Référence : 2006 CF 1460
ENTRE :
CARLOS MAURICIO ALMONACID ESPEJO
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU
[1] J’ai entendu le vendredi 1er décembre 2006 la présente demande de sursis d’exécution d’une mesure de renvoi qui devait être exécutée le 2 décembre 2006. J’ai accordé le sursis demandé et avisé les parties que l’exposé des motifs suivrait.
[2] Le demandeur, citoyen colombien, a fui son pays natal pour les États-Unis en décembre 2004, accompagné de sa femme et de leurs trois filles, aujourd’hui âgées respectivement de huit, quatre et deux ans.
[3] Le demandeur a déposé aux États-Unis, en juillet 2004, une demande d’asile qui a été rejetée un an plus tard. Par la suite, lors d’une comparution devant un juge de l’immigration de l’État de Géorgie, il a retiré volontairement sa demande d’asile et s'est vu ordonner de quitter les États-Unis au plus tard le 24 novembre 2006. Cette ordonnance a été prononcée le 24 juillet 2006 par le Tribunal de l’immigration des États-Unis à Atlanta (Géorgie).
[4] Accompagné de sa femme et de ses enfants, le demandeur s’est alors rendu dans le nord de l’État de New York et, laissant sa famille du côté américain de la frontière, il a demandé le 16 août 2006, au poste douanier de Fort Erie (Ontario), des renseignements sur la procédure de demande d’asile au Canada. Il a déclaré dans son affidavit qu’il n’avait pas l’intention de demander l’asile à ce moment. On a cependant administré son cas comme une demande d’asile et, le même jour, on a déclaré irrecevable sa demande d’asile au Canada et prononcé contre lui une mesure d’exclusion sous le régime du paragraphe 100(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette mesure d’exclusion se fondait plus précisément sur l’alinéa 100(1)e); le demandeur était arrivé, directement ou indirectement, des États-Unis, soit un pays désigné « autre que celui dont il [avait] la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle » par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur se voyait ainsi interdire de déposer une autre demande pour au moins six mois et d’entrer au Canada entre-temps.
[5] Quelques mois plus tard, soit le 3 novembre 2006, il est entré au Canada par le Manitoba avec sa femme et ses enfants. Le lendemain, il était arrêté et inculpé d’être entré au Canada sans autorisation. Une mesure d’expulsion a alors été prononcée contre lui le 6 novembre 2006. Le 15 du même mois, il a été déclaré coupable d’être entré une fois au Canada sans autorisation, et condamné à une peine de 12 jours de détention, déjà purgée en préventive. Le 17 novembre 2006, il a été libéré sous un cautionnement de 1 500 dollars.
[6] Sa femme et ses filles étaient recevables à présenter une demande d’asile, ce dont on les a avisées le 21 novembre 2006.
[7] L’expulsion du demandeur a été prononcée suivant une interprétation stricte de l’alinéa 101(1)e), ainsi que des articles 112 et 118, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[8] L’avocat du demandeur a fait valoir devant moi qu’on aurait dû accorder à son client un examen des risques avant renvoi (ERAR), que l’intérêt supérieur des enfants n’avait pas été pris en considération, et qu’il y avait lieu de douter de la légitimité d’invoquer l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour rendre une décision en vertu de son paragraphe 100(1).
[9] J’estime que la présente affaire soulève une question sérieuse. Il ne fait aucun doute qu’aucun des agents d’immigration ayant participé à l’administration de la demande d’asile en cause n’a pris en considération l’intérêt des enfants. En outre, je ne pense pas que se justifie le refus d'autoriser le demandeur à faire une demande d’asile qui lui a été opposé en vertu de l’alinéa 101(1)e), étant donné que, la première fois, il n’était pas entré au Canada pour présenter une telle demande, mais seulement pour se renseigner à ce sujet. Peut‑on même dire qu’il soit alors entré au Canada?
[10] En outre, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi on devrait permettre de demander l’asile à la femme et aux enfants du demandeur, qui ont les mêmes antécédents que lui du point de vue de l’immigration, et le lui interdire à lui-même.
[11] Il me semble qu’une interprétation systématiquement stricte des dispositions invoquées par les agents d’immigration rendrait pratiquement impossible à quiconque entrerait au Canada à partir d’un pays sûr de demander l’asile chez nous. De ce point de vue, il paraîtrait étrange de permettre comme on le fait à toutes sortes de réfugiés entrés au Canada clandestinement ou avec de faux papiers de demander l’asile et de rester au pays en attendant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
[12] J’estime que les critères du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients jouent en faveur du demandeur, et c’est pour ces motifs que j’ai prononcé le sursis d’exécution en attendant le contrôle judiciaire de la décision portant son renvoi.
« Paul U.C. Rouleau »
Juge suppléant
Le 5 décembre 2006
Ottawa (Ontario)
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑6346‑06
INTITULÉ : CARLOS MAURICIO ALMONACID ESPEJO c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO) [par téléconférence]
DATE DE L’AUDIENCE : LE 1ER DÉCEMBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE ROULEAU
DATE DES MOTIFS : LE 5 DÉCEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Hafeez Khan POUR LE DEMANDEUR
204-957-1717
Omar Siddiqui POUR LE DÉFENDEUR
204-283-0340
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Booth Dennehy LLP POUR LE DEMANDEUR
Avocats
387, rue Broadway
Winnipeg (Manitoba)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada