Toronto (Ontario), le 8 janvier 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN
ENTRE :
demanderesse
et
D-LINK SYSTEMS, INC. et
D-LINK CANADA INC.
(faisant affaire sous la raison sociale de D-LINK NETWORKS)
défenderesses
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS
(Annulant et remplaçant les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance en date du 12 décembre 2006)
[1] Il s’agit d’un appel de la décision de la protonotaire Milczynski en date du 23 août 2006. En réponse à une requête visant à obtenir la radiation de certains passages de la déclaration modifiée, la protonotaire a refusé d’en radier l’alinéa 1f) et le paragraphe 13 dont voici le texte :
[traduction]
1f) des dommages-intérêts exemplaires et punitifs parce que les défenderesses ont délibérément contrefait les lettres patentes canadiennes portant le numéro 2,064,975
13 Pendant toute la période pertinente, les défenderesses étaient au courant du brevet et ont, délibérément et intentionnellement, commercialiser les produits contrefaits au Canada. Les défenderesses savaient très bien, pendant toute la période pertinente, que le prédécesseur en titre de la demanderesse, Wi-LAN Inc., avait déclaré dès le 7 juillet 1998 au Standards Board Patent Committee de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers Standards Association (IEEE-SA) qu’il accorderait des licences pour ses brevets afin de permettre l’utilisation de la technologie de multiplexage fréquentiel optique (OFDM) selon des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires aux personnes qualifiées qui en feraient la demande, conformément aux politiques de l’IEEE en matière de brevets. Les défenderesses n’ont pas engagé de négociation en vue d’obtenir une licence mais ont plutôt, de manière déraisonnable, délibérée et cynique, décidé de ne pas se soucier du prédécesseur en titre de la demanderesse, Wi-LAN Inc., ainsi que du brevet. Les défenderesses ont cyniquement fait le pari que le prédécesseur en titre de la demanderesse, Wi-LAN Inc., et la demanderesse elle-même n’auraient pas les ressources financières requises pour faire appliquer leur brevet. Le comportement des défenderesses a été particulièrement indigne puisqu’elles savaient très bien que les inventeurs du brevet, Hatim Zaghloul et Michael Fattouche, qui sont aussi les fondateurs et les directeurs du prédécesseur en titre de la demanderesse, Wi-LAN Inc., sont des hommes peu fortunés qui ont immigré au Canada et ont risqué leurs avoirs personnels et leur réputation dans une entreprise destinée à promouvoir une invention réellement utile. Le prédécesseur en titre de la demanderesse, Wi-LAN Inc., souhaitait collaborer avec des fabricants de puces électroniques, comme les fournisseurs des défenderesses, mais il a été cyniquement laissé de côté et effectivement forcé de quitter le marché des produits sans fil par suite des actions susmentionnées des défenderesses.
[2] Les défenderesses allèguent que la protonotaire a commis une erreur en ne radiant pas ces paragraphes. À leur avis, les faits allégués au paragraphe 13 ne donneraient pas lieu à des dommages-intérêts punitifs et exemplaires, même si chacune des allégations était prouvée.
[3] Comme il s’agit d’un appel d’une décision d’un protonotaire, les défenderesses doivent satisfaire au critère énoncé dans Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40 à la page 53 :
a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,
b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.
[4] Les défenderesses s’appuient sur le deuxième volet, à savoir que l’ordonnance était entachée d’erreur flagrante. La demanderesse de son côté soutient qu’il s’agit d’une question qui doit être tranchée par le juge de première instance et qu’au vu des allégations formulées au paragraphe 13, un tribunal pourrait bien accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.
[5] Le critère pour que soient accordés des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires a été formulé par le juge Cory dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, aux paragraphes 197 et 199 :
197 Contrairement aux dommages‑intérêts compensatoires, les dommages‑intérêts punitifs ne sont pas généralisés. En conséquence, les tribunaux disposent d’une latitude et d’une discrétion beaucoup plus grandes en appel. Le contrôle en appel devrait consister à déterminer si les dommages‑intérêts punitifs servent un objectif rationnel. En d’autres termes, la mauvaise conduite du défendeur était‑elle si outrageante qu’il était rationnellement nécessaire d’accorder des dommages‑intérêts punitifs dans un but de dissuasion?
[…]
199 Les dommages‑intérêts punitifs peuvent servir, et servent effectivement, un objectif utile. S’ils n’existaient pas, il ne serait que trop facile pour les gens importants, puissants et riches de persister à répandre des libelles contre des victimes vulnérables. Les dommages‑intérêts généraux et majorés à eux seuls pourraient simplement être considérés comme la redevance à payer pour être autorisé à continuer cette atteinte à la réputation. La protection de la réputation d’une personne à la suite de la publication de déclarations fausses et injurieuses doit être efficace. La meilleure protection est de faire savoir que des amendes, sous forme de dommages‑intérêts punitifs, peuvent être imposées lorsque le comportement du défendeur est véritablement outrageant.
(Non souligné dans l’original.)
[6] Ce principe a été répété et approuvé par le juge Binnie dans l’arrêt Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., [2002] 1 R.C.S. 678, au paragraphe 79, où il a dit :
79 Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [...] choque le sens de la dignité de la cour ». Ce critère limite en conséquence de tels dommages-intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable : Whiten, précité, par. 36, et Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196.
(Non souligné dans l’original.)
[7] Si nous analysons le paragraphe 13, il ressort que la demanderesse allègue deux choses : a) les défenderesses ont cyniquement, délibérément et intentionnellement contrefait son brevet et b) elles n’ont pas engagé de négociation avec la demanderesse ou demandé de licence. Je ne vois pas comment l’une ou l’autre des allégations contenues au paragraphe 13, si elle était prouvée, pourrait équivaloir à une « conduit[e] répréhensibl[e] représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable ».
[8] Je suis d’accord avec mon collègue le juge Mosley qui a dit dans la décision Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 586, au paragraphe 123 :
123 Je ne connais aucune affaire dans laquelle la Cour fédérale aurait condamné le défendeur à des dommages‑intérêts punitifs pour avoir simplement contrefait sciemment ou intentionnellement le brevet, sans plus. La Cour accorde des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs pour punir le comportement répréhensible affiché par un plaideur au procès ou pour sanctionner un abus de procédure, notamment lorsqu’au mépris de l’ordonnance lui enjoignant de les cesser, une partie poursuit des activités qui, selon la Cour, constituent une contrefaçon.
[9] Pour contrer l’argument formulé dans la décision Dimplex, la demanderesse invoque les décisions Polansky Electronics c. AGT Ltd. (1999), 3 C.P.R. (4th) 34, et Underwriters Survey Bureau Ltd. c. Massie & Renwick Ltd. (1942), R.C.É. 1. Ces décisions n’aident en rien la cause de la demanderesse. La décision Polansky a été infirmée en appel et lors d’un nouveau procès le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas contrefaçon. Elle n’appuie donc guère la position de la demanderesse. Dans l’affaire Underwriter Survey, il y a eu une contre-poursuite non fondée pour complot et comportement criminel. Il n’y a pas eu un tel comportement dans la présente affaire.
[10] Comme la demanderesse n’allègue pas d’autres faits comme l’abus, la fraude, la malveillance, un contrat, une obligation fiduciaire, une relation de mandant-mandataire ou autre chose du genre, les allégations formulées ne sont pas suffisantes pour permettre à un tribunal de conclure qu’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou majorés. En ne radiant pas ce paragraphe, on ne fera que retarder inutilement la procédure préalable au procès.
[11] Par conséquent, je conviens avec les défenderesses que le paragraphe 13 devrait être radié et je conclus que la protonotaire a commis une erreur en omettant de le faire.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- Le présent appel est accueilli.
- L’ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 23 août 2006 est modifiée, le paragraphe 1 de l’ordonnance étant remplacé par ce qui suit : « 1. L’alinéa 1e) de la déclaration est radié sans autorisation de le modifier et l’alinéa 1f) et le paragraphe 13 de la déclaration sont radiés sans autorisation de les modifier ».
- Les dépens de la présente requête suivront l’issue de la cause.
« Konrad W. von Finckenstein »
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-556-06
INTITULÉ : WI-LAN TECHNOLOGIES CORP.
c.
D-LINK SYSTEMS, INC. et D-LINK CANADA INC. (faisant affaire sous la raison sociale de
D-LINK NETWORKS)
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 DÉCEMBRE 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE MODIFIÉS : LE JUGE von FINCKENSTEIN
(Annulant et remplaçant les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance en date du 12 décembre 2006)
DATE DES MOTIFS : LE 8 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Christopher Kvas
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POUR LA DEMANDERESSE |
Bruce Stratton Etienne de Villiers
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POUR LES DÉFENDERESSES |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ridout & Maybee LLP Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Dimock, Stratton LLP Toronto (Ontario)
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POUR LES DÉFENDERESSES |