ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Les présents motifs font suite à l’instruction, le 22 novembre 2006, à Toronto, d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au Canada. Cette décision a été rendue le 31 janvier 2006.
LE CONTEXTE
[2] La demanderesse est une citoyenne de Sainte-Lucie. Elle a affirmé avoir été agressée à maintes reprises par son ex-conjoint, ainsi que par d’autres personnes après s’être séparée de ce dernier. Elle a demandé la protection de la police et, en 1999, son conjoint a été accusé, déclaré coupable et condamné à une amende ou à une peine d’emprisonnement. Des dommages-intérêts pécuniaires ont été accordés à la demanderesse pour l’agression dont elle avait été victime.
[3] À deux reprises en 2002, la demanderesse a quitté Sainte-Lucie pour séjourner en Martinique, avant de retourner dans son pays.
[4] En février 2003, la demanderesse a quitté Sainte-Lucie pour passer des vacances au Canada. Elle a trouvé un emploi dans ce pays et a décidé d’y rester. Elle a attendu jusqu’en août 2005 pour demander l’asile et a produit peu de documents au soutien de sa demande.
LA DÉCISION CONTESTEÉ
[5] Après avoir examiné la preuve documentaire sur la protection offerte par l’État aux femmes victimes de violence à Sainte-Lucie, ainsi que la preuve relative au fait que la demanderesse s’est réclamée de la protection de son pays à deux reprises et au délai qui s’est écoulé avant qu’elle quitte Sainte-Lucie pour le Canada et demande l’asile dans ce pays, la SPR a rejeté sa demande.
[6] La SPR a écrit dans l’introduction des motifs de sa décision :
Comme la demandeure d’asile n’était pas représentée par un conseil, le tribunal s’est assuré que les protections procédurales suivantes étaient en place. La demandeure d’asile a eu amplement de temps avant le début de l’audience pour parler avec un agent de protection des réfugiés […], qui lui a expliqué comment se déroulerait l’audience et le fardeau dont elle devait s’acquitter. On lui a expliqué les motifs prévus dans la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention) ainsi que la signification du regroupement des motifs de protection. Elle a eu la possibilité de vérifier son Formulaire de renseignements personnels […] et de mentionner au tribunal toute modification avant de témoigner sous serment de l’exactitude de celui-ci. Elle a indiqué qu’elle se sentait capable de présenter ses propres arguments sans l’aide d’un conseil et a affirmé qu’elle comprenait les explications et les instructions fournies par l’APR.
[7] Or, l’essentiel de ce passage est fort inexact. La demanderesse s’est présentée à l’audience avec un conseil. Ce dernier a demandé que l’audience soit reportée, ce qui a été refusé. Malgré ce refus, le conseil a tout de même représenté la demanderesse à l’audience. Après que la demanderesse eut été interrogée par l’agent de protection des réfugiés et par le président de l’audience, le conseil lui a posé un assez grand nombre de questions. Finalement, il a présenté des observations.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[8] Selon le conseil de la demanderesse, la SPR a manqué aux principes d’équité et de justice naturelle parce que, à la lumière du passage des motifs de la décision cité ci-dessus, il faut présumer que le président de l’audience n’a pas tenu compte des questions posées à la demanderesse par son conseil à l’audience, ni des réponses données à ces questions, ni des observations présentées par le conseil à l’audience.
[9] L’avocat du défendeur a reconnu que le passage cité ci-dessus constitue une erreur flagrante et justifie que l’on conclue à un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, tout en faisant valoir, cependant, qu’une lecture attentive des motifs de la décision et de la transcription, notamment des questions posées à la demanderesse par son conseil et des réponses qu’elle a données, ainsi que des observations du conseil, révèle que la SPR a parfaitement compris toute la preuve qui lui avait été présentée et a correctement appliqué les principes de droit applicables à la demande de la demanderesse. Selon lui, il serait inutile, même si l’on concluait à un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, d’annuler la décision contestée et de renvoyer la demande de la demanderesse afin qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle audition et d’une nouvelle décision car elle serait inévitablement rejetée à nouveau.
ANALYSE
La norme de contrôle
[10] Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle lorsque la Cour est saisie d’un déni de justice naturelle ou d’un manquement à l’équité. En fait, si le degré approprié d’équité procédurale ou de justice naturelle a été démontré, aucune retenue n’est exigée et la décision doit être annulée[1].
Déni de justice naturelle ou manquement à l’équité
[11] La présence du passage cité précédemment dans les motifs de la décision de la SPR est inadmissible. Je suis disposé à en déduire qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale dans cette affaire et que le président de l’audience n’a pas tenu compte des questions posées à la demanderesse par son conseil, des réponses à ces questions et des observations du conseil.
[12] Dans Sarfraz Hussain et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2], ma collègue la juge MacTavish a écrit aux paragraphes 20 et 25 de ses motifs :
L'omission, par inadvertance, d'un tribunal de tenir compte d'observations faites au nom d'une partie peut résulter en un manquement à l'équité procédurale suffisant pour justifier l'annulation de la décision du tribunal : […]
[…]
L'omission par la Commission de tenir compte des observations de l'une des parties, même par inadvertance, constitue un manquement à l'équité procédurale. Eu égard à toutes ces circonstances, je ne puis affirmer avec certitude que les observations finales des demandeurs n'auraient pas eu d'effet sur le dénouement de la cause. Par conséquent, la décision de la Commission devrait être annulée, et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être entendue à nouveau sur la base d'un dossier complet.
[renvoi omis]
[13] Je fais miens ces paragraphes.
L’inutilité d’annuler la décision contestée et de renvoyer la demande de la demanderesse afin qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle audition et d’une nouvelle décision
[14] Dans Lahocsinszky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3], ma collègue la juge MacTavish a écrit au paragraphe 13 de ses motifs :
Toutefois, la Cour ne rejettera pas une décision chaque fois qu’il y a manquement à la justice naturelle. Ainsi, elle n’annulera pas une décision si elle est convaincue que le manquement n’a pas influé sur le résultat : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extra-côtiers […], cité dans Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) […]
[renvois omis]
[15] J’ai examiné minutieusement les motifs de la décision de la SPR, que j’ai lus en faisant abstraction du passage qui pose problème, ainsi que la transcription de l’audience devant la SPR, notamment les questions posées à la demanderesse par son conseil, les réponses qui y ont été données et les observations du conseil, ainsi que la preuve documentaire relative à la situation existant à Sainte‑Lucie dont disposait la SPR. Cet examen me convