Toronto (Ontario), le 7 décembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER
ENTRE :
demanderesse
et
RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse fait appel de la décision prise le 22 novembre 2005, au nom du registraire des marques de commerce, par un membre de la Commission des oppositions (le membre), décision qui avait pour effet de supprimer du registre, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), la marque de commerce de la demanderesse. Cette marque de commerce se compose des mots VISIBLE YOUTH, utilisés en rapport avec divers produits pour les soins de la peau.
[2] La période pertinente à l’intérieur de laquelle le titulaire de l’enregistrement était tenu de prouver l’emploi à une certaine date allait du 24 octobre 1999 au 24 octobre 2002. L’actuel titulaire de l’enregistrement est devenu le propriétaire de la marque par cession le 15 août 2001. La preuve d’emploi de la marque présentée au membre, puis à la Cour dans la procédure d’appel, se rapportait à la période au cours de laquelle son prédécesseur, SkyePharma PLC, une société anglaise, était le titulaire de l’enregistrement de la marque.
[3] Le membre a estimé que la preuve d’emploi de cette marque durant la période pertinente par SkyePharma PLC était insuffisante et que la marque devrait donc être supprimée. Dans le présent appel, deux nouveaux affidavits ont été produits : l’un de Thomas Zech, un vice‑président de SkyePharma, Inc. (Skye), de Californie, une filiale de SkyePharma PLC. Selon lui, conformément aux instructions de la société mère titulaire de l’enregistrement, Skye gérait la vente et la distribution des produits Visible Youth au Canada, par l’entremise de son distributeur canadien, PharmApprove, de Brampton (Ontario). L’autre nouvel affidavit a été souscrit par Patricia Anderson, qui était aux époques pertinentes présidente de PharmApprove. Dans son affidavit, elle décrivait un processus de vente par lequel sa société recevait les commandes de clients canadiens et chargeait un entrepôt de Toronto d’expédier le produit à l’acheteur canadien, copie de la commande étant envoyée à Skye. Skye envoyait des factures aux clients canadiens, qui les lui réglaient. Skye conservait aussi des relevés des ventes canadiennes et remettait périodiquement à PharmApprove les copies de tels relevés.
[4] Les deux affidavits étaient accompagnés d’annexes : factures émises durant la période, bordereaux de ventes et illustrations des produits vendus, qui portaient les mots VISIBLE YOUTH. Des illustrations de documents publicitaires étaient aussi annexées aux affidavits.
[5] Il est bien établi que, dans une procédure selon l’article 45, il n’est pas nécessaire que le titulaire de l’enregistrement produise des registres détaillés et complets attestant l’emploi de la marque. Il suffit qu’il présente un commencement de preuve de cet emploi. La preuve d’une vente unique, si telle vente a été faite de bonne foi durant la période pertinente, suffira : voir Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et autres (1987), 13 C.P.R. (3d) 289; Lewis Thomson & Sons Ltd. c. Rogers, Bereskin & Parr (1988), 21 C.P.R. (3d) 483; Vogue Brassière Inc. c. Sim & McBurney (1999), 5 C.P.R. (4th) 537 (toutes des décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale).
[6] La demanderesse ne prétend plus que le membre a commis une erreur dans ses conclusions de fait, mais invoque plutôt les nouveaux affidavits déposés dans l’appel. Dans l’appréciation de cette preuve nouvelle, je dois tirer de nouvelles conclusions de fait, et la norme de contrôle est donc celle de la décision correcte : voir l’arrêt John Labatt Ltd. et autres c. Molson Breweries (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, page 196 (C.A.F.).
[7] Je suis convaincu que, au vu des deux nouveaux affidavits, la demanderesse a prouvé que, durant la période pertinente, du moins avant la cession de la marque de commerce en août 2001 à l’actuel titulaire de l’enregistrement, la marque de commerce a été employée au cours de ventes des produits au Canada dans des contenants ou emballages portant les mots VISIBLE YOUTH. Les factures, brochures et bordereaux de ventes ne prouvent pas, en tant que tels, cet emploi, mais ils confirment les témoignages des deux déposants selon lesquels de telles ventes ont lieu.
[8] La défenderesse fait aussi valoir que les mots VISIBLE YOUTH tels qu’ils apparaissaient sur les produits n’étaient pas une bonne représentation de la marque de commerce telle qu’elle est enregistrée. Selon elle, les deux mots, reproduits sur les contenants et les emballages, étaient placés l’un au‑dessus de l’autre, avec entre les deux une ligne horizontale ou un motif horizontal. À première vue, je trouve cet argument peu convaincant. Je crois que n’importe quel observateur ordinaire associerait immédiatement les deux mots en les considérant comme une expression descriptive. Plus précisément, il ne serait pas normal de penser que l’adjectif « visible » existe seul, sans être accompagné d’un nom à qualifier.
[9] J’accueillerais donc l’appel, avec dépens en faveur de la demanderesse.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens en faveur de la demanderesse;
2. La décision du membre de la Commission des oppositions en date du 22 novembre 2005 est annulée; et
3. L’enregistrement n° TMA393,144 est maintenu.
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑148‑06
INTITULÉ : JAGOTEC AG c. RICHES MCKENZIE & HERBERT LLP
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 6 DÉCEMBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER
DATE DES MOTIFS : LE 7 DÉCEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
David Aylen Shelagh Carnegie
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POUR LA DEMANDERESSE |
Michael Adams
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOWLING LAFLEUR HENDERSON, Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP, Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |