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Date : 20061221

Dossier : T-1979-05

Référence : 2006 CF 1547

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

demanderesses

et

 

NOVOPHARM LIMITED et LE MINISTRE

DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'une requête présentée par la défenderesse Novopharm en vue du rejet de la demande au complet ou à l'égard d'au moins l'un des brevets ici en cause aux termes des dispositions du paragraphe 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, tel qu'il est régulièrement modifié. Pour les motifs ci‑après énoncés, je conclus que la requête doit être rejetée, les dépens devant suivre l'issue de la cause.

 

[2]               La demande en question se rapporte à l'une des instances relatives aux avis de conformité (AC) maintenant bien connues qui sont engagées devant la Cour dans les litiges continus qui surviennent entre les sociétés pharmaceutiques innovatrices et les fabricants de médicaments génériques. La drogue en question est communément connue sous le nom de ramipril et elle est vendue par la demanderesse, Sanofi‑Aventis, sous le nom ALTACE. Il n'est pas vraiment contesté que le ramipril est connu depuis un certain temps et qu'il a été utilisé dans le traitement de l'hypertension (l'ancienne utilisation). Le litige actuel, du moins jusqu'à fort récemment, se rapportait à quatre brevets portant sur les nouvelles utilisations du ramipril. Lors de l'audition de la présente requête, l'avocat de Novopharm m'a informé que deux de ces brevets ne sont peut‑être plus en cause, mais les avocats ne s'entendent pas sur le point jusqu'auquel ils ne le sont plus. Je reviendrai brièvement sur la question plus loin dans ces motifs. Il suffit de dire qu'au début de l'argumentation, l'avocat de Novopharm a limité les arguments de sa cliente à deux brevets, le brevet canadien 2 023 089, le brevet 089, qui, comme en a convenu l'avocat de Sanofi‑Aventis, portait sur une nouvelle utilisation du ramipril, à savoir le traitement de l'hypertrophie cardiaque et de l'hyperplasie, et le brevet canadien 2 055 948, le brevet 948, qui, comme en a convenu l'avocat du Sanofi‑Aventis, portait sur une nouvelle utilisation du ramipril, à savoir la prévention et le traitement de la protéinurie.

 

[3]               L'historique de la présente instance et de l'instance connexe est complexe; il s'avère nécessaire de donner des explications pour bien comprendre les questions soulevées dans la requête. Je tenterai de présenter l'affaire plus ou moins en ordre chronologique :

1.                  À divers moments, au cours de la période allant du mois d'octobre 1993 au mois de février 2001, Sanofi‑Aventis ou un prédécesseur a obtenu un certain nombre d'avis de conformité (AC) en vue de commercialiser diverses formes de ramipril au Canada. Sanofi‑Aventis était la société pharmaceutique innovatrice, pour parler en termes techniques. Il importe de noter que Sanofi‑Aventis n'a jamais obtenu d'AC pour quelque « nouvelle » utilisation que ce soit, ses AC étant limités à l'« ancienne » utilisation.

2.                  Le 22 juin 2001, Novopharm a acquis une partie du ramipril de Sanofi‑Aventis afin de l'utiliser comme produit de comparaison pour des études de bioéquivalence effectuées à l'appui de sa demande subséquente, appelée une présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN). Il importe de noter deux choses, à savoir en premier lieu qu'une étude de bioéquivalence porte simplement sur la question scientifique concernant la drogue qui se trouve dans l'organisme humain après avoir été administrée sous une forme quelconque; cette étude n'a rien à voir avec l'utilisation de la drogue. En second lieu, une PADN veut dire que si un médicament générique, comme celui de Novopharm, peut démontrer une bioéquivalence, il n'est pas nécessaire de procéder à un grand nombre des études cliniques effectuées par l'innovateur; on ne peut pas chercher à utiliser la drogue à d'autres fins que celles qui ont déjà été accordées à la société innovatrice dans l'AC préexistant.

3.                  Le 24 décembre 2001,  Novopharm a déposé sa PADN pour le ramipril à l'égard des anciennes utilisations, pour des comprimés contenant du ramipril en doses de 2,5, 5 et 10 mg.

4.                  Le 12 novembre 2002, le brevet 948, concernant une nouvelle utilisation du ramipril, a été accordé. Ce brevet a probablement été inscrit sur la liste de brevets de l'AC peu de temps après. Il importe de noter que cela s'est produit après que Novopharm eut déposé sa PADN pour les anciennes utilisations et que Sanofi‑Aventis n'a jamais obtenu d'AC pour la nouvelle utilisation dans le brevet 948.

5.                  Le 14 janvier 2003, le brevet 089 visait une autre nouvelle utilisation du ramipril. Ce brevet a probablement été inscrit lui aussi sur la liste de brevets de l'AC, mais peu de temps après, Novopharm a déposé sa PADN. Sanofi‑Aventis n'a jamais obtenu d'AC pour cette nouvelle utilisation.

6.                  Le 15 mars 2005, un autre brevet, le brevet 549, a été accordé et Sanofi‑Aventis l'a probablement inscrit sur la liste peu de temps après. Ce brevet se rapporte à une autre nouvelle utilisation connue sous l'acronyme HOPE. Encore une fois, cela s'est produit après que la PADN de Novopharm eut été déposée. Sanofi‑Aventis n'a jamais obtenu d'AC pour cette utilisation.

7.                  Le 14 octobre 2003, le ministre a approuvé la PADN de Novopharm, ce qui veut dire que Novopharm a satisfait aux exigences du  ministre, mais la demande a fait l'objet d'une « suspension quant au brevet » tant que les questions d'AC telles que celle qui est ici en cause n'étaient pas réglées.

8.                  Le 21 juin 2005, un dernier brevet (à ces fins), le brevet 387, a été accordé et Sanofi‑Aventis l'a inscrit sur la liste peu de temps après. Ce brevet se rapporte à une nouvelle utilisation HOPE. Ici encore, ce brevet a été accordé bien après que Novopharm eut déposé sa PADN et, dans ce cas‑ci, après que cette PADN eut été approuvée. Sanofi‑Aventis n'a jamais obtenu d'AC pour cette utilisation.

9.                  Le 12 février 2005, Novopharm a envoyé à Sanofi‑Aventis un avis d'allégation dans lequel elle affirmait que le brevet 206, qui n'est pas ici en litige, mais qui a apparemment été inscrit lui aussi sur la liste à l'égard du ramipril, n'était pas valide. Cette allégation a fait l'objet d'une autre instance devant la Cour dans le dossier T‑1965‑05, et d'une décision de la juge Tremblay‑Lamer sur laquelle nous reviendrons.

10.              Le 25 août 2005, Novopharm a déposé un supplément à une PADN (SPADN) pour ajouter à sa liste un comprimé à plus faible dose, une dose de 1,25 mg. Ce SPADN a été approuvé, sous réserve de la « suspension quant au brevet », le 3 août 2006.

11.              Le 14 septembre 2005, Novopharm a envoyé un avis d'allégation à Sanofi‑Aventis au sujet de ses comprimés de ramipril en doses de 1,25, de 2,5, de 5 et de 10 mg. Cet avis portait sur chacun des brevets 089, 948, 549 et 387. Il était allégué que Novopharm demandait une approbation uniquement pour les anciennes utilisations et pour aucune autre utilisation et que ces brevets ne seraient pas contrefaits. L'invalidité a également été alléguée à l'égard des brevets 549 et 387.

12.              Le 2 novembre 2005, la demande qui fait l'objet de la présente requête a été déposée devant la Cour. Sanofi‑Aventis contestait les allégations de Novopharm à l'égard des quatre brevets. Des affidavits ont été déposés par toutes les parties, qui se sont entendues sur un échéancier, et les contre‑interrogatoires ont en partie eu lieu, la date de l'instruction étant fixée au mois de juin 2007.

13.              Le 27 octobre 2005, la Cour, dans une instance entre Sanofi‑Aventis et un autre fabricant de médicaments génériques, Apotex, a statué que la demanderesse n'avait pas établi que l'allégation de non‑contrefaçon n'était pas justifiée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461).

14.              Le 10 juillet 2006, la Cour a tiré la même conclusion au sujet d'un autre fabricant de médicaments génériques, Pharmascience, quant au brevet 089 (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 861).

15.              Le 18 juillet 2006, la Cour a tiré une conclusion similaire à l'égard de Pharmascience pour le brevet 948 (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 898).

16.              Le 25 septembre 2006, la juge Danièle Tremblay-Lamer, de la présente cour, a conclu que l'instance que Sanofi‑Aventis avait engagée contre Novopharm à l'égard du brevet 206 constituait un abus de procédure, en ce sens que dans une instance antérieure relative à l'AC, la juge Anne L. Mactavish, de la présente cour, avait conclu que le brevet n'était pas valide, et ce, pour exactement les mêmes raisons que celles qui étaient alléguées dans l'affaire dont la juge Tremblay‑Lamer avait été saisie (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2006 CF 1135; juge Mactavish, Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283). Cette décision a été portée en appel et l'audience doit avoir lieu au mois de janvier 2007.

17.              Le 5 octobre 2006, le Règlement sur les AC a été modifié. Certaines modifications seront examinées ci‑dessous, mais elles comprennent des modifications au sujet de ce qui constitue une contrefaçon et empêchent l'adjonction de nouveaux brevets dans certaines circonstances. Les modifications portaient en particulier sur la question de savoir si les brevets concernant des utilisations non approuvées dans l'AC d'une société innovatrice pouvaient être inscrits sur la liste.

18.              Le 18 octobre 2006, la présente requête a été déposée; l'audience devait avoir lieu le 23 octobre 2006. Divers ajournements ont été demandés, de sorte que l'audience n'a eu lieu que le 19 décembre 2006.

19.              Le 3 novembre 2006, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49. Il s'agit d'une décision importante traitant de nombreuses questions associées aux AC et nous y reviendrons plus à fond ci‑dessous.

20.              Le 8 décembre 2006, le ministre a envoyé à Novopharm une lettre informant celle‑ci que, par suite de la décision rendue par la Cour suprême, Novopharm n'avait plus besoin de traiter des brevets 549 et 387 dans sa PADN, mais qu'elle devait néanmoins traiter des brevets 089 et 948. Novopharm a donc fait deux choses :

a)    le 15 décembre 2006, elle a présenté une demande à la Cour en vue de contester la décision selon laquelle les brevets 089 et 948 devaient être maintenus pour ce qui est de l'AC;

b)   elle a écrit à Sanofi‑Aventis et s'est désistée de son avis d'allégation au sujet des brevets 549 et 387.

21.              Le 13 décembre 2006, un autre fabricant de médicaments génériques, Apotex, a obtenu un AC à l'égard du ramipril. Sanofi‑Aventis a présenté une demande à la Cour en vue de faire annuler cet AC. Il semble qu'Apotex ait reçu du ministre une lettre semblable à celle que Novopharm avait reçue, dans laquelle les obstacles étaient apparemment levés au point de vue des brevets.

22.              Le 13 décembre 2006, un autre fabricant de médicaments génériques, Ratiopharm, a également obtenu un AC pour le ramipril. Sanofi‑Aventis n'a pas contesté cet AC. Novopharm désigne Ratiopharm comme étant un fabricant de médicaments génériques « autorisé », mais je ne dispose d'aucun élément de preuve à ce sujet.

23.              Le 6 décembre 2006, Sanofi‑Aventis a présenté une requête dans laquelle elle me demandait de me retirer de la présente affaire à cause d'une présumée crainte de partialité, requête que j'ai rejetée par une ordonnance en date du 8 décembre 2006. Sanofi‑Aventis a interjeté appel, me demandant d'ajourner l'audition de la requête tant qu'il ne serait pas statué sur l'appel; j'ai rejeté cette demande.

24.              Le 19 décembre 2006, la présente requête a été entendue et le jugement a été différé.

 

[4]               La requête, telle qu'elle avait été présentée par l'avocat de Novopharm, visait au rejet de la présente instance, en totalité ou en partie, à l'égard des brevets 089 et 948 ou de l'un d'entre eux, en vertu des dispositions de l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur l'AC, pour le motif qu'il s'agit d'une instance inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qui constitue autrement, à l'égard d'un ou des deux brevets, un abus de procédure.

 

[5]               Une objection préliminaire a été soulevée par l'avocat de Novopharm quant au bien‑fondé de l'affidavit de Junyi Chen, établi le 27 octobre 2006, que Sanofi‑Aventis avait déposé à l'appui de la position qu'elle avait prise dans la présente requête. L'objection, à laquelle je souscrivais, était que l'affidavit, tout en faisant foi des questions factuelles, était de la nature d'une argumentation, de sorte que, considéré dans son ensemble, il ressemblait clairement à un mémoire des points d'argumentation plutôt qu'à un simple exposé factuel. Il existe un précédent clair selon lequel il ne faut pas autoriser l'affidavit d'un membre d'un cabinet d'avocats qui plaide la requête, en particulier de quelqu'un qui soumet une preuve au sujet de questions contestées ou exprime une opinion (Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133). L'avocat de Sanofi‑Aventis semble avoir souscrit, avec hésitation, à cette observation. J'ai proposé, et les parties ont accepté, qu'afin de faire avancer l'affaire, l'affidavit demeure dans le dossier et qu'il soit possible de s'y reporter au besoin, mais uniquement quant aux questions factuelles non controversées, et qu'il ne soit pas tenu compte des arguments et des questions controversées.

 

[6]               Novopharm a fondé sa requête sur l'un ou l'autre de deux motifs indépendants; selon l'avocat, l'un ou l'autre de ces motifs ou les deux motifs entraîneraient le rejet de la présente instance à l'égard des deux brevets. Il s'agit des motifs suivants :

1.                  Selon Novopharm, la décision de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire AstraZeneca, précitée, a pour effet de rendre les brevets 089 et 948 non pertinents en ce qui concerne sa PADN, de sorte que l'instance engagée par Sanofi‑Aventis n'est pas pertinente;

 

2.                  La preuve relative à la contrefaçon par Novopharm n'est pas adéquate lorsqu'il s'agit de démontrer que l'allégation de non‑contrefaçon de Novopharm n'est pas justifiée et que la continuation de l'instance constituerait un abus de procédure.

 

[7]               L'avocat de Sanofi‑Aventis prend la position selon laquelle, même si le ministre a peut‑être fait savoir à Novopharm qu'elle n'avait pas à traiter des brevets 549 et 387 et même si Novopharm a informé par écrit Sanofi‑Aventis qu'elle abandonnait les parties de son avis d'allégation portant sur ces brevets, la demande présentée par Sanofi‑Aventis traite encore de ces deux brevets. Si je comprends bien, Sanofi‑Aventis ne veut pas encore prendre position au sujet de la question de savoir si ces deux brevets sont encore en litige dans la présente demande. Selon Novopharm, les brevets ne sont pas en litige, et pour les besoins de la présente requête, elle les a abandonnés. Je ne me prononcerai pas ici sur le statut de la présente demande quant à ces deux brevets.

 

[8]               J'examinerai chacun des deux motifs que Novopharm a invoqués pour soutenir que l'instance devrait être rejetée à l'égard des brevets 089 et 948. Toutefois, il importe tout d'abord d'examiner le sens de l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les AC.

 

[9]               L'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les AC n'existait pas, sous quelque forme que ce soit, lorsque le Règlement a été adopté en 1993. Les Règles de la Cour fédérale, par exemple l'article 419, prévoyaient qu'une action pouvait être rejetée pour des motifs comprenant la litanie de motifs maintenant énoncés à l'alinéa 6(5)b). Dans un arrêt qui est devenu classique dans ce domaine, David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, la Cour d'appel fédérale a refusé de radier une demande relative à un AC pour le motif que les Règles, et notamment l'article 5, prévoyant que la cour pouvait procéder par analogie, ne prévoyaient pas la radiation de demandes de ce genre. Voici ce que la cour a dit aux pages 597 et 598 :

La distinction entre une action et une requête devant la Cour fédérale est encore plus marquée lorsque la requête vise le contrôle judiciaire d'une décision, comme dans le cas des présentes demandes de prohibition soumises en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et tenues pour appartenir à cette catégorie d'instances. [...] Contrairement aux règles applicables aux actions, les Règles [...] touchant le contrôle judiciaire prévoient un calendrier précis pour la préparation de l'audition et confient à la Cour le rôle de s'assurer qu'aucun retard injustifié ne se produit. [...]. Ces éléments appuient l'opinion voulant que les requêtes en contrôle judiciaire doivent parvenir au stade de l'audition le plus rapidement possible. Les objections visant l'avis introductif d'instance peuvent ainsi être tranchées rapidement dans le contexte de l'examen du bien‑fondé de la demande.

 

[10]           En 1998, le Règlement a été modifié en vue d'inclure, entre autres choses, l'alinéa 6(5)b). Le commentaire figurant dans la Gazette du Canada, Partie II, volume 132, no 7, page 1057, dit simplement qu'un fabricant de médicaments génériques pourra solliciter le rejet de la demande présentée par le propriétaire du brevet, à un stade peu avancé, dans certaines circonstances. Par conséquent, il s'agit d'une disposition réparatrice; elle répond à l'objection soulevée dans l'arrêt David Bull et elle met les demandes relatives à un AC sur un pied d'égalité avec les actions intentées en vertu de l'article 419 des Règles de la Cour fédérale, telles qu'elles existaient alors, et avec l'article 221 des Règles, telles qu'elles existent à l'heure actuelle.

 

[11]           En mettant l'alinéa 6(5)b) sur un pied d'égalité avec l'ancien article 419 ou avec l'article 221 actuel des Règles, nous devons commencer par la proposition reconnue que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à savoir qu'une partie ne devrait pas être privée d'un jugement à un stade antérieur au procès, à moins qu'il ne soit « évident et manifeste » que l'affaire n'a aucune chance de succès. En examinant une demande, plutôt qu'une action, la Cour d'appel fédérale a dit, dans l'arrêt Norton c. Via Rail Canada (2005), 255 DLR (4th) 311, paragraphe 15, que la radiation d'une demande avant l'audience est un recours extraordinaire, qui n'est accordé que dans des circonstances bien définies. Enfin, il convient de citer une autre décision classique de la Cour, Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732, page 736 :

(3)  Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu'elle est vexatoire ou futile, ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l'avis du juge qui préside l'audience, l'action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d'avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l'affaire sera plaidée au fond. C'est uniquement dans ce cas qu'il y a lieu d'enlever au demandeur l'occasion de plaider.

 

[12]           Compte tenu des principes généraux, il convient d'examiner certaines décisions dans lesquelles l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les AC a été examiné :

1.                  Dans l'affaire Hoffmann LaRoche Ltée c. Canada, (1999), 87 C.P.R. (3rd) 251 (C.F.), la Cour a rejeté une demande dans laquelle il était démontré que la demanderesse, l'innovateur, avait omis de prendre les mesures appropriées, dans le bon ordre, à l'égard du dépôt de son AC. La demande a été rejetée étant donné que l'omission de suivre l'ordre prévu était fatale.

 

2.                  Dans plusieurs cas, il y avait déjà eu un litige antérieur opposant les mêmes parties au sujet d'un AC. Un litige portant sur un AC subséquent entre les mêmes parties et concernant les mêmes brevets a été rejeté pour le motif qu'il s'agissait d'un abus. Mentionnons entre autres Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Limited, (2005), 46 C.P.R. (4th) (C.F.); AB Hassle c. Apotex Inc., (2005), 38 C.P.R. (4th) et Glaxo Group Ltd. c. Canada, 2006 CFPI 16.

 

3.                  Il y a deux affaires où, dans une décision antérieure concernant un AC, un brevet avait été jugé invalide et un autre fabricant des médicaments génériques, dans une demande ultérieure concernant le même brevet, avait sollicité le rejet en invoquant la conclusion d'invalidité antérieurement tirée. Dans l'arrêt Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., (2006) CAF 210, la Cour d'appel fédérale a statué que lorsque le fabricant de médicaments génériques dans une instance ultérieure allègue l'invalidité en invoquant un motif différent de celui pour lequel il avait antérieurement été conclu à l'invalidité, l'instance ne devait pas être rejetée. Dans la seconde décision, la juge Tremblay‑Lamer, de la présente cour, a statué que lorsque le brevet a été jugé invalide dans la première instance pour le motif d'invalidité même qui est invoqué par le fabricant de médicaments génériques dans la seconde instance, la continuation de la seconde instance constituerait un abus, entraînant le rejet de la demande, voir Sanofi‑Aventis Pharma Inc. c. Novopharm Limited, 2006 CF 1135. Cette décision fait maintenant l'objet d'un appel.

 

[13]           Il ne semble pas y avoir de précédent qui porte directement sur les motifs de rejet invoqués dans la présente requête, que j'examinerai maintenant au fond.

 

Premier motif Effet de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire AstraZeneca

[14]           La situation à laquelle faisait face la Cour suprême du Canada dans l'affaire AstraZeneca, précitée, a été résumée brièvement dans le sommaire de la décision, que je reproduirai ici :

En 1989, l'intimée Astra, fabricant innovateur, obtient du ministre de la Santé un avis de conformité (AC) lui permettant de commercialiser sa drogue oméprazole pour traitement des affections de l'estomac causées par l'acidité. La drogue est vendue au Canada sous le nom de Losec 20 de 1989 à 1996, date à laquelle Astra décide de la retirer du marché et de la remplacer par une autre formulation. Le brevet d'Astra pour l'oméprazole expire en 1999. En 2002, malgré l'absence du Losec 20 sur le marché, Astra obtient et enregistre auprès du ministre de la Santé deux autres brevets relatifs au Losec 20, mais elle n'incorpore cette nouvelle technique dans aucun de ses produits. En 1993, Apotex dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle en vue d'obtenir un AC pour sa version générique de l'oméprazole, en comparant son produit à la version de 1989 du Losec 20 d'Astra. Le ministre décide qu'Apotex n'est pas tenue de traiter des brevets « post‑délivrance » et lui accorde l'AC en 2004. Astra demande le contrôle judiciaire de cette décision et le juge des requêtes confirme la décision du ministre. La Cour d'appel fédérale infirme ce jugement et annule l'AC d'Apotex.

 

[15]           La Cour suprême a accueilli l'appel et a annulé la décision de la Cour d'appel fédérale. Il importe de noter que les deux brevets en litige portaient sur des caractéristiques physiques de la drogue, l'une se rapportant à une formulation particulière et l'autre à une forme cristalline particulière. Ni l'un ni l'autre brevet ne portait sur de nouvelles utilisations. L'innovateur a pu inscrire ces brevets au moyen d'un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN) qu'il a déposé, lequel portait sur une nouvelle utilisation, et ce, même si les brevets ne se rapportaient pas à la nouvelle utilisation. Le fabricant de médicaments génériques voulait copier la drogue sous son ancienne forme pour l'ancienne utilisation. Comme le juge Binnie l'a dit au paragraphe 21 :

21     J'insiste sur les termes du par. 4(5) selon lesquels, dans le cas des brevets ajoutés ultérieurement, « la première personne ... doit indiquer la demande d'avis de conformité à laquelle se rapporte la liste ou la modification, en précisant notamment la date de dépôt de la demande ». Par ailleurs, le par. 3(3) prévoit qu'« [a]ucun renseignement soumis aux termes de l'article 4 n'est consigné au registre avant la délivrance de l'avis de conformité à l'égard duquel il a été soumis ». Ces dispositions me paraissent fournir un élément clé pour la compréhension du régime. L'inscription de la « liste de brevets » ne détruit pas le lien entre le brevet et les demandes auxquelles il se rapporte, ni le lien avec l'AC visant les demandes. Des brevets précis sont associés à un ou plusieurs PDN, PADN ou SPDN, qui (s'ils sont approuvés) donnent lieu à des AC précis. Ceux-ci approuvent à leur tour un produit en particulier qu'un fabricant de produits génériques peut vouloir copier. Il n'existe aucun lien entre les brevets 037 et 470 et les demandes qui donnent lieu au Losec 20 copié par Apotex. AstraZeneca a indiqué ces brevets obtenus ultérieurement à l'égard du SPDN du 22 janvier 1999 pour un nouvel usage thérapeutique du Losec 20 (traitement de H. Pylori) - usage pour lequel le produit d'Apotex n'a pas été approuvé - et à l'égard du SPDN présenté par AstraZeneca le 12 juillet 2000, qui est de nature administrative et qui n'a rien à voir avec la technique incorporée au Losec 20.

 

[16]           Le juge Binnie a énoncé l'argument de l'innovateur et la décision de la Cour d'appel fédérale au paragraphe 23 :

23     AstraZeneca s'appuie sur l'arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140, 2003 CAF 24, pour affirmer qu'une liste de brevets est soumise à l'égard d'une drogue et non d'une demande en particulier. En l'espèce, c'est également l'avis de la majorité de la Cour d'appel fédérale. Selon ce point de vue, la « première personne » pourrait perpétuer son produit en ajoutant de nouveaux brevets de peu d'importance qui déclencheraient une série indéfinie de gels de 24 mois prévus par la loi, même si les brevets inscrits ultérieurement ne font pas l'objet des « travaux préalables » effectués par le fabricant de produits génériques et que celui-ci n'en tire aucun avantage (comme c'est le cas en l'espèce). Comme en témoigne la présente affaire, AstraZeneca a même réussi à greffer les brevets 037 et 470 au SPDN, qui est de nature administrative. Une interprétation qui empêcherait un fabricant de mettre sur le marché un produit générique pour encore au moins deux ans dans les circonstances, alors qu'AstraZeneca a retiré son produit en 1996, va à l'encontre des fins limitées autorisées au par. 55(4) de la Loi. On ne peut présumer que le par. 4(5) du règlement insiste sans raison sur la nécessité d'établir un lien entre des brevets précis et des demandes précises.

 

[17]           Il a été jugé que les arguments invoqués étaient erronés. Sans reproduire le reste de la décision, il vaut la peine de citer les paragraphes suivants, qui illustrent le point de vue de la Cour suprême :

35      À mon avis, les règles qui régissent les drogues de comparaison acceptables donnent un indice supplémentaire important quant à l'intention du législateur. Si, comme l'indique l'al. b), une drogue ne peut, à moins d'être jugée acceptable par le ministre, servir de comparaison « parce qu'elle n'est plus commercialisée au Canada », il semble évident qu'une drogue qui n'a jamais été commercialisée au Canada ne peut être utilisée à cette fin. D'où l'importance du fait qu'AstraZeneca n'a jamais lancé sur le marché de produit fondé sur ses dernières demandes à l'égard desquelles ont été inscrits les brevets 037 et 470.

 

36      Dans cette perspective, il me semble inéluctable que le terme « une autre drogue » au par. 5(1) renvoie à la véritable drogue de comparaison - et non à une drogue qui n'a jamais été disponible pour comparaison - et que le membre de phrase « à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue » revêt le même sens.

