Calgary (Alberta), le 9 janvier 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 novembre 2005 par laquelle une agente d’immigration a refusé de renouveler le permis d’études de la demanderesse.
Le contexte
[2] La demanderesse est une citoyenne du Vietnam. Elle est arrivée au Canada en août 2001 munie d’un permis d’études, en vue d’y suivre des cours d’anglais langue seconde, pour ensuite faire carrière en comptabilité. À son arrivée au Canada, elle a reçu le soutien d’un cousin qui a acquitté ses frais de scolarité et lui a fourni le gîte et le couvert.
[3] La demanderesse a rencontré Tom Tang, un citoyen canadien, qu’elle a épousé le 12 avril 2003. M. Tang a présenté une demande de parrainage afin que son épouse puisse devenir résidente permanente, mais la demande a été rejetée en janvier 2005 au motif que le mariage n’avait pas un caractère véritable.
[4] La demanderesse a ensuite présenté une demande de renouvellement de son permis d’études. Puisque son passeport venait à expiration le 13 juin 2005, on a renouvelé son permis d’études jusqu’à cette date plutôt que de lui accorder la période habituelle de renouvellement d’un an. La demanderesse a alors transmis son passeport au Consulat du Vietnam pour obtenir son renouvellement, puis elle a présenté en avril 2005 une nouvelle demande de renouvellement de son permis d’études. Le permis d’études de la demanderesse est venu à expiration le 13 juin 2005. La demanderesse a soutenu avoir examiné la possibilité de s’inscrire à un programme de comptabilité au Southern Institute of Technology (SAIT), mais que l’inscription à cet établissement n’était pas possible comme elle ne disposait pas d’un permis d’études valide. La demanderesse a également déclaré qu’il lui fallait poursuivre pendant encore un an sa formation linguistique avant de pouvoir étudier la comptabilité.
[5] Le 20 octobre 2005, la demanderesse et son avocate ont pris part à une entrevue avec une agente d’immigration portant sur la demande de renouvellement du permis d’études. La demanderesse soutient que la plupart des questions de l’agente avaient trait à son mariage et étaient sans rapport avec sa demande de renouvellement ou son intention de quitter le Canada une fois ses études terminées. L’agente d’immigration a pris comme décision le 22 novembre 2005 de rejeter la demande de renouvellement de permis de la demanderesse, au motif qu’elle ne quitterait pas le Canada une fois terminé son séjour autorisé. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
La décision soumise à l’examen
[6] D’après les notes relatives à la décision consignées au Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL), l’agente d’immigration a conclu qu’il [traduction] « n’y [avait] guère de preuve d’une possible percée de Mme Dang dans ses études au cours du prochain semestre ». L’agente d’immigration a également souligné que, lors de l’entrevue, la demanderesse avait fourni [traduction] « des renseignements contradictoires au sujet du soutien financier dont elle disposait au Canada », mais qu’elle avait par la suite déposé des relevés bancaires indiquant qu’elle avait un soutien financier, ce dont l,agent a contenu. L’agente d’immigration a conclu que la demanderesse n’avait pas l’intention de quitter le Canada à la fin de sa période d’études autorisée :
[traduction]
Mme Dang est venue au Canada pour y suivre des cours d’ALS, et on lui a donné amplement le temps et l’occasion de faire. Elle a suivi des cours d’ASL pendant quatre années et demie, avec un succès mitigé. Comme on l’a déjà indiqué, sa connaissance de l’anglais est insuffisante selon ses dires pour qu’elle puisse entreprendre un programme d’études en comptabilité au SAIT, soit l’objectif qu’elle visait à l’origine. Il ne semble pas raisonnable qu’en ayant cela comme objectif avant d’entrer au Canada, Mme Dang ne puisse toujours pas s’exprimer avec facilité en anglais après avoir uniquement étudié cette langue pendant quatre années et demie dans un pays où l’on parle l’anglais. Il n’y a guère de preuve que cette situation changera au cours des six prochains mois et que la cliente compte quitter le Canada à la fin de la période autorisée.
[Non souligné dans l’original.]
La question en litige
[7] En l’espèce, la question soulevée est de savoir si l’agente d’immigration a commis une erreur en refusant de renouveler le permis d’études de la demanderesse.
La norme de contrôle
[8] La décision de l’agente d’immigration de ne pas accorder un permis d’études se fonde sur la conclusion de fait selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. La norme de contrôle applicable à cette décision est celle du caractère manifestement déraisonnable (voir, par exemple, Maiga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 252, paragraphe 5; Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 31, paragraphe 14).
