Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
et
ELI LILLY and COMPANY LIMITED
défenderesse/brevetée
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly) en appel d'une ordonnance datée du 13 octobre 2006 par laquelle la protonotaire Aronovitch a accordé des dépens extraordinaires de 25 511,74 $ à la défenderesse Novopharm Limitée (Novopharm).
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
[2] La demanderesse a déposé une requête visant à faire radier des éléments de preuve produits par Novopharm parce qu'ils sont inappropriés ou, subsidiairement, à obtenir l'autorisation de déposer une contre‑preuve. Le principal moyen invoqué par la demanderesse était que les éléments de preuve inappropriés de Novopharm n'étaient pas fondés sur l'avis de conformité.
[3] À l'audience sur la requête, la protonotaire a examiné simultanément, à l'égard de chaque paragraphe présenté comme inapproprié, les moyens invoqués à l'appui de la radiation et ceux qui concernaient le dépôt d'une contre-preuve.
[4] À la suite de cette requête, la protonotaire Aronovitch a accordé des dépens extraordinaires à la défenderesse. La demanderesse fait valoir en l'espèce que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur en rendant sa décision sur les dépens et que la Cour est autorisée à remettre celle‑ci en cause.
LA QUESTION À TRANCHER
[5] La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur flagrante en ce qu'elle n'a pas pris en considération les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles? Plus précisément, la protonotaire a‑t‑elle omis de prendre en considération les alinéas a), c), k) et o) du paragraphe 400(3)?
LES DISPOSITIONS APPLICABLES
[6] Règles des Cours fédérales, DORS/2004‑283, art. 2
400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. La Couronne (2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle. Facteurs à prendre en compte (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants : a) le résultat de l’instance; b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées; c) l’importance et la complexité des questions en litige; d) le partage de la responsabilité; e) toute offre écrite de règlement; f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421; g) la charge de travail; h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens; i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis; k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas : (i) était inappropriée, vexatoire ou inutile, (ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection; l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense; m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes; n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299; o) toute autre question qu’elle juge pertinente. Tarif B (4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés. Directives de la Cour (5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif. Autres pouvoirs discrétionnaires de la Cour (6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut : a) adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question litigieuse ou d’une procédure particulières; b) adjuger l’ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu’à une étape précise de l’instance; c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat‑client; d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause. Adjudication et paiement des dépens (7) Les dépens sont adjugés à la partie qui y a droit et non à son avocat, mais ils peuvent être payés en fiducie à celui-ci. [Non souligné dans l'original.] |
400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.
Crown (2) Costs may be awarded to or against the Crown. Factors in awarding costs (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider (a) the result of the proceeding; (b) the amounts claimed and the amounts recovered; (c) the importance and complexity of the issues; (d) the apportionment of liability; (e) any written offer to settle; (f) any offer to contribute made under rule 421; (g) the amount of work; (h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs; (i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding; (j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit; (k) whether any step in the proceeding was (i) improper, vexatious or unnecessary, or (ii) taken through negligence, mistake or excessive caution; (l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily; (m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily; (n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and (o) any other matter that it considers relevant. Tariff B (4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs. Directions re assessment (5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff. Further discretion of Court (6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may (a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding; (b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding; (c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or (d) award costs against a successful party. Award and payment of costs (7) Costs shall be awarded to the party who is entitled to receive the costs and not to the party's solicitor, but they may be paid to the party's solicitor in trust [emphasis added] |
LA NORME DE CONTRÔLE
[7] Ainsi qu'il a été établi au paragraphe 95 de l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire peut être modifiée en appel si :
a) elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;
b) elle est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.
Voir aussi Merck & Co. et al. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.), au paragraphe 19.
[8] L'examen d'une adjudication de dépens n'exige pas l'analyse de l'ensemble des éléments de l'affaire. Néanmoins, la Cour doit évaluer les motifs exposés à l'appui de l'adjudication pour établir si le protonotaire a exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire.
[9] Dans l'arrêt Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L'), 2003 CAF 119, la Cour d'appel a statué que le juge des requêtes doit réexaminer la décision du protonotaire dans le cas où celui‑ci n'a pas accordé le poids voulu à tous les facteurs pertinents pour adjuger les dépens.
