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Date : 20070108

Dossier : IMM‑2801‑06

Référence : 2007 CF 12

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

SHREE KUMAR RAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

Dossier : IMM‑2802‑06

ET ENTRE :

SHREE KUMAR RAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’examen des risques avant renvoi le concernant (la décision d’ERAR), en date du 25 avril 2006 (IMM‑2801‑06), qui lui a été défavorable, ainsi que le contrôle judiciaire de la décision, également défavorable, datée du 15 mai 2006 (IMM‑2802‑06), qui faisait suite à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les deux décisions ont été rendues par le même agent d’immigration.

 

2.         Les faits

[2]               Le demandeur, de nationalité népalaise, est né le 4 juin 1963 au Népal.

 

[3]               Il s’est joint en 1981 à la All Nepal National Free Student Union. Il soutient que, en raison de son appartenance à ce groupe, il a été arrêté et détenu pendant trois mois en 1985.

 

[4]               Le demandeur soutient que, en 1991, il s’est joint au United People’s Front (l’UPF) et qu’il a été arrêté en 1993 au cours d’une manifestation. Il a été détenu durant 10 jours, au cours desquels il a été battu et torturé. Il dit que son ami, détenu avec lui, est mort durant sa détention. Il dit aussi qu’il n’a été libéré qu’après que sa famille eut soudoyé la police.

 

[5]               Le demandeur affirme que, en 1995, il a de nouveau été arrêté par la police et accusé d’introduire des armes en contrebande au Népal. Il a été torturé durant sa détention et, lorsqu’on l’a libéré, on lui a dit qu’il devait cesser toutes activités politiques. Encore une fois, il ne fut libéré qu’après paiement d’un pot‑de‑vin.

 

[6]               Le demandeur soutient que, en février 1996, la police a fait une descente chez lui et, ne l’y trouvant pas, elle a plutôt arrêté et détenu son père, qui est plus tard décédé des suites des blessures subies durant sa détention.

 

[7]               Le demandeur est alors allé vivre à Katmandou pour s’y cacher, mais la police a fait là aussi une descente à l’endroit où il vivait.

 

[8]               Après un transit de deux jours par la Russie, le demandeur est arrivé au Canada le 24 juin 1996 et y a demandé l’asile le 23 juillet 1996.

 

[9]               Le 29 mars 2000, la CISR excluait le demandeur de la possibilité d’obtenir l’asile au motif de son appartenance à l’UPF, dont elle avait conclu qu’il s’agissait d’un groupement politique se livrant à des « activités terroristes », en contravention de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la décision de 2000). Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[10]           Le 12 juillet 2001, la Cour fédérale a fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée contre la décision de 2000 et a annulé la décision de la CISR après avoir conclu que la CISR s’était fourvoyée en concluant que la simple appartenance à l’UPF suffisait à justifier l’application de la section Fa) de l’article premier. L’affaire fut renvoyée, pour réexamen, devant une autre formation de la CISR, avec obligation pour elle de ne pas exclure le demandeur de la possibilité d’obtenir l’asile.

 

[11]           Le 9 novembre 2004, après réexamen de la demande d’asile, la CISR a jugé que le demandeur n’était pas exclu au titre de la Convention, mais elle a rejeté la demande d’asile parce que, selon elle, le demandeur n’était pas crédible dans sa relation des incidents qui l’exposaient à un risque, à savoir son appartenance à l’UPF (la décision de 2004).

 

[12]           Le 2 novembre 2005, le demandeur, invoquant des motifs d’ordre humanitaire, a demandé d’être exempté des exigences applicables aux visas d’immigrant. Le 24 mars 2006, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et déposé des arguments écrits à l’appui le 5 avril 2006. Les deux demandes ont été rejetées.

 

[13]           La demande d’ERAR a été rejetée le 25 avril 2006 et, le 16 mai 2006, au cours d’une entrevue avec un agent d’immigration, le demandeur a été informé que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait elle aussi été refusée.

 

[14]           Le 26 mai 2006, le demandeur a déposé deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire en vue d’obtenir le contrôle judiciaire à la fois de la décision d’ERAR et de la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire. C’est de ces deux demandes qu’il s’agit dans les présents motifs.

 

[15]           Le 12 juin 2006, le demandeur a obtenu de la Cour fédérale un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, jusqu’à l’issue finale de la demande de contrôle judiciaire portant sur la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire.

 

3.         Les points en litige

[15]           Les points suivants sont soulevés par le demandeur :

A.        L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur dans sa manière d’évaluer les risques auxquels serait exposé le demandeur s’il devait retourner au Népal?