Les dispositions législatives pertinentes
[9] Le texte législatif pertinent aux fins de la présente demande est le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (le Règlement), dont les dispositions suivantes régissent la délivrance de permis d’études :
PARTIE 12 |
PART 12 |
ÉTUDIANTS |
STUDENTS |
Section 1 |
Division 1 |
Dispositions générales |
General Rules |
[…] |
[…] |
Permis d’études |
Study permit required |
212. L’étranger ne peut étudier au Canada sans y être autorisé par un permis d’études ou par le présent règlement. |
212. A foreign national may not study in Canada unless authorized to do so by a study permit or these Regulations. |
[…] |
[…] |
Section 3 |
Division 3 |
Délivrance du permis d’études |
Issuance of Study Permits |
Permis d’études |
Study permits |
216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis : |
216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national |
a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie; |
(a) applied for it in accordance with this Part; |
b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9; |
(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9; |
c) il remplit les exigences prévues à la présente partie; |
(c) meets the requirements of this Part; and |
d) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30. |
(d) meets the requirements of section 30; |
[…] |
[…] |
Demande de renouvellement |
Application for renewal |
217. (1) L’étranger peut demander le renouvellement de son permis d’études s’il satisfait aux exigences suivantes : |
217. (1) A foreign national may apply for the renewal of their study permit if |
a) il en fait la demande avant l’expiration de son permis d’études; |
(a) the application is made before the expiry of their study permit; |
b) il s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada; |
(b) they have complied with all conditions imposed on their entry into Canada; and |
c) il est en règle avec l’établissement d’enseignement où il a étudié. |
(c) they are in good standing at the educational institution at which they have been studying. |
Renouvellement |
Renewal |
(2) L’agent renouvelle le permis d’études de l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger satisfait toujours aux exigences prévues à l’article 216. |
(2) An officer shall renew the foreign national's study permit if, following an examination, it is established that the foreign national continues to meet the requirements of section 216. |
[…] |
[…] |
Section 4 |
Division 4 |
Restrictions applicables aux études au Canada |
Restrictions on Studying in Canada |
Acceptation par l’établissement |
Acceptance letter |
219. (1) Le permis d’études ne peut être délivré à l’étranger que si celui-ci produit une attestation écrite de son acceptation émanant de l’établissement d’enseignement où il a l’intention d’étudier. |
219. (1) Subject to subsection (2), a study permit shall not be issued to a foreign national unless they have written documentation from the educational institution at which they intend to study that states that they have been accepted to study there. |
[…] |
[…] |
Ressources financières |
Financial resources |
220. À l’exception des personnes visées aux sous-alinéas 215(1)d) ou e), l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger à moins que celui-ci ne dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour : |
220. An officer shall not issue a study permit to a foreign national, other than one described in paragraph 215(1)(d) or (e), unless they have sufficient and available financial resources, without working in Canada, to |
a) acquitter les frais de scolarité des cours qu’il a l’intention de suivre; |
(a) pay the tuition fees for the course or program of studies that they intend to pursue; |
b) subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent durant ses études; |
(b) maintain themself and any family members who are accompanying them during their proposed period of study; and |
c) acquitter les frais de transport pour lui-même et les membres de sa famille visés à l’alinéa b) pour venir au Canada et en repartir. |
(c) pay the costs of transporting themself and the family members referred to in paragraph (b) to and from Canada. |
Analyse
Question en litige : L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en refusant de renouveler le permis d’études de la demanderesse?
[10] La décision de l’agente d’immigration de refuser de renouveler le permis d’études de la demanderesse se fondait sur des conclusions de fait concernant l’intention de cette dernière d’étudier temporairement au Canada et son intention de quitter le pays une fois terminée sa période d’études autorisée. L’agente a pris en considération les facteurs suivants pour arriver à sa décision :
1. le mariage de la demanderesse à un citoyen canadien;
2. le rejet de sa demande de résidence permanente;
3. le peu de progrès réalisé dans ses études d’ALS;
4. son but visé d’étudier la comptabilité et la reconnaissance de sa part de la nécessité de poursuivre sa formation linguistique pour y parvenir.
[11] L’agente a conclu qu’il n’y avait guère de preuve d’une possible percée de la demanderesse dans ses études au cours du semestre suivant. L’agente a souligné que la demanderesse avait suivi avec un succès mitigé des cours d’ALS pendant quatre années et demie et qu’il semblait déraisonnable qu’elle n’ait pas encore réussi à s’exprimer en anglais avec la facilité requise après la fin de sa période courante d’études. L’agente n’était par conséquent pas convaincue que la demanderesse avait l’intention de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisé, tel que le requiert l’alinéa 216(1)b) du Règlement.
Les exigences juridiques relatives au renouvellement du permis d’études
[12] Le Règlement requiert que, pour obtenir le renouvellement de leur permis d’études, les demandeurs soient en règle avec leur établissement d’enseignement, disposent de ressources suffisantes pour poursuivre leurs études et établissent qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur période de séjour autorisé.
La preuve pour ce qui est d’être en règle avec l’établissement d’enseignement
[13] La preuve dont disposait l’agente d’immigration, qui comprend des rapports d’étape remis par le Canadian Conversation College à la demanderesse, révèle que le rendement scolaire de cette dernière était satisfaisant. De fait, la demanderesse a obtenu de façon constante des notes de bonnes à très bonnes pour ses cours. Elle a obtenu une note de cours/d’examen de 81 p.100 et elle n’a été absente qu’une journée pendant son dernier semestre.
[14] Il était loisible à l’agente d’immigration de prendre en compte les progrès réalisés par la demanderesse dans ses études d’ALS eu égard à son objectif visé à long terme d’étudier la comptabilité, comme l’alinéa 217(1)c) du Règlement prévoit que la personne qui demande le renouvellement de son permis d’études doit être en règle avec son établissement d’enseignement. Le collège fréquenté par la demanderesse pour sa formation en ALS a fourni des documents démontrant clairement que celle-ci réussissait très bien dans ses études d’anglais, et qu’elle était en règle. Il était par conséquent manifestement déraisonnable pour l’agente d’immigration de tirer la conclusion de fait que les progrès de la demanderesse étaient lents. En outre, l’agente d’immigration a commis une erreur en concluant que la demanderesse étudiait depuis quatre années et demie, alors qu’elle n’étudiait en fait que depuis trois ans.
La preuve concernant les ressources financières
[15] La demanderesse a également établi qu’elle disposait de ressources financières suffisantes pour son séjour au Canada.
La preuve quant à savoir si la demanderesse quittera le Canada une fois son permis d’études expiré
[16] Étant donné que, parmi les exigences prévues au Règlement pour le renouvellement de son permis d’études, il y a la nécessité que la demanderesse quitte le Canada à la fin de sa période d’études autorisée, l’agente d’immigration était tenue, pour en arriver à sa décision, d’examiner s’il était probable, selon la preuve disponible, que la demanderesse quitterait le pays au moment prescrit. Il ne s’ensuit toutefois pas que les progrès de la demanderesse dans l’apprentissage de l’anglais ont une valeur probante quant à son intention de quitter le Canada une fois ses études terminées. L’agente d’immigration a déduit du peu de progrès de la demanderesse dans son apprentissage de l’anglais son intention de demeurer au Canada. Cette déduction, selon moi, était manifestement déraisonnable.
[17] La demanderesse s’est fait poser plusieurs questions sur son mariage lors de l’entrevue. Il était également manifestement déraisonnable pour l’agente d’immigration de prendre un compte le fait que la demande de résidence permanente de la demanderesse par le biais du parrainage conjugal a été rejetée, puisque le paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) prévoit qu’un demandeur peut avoir une double intention – l’intention de devenir résident permanent et l’intention de devenir résident temporaire :
22. […] |
22. […] |
Double intention |
|
(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. |
(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay. |
Le fait que la demanderesse ait présenté une demande en vue de résider en permanence au Canada avec son époux ne démontre pas qu’elle ne quitterait pas le Canada, tel que le requiert l’alinéa 216(1)b) du Règlement, à la fin de la période autorisée dans son permis d’études.
[18] L’agente d’immigration, à cet égard, n’a pas reconnu que la LIPR permet expressément à la demanderesse de chercher à obtenir simultanément le statut de résidente permanente et, à titre d’étudiante, le statut de résidente temporaire.
Conclusion
[19] Les seuls critères pertinents qu’un agent d’immigration peut prendre en compte aux fins d’une demande de renouvellement d’un permis d’études en application du paragraphe 217(2) du Règlement sont les questions de savoir si :
1. la demanderesse est en règle avec l’établissement d’enseignement où elle a étudié;
2. la demanderesse dispose de ressources financières suffisantes pour acquitter ses frais de scolarité et subvenir à ses propres besoins au Canada;
3. la demanderesse quittera le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.
[20] En l’absence de preuve pouvant étayer les conclusions de l’agente d’immigration, la conclusion de cette dernière selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée était manifestement déraisonnable. En outre, en établissant qu’il avait fallu à la demanderesse un temps déraisonnable pour apprendre l’anglais, l’agente d’immigration a fondé sa conclusion sur un facteur non pertinent. Comme on l’a mentionné précédemment, le Règlement exige uniquement à cet égard qu’un demandeur soit « en règle » avec son établissement d’enseignement, et la demanderesse était bel et bien en règle. La raison pour laquelle celle-ci continuait de suivre des cours d’ALS, c’était afin d’améliorer sa compétence linguistique, en vue d’atteindre son but initial d’étudier la comptabilité.
[21] Pour ces motifs, je conclus que le refus de l’agente d’immigration de renouveler le permis d’études de la demanderesse était manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision soumise à l’examen est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.
[22] La présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale qui devrait être certifiée pour appel. La demanderesse a suggéré la question de savoir si l’agent d’immigration peut prendre en compte les progrès réalisés dans les études en vue de décider de renouveler ou non un permis d’études. Or, cette question est clairement réglée par l’alinéa 217(1)c) du Règlement, tel qu’exposé aux paragraphes 13 et 14 des présents motifs du jugement.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. la décision de l’agente d’immigration de refuser de renouveler le permis d’études de la demanderesse est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, trad. a., LL.L
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7338-05
INTITULÉ : THI MY LING DANG
c.
MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 JANVIER 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE 9 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Roxanne Haniff-Darwent POUR LA DEMANDERESSE
Brad Hardstaff POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet d’avocats Darwent POUR LA DEMANDERESSE
Calgary (Alberta)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
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