ANALYSE
[10] Dans sa décision du 13 octobre 2006, la protonotaire avait demandé aux deux parties de lui soumettre des observations écrites sur les dépens et l'exposé des motifs de son ordonnance ne fait que quatre paragraphes.
Alinéa 400(3)a) : le résultat de la requête
[11] À propos de la question du résultat de la requête, la première chose à noter est que la demanderesse s'est trompée en affirmant que la requête d'Eli Lilly avait été accueillie à 70 p. 100. La protonotaire a simplement écrit au premier paragraphe de son ordonnance sur les dépens : [traduction] « Je souscris à l'argument d'Eli Lilly selon lequel la Cour a conclu que le contenu d'environ 70 p. 100 des paragraphes attaqués de la preuve n'aurait pu être prévu. »
[12] La demanderesse a donc eu tort de conclure de cette phrase que la requête d'Eli Lilly avait été accueillie à 70 p. 100, ce qui n'est manifestement pas le cas. Il faut plutôt lire la phrase en question à la lumière de la première phrase du premier paragraphe de l'ordonnance, qui est libellé comme suit : [traduction] « Il est exact que Novopharm a réussi pour la plus grande partie à éviter que les éléments de preuve attaqués ne soient radiés. »
[13] Ainsi que l'a fait observer l'avocat de la défenderesse, la protonotaire a décrit ce qu'elle jugeait être un succès partagé (elle a donc pris en considération l'alinéa 400(3)a)), mais elle n'a pas établi les parts de succès respectives des parties.
Alinéa 400(3)c) : la complexité des questions en litige
[14] Vu les motifs et l'ordonnance rendue sur la requête, je n'hésite pas un instant à conclure que la protonotaire était tout à fait consciente de la complexité des questions en litige. C'est ainsi qu'elle a écrit explicitement ce qui suit au deuxième paragraphe de son ordonnance sur les dépens : [traduction] « Cependant, dans le contexte qui nous occupe, il est plus pertinent, en ce qui a trait aux dépens, de se demander ce que les parties auraient pu faire soit pour rendre la requête inutile, soit pour la simplifier ».
[15] Cette phrase particulière de l'ordonnance sur les dépens, lue à la lumière de l'analyse faite par la protonotaire dans son exposé des motifs, me convainc qu'elle a tenu compte dans sa décision de l'importance et de la complexité des questions en litige.
Alinéa 400(3)k) : la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas : (i) était inappropriée, vexatoire ou inutile, (ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection
[16] La demanderesse soutient qu'elle n'a pas fait en sorte qu'une mesure inappropriée ou inutile soit prise dans le cadre de la requête. Elle fait valoir que la plus grande partie du temps des plaidoiries a été consacrée à un débat sur les paragraphes inappropriés de l'affidavit de Novopharm. La demanderesse fait en outre observer que, le deuxième jour de l'audience, elle a pris conscience des préoccupations de la protonotaire et lui a soumis un projet d'ordonnance précisant dans le plus grand détail quelles étaient les parties attaquées de chaque paragraphe de l'affidavit.
[17] Si l'on en juge d'après le procès-verbal de la conférence préparatoire tenue le 25 avril 2006, avant l'audience sur la requête, ainsi que d'après les documents produits par les deux parties, il paraît évident que certains aspects de la preuve de Novopharm n'auraient pu être prévus par les témoins de la demanderesse. Par ailleurs, la requête aurait pu être évitée si la demanderesse avait simplement communiqué ses projets d'affidavits en réponse.
[18] Il est également à noter que pas un seul paragraphe de la preuve de Novopharm n'a été déclaré inapproprié; seulement deux pièces d'importance secondaire ont été radiées. La protonotaire a explicitement laissé au juge devant présider l'audience le soin de trancher la question du bien‑fondé de la preuve.
[19] Comme la demanderesse sollicitait la radiation de la totalité de la preuve attaquée et que la protonotaire a refusé de l'accorder, exception faite de deux pièces d'importance secondaire, la requête principale de la demanderesse a été presque entièrement rejetée. La demanderesse n'a obtenu gain de cause qu'à l'égard de la réparation subsidiaire qu'elle avait demandée, ayant été autorisée à déposer une contre‑preuve.
[20] Les paragraphes 3 et 4 de l'ordonnance de la protonotaire sur les dépens sont libellés comme suit :
[traduction] S'il est vrai que Novopharm n'a peut-être pas déployé les efforts voulus pour parvenir à un compromis, la principale fautive est à mon avis Eli Lilly, du fait de la qualité de la preuve qu'elle a décidé de produire dans le cadre de la requête et de signifier à Novopharm avant ladite requête.
L'omission d’Eli Lilly de produire les projets d'affidavits longtemps avant la requête afin que Novopharm puisse les examiner et d'avoir à la place produit plus tard des éléments de preuve si généraux qu'ils ont prolongé l'audience sur la requête relève d'une conduite qu'il faut décourager et sanctionner par des dépens, indépendamment du succès sur le fond de la partie qui se conduit ainsi.
[21] À mon avis, il est évident que la protonotaire a pleinement pris en considération la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou encore avait été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection, comme en témoignent clairement le dispositif et les motifs de son ordonnance sur les dépens.
Alinéa 400(3)o) : toute autre question qu'elle juge pertinente
[22] La demanderesse soutient que la protonotaire n'a pas pris en considération les cinq facteurs suivants :
1. le fait que la Cour a accordé à la demanderesse la plus grande partie de la réparation demandée, bien qu'elle ait au départ accepté la preuve par affidavit de Novopharm dans le cadre des requêtes;
2. le fait que la requête a été rendue nécessaire parce que certains éléments des affidavits de Novopharm étaient inappropriés;
3. le fait que la plus grande partie des éléments supplémentaires attaqués par Eli Lilly se rapportait à de nouvelles allégations de fraude, dont il n'était pas question dans l'avis d'allégation de Novopharm;
4. le fait que le droit n'est pas établi en ce qui concerne l'obligation pour la partie demandant une réparation de cette nature de déposer des projets d'affidavits en réponse;
5. le fait que, en déposant de tels projets d'affidavits en réponse, Eli Lilly aurait concédé qu'il y avait lieu de lui refuser la réparation principale qu'elle demandait (à savoir la radiation des éléments de preuve inappropriés sur les nouvelles questions de fraude non soulevées dans l'avis d'allégation) alors qu'elle n'a pas concédé que la preuve supplémentaire de Novopharm sur ces nouvelles questions est régulière.
1. Le fait que la Cour a accordé à la demanderesse la plus grande partie de la réparation demandée, bien qu'elle ait au départ accepté la preuve par affidavit de Novopharm dans le cadre des requêtes
[23] La demanderesse soutient que les instances judiciaires sont contradictoires de par leur nature même, de sorte qu'elle ne devrait pas être sanctionnée parce qu'il n'a pas été possible, au moment considéré, de parvenir à un compromis avec la partie adverse sans que la Cour intervienne en entendant la requête.
[24] Je suis partiellement d'accord avec la demanderesse sur ce point. Il reste néanmoins que celle‑ci a décidé de ne pas produire les projets d'affidavits longtemps à l'avance pour que Novopharm puisse les examiner. En outre, les éléments de preuve produits, dont la protonotaire a noté le caractère général, ont eu pour effet de prolonger l'audience sur la requête. Ce sont là autant d'éléments factuels qui ont contribué à sa décision sur les dépens.
2. Le fait que la requête a été rendue nécessaire parce que certains éléments des affidavits de Novopharm étaient inappropriés
[25] À ce propos, j'ai déjà constaté plus haut que rien dans la décision de la protonotaire ne permet de conclure qu'il y avait des éléments inappropriés dans les affidavits de la défenderesse; la protonotaire n'a écarté que deux pièces et a maintenu tous les paragraphes attaqués par la demanderesse. Il convient aussi de noter que, la question des dépens mise à part, le dispositif et les motifs de l'ordonnance de la protonotaire n'ont pas été portés en appel. C'est donc le juge devant présider l'audience qui tranchera la question de savoir si les éléments attaqués sont inappropriés.
3. Le fait que la plus grande partie des éléments supplémentaires attaqués par Eli Lilly se rapportait à de nouvelles allégations de fraude, dont il n'était pas question dans l'avis d'allégation de Novopharm
[26] À mon avis, la protonotaire a examiné et pris en considération la totalité des éléments produits par les deux parties, y compris la preuve qu'elle estimait non prévisible pour la demanderesse.