B.         Les circonstances de la présente affaire font‑elles ressortir une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent d’ERAR?

C.        L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a appliqué un critère fautif dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire?

D.        L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale parce qu’il a consulté des sources extrinsèques de preuve concernant la situation au Népal, dans l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et celle de la demande d’ERAR, sans d’abord donner au demandeur l’occasion d’y réagir?

 

4.         Analyse

[16]           Les motifs ci‑après seront applicables aux deux décisions contestées, sauf indication contraire.

A.        L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur dans sa manière d’évaluer les risques auxquels serait exposé le demandeur s’il devait retourner au Népal?

 

[17]           La norme de contrôle applicable aux divers aspects de la décision d’un agent d’ERAR a été examinée en détail dans le jugement Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 437, [2005] A.C.F. n° 540 (QL). Après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, comme l’a imposé la Cour suprême dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 et dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, le juge Richard Mosley est arrivé à la conclusion suivante, au paragraphe 19 :

[…] Je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de droit et de fait, celle de la décision raisonnable simpliciter, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte […]

 

 

[18]           Il ressort aussi de la jurisprudence de la Cour que les conclusions touchant la crédibilité tirées par un agent d’ERAR sont révisables selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir le jugement Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27. Dans le jugement Figurado c. Canada, 2005 CF 347, le juge Martineau a quant à lui estimé que la norme de contrôle applicable lorsque la décision d’un agent d’ERAR est examinée « dans sa totalité » est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[19]           Je souscris à l’analyse et au raisonnement suivis par mes collègues dans les jugements ci‑dessus, et j’accepte donc leurs conclusions pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable.

 

[20]           Le premier point soulevé dans la présente instance est plus précisément la question de savoir si l’agent d’ERAR a négligé de tenir compte des éléments dont il était saisi, soit les conclusions qu’avait tirées la CISR dans sa décision de 2000 et qui portaient sur la crédibilité du demandeur.

 

[21]           Le demandeur fait valoir que l’agent est arrivé à une conclusion déraisonnable à propos des risques, en tenant pour acquis que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il prétendait avoir joué un rôle comme membre de l’UPF, ainsi que l’avait conclu la CISR dans la décision de 2004. Le demandeur dit que l’agent a laissé de côté la décision de 2000 de la CISR, où la CISR écrivait que le demandeur avait, « intentionnellement, délibérément et sciemment, participé à l’UPF », une organisation qui, selon elle, se livrait à des activités terroristes. Dans sa décision de 2000, la CISR avait donc estimé que le demandeur était exclu par l’effet de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

 

[22]           Le demandeur ne s’oppose pas à ce que l’agent prenne en compte les conclusions tirées par la CISR dans sa décision de 2004 et portant sur sa crédibilité. Il soutient cependant que l’agent aurait dû tenir compte des conclusions contraires tirées par la CISR dans sa décision de 2000. Je ne partage pas son avis. L’agent n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur les conclusions touchant sa crédibilité qui ont été tirées par la CISR dans sa dernière décision. La décision de 2000 avait été annulée par la Cour, qui avait ordonné que l’affaire soit renvoyée à une autre formation de la CISR, pour nouvel examen. La Cour avait aussi suggéré qu’on examine au cours de la nouvelle instruction expressément la question de savoir si le demandeur devait ou non être exclu de l’application de la Convention. L’instruction de la demande d’asile fut donc traitée de novo. Puisque la première décision a été annulée, la décision ultérieure de la CISR est celle qui détermine l’issue de la demande d’asile. Dans sa deuxième décision, la CISR a jugé que le demandeur n’était pas crédible sur la question de son appartenance à l’UPF. Il était loisible à l’agent, lorsqu’il a rendu sa décision, de considérer la décision de 2004 de la CISR touchant la crédibilité du demandeur. L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle du seul fait qu’il n’a pas pris en compte la conclusion antérieure tirée par la CISR dans sa décision de 2000 et touchant la crédibilité du demandeur, décision qui avait été annulée par la Cour et qui est donc nulle et sans effet.

 

B.         Les circonstances de la présente affaire font‑elles ressortir une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent d’ERAR?

 

[23]           Ce point n’est soulevé qu’au regard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La première allégation de partialité concerne le ministre. Le demandeur fait valoir que le ministre a adopté des positions opposées à propos de l’appartenance du demandeur à l’UPF. Durant la première audience tenue devant la CISR, le ministre avait adopté la position selon laquelle le demandeur était membre de l’UPF et qu’il devait donc être exclu de la possibilité d’obtenir l’asile. Cependant, le 25 avril 2006, l’agent d’ERAR, représentant du ministre, a conclu que le demandeur n’était pas membre de l’UPF. Le demandeur fait valoir que cette conclusion a ensuite été « copiée et collée » par le représentant du ministre dans sa décision relative aux motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir expliqué son changement de position, en affirmant que, lorsque le ministre adopte une position en tant que partie devant un tribunal indépendant, pour ensuite, par l’entremise de son représentant, l’agent d’ERAR, conclure différemment, et sans explication, comme ce fut le cas ici, cela suscite une crainte raisonnable de partialité.

 

[24]           Je souscris pour l’essentiel à l’argument du défendeur sur ce point. Le rôle du représentant du ministre devant la CISR et celui de l’agent d’ERAR sont distincts, et leurs pouvoirs et obligations selon la LIPR ne sont pas les mêmes. Dans un cas, le représentant du ministre agit comme partie devant la CISR, et dans l’autre l’agent d’ERAR est un décideur dont le rôle consiste à apprécier la preuve et à décider s’il convient ou non d’accorder protection à un demandeur d’asile. Les procédures sont différentes, et il ne faut pas se surprendre qu’un décideur indépendant puisse arriver à une conclusion autre que la position adoptée par le représentant du ministre sur un point donné. Les rôles ne sont tout simplement pas apparentés, ni ne devraient l’être. Il s’ensuit que le ministre n’est nullement tenu d’expliquer pourquoi son représentant a adopté devant la CISR, sur une question en litige, une position autre que la conclusion à laquelle est finalement arrivé un agent d’ERAR après un examen des risques avant renvoi. Il n’y a nul bien‑fondé dans l’argument du demandeur. Je suis d’avis que les circonstances évoquées ci‑dessus ne suscitent aucune crainte raisonnable de partialité.

 

[25]           Le demandeur affirme aussi que les circonstances suivantes suscitent une crainte raisonnable de partialité :

(1)        c’est le même agent d’ERAR qui a rejeté à la fois la demande d’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; et

(2)        la décision d’ERAR et la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire sont toutes deux motivées à peu près de la même façon.

 

[26]           À mon avis, aucun des deux arguments n’est recevable. Dans la décision Monemi c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1648, la juge Johanne Gauthier s’est exprimée sur le cas où le même agent se prononce sur les deux demandes. Dans ses motifs, elle écrivait ce qui suit, au paragraphe 36 :

La Cour ne peut partager l’opinion selon laquelle le législateur avait manifestement l’intention que ces demandes soient tranchées par des décideurs différents. En fait, le paragraphe 25(1) et l’article 112 de la LIPR énoncent clairement que ces demandes seront toutes deux tranchées par le ministre. Par conséquent, à proprement parler, la LIPR prévoit qu’une décision sera rendue par le même décideur. De façon évidente, le ministre a le droit de déléguer son pouvoir de rendre de telles décisions et il n’était pas contesté que l’agente d’ERAR disposait d’un pouvoir délégué approprié pour examiner les deux demandes.

 

[27]           Pour qu’un tel argument soit recevable, il doit exister une preuve de partialité. Voir la décision Haddad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 405, [2003] A.C.F. n° 579 (QL), où le juge Paul Rouleau écrivait ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8 :

Le demandeur soutient qu’il y aurait apparence de partialité parce que la même agente aurait traité la demande de dispense de visa pour des considérations humanitaires et la demande d’ERAR.

 

Cet argument ne peut être soutenu à moins de preuve; de plus cette Cour a reconnu qu’un décideur qui évalue les risques à deux reprises dans un dossier ne démontre pas, par ce fait même, de la partialité […]

 

Je souscris à l’analyse du juge Rouleau. Il n’existe en l’espèce aucune preuve de partialité de la part de l’agent d’ERAR.

 

[28]           Le demandeur allègue une autre source possible de partialité en disant que des motifs largement semblables ont conduit au rejet de la demande d’ERAR comme au rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Sur ce point, je partage l’avis exprimé par la juge Gauthier dans la décision Monemi. Aux paragraphes 40 et 41, elle écrivait ce qui suit :

De façon évidente, il y aura des cas dans lesquels les deux demandes se rapporteront à un fondement factuel ou probatoire similaire voire identique […]

 

En l’absence de preuve précise de partialité ou de conflit d’intérêts, l’évaluation unique des questions se rapportant aux faits et de la preuve ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité.

 

[29]           J’admets que la décision d’ERAR et la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire ont été formulées d’une manière semblable pour autant que soit concernée l’analyse du risque auquel serait exposé le demandeur. Cependant, la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire prend aussi en compte d’autres preuves, par exemple des lettres, un rapport clinique et des éléments portant sur le lien du demandeur avec le Canada. Ces facteurs n’ont pas été abordés dans la décision d’ERAR. De ce point de vue, les décisions sont différentes.

 

[30]           Je suis d’avis que le demandeur n’a pas établi qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, que ce soit parce que c’est le même agent qui a rendu les deux décisions, ou parce que les décisions étaient rédigées de la même façon quant au risque auquel était exposé le demandeur. Le demandeur n’a produit, au soutien de ses arguments, aucune preuve de partialité ou de conflit d’intérêts attribuables de l’agent d’ERAR.

 

C.        L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a appliqué un critère fautif dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire?

 

[31]           L’application du bon critère juridique par un agent d’ERAR soulève une question de droit, et l’application de ce critère à un ensemble donné de faits soulève une question mixte de droit et de fait. Dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, la Cour suprême a jugé que, selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, les questions de droit sont révisables d’après la norme de la décision correcte.

 

[32]           S’agissant de la décision discrétionnaire d’un agent d’immigration concernant l’existence de motifs d’ordre humanitaire, la juge Claire l’Heureux‑Dubé a jugé, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle applicable à la décision d’un représentant ministériel portant sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable simpliciter :

Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère «manifestement déraisonnable». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[33]           J’adopte le raisonnement et les conclusions des précédents susmentionnés pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable, et je suis d’avis que la norme applicable ici quant au choix du critère juridique requis dans l’appréciation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est la norme de la décision correcte, et que la norme de contrôle applicable à une décision de ce genre prise par un représentant ministériel est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[34]           Selon le demandeur, le critère applicable à une demande d’ERAR et celui applicable à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont différents. L’agent saisi d’une demande d’ERAR doit s’interroger si le demandeur a établi qu’il serait personnellement exposé à un risque pour sa vie ou pour son bien‑être physique, alors que l’agent saisi d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit s’interroger si le demandeur connaîtrait des difficultés inhabituelles, injustes ou indues en cas de renvoi dans son pays d’origine. Le demandeur soutient aussi que le niveau de preuve requis pour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est inférieur au niveau de preuve requis pour une demande d’ERAR, et que l’agent est investi d’un pouvoir discrétionnaire plus étendu dans le cas de la première demande. Le demandeur fait valoir que l’agent a été incapable de conserver un esprit ouvert dans l’examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et cela parce qu’il jugeait aussi la demande d’ERAR, et incapable également de comprendre la distinction entre les différents critères à appliquer. Le demandeur affirme donc que l’agent d’ERAR a appliqué le mauvais critère juridique dans sa décision portant sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[35]           Dans ses motifs, l’agent d’ERAR s’est abondamment référé à la décision de 2004 et a fait siennes les conclusions de cette décision qui portaient sur la preuve, à savoir le fait que le demandeur n’était pas crédible. Il est généralement admis que l’agent d’ERAR peut s’inspirer des conclusions tirées par la CISR, parce que la CISR a l’avantage de pouvoir tenir une audience et qu’elle est donc mieux placée que l’agent pour évaluer la crédibilité. Ici, l’agent a aussi considéré, dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire, d’autres éléments qui ne l’ont pas été dans la décision d’ERAR. Plus précisément, il a conclu que la lettre reçue de l’épouse du demandeur et celle reçue d’un ami ne suffisaient pas à appuyer les allégations du demandeur. Quant à la conclusion du rapport clinique, l’agent a estimé qu’elle était fondée sur les déclarations faites par le demandeur à l’auteur du rapport. L’agent a donc accordé peu de poids au rapport clinique. Quant aux autres documents, il a estimé qu’ils étaient trop généraux pour confirmer les risques personnels invoqués par le demandeur. Pour l’évaluation du niveau d’établissement du demandeur au Canada et pour celle de sa situation personnelle à l’étranger, l’agent d’ERAR a considéré les facteurs suivants : son âge et son statut, ses antécédents professionnels ici et au Népal, ses liens familiaux au Népal, ainsi que les lettres d’un employeur et de partenaires commerciaux.

 

[36]           La CISR n’avait pas jugé crédible le risque allégué par le demandeur, et l’agent d’ERAR a adopté ce point de vue, ce qu’il avait le droit de faire. Quant aux autres preuves produites, l’agent d’ERAR a conclu qu’elles ne confirmaient pas les risques personnels allégués par le demandeur. L’agent a conclu [traduction] « que les circonstances du demandeur ne sont pas telles qu’il serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s’il était tenu de présenter en dehors du Canada sa demande de résidence permanente ». En s’exprimant ainsi, l’agent exposait le bon critère à appliquer pour l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[37]           Au vu de la décision de l’agent relative aux considérations humanitaires, et au vu des motifs à l’appui de ladite décision, je suis d’avis que l’agent a appliqué le bon critère et n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a évalué la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Je suis également d’avis que, d’après la preuve, l’agent pouvait parfaitement conclure comme il l’a fait sur ladite demande.

 

D.        L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale parce qu’il a consulté des sources extrinsèques de preuve concernant la situation au Népal, dans l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et celle de la demande d’ERAR, sans d’abord donner au demandeur l’occasion d’y réagir?

 

[38]           Cette question se pose dans le contexte de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Selon le demandeur, l’agent d’ERAR a consulté deux articles de presse sur Internet, à savoir des reportages de la BBC datant d’avril 2006, où l’on faisait état d’événements encourageants survenus au Népal les 24 et 25 avril 2006, événements auxquels s’est référé l’agent. Dans ses motifs, l’agent d’ERAR écrivait : [traduction] « Heureusement, le 24 avril 2006, soucieux de stabiliser le pays, le roi a rétabli le Parlement et invité les partis d’opposition à désigner un premier ministre, ce qu’ils ont fait le 25 avril 2006. » Les reportages portent une date postérieure aux derniers arguments du demandeur concernant sa demande d’ERAR, qui furent communiqués à l’agent le 5 avril 2006. Les reportages n’ont pas été révélés au demandeur d’asile, et il n’a pas eu non plus la possibilité d’y réagir. Selon le demandeur, cette non‑divulgation revient à nier ses droits à l’équité procédurale.

 

[39]           Le défendeur rétorque que les sources consultées ne donnent que des renseignements généraux sur le pays et que lesdits renseignements n’étaient pas au cœur de la décision, laquelle était fondée sur le fait que la CISR avait jugé le demandeur non crédible et sur le fait que le demandeur n’avait pas produit d’autres preuves propres à réfuter cette conclusion.

 

[40]           Le critère est exposé dans l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, où le juge Robert Décary, rédigeant l’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale, résumait ainsi ses conclusions, au paragraphe 27 :

a) l’équité n’exige pas que l’agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue, avant de trancher l’affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s’ils étaient accessibles et s’il était possible de les consulter dans les Centres de documentation au moment où le demandeur a présenté ses observations;

 

b) l’équité exige que l’agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s’ils sont devenus accessibles et s’il est devenu possible de les consulter après le dépôt des observations du demandeur, à condition qu’ils soient inédits et importants et qu’ils fassent état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision.

 

[41]           La deuxième partie du critère de l’arrêt Mancia trouve ici application. Les documents provenant de sources publiques doivent être révélés s’ils sont inédits et importants et s’ils font état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur la décision. Je reconnais que les documents en cause sont inédits, puisqu’ils portent une date postérieure aux arguments présentés par le demandeur à l’agent d’ERAR. Les reportages relatent des événements qui intéressent la stabilité interne du Népal mais, à mon avis, ne font pas état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur la décision. Vu les conclusions antérieures de l’agent d’ERAR, pour qui le demandeur n’était pas politiquement actif au Népal et n’était pas crédible sur l’aspect de son appartenance à l’UPF, conclusions auxquelles, d’après moi, il pouvait parfaitement arriver, je suis d’avis que ses observations à propos des preuves contestées sont gratuites et non essentielles pour l’issue de la décision. Il eût été préférable pour l’agent d’ERAR de révéler au demandeur l’existence de ces reportages avant qu’il ne rende sa décision, mais à mon avis, l’évolution de la situation du pays, une évolution attestée par les documents publics non divulgués au demandeur, ne modifierait pas la décision. Je suis d’avis que, dans ces conditions, la non‑divulgation des reportages extrinsèques n’a pas porté atteinte aux droits du demandeur à l’équité procédurale.

 

5.         Dispositif

[42]           L’agent d’ERAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a rendu la décision d’ERAR et la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs ci‑dessus, les deux demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

 

[43]           Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale ainsi que le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR, et ils ne l’ont pas fait. Je suis d’avis qu’aucune question grave de portée générale ne se pose dans ce dossier. Je ne me propose pas de certifier une telle question.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE QUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi, en date du 25 avril 2006, est rejetée.

 

2.         La demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi, en date du 15 mai 2006, est rejetée.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM‑2801‑06 et IMM‑2802‑06

 

INTITULÉ :                                       Shree Kumar Rai c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Zoé Richard                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William Sloan                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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