ENTRE :
Demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
Le juge Pinard
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 12 avril 2006, statuant que le demandeur n’est pas un « réfugié » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).
[2] La CISR a rejeté la demande d’asile en concluant que la crédibilité du demandeur était entachée et que son comportement n’était pas compatible avec celui d’une personne éprouvant une crainte subjective de persécution.
Amendement au Formulaire de renseignements personnels
[3] S’appuyant sur l’affaire Chahal c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1482 (1re inst.) (QL), le demandeur soutient que la CISR a erré en lui reprochant de ne pas avoir amendé son Formulaire de renseignements personnels (FRP) pour y inclure des événements ayant eu lieu subséquemment au dépôt de celui-ci.
[4] Je suis d’accord avec le défendeur que l’affaire Chahal ne s’applique pas en l’espèce, puisque dans cette autre affaire le revendicateur avait omis de noter dans son FRP quelque chose qui n’était pas directement liée à sa revendication. L’allégation voulant que les parents du demandeur aient eu la visite de quelqu’un qui cherchait ce dernier implique un élément de preuve très important à la revendication du demandeur et, donc, il était raisonnable que la CISR tire une inférence négative du fait que le demandeur n’ait pas amendé son FRP pour y ajouter ce fait particulier.
Problèmes avec l’interprète
[5] Le demandeur soutient que la Cour, en révisant la décision de la CISR quant à la crédibilité du demandeur, devrait prendre en considération qu’à l’audience le demandeur témoignait par l’entremise d’un interprète éprouvant des difficultés importantes avec la langue anglaise.
[6] En lisant le procès-verbal, il est clair que l’interprète n’était pas tout à fait confortable avec la langue anglaise et qu’il a fait de nombreuses petites erreurs de grammaire. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la qualité de l’interprétation était si mauvaise que le demandeur n’a pas été entendu ou que l’évaluation de la CISR quant à la crédibilité du demandeur en a été affectée. En concluant ainsi, je m’appuie sur le fait que quand la CISR n’a pas pu comprendre clairement la traduction en anglais, l’interprète l’a répétée en français.
Le rapport des Nations unies
[7] Le demandeur soutient que la CISR n’a pas tenu compte du rapport du représentant spécial des Nations unies pour le Cambodge. Je suis d’accord avec le demandeur que la CISR a noté incorrectement qu’il n’y avait aucune preuve que les Nations unies étaient intéressées au problème de la répartition des terres. Le document intitulé « Advisory Services and Technical Cooperation in the Field of Human Rights: Situation of Human Rights in Cambodia » (UN Doc. E/CN.4/2005/116, le 20 décembre 2005), était devant la CISR et le rapport indique que le « Special Representative » est préoccupé par la situation des paysans au Cambodge vu les instances où les paysans ont été victimes de violence en raison des conflits de terre.
[8] Bien que le rapport indique que le « Special Representative » est intéressé par le problème de la répartition des terres, ceci ne constitue pas pour autant une preuve déterminante que les agents étatiques sont encore intéressés par le demandeur.
Crédibilité
[9] Après révision de la preuve, je n’ai pas été convaincu que le tribunal spécialisé que constitue la CISR ne pouvait pas raisonnablement conclure comme il l’a fait (voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317 (C.A.F.)). La perception du tribunal que le requérant n’est pas crédible peut parfois équivaloir en fait à la conclusion qu’il n’existe aucun élément crédible pouvant justifier sa revendication du statut de réfugié (voir Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244 (C.A.)). Il est bien établi qu’en matière de crédibilité et d’appréciation des faits, il n’appartient pas à cette cour de se substituer au tribunal administratif tel la CISR lorsque, comme dans le présent cas, la personne qui requiert la révision judiciaire fait défaut d’établir que ce tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.
Délai à faire la demande d’asile
[10] Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas une crainte subjective de persécution parce qu’il a attendu plus de trois mois pour faire sa demande de revendication du statut de réfugié.
[11] Dans la mesure où la revendication est fondée sur l’article 96 de la Loi, le demandeur reconnaît que le délai est un facteur dont la CISR peut tirer une inférence négative quant à la crainte subjective d’un demandeur. Cependant, le demandeur soutient que sa crainte ne pouvait se réaliser qu’à partir du moment où son visa expirait, soit le 10 décembre 2005.
[12] Cet argument ne tient pas car le demandeur n’a pas attendu jusqu’au 10 décembre 2005 pour faire sa demande; il l’a faite le 27 septembre 2005. Le demandeur a expliqué qu’il attendait pour voir si la situation au Cambodge s’améliorerait. Le défendeur souligne par ailleurs que le demandeur a témoigné qu’il a décidé à la fin de juin de rester au Canada pour demander l’asile. Dans les circonstances, je trouve qu’il était loisible à la CISR de déterminer que le comportement du demandeur n’était pas compatible avec celui d’une personne éprouvant une crainte subjective de persécution.
[13] Enfin, au sujet de l’application de l’article 97 de la Loi, une analyse sous cette disposition n’est pas nécessaire lorsque la CISR a conclu que la crédibilité du demandeur est entachée. Dans l’affaire Kaur c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1710, mon collègue le juge de Montigny a en effet énoncé :
[16] En ce qui concerne l'absence d'analyse distincte relativement au paragraphe 97(1), la Commission était parfaitement justifiée de ne pas se livrer à cet exercice à partir du moment où elle concluait que la demanderesse n'était pas crédible. Si la Commission a raison sur ce point, il est clair que la demanderesse ne pouvait être considérée comme une personne à protéger. C'est d'ailleurs ce qu'a conclu cette Cour à de nombreuses reprises : Bouaouni c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1540; 2003 CF 1211 (QL); Soleimanian c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 2013; 2004 CF 1660 (QL); Brovina c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] A.C.F. no 771, 2004 CF 635 (QL).
[14] À mon avis, les conclusions de la CISR quant à la crédibilité du demandeur et quant à la crainte subjective de persécution de ce dernier ne sont pas manifestement déraisonnables. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
Ottawa (Ontario)
Le 20 décembre 2006
COUR FIDIRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3169-06
INTITULI : SEILA PRAK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETI ET DE L MMIGRATION
LIEU DE L UDIENCE : Montr l (Qu ec)
DATE DE L UDIENCE : Le 22 novembre 2006
MOTIFS DE JUGEMENT : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 20 d embre 2006
COMPARUTIONS :
Me Nino Karamaoun POUR LE DEMANDEUR
Me Alexandre Tavadian POUR LE DIFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
KD Lawyers - Avocats POUR LE DEMANDEUR
Montr l (Qu ec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DIFENDEUR
Sous-procureur g al du Canada