 

37      L'ensemble de l'obligation que le Règlement AC impose au fabricant de produits génériques se fonde sur ses « travaux préalables » à l'égard des brevets qu'il incorpore à « une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence ». La seule drogue qui correspond à cette description est la version du Losec 20 approuvée dans l'AC du 19 juin 1989.

 

H. L'objet général de la loi

38      Je répète que le législateur a pris le Règlement AC dans le but déclaré de permettre aux fabricants d'effectuer les travaux préalables relatifs à l'invention brevetée (par. 55.2(4)). Comme Apotex n'a pas utilisé les inventions brevetées décrites aux brevets 037 et 470, elle n'a pas à cet égard contrevenu au Règlement AC.

 

39      En imposant le délai de 24 mois prévu par le Règlement AC, la Cour d'appel fédérale compromet l'atteinte de l'équilibre recherché par le législateur entre les objectifs de la LAD et son règlement (mettre à la disposition du public des drogues efficaces et non nocives) et ceux de la Loi sur les brevets et son règlement (prévenir le recours abusif à l'exception à la contrefaçon de brevets qui concerne les travaux préalables). Étant donné la stratégie commerciale évidente (et tout à fait compréhensible) des sociétés pharmaceutiques innovatrices qui consiste à perpétuer les brevets à l'égard de leurs produits en ajoutant des caractéristiques secondaires à un produit originel même après l'expiration du brevet relatif à ce produit, la décision de la Cour d'appel fédérale récompenserait cette pratique même si le fabricant de produits génériques (et donc le public) ne retire aucun bénéfice des brevets inscrits ultérieurement au registre. À mon avis, le par. 5(1) du Règlement AC exige une analyse portant sur des brevets précis, à savoir que le fabricant de produits génériques n'a besoin de traiter que des brevets inscrits à l'égard des demandes visées par l'AC relatif à la drogue de comparaison, en l'occurrence la version de 1989 du Losec 20.

 

40      Si AstraZeneca avait commercialisé un produit Losec 20 fondé sur les AC obtenus ultérieurement et si Apotex avait fait référence à ce produit modifié pour démontrer la bioéquivalence de son produit, Apotex aurait eu à déposer un avis d'allégation à l'égard des brevets 037 et 470.

 

41      Or, il est clair qu'AstraZeneca n'a jamais commercialisé de produit fondé sur les AC subséquents et que les conditions préalables à toute obligation que pourrait avoir Apotex aux termes du par. 5(1) ne sont donc pas réunies.

 

[18]           Dans la présente instance, la drogue physique est la même, à savoir du ramipril. En ce qui concerne la bioéquivalence, il importe uniquement de savoir comment la drogue du fabricant de médicaments génériques agit sur l'organisme humain par rapport à celle de l'innovateur; il importe peu qu'il y ait une nouvelle utilisation.

 

[19]           Quant à la nouvelle utilisation, l'innovateur, Sanofi‑Aventis, n'a jamais obtenu d'approbation; il n'a jamais obtenu d'AC pour la nouvelle utilisation revendiquée dans les brevets en litige. L'innovateur n'a jamais vendu son ramipril au Canada pour de nouvelles utilisations. Les brevets portant sur la nouvelle utilisation visent uniquement, semble‑t‑il, à faire obstacle à un lancement prématuré du produit, sur le marché de l'ancienne utilisation, par le fabricant de médicaments génériques. Aux dires de Novopharm, les motifs énoncés par la Cour suprême, aux paragraphes 35 et 42, sont importants lorsqu'il s'agit de décider qu'un brevet ne se rapportant pas à un produit qui a été commercialisé par l'innovateur n'a pas à être traité par le fabricant de médicaments génériques :

35      À mon avis, les règles qui régissent les drogues de comparaison acceptables donnent un indice supplémentaire important quant à l'intention du législateur. Si, comme l'indique l'al. b), une drogue ne peut, à moins d'être jugée acceptable par le ministre, servir de comparaison « parce qu'elle n'est plus commercialisée au Canada », il semble évident qu'une drogue qui n'a jamais été commercialisée au Canada ne peut être utilisée à cette fin. D'où l'importance du fait qu'AstraZeneca n'a jamais lancé sur le marché de produit fondé sur ses dernières demandes à l'égard desquelles ont été inscrits les brevets 037 et 470.

 

[...]

 

42      Apotex reconnaît que son AC du 27 janvier 2004 ne lui permet pas de préparer un produit dont la formule ou la fabrication correspondent à celles décrites aux brevets 037 et 470 ni de prétendre que son produit est indiqué pour le traitement de H. Pylori. Notre avis en l'espèce n'a trait qu'aux obligations que lui impose le Règlement AC. AstraZeneca a semblé laisser entendre à divers moments au cours de l'audience qu'Apotex viole en fait les brevets d'AstraZeneca. Si c'est le cas (et nous ne disposons de preuve ni dans un sens ni dans l'autre), AstraZeneca conserve bien sûr tous ses recours prévus par la Loi sur les brevets, y compris, si les circonstances le justifient, l'injonction interlocutoire. La présente décision a pour seule conséquence en matière de brevets d'empêcher AstraZeneca de se prévaloir du gel de 24 mois sans aucune preuve de contrefaçon de brevet.

 

 

[20]           Sanofi-Aventis affirme que l'arrêt AstraZeneca doit être limité au cas où la drogue, dans sa forme physique brevetée, n'a jamais été commercialisée. Elle affirme que, dans ce cas‑ci, la drogue est sous sa forme physique et qu'elle a été commercialisée; la drogue a été achetée par Novopharm et elle a été utilisée comme produit de comparaison pour les études de bioéquivalence. Les brevets se rapportant à la « nouvelle » utilisation sont pertinents.

 

[21]           Il se peut que la divergence de vues, en ce qui concerne l'interprétation de la décision rendue par la Cour suprême, puisse être résolue dans le cadre d'une requête telle que celle qui nous occupe. Toutefois, il y a une complication. Dans la lettre qu'il a envoyée à Novopharm le 8 décembre 2006, le ministre ne souscrit pas à l'opinion de Novopharm, du moins dans la mesure où cette opinion se rapporte aux brevets 089 et 948 ici en cause, au point que Novopharm a engagé une autre instance devant la Cour en vue de faire annuler la décision du ministre. Je ne reproduirai pas au complet l'opinion exprimée par le ministre au sujet de la décision étant donné qu'elle est longue, mais le ministre dit notamment ceci :

[traduction] La décision AstraZeneca découlait d'un fondement factuel inhabituel, à savoir l'adjonction à une liste de brevets d'une drogue qui n'était plus commercialisée, mais il semble que le juge Binnie, au nom de la cour, ait procédé à une analyse plus générale quant à la question de savoir de quels brevets une seconde personne doit traiter aux termes de l'article 5 du Règlement sur les MB (AC). Au paragraphe 39, le juge Binnie a statué qu'il faut procéder à une « analyse portant sur des brevets précis » afin de savoir de quels brevets inscrits dans le registre des brevets une seconde personne doit traiter en vertu du Règlement sur les MB (AC). Le juge a ensuite ajouté qu'une seconde personne « n'a besoin de traiter que des brevets inscrits à l'égard des demandes visées par l'AC relatif à la drogue de comparaison ».

 

[...]

 

Si, à la fin de l'analyse portant sur des brevets précis, il est conclu qu'une seconde personne n'est pas tenue de traiter d'un brevet donné, le BMBL se demandera si la loi empêche le ministre de délivrer l'AC pertinent par suite de l'octroi d'une ordonnance d'interdiction en faveur de la première personne aux termes de l'article 6 du Règlement sur les MB (AC) ou à cause des exigences applicables à la délivrance d'un AC aux termes de l'article 7. Le BMBL ne délivrera pas d'AC si la loi l'empêche de le faire.

 

 

[22]           Une requête visant le rejet ne doit pas être utilisée pour régler des points de droit importants controversables, et ce, particulièrement dans un domaine du droit qui est en pleine évolution (Daniels c. Canada [2002] 4 C.F. 550). C'est pourquoi je ne rejetterai pas l'instance à l'égard du brevet 089 et du brevet 948 en me fondant sur ce motif.

 

Deuxième motif : Existe-t-il suffisamment d'éléments de preuve à l'égard de la question de la non‑contrefaçon?

 

[23]           La question de la contrefaçon dans une instance concernant un AC est exprimée d'une façon compliquée. Une fois qu'un fabricant de médicaments génériques a déclaré, dans son avis d'allégation, qu'un brevet ne sera pas contrefait, l'innovateur, dans une instance relative à l'AC engagée devant la Cour, a la charge de démontrer que cette allégation n'est pas justifiée (Laboratoires Abbott Limitée c. Novopharm Limited, 2006 CF 1411, paragraphe 10).

 

[24]           Les parties concèdent qu'après un début controversable, la jurisprudence relative à l'utilisation par un fabricant de médicaments génériques est maintenant bien établie. La simple vente par un fabricant de médicaments génériques d'une ancienne drogue pour une ancienne utilisation ne contrefait pas un brevet portant sur une nouvelle utilisation de cette drogue, à moins que la preuve ne révèle « quelque chose de plus » que la vente, ce qui comprendrait faire en sorte que d'autres personnes se livrent à une contrefaçon ou inciter d'autres personnes à se livrer à une contrefaçon (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 357). La preuve montrant qu'il y aurait des utilisations d'une drogue « non indiquées sur l'étiquette », en ce sens que les médecins peuvent prescrire, que les pharmaciens peuvent préparer et que les patients peuvent consommer d'anciennes drogues pour de nouvelles utilisations, n'est pas suffisante pour que le fabricant de médicaments génériques soit impliqué dans la contrefaçon selon la définition figurant dans le Règlement sur les AC à moins qu'il ne soit démontré que ce dernier fait « quelque chose de plus » que le fait de simplement offrir la drogue pour l'ancienne utilisation.

 

[25]           Novopharm déclare qu'en l'espèce, la preuve ne démontre pas qu'il y a « quelque chose de plus ». Elle affirme que Sanofi‑Aventis a déposé tous ses affidavits dans l'instance et qu'aucun d'entre eux ne démontre l'existence de « quelque chose de plus ». Dans la mesure où la preuve de Sanofi‑Aventis portait sur le brevet 089 ou sur le brevet 948, cette preuve se rapporte simplement à l'allégation selon laquelle il y aura des utilisations « non indiquées sur l'étiquette », c'est‑à‑dire le même genre de preuve que celle que les tribunaux ont jugée insuffisante.

 

[26]           Sanofi-Aventis dit que la preuve n'est pas encore complète, en ce sens qu'elle n'a pas encore terminé le contre‑interrogatoire de tous les déclarants de Novopharm. Selon Novopharm, l'espoir que les contre‑interrogatoires révéleront peut‑être quelque chose d'inattendu n'est qu'une pure conjecture. Aux dires de Novopharm, une partie ne peut pas, dans une instance, se fonder uniquement sur un tel espoir (Kastner c. Painblanc, [1994] A.C.F. no 1671 (C.A.)).

 

[27]           Sanofi-Aventis affirme également que Novopharm a uniquement fourni une version expurgée d'un projet de monographie et d'étiquetage de produit. Sanofi‑Aventis affirme que tant qu'elle ne recevra pas une attestation de la monographie et de l'étiquetage réels à utiliser sous une forme non expurgée, la Cour ne disposera pas d'un nombre suffisant d'éléments de preuve au sujet de la question de la contrefaçon. Elle signale certaines décisions telles que les décisions Abbott, précitée, et ABHassle c. Genpharm Inc., 2003 CF 1443, où certains renseignements contenus dans une monographie de produit ont été jugés suffisants pour constituer le « quelque chose de plus » exigé par la jurisprudence.

 

[28]           Selon Novopharm, la preuve montre clairement que la monographie et les étiquettes sont celles qu'elle a l'intention d'utiliser et que les expurgations n'ont rien à voir avec la question de la « nouvelle utilisation ». Ces expurgations se rapportent aux formulations ou aux « chiffres seulement » concernant les essais cliniques. On peut encore se demander pourquoi, puisqu'une ordonnance de confidentialité a été rendue dans ce cas‑ci, Novopharm n'aurait pas tout simplement remis une copie non expurgée de la monographie et de l'étiquetage. Le mystère, le cas échéant, aurait été éclairci.

 

[29]           En outre, Sanofi‑Aventis signale un passage de la monographie de produit proposée de Novopharm, non expurgée, qui dit ce qui suit :

[traductionDose recommandée et ajustement du dosage

 

Hypertension artérielle essentielle

Le dosage du NOVO-RAMIPRIL (ramipril) doit être individualisé. Au début du traitement, il faut tenir compte du traitement récent au moyen de drogues antihypertensives, du point jusqu'auquel la pression artérielle est élevée et des restrictions relatives au sel. Il peut également être nécessaire d'ajuster le dosage d'autres agents antihypertenseurs qui sont utilisés en plus du NOVO‑RAMIPRIL.

 

[30]           Aux dires de Sanofi‑Aventis, cette déclaration, si l'on y ajoute la preuve d'un de ses experts, peut amener certains patients à combiner le ramipril générique et une autre drogue en vue d'arriver à une nouvelle utilisation revendiquée au moins par le brevet 948.

 

[31]           Novopharm dit qu'une telle conjecture constitue de fait une preuve très faible, qui n'est absolument pas suffisante pour qu'il soit possible de conclure qu'une allégation de non‑contrefaçon n'est pas justifiée.

 

[32]           Quant à ce second motif, Sanofi‑Aventis soulève une autre objection à la requête présentée par Novopharm. Comme l'a dit l'avocat de Sanofi‑Aventis, Novopharm a [traduction] « déjà engagé le processus », de sorte que les parties ont déposé leur preuve principale, que les contre‑interrogatoires ont en partie eu lieu et que la date d'instruction a été fixée. Selon lui, étant donné qu'il s'agit d'une procédure sommaire, il ne faudrait pas examiner, à ce stade, une requête en vue du rejet. Les tribunaux judiciaires ont considéré pareil argument comme une tactique dilatoire (Sofila Canada Inc. c. Contour Optic Inc., 2005 CF 278; Inventions Armand Morin Inc. c. Risley Mfg. Ltd., 2005 CF 362).

 

[33]           Je ne tire aucune conclusion au sujet de la preuve qui figure au dossier à l'heure actuelle, même si je suis plutôt sceptique lorsqu'il s'agit de savoir si l'on doit laisser une partie poursuivre l'affaire simplement parce qu'elle pourrait obtenir quelque chose d'utile par suite du contre‑interrogatoire. Toutefois, s'il est à la fois tenu compte du peu d'éléments de preuve qui existent ou qui peuvent exister et du fait que la présente instance a été engagée il y a plus d'un an et que l'instruction doit avoir lieu d'ici six mois, je ferai remarquer que, pour ce motif, la requête aurait pu être présentée au début de l'affaire, juste après que Sanofi‑Aventis eut déposé sa preuve par affidavit, et je conclus qu'il ne convient pas de rejeter maintenant l'instance pour ce motif. Maintenant que l'affaire en est arrivée à ce point, il est préférable de laisser la question de la suffisance de la preuve relative à la question de la contrefaçon être tranchée à l'instruction.

 

[34]           Les avocats des parties ont indiqué qu'ils coopéreraient en vue d'obtenir une date d'instruction antérieure à celle qui a été fixée et je les encourage à demander au bureau du juge en chef de déterminer s'il est possible de procéder plus tôt à l'instruction.

 

[35]           Quant aux dépens, il est préférable de régler la question à l'instruction. Les dépens suivront l'issue de la cause.

 

 

 


 

ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS :

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête est rejetée;

2.                  Les dépens suivront l'issue de la cause.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T-1979-05

 

INTITULÉ :                                             SANOFI-AVENTIS

                                                                  c.

                                                                  NOVOPHARM LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 19 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 21 DÉCEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Gunnars Gaikis

J. Sheldon Hamilton

Mark Beirnacki

 

POUR LES DEMANDERESSES

Jonathan Stainsby

Mark Edward Davis

 

Personne n'a comparu

POUR LA DÉFENDERESSE,

NOVOPHARM LIMITED

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Heenan Blaikie LLP

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE,

NOVOPHARM LIMITED

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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