4. Le fait que le droit n'est pas établi en ce qui concerne l'obligation pour la partie demandant une réparation de cette nature de déposer des projets d'affidavits en réponse
[27] La protonotaire a examiné aussi bien à la conférence préparatoire du 25 avril 2006 que dans son ordonnance et l'exposé des motifs de son ordonnance la question des projets d'affidavits en réponse que peuvent déposer les parties demandant une réparation de cette nature. Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'en inférer que la protonotaire a conclu à l'existence d'une obligation légale de produire de tels projets d'affidavits en réponse. Elle a simplement mentionné les conséquences de leur non-production dans le contexte de l'affaire qui nous occupe et a expliqué pourquoi cette non‑production avait influé directement sur sa décision relative aux dépens.
5. Le fait que, en déposant de tels projets d'affidavits en réponse, Eli Lilly aurait concédé qu'il y avait lieu de lui refuser la réparation principale qu'elle demandait (à savoir la radiation des éléments de preuve inappropriés sur les nouvelles questions de fraude non soulevées dans l'avis d'allégation), alors qu'elle n'a pas concédé que la preuve supplémentaire de Novopharm sur ces nouvelles questions est appropriée
[28] À l'audience, l'avocat de la demanderesse a fait valoir que cette dernière ne pouvait que demander la radiation des éléments de preuve qu'elle estimait inappropriés étant donné qu'il ne lui serait plus possible ultérieurement de présenter cet argument à la Cour, même si lui‑même pensait, à ce moment, qu'il ne pourrait pas obtenir gain de cause sur ce point.
[29] Je ne vois pas très bien sur quoi repose cet argument. Étant donné que les parties à une requête demandent d'habitude des mesures subsidiaires pour aider le juge devant présider l'audience à rendre une décision qui les aidera à poursuivre leur affaire, la production de projets d'affidavits en réponse ne pouvait en aucune façon être considérée comme valant aveu du bien‑fondé de toutes les allégations contenues dans l'avis d'allégation.
[30] La demanderesse fait en outre valoir que la Cour ne devrait pas punir une partie pour n'avoir pas transigé sur une requête et qu'elle ne peut, dans une intention punitive, condamner à des dépens extraordinaires la partie qui obtient gain de cause.
[31] La lecture attentive des motifs et du dispositif de l'ordonnance rendue sur la requête comme de celle relative aux dépens ne me convainc pas – loin de là – que le fait d'accorder les dépens à la défenderesse puisse être considéré comme une mesure punitive. Au dernier paragraphe des motifs de son ordonnance sur les dépens, la protonotaire écrit explicitement que la façon dont la demanderesse a décidé de poursuivre sa requête [traduction] « relève d'une conduite qu'il faut décourager et sanctionner par des dépens, indépendamment du succès sur le fond de la partie qui se conduit ainsi ».
[32] À mon avis, il s'agit là d'un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire, étayé par des motifs suffisants. L'observation de la protonotaire établit clairement qu'une partie pourrait être condamnée aux dépens quand bien même sa requête serait partiellement accueillie.
[33] La demanderesse a aussi invoqué, en se fondant sur la jurisprudence, un certain nombre d'arguments concernant la nécessité de produire des projets d'affidavits en réponse. Cependant, je ne vois dans cette argumentation ou dans la jurisprudence citée aucun élément qui serait utile dans le contexte particulier de la présente espèce.
[34] Les deux parties se sont reportées à la décision Purdue-Pharma c. Novopharm Limited, [2006] A.C.F. no 497, selon laquelle la Cour n'a le droit de remettre en cause la décision d'un protonotaire que si elle est convaincue que l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier n'était pas étayé par des conclusions ou des éléments de preuve ou qu'il a rendu sa décision de manière inappropriée.
[35] Comme l'a fait observer l'avocat de la défenderesse, le juge ou le protonotaire n'est pas tenu de prendre en considération la totalité des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles pour rendre sa décision. Ce paragraphe porte en effet que « [d]ans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants […] » [non souligné dans l'original].
[36] Il convient aussi de souligner que la protonotaire a effectivement tenu compte des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles. Rien n'interdit au protonotaire de décider d'utiliser une adjudication de dépens pour bien faire comprendre que la Cour désapprouve fortement ce qu'il considère comme une position déraisonnable adoptée pour le compte d'une partie. Il me paraît évident que la non-production de projets d'affidavits en réponse a exclu une possibilité réelle de règlement et a vraisemblablement compliqué l'instruction de la requête. J'en conclus que la protonotaire avait pris en considération et prévu les difficultés qu'entraînerait pour les parties la non‑production de ces projets d'affidavits en réponse et que l'audience sur la requête a par la suite confirmé la justesse de son point de vue.
[37] Dans la décision Pharma c. Novopharm, précitée, la protonotaire Tabib a accordé les dépens à Novopharm au motif que le dossier de requête de la demanderesse était insuffisant sur le plan de la preuve et que cette dernière partie n'avait pas produit de projets d'affidavits en réponse. Elle a écrit :
[traduction] Néanmoins, j'accorderai à Novopharm les dépens afférents à la requête, quelle que soit l'issue de la cause. La raison en est que la demanderesse a présenté un dossier si dépourvu d'indications sur le contenu des éléments de preuve devant être produits qu'il a quasiment privé la défenderesse de toute possibilité de consentement ou de compromis, à moins de donner à la demanderesse un chèque en blanc l'autorisant à produire à peu près n'importe quel élément de preuve « relativement à » des questions extrêmement diverses. La conduite de la demanderesse lui a aussi permis, plusieurs fois plutôt qu'une, de changer de point de vue sur la preuve nécessaire au cours de l'audience, de sorte que sa thèse devenait parfois une véritable cible mobile. L'adjudication de dépens exprime la désapprobation de la Cour pour une telle conduite.
[38] Cette décision de la protonotaire Tabib a été portée en appel devant la Cour fédérale et a été confirmée par le juge Michel Beaudry. Celui‑ci a fait les observations suivantes aux paragraphes 16 et 17 de ses motifs :
c) La protonotaire Tabib a‑t‑elle commis une erreur de droit en accordant des dépens à la défenderesse?
La demanderesse soutient que la protonotaire Tabib a commis une erreur en accordant des dépens à la défenderesse parce qu'elle a conclu que la demanderesse n'avait pas informé la défenderesse des éléments de preuve qu'elle avait l'intention de déposer. La demanderesse fait valoir que, d'après la jurisprudence de la Cour, elle n'était pas tenue de le faire.
Après avoir lu les motifs de la protonotaire Tabib, je ne peux pas être d'accord avec la demanderesse. Les motifs montrent clairement que des dépens ont été accordés à la défenderesse parce que la Cour désapprouvait le comportement de la demanderesse au cours de la procédure, notamment le fait que la demanderesse n'avait pas fourni de renseignements suffisants sur le contenu des éléments de preuve complémentaires qu'elle avait demandé l'autorisation de produire. Compte tenu de mes conclusions au sujet de la deuxième question en litige en l'espèce, je ne pense pas que la protonotaire Tabib ait commis une erreur en accordant des dépens à la défenderesse.
[39] En l'espèce, j’estime que je dois souscrire au raisonnement du juge Beaudry.
CONCLUSION
[40] Après avoir examiné tous les éléments présentés par les deux parties, je conclus que la demanderesse n'a pas produit une preuve suffisante pour convaincre la Cour que la décision de la protonotaire sur les dépens était entachée d'erreur flagrante et qu'il y a ainsi lieu de la modifier.
[41] En conséquence, le présent appel est rejeté et les dépens sont adjugés à la défenderesse Novopharm.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
Le présent appel est rejeté et les dépens sont adjugés à la défenderesse Novopharm.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1532‑05
INTITULÉ : ELI LILLY CANADA INC.
c.
NOVOPHARM LTÉE et al.
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 9 NOVEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
DATE DES MOTIFS : LE 29 NOVEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Beverley Moore
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POUR LA DEMANDERESSE |
Andrew Skodyn
Rick Woyiwada
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POUR LA DÉFENDERESSE NOVOPHARM LTÉE
POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats Ottawa (Ontario)
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Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE NOVOPHARM LTÉE
POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |