Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
demandeur
et
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Puvaneswaran sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile. La question déterminante était la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de M. Puvaneswaran n’était pas crédible. La demande est rejetée parce que je conclus que la décision de la Commission ne renferme aucune erreur susceptible de contrôle.
[2] Dans son mémoire supplémentaire modifié, M. Puvaneswaran a soulevé les cinq questions suivantes :
[traduction]
1. Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en omettant d’examiner et d’appliquer la preuve objective qui est au coeur de la demande, à savoir l’extorsion à laquelle se livraient les TLET et la crainte qu’il avait d’être tué par les TLET qui le soupçonnaient d’être un espion de l’armée?
2. Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des persécutions subies dans le passé par le demandeur?
3. La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en examinant les notes prises au point d’entrée qui ont été obtenues en violation du guide des opérations?
4. Le membre de la SPR a‑t‑il mal interprété la preuve dont il disposait et a‑t‑il tiré, au sujet de la crédibilité, des conclusions de fait si manifestement déraisonnables et abusives qu’elles constituaient une erreur susceptible de contrôle?
5. Le demandeur s’est‑il vu refuser l’équité procédurale et l’application régulière de la loi pour ce qui est de la tenue d’une audience équitable devant la SPR lorsqu’on a enjoint à l’APR de procéder d’abord au contre‑interrogatoire du demandeur avant que celui‑ci présente sa preuve au tribunal, compte tenu en particulier du fait que le demandeur avait été victime de violence?
[3] Au cours des débats à l’audience, l’avocat de M. Puvaneswaran a fait savoir qu’il ne poursuivait pas la cinquième question se rapportant aux Directives no 7 . À la fin des débats, la Cour a indiqué que la demande de contrôle judiciaire serait rejetée. Voici les motifs de cette décision.
[4] Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la question déterminante qui se posait devant la Commission était celle de la crédibilité. La Commission a critiqué le fait qu’en présentant sa demande, M. Puvaneswaran a déclaré, tant dans le questionnaire sur les renseignements généraux qu’à l’entrevue avec un agent d’immigration, qu’il n’avait jamais été arrêté. Toutefois, à l’audience concernant le statut de réfugié, M. Puvaneswaran a déclaré avoir été arrêté six fois. Interrogé sur cette incohérence, M. Puvaneswaran a répondu qu’à son arrivée au Canada, il était fatigué, nerveux et qu’il craignait d’être expulsé. La Commission n’a pas retenu cette explication mais a conclu qu’il s’agissait d’une contradiction importante au coeur même de la demande étant donné que c’était la prétendue arrestation par l’armée en mars 2005 qui avait amené M. Puvaneswaran à décider de s’enfuir au Canada, en mai 2005.
[5] Lors de sa déposition orale, M. Puvaneswaran a déclaré craindre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), l’Organisation de libération du peuple tamoul de l’Eelam (l’OLP), la police, l’armée et le Parti démocratique du peuple de l’Eelam. Toutefois, dans ses documents d’immigration, M. Puvaneswaran a uniquement indiqué qu’il craignait les TLET. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette omission, M. Puvanesrawan a encore une fois affirmé qu’il était fatigué et nerveux lorsqu’il a rempli les formulaires d’immigration. La Commission n’a pas jugé cette explication suffisante parce que la crainte de l’armée et de l’OLP était à l’origine de la demande.
[6] La Commission a également conclu à l’existence d’une contradiction quant aux allées et venues de la femme et des enfants de M. Puvaneswaran. Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), M. Puvaneswaran a indiqué que sa femme et ses enfants étaient à Vavunyia, mais dans le formulaire de renseignements généraux, il avait déclaré que [traduction] l’« adresse actuelle » de sa femme était à Jaffna. À l’audience, M. Puvaneswaran a déclaré que sa famille avait vécu chez un ami à Vavunyia pendant environ deux semaines et qu’elle était ensuite retournée chez elle.
[7] M. Puvaneswaran a également allégué qu’on lui avait dit, à la mi‑juin 2005, que les TLET étaient venus ramasser les 500 000 roupies qu’ils avaient exigées parce qu’ils alléguaient qu’il fournissait à l’armée des renseignements à leur sujet. Toutefois, dans le FRP (signé le 24 juin 2005), il n’y a aucune mention de cet événement. M. Puvaneswaran a expliqué que sa femme avait dit aux TLET qu’il avait quitté le pays et que, par la suite, les TLET n’avaient plus embêté celle‑ci. Compte tenu des méthodes des TLET et puisque les deux magasins que M. Puvaneswaran possédait à Sri Lanka étaient restés ouverts, la Commission a estimé qu’il était invraisemblable que les tentatives d’extorsion des TLET auraient cessé simplement parce que M. Puvaneswaran s’était enfui.
[8] La Commission a également mis en question le témoignage « confus et contradictoire » de M. Puvaneswaran au sujet des circonstances dans lesquelles il est venu au Canada. M. Puvaneswaran a déclaré avoir quitté le Sri Lanka à l’aide d’un passeport canadien et s’être rendu dans un pays qu’il n’a pas désigné en Europe en passant par la Malaisie ou la Thaïlande; il a alors attendu dans ce pays pendant quatre jours avec un agent. Il s’est ensuite rendu en train à Genève, où il a rencontré un autre agent qui lui a remis un autre passeport canadien en échange de celui qu’il avait déjà utilisé. M. Puvaneswaran s’est ensuite envolé à destination du Canada le 28 mai 2005.
[9] La Commission a conclu que le témoignage de M. Puvaneswaran n’était pas cohérent pour ce qui est de la date à laquelle il avait échangé les passeports avec l’agent. Premièrement, M. Puvaneswaran a déclaré l’avoir fait lorsqu’il est arrivé dans le pays qu’il n’a pas désigné, mais il a ensuite déclaré que cela s’était passé à Genève.
[10] La Commission s’est également interrogée au sujet d’une « singulière coïncidence », à savoir que le nom de famille qui figurait sur le second passeport était le même que le nom de famille de M. Puvaneswaran et qu’il était également identique au nom d’un homme qui avait obtenu la citoyenneté canadienne en 1999. Toutefois, selon M. Puvaneswaran, le citoyen canadien en question n’avait aucun lien avec lui.
[11] Le fait que M. Puvaneswaran n’avait pas complètement détruit le second passeport canadien préoccupait la Commission. Seules quelques pages avaient été arrachées ici et là. M. Puvaneswaran a déclaré qu’il était nerveux et qu’il n’avait pas eu assez de temps pour détruire le passeport. La Commission a rejeté cette explication puisque la page biométrique était manquante et que, même si M. Puvaneswaran a déclaré [traduction] « avoir déchiré les pages, une à une », cela n’expliquait pas pourquoi il restait certaines pages entre les pages manquantes. La Commission croyait que M. Puvaneswaran avait décidé de détruire certaines pages parce qu’elles contenaient des renseignements qu’il voulait cacher aux autorités de l’immigration.
[12] De plus, dans son FRP et dans ses documents d’immigration, M. Puvaneswaran n’a mentionné aucune escale effectuée lors du vol à destination du Canada en provenance de Genève, et il avait donné le 27 mai 2005 comme date de départ. Toutefois, il a par la suite déclaré qu’il y avait eu une escale.
[13] Interrrogé au sujet d’une possibilité de refuge intérieur, M. Puvaneswaran a répondu qu’il n’avait pas les bons titres de voyage et qu’il ne pouvait pas s’installer à Colombo. La Commission n’a pas accepté cette explication parce que, depuis le cessez‑le‑feu de 2002, il n’est pas nécessaire d’obtenir de l’armée des laissez‑passer pour les déplacements. La Commission était d’avis qu’un homme d’affaires qui était censé vivre au Sri Lanka en 2005 devrait être au courant de ce fait.
[14] Par conséquent, la Commission a conclu que le récit de M. Puvaneswaran avait été « forgé ».
[15] Ces conclusions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38.
[16] À mon avis, les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité sont fondées sur la preuve dont celle‑ci disposait et elles ne peuvent pas être considérées comme manifestement déraisonnables. Il n’y a donc rien qui permette l’intervention de la Cour. Cela tranche la quatrième question soulevée par M. Puvaneswaran.
