ENTRE :
SHAWN VALENTINE
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 23 mars 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle il a été conclu que les demandeurs n'étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » selon les définitions figurant aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
[2] Madame Laura Valentine (la demanderesse) est citoyenne du Nigeria. Elle a présenté une demande d'asile pour elle‑même et pour le compte de son fils aîné, Shawn Valentine, qui est né au Nigeria en 2002. Le fils cadet de la demanderesse est né au Canada peu de temps après l'arrivée de la demanderesse.
[3] La demanderesse affirme s'être mariée lors d'une cérémonie de mariage traditionnelle au Nigeria, le 20 décembre 1999. Elle était la septième épouse de son mari.
[4] La demanderesse affirme qu'après sa seconde grossesse, son mari est devenu distant et indifférent. Quelque temps après qu'elle eut remarqué la chose, la première épouse, qui venait de la même tribu que la demanderesse, a dit à celle‑ci que son mari faisait partie d'une société secrète et que, selon l'engagement qu'il avait pris envers la société, il devait remettre à la secte le deuxième enfant né de l'une ou l'autre de ses épouses. La demanderesse affirme que la première épouse lui avait dit que, lorsqu'elle donnerait naissance au second enfant, celui‑ci serait utilisé dans un rituel. La première épouse a conseillé à la demanderesse de partir et lui a remis 20 000 nairas nigérians pour le faire.
[5] La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas présenté de preuve crédible et digne de foi indiquant qu'elle était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.
[6] L'affaire soulève les questions suivantes :
1. La Commission a‑t‑elle porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en commençant l'interrogatoire de la demanderesse au lieu de demander au conseil de la demanderesse de commencer l'interrogatoire?
2. La Commission a‑t‑elle porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire ou a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle en refusant la demande que la demanderesse avait faite en vue de produire des documents personnels?
3. Existait-il une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission?
* * * * * * * * * *
Ordre des interrogatoires
[7] En soutenant que le commissaire avait porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en suivant les Directives no 7, qui inversaient l'ordre des interrogatoires, la demanderesse s'est fondée sur la décision Thamotharem c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2006] 3 R.C.F. 168. Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard a conclu ce qui suit :
[135] En l'espèce, je suis convaincu que la Cour dispose d'une preuve abondante démontrant que la Commission a fait savoir à ses membres qu'elle s'attendait à ce qu'ils se conforment aux directives, sauf dans des cas exceptionnels. Le problème ne concerne pas réellement l'expression de cette attente par la Commission, mais plutôt le fait qu'elle s'ajoute à d'autres facteurs : l'attente concernant l'observation des directives et la surveillance de cette observation, la preuve du respect des Directives no 7 et, en particulier, le libellé contraignant de celle‑ci. [...]
[8] Peu de temps après que l'affaire Thamotharem eut été tranchée, le juge Mosley a rendu une décision dans l'affaire Benitez c. Canada (MCI), [2007] 1 R.C.F. 107, [2006] A.C.F. no 631 (QL), 2006 CF 461, où l'on avait réuni 20 demandes dans lesquelles se posait la question de savoir si les Directives no 7 portaient atteinte au pouvoir discrétionnaire des commissaires. Dans la décision Benitez, le juge Mosley a fait une distinction à l'égard de la décision Thamotharem compte tenu du fait qu'il disposait d'un plus grand nombre d'éléments de preuve que le juge Blanchard au sujet de la façon dont les Directives no 7 étaient en fait appliquées par les membres de la Section de la protection des réfugiés (la SPR).
[9] Le juge Mosley a conclu ce qui suit :
[163] J'accepte le fait que le libellé des Directives no 7 puisse être interprété comme étant de nature obligatoire par un commissaire inexpérimenté et manquant de confiance en lui‑même et que, en général, les commissaires peuvent, comme l'a conclu le juge Blanchard, ressentir la pression exercée par la haute direction pour s'y conformer. Mais cela ne mène pas nécessairement à la conclusion que les commissaires s'estiment obligés de les appliquer comme s'il s'agissait d'une loi, d'un règlement ou d'une règle formelle prise en vertu du pouvoir du président.
[...]
[171] Je suis saisi d'une preuve beaucoup plus abondante sur la manière dont les Directives no 7 sont réellement appliquées par les commissaires de la SPR que celle dont était saisi mon collègue dans l'affaire Thamotharem. D'après la preuve en l'espèce, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR en vue d'établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d'asile dont ils sont saisis a été entravé par l'application des Directives no 7.
[172] Cela ne signifie pas qu'il ne peut pas y avoir d'entrave dans un cas particulier. Comme il a été statué dans la décision Leung v. Ontario (Criminal Injuries Compensation Board) (1995), 24 O.R. (3d) 530 (C. div.), l'application d'une directive peut équivaloir à une entrave illégale à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'une commission, si cette directive est appliquée sans qu'il soit tenu dûment compte de la preuve et des observations déposées dans un cas particulier. Une situation de ce genre peut se présenter lorsqu'un commissaire décide d'appliquer les directives sans faire d'exception et qu'il ignore la preuve ou les observations déposées par les procureurs indiquant qu'il y a une raison de modifier la procédure.
[Non souligné dans l'original.]
[10] En l'espèce, rien ne montre que le commissaire ait appliqué les Directives no 7 sans tenir compte des particularités du cas de la demanderesse ou que des pressions aient été exercées sur le commissaire pour qu'il applique les Directives.
[11] Au contraire, la preuve indique que le commissaire a pris le temps de parler à la travailleuse sociale qui était présente et de lui demander s'il y avait quelque chose qu'il devait savoir au sujet de l'état psychologique de la demanderesse. La travailleuse sociale a répondu par la négative et elle a ensuite fait remarquer que la demanderesse était souvent émotive. Le commissaire a également posé la question suivante à la travailleuse sociale : [TRADUCTION] « À votre connaissance, mes questions ne la gêneront pas? ». La travailleuse sociale a répondu : [TRADUCTION] « Ouais. J'ai uniquement remarqué qu'elle est une mère fort affectueuse. Elle vient également avec le bébé. Il n'y a pas de problème. »
[12] La transcription montre clairement que le commissaire a pris le temps de chercher à savoir si des dispositions spéciales devaient être prises à l'égard de la demanderesse. Je suis convaincu qu'en l'espèce, le commissaire a décidé de suivre les Directives no 7 uniquement après avoir tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse. À mon avis, les Directives no 7 ne portent donc pas atteinte au pouvoir discrétionnaire du commissaire dans ce cas‑ci.
Omission de permettre à la demanderesse de soumettre des documents après l'audience
[13] La demanderesse affirme que le commissaire a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en refusant d'envisager de lui donner le temps de produire une preuve corroborante.
[14] Selon le défendeur, la transcription indique que le commissaire voulait bien que le conseil de la demanderesse lui remette tout document qu'il était en mesure de fournir. Aux dires du défendeur, il était raisonnable pour la Commission de s'attendre à ce que la demanderesse soumette la preuve corroborante avant l'audience.
[15] Le défendeur affirme que le mécontentement du commissaire, en ce qui concerne l'absence de preuve, doit être apprécié en tenant compte du fait que la demanderesse ne savait rien au sujet de la secte dont son mari était membre.
[16] Selon moi, le passage suivant de la transcription est pertinent :
[TRADUCTION]
LE COMMISSAIRE : Il ne sert à rien de répondre maintenant à ce que j'ai dit. Ce qui aide, c'est qu'en envoyant ainsi les documents, il fallait inclure, avant l'audience, des lettres que je pourrais examiner qui ne sont pas des lettres de réponse. Elles sont des lettres à l'appui. Aujourd'hui je ne peux pas, je ne pourrai jamais être certain que la lettre n'a pas simplement été rédigée en réponse au fait que vous faisiez face à un problème à l'audience. Bon! Lorsque les lettres sont soumises avant l'audience, nous avons la possibilité de les examiner. Si nous avons des questions à leur sujet, nous pouvons poser des questions et ainsi de suite. [...]
[17] À mon avis, la Commission n'a pas catégoriquement dit qu'elle n'accepterait pas les affidavits, mais elle a simplement donné à entendre que l'on ne pouvait accorder qu'une importance minime aux affidavits qui sont soumis après l'audience, parce que la Commission n'aurait pas la possibilité de discuter de la preuve avec la demanderesse et parce que les affidavits seraient fournis [TRADUCTION] « en réponse » à l'audience.
Crainte raisonnable de partialité
[18] Les parties conviennent que le critère applicable à la question de la partialité, qui a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, est de savoir si une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, penserait que le tribunal était probablement partial.
[19] Plus récemment, la Cour suprême du Canada a décrit l'impartialité dans l'arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, paragraphe 58 :
L'essence de l'impartialité est l'obligation qu'a le juge d'aborder avec un esprit ouvert l'affaire qu'il doit trancher. À l'inverse, voici comment on a défini la notion de partialité ou préjugé :
[TRADUCTION] ... une tendance, une inclinaison ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu'une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c'est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d'une certaine façon qui ne permet pas au juge d'être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d'esprit qui infléchit le jugement et rend l'officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.
