.‑B.) V0M 1A0
À :
L’honorable Vic Toews, procureur général du Canada
ET À :
L’honorable Mildred A. Dover, procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard
L’honorable Tom Marshall, procureur général de Terre‑Neuve
L’honorable Murray K. Scott, procureur général de la Nouvelle‑Écosse
L’honorable Brad Green, procureur général du Nouveau‑Brunswick
L’honorable procureur général du Québec
L’honorable Michael J. Bryant, procureur général de l’Ontario
L’honorable Gord Mackintosh, procureur général du Manitoba
L’honorable Frank Quenell, procureur général de la Saskatchewan
L’honorable Ron Stevens, procureur général de l’Alberta
L’honorable Wally Oppal, procureur général de la Colombie‑Britannique
L’honorable John Edzerza, procureur général du Territoire du Yukon
L’honorable Brendan Hall, procureur général des Territoires du Nord‑Ouest
L’honorable Paul Okalik, procureur général du Nunavut
c.c. Edward Burnet, avocat des défendeurs
Ministère de la Justice
900‑840, rue Howe
Vancouver (Colombie‑Britannique) V6Z 2S9
Frej Fenniche, agent principal des droits de l’homme
Pièce 2‑025,
Haut‑Commissariat pour les droits de l’homme
Palais Wilson, CH‑1211 Genève 10
Suisse
Dr Robert Menzies, Ph.D.
Département des sciences humaines
Institut des sciences humaines
Université Simon Fraser
8888 University Drive
Burnaby (C.‑B.) V5A 1S6
dossier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1974‑05
INTITULÉ : JEFF EWERT et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
ET LE COMMISSAIRE DU
SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (C.‑B.)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 OCTOBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 12 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Jeff Ewert POUR LE DEMANDEUR
(autoreprésenté)
Edward Burnet POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jeff Ewert POUR LE DEMANDEUR
(autoreprésenté)
Vancouver (C.‑B.)
John H. Sims, c.r. POUR LES DÉFENDEURS
Sous‑procureur général du Canada
Vancouver (C.‑B.)