[17] Quant aux autres questions mentionnées plus haut, la Commission a conclu que l’omission de M. Puvaneswaran d’indiquer dans son FRP la tentative d’extorsion des TLET en juin 2005 était une omission importante. Elle a également conclu que le témoignage de M. Puvaneswaran était invraisemblable lorsque celui‑ci a déclaré que les tentatives d’extorsion des TLET (qui étaient le résultat de l’accusation d’espionnage) avaient cessé après son départ du Sri Lanka, même si sa femme était restée là-bas et même si ses commerces étaient encore ouverts. Compte tenu de ces conclusions, on ne peut pas dire, comme l’affirme M. Puvaneswaran, que la Commission n’a pas tenu compte de la crainte qu’il éprouvait à l’égard des TLET à cause de l’accusation d’espionnage.
[18] De même, étant donné les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité, le fait que M. Puvaneswaran n’a pas mentionné ses six arrestations antérieures, n’a pas mentionné d’agent de persécution autre que les TLET et que la Commission a conclu que son récit était inventé de toutes pièces, on ne peut pas dire que la Commission n’a pas tenu compte des allégations de M. Puvaneswaran au sujet de persécutions antérieures.
[19] Enfin, M. Puvaneswaran reproche à la Commission d’avoir commis une erreur en se fondant sur des omissions dans les notes prises au point d’entrée. Il invoque la décision antérieure de la Cour dans l’affaire Sawyer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 935, pour soutenir que [traduction] « les notes prises à la frontière en violation du guide des opérations ne sont pas recevables dans une audience ultérieure concernant le statut de réfugié ».
[20] Avec égards, la décision Sawyer ne fait pas autorité à l’appui de cette thèse; soutenir le contraire, c’est déformer grossièrement le raisonnement de la Cour dans cette décision.
[21] Dans l’affaire Sawyer, la Commission avait tiré une inférence défavorable du fait que, dans les notes qu’elle avait préparées lorsque M. Sawyer a présenté sa demande d’asile à partir du Canada, l’agente n’avait pas consigné certains renseignements. Les passages suivants des motifs rendus dans l’affaire Sawyer sont pertinents :
[5] En ce qui concerne les omissions dans les notes prises par l=agente d=immigration qu=il a rencontrée au moment de faire sa demande du statut de réfugié, M. Sawyer a déclaré dans son témoignage avoir dit à celle‑ci qu=il avait été identifié par les rebelles à partir d=une photographie et il a ajouté qu=il croyait lui avoir dit qu=il avait été battu mais que l=agente lui a mentionné qu=il n=avait pas besoin de tout lui dire et qu=il devait inscrire l=information dans son FRP. Le tribunal a rejeté ce témoignage parce qu=il n=a pas cru que l=agente d=immigration ait omis de consigner la preuve de M. Sawyer.
[6] Par ailleurs, le guide sur les opérations intitulé * Traitement des demandes de protection au Canada + donne les instructions suivantes aux agents chargés des demandes du statut de réfugié :
Questions pertinentes
L=agent doit poser au demandeur les questions habituelles sur la demande d=asile, et inscrire les réponses. L=agent ne doit toutefois pas exiger du demandeur qu=il établisse le fondement de la demande à moins que l=information ait trait à l=admissibilité et à la recevabilité. Il n=incombe pas à l=agent de déterminer la crédibilité de la demande d=asile.
- On encourage les agents à utiliser le modèle d=entrevue mis au point par l=AC (voir l=Appendice A ci‑dessous).
- Les demandeurs doivent décrire comment ils sont entrés au Canada. [Soulignement ajouté; appendice omis.]
[7] Compte tenu de ces instructions, il était, en toute déférence, du moins en ce qui a trait à la preuve portant sur la mention de la photographie, manifestement déraisonnable de la part du tribunal de rejeter sommairement de la manière qu=il l=a fait la preuve selon laquelle l=agente avait dit au demandeur qu=il n=était pas nécessaire de lui relater toute l=histoire et c=était la raison pour laquelle elle n=a pas inscrit tout ce qu=il a déclaré.
[22] En outre, dans le cas de M. Puvaneswaran, les omissions sur lesquelles la Commission s’est appuyée se rapportaient aux questions habituelles figurant dans le formulaire de demande d’asile. Les notes qui ont été prises étaient donc compatibles avec les instructions données aux agents dans le Guide sur le traitement des demandes au Canada.
[23] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[24] Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens qu’aucune question ne se pose dans le présent dossier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERt
INTITULÉ : THANUKKODY PUVANESWARAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 DÉCEMBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 21 DÉCEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Kumar Sriskanda |
POUR LE DEMANDEUR |
Leanne Briscoe
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kumar Sriskanda Avocat Scarborough (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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