(R. c. Bertram, [1989] O.J. no 2123 (QL) (H.C.), cité par le juge Cory dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 106.)
[20] Quant à la question de la partialité, la demanderesse fait essentiellement valoir qu'il existait une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire étant donné (1) que le commissaire s'était conduit d'une façon irrégulière en exprimant son mécontentement, en criant et en frappant du poing, parce que la demanderesse ne possédait pas de documents justificatifs, et (2) qu'il n'était pas approprié pour le commissaire de parler de la possibilité que la demanderesse soit séparée de son fils né au Canada. Ce comportement agressif pouvait donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, tout comme la remarque abjecte selon laquelle il se pouvait bien qu'en fin de compte, la demanderesse soit retournée au Nigeria sans son fils né au Canada.
[21] En outre, la preuve fournie par la travailleuse sociale qui a observé l'audience pouvait en fait satisfaire au critère de la personne raisonnable énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et al., précité. L'auteur de l'affidavit a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Au milieu de l'audience, il me semblait clair que le commissaire était fort mécontent et fâché contre Mme Valentine. À ce moment‑là, il était déjà clair à mes yeux que le commissaire avait décidé de rejeter la demande. »
[22] Malgré la preuve fournie par la travailleuse sociale, je ne crois pas qu'il existait une crainte raisonnable de partialité. À un moment donné, la Commission a dit, comme le montre la transcription de l'audience, page 164 du dossier du tribunal :
[TRADUCTION] Je sais que cela est difficile, madame. Je n'essaie pas de vous rendre la vie difficile. Je n'essaie pas de vous troubler. Je vous fais part du problème auquel je fais maintenant face, du problème que j'envisage. Bon! Et si vous avez besoin de notre protection, je serai heureux de vous l'accorder. J'ai simplement besoin de votre aide et c'est pourquoi je vous dis que j'ai besoin de plus de renseignements. C'est pourquoi j'agis ainsi. Ce n'est pas pour vous rendre la vie difficile.
[23] À coup sûr, le commissaire a parfois manifesté un mécontentement injustifié; toutefois, s'il est également tenu compte d'autres remarques comme celle dont il est ci‑dessus fait mention, dans laquelle il a exprimé son désir d'obtenir la preuve nécessaire afin de rendre une décision favorable (voir par exemple la transcription de l'audience, pages 123 à 128, 160, 183 et 195 du dossier du tribunal), je crois qu'une personne raisonnable croirait que le commissaire était mécontent, mais non qu'il ne faisait pas preuve d'ouverture d'esprit.
[24] De même, je puis comprendre pourquoi les remarques que le commissaire a faites au sujet du fait que la demanderesse serait séparée de son bébé auraient pu troubler la demanderesse, mais je ne crois pas qu'elles aient donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.
[25] À mon avis, il n'existait aucune crainte raisonnable de partialité.
[26] En outre, je souscris à l'argument du défendeur lorsqu'il dit que la demanderesse n'a pas soulevé la question de la partialité en temps opportun et qu'elle a donc renoncé au droit de contester la décision de la Commission en se fondant sur ce motif (voir Abdalrithah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no T‑1866‑87, 9 février 1998, (1988), 40 F.T.R. 306, Ithibu c. Canada (MCI), no IMM‑2429‑00, 3 avril 2001, [2001] A.C.F. no 499 (C.F. 1re inst.) (QL), Khakh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 548).
[27] L'avocat de la demanderesse n'a pas soulevé la question de la partialité à l'audience et ne s'est même pas opposé, pendant l'audience, aux remarques de la Commission qui étaient peut‑être inadmissibles. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, je ne puis donc constater aucun motif m'empêchant d'appliquer la règle de la renonciation.
[28] Pour les motifs susmentionnés, les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
Ottawa (Ontario)
Le 19 décembre 2006
Traduction certifiée conforme
Yves Bellefeuille, réviseur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : LAURA VALENTINE, SHAWN VALENTINE
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 9 NOVEMBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : LE 19 DÉCEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Mitchell Goldbert
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POUR LES DEMANDEURS |
Louise-Marie Courtemanche
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mitchell Goldbert Montréal (Québec) |
POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
Date : 20061219
Dossier : IMM-1980-06
Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
ENTRE :
LAURA VALENTINE
SHAWN VALENTINE
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 23 mars 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle il a été conclu que les demandeurs n'étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » selon les définitions figurant aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.
« Yvon Pinard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Yves Bellefeuille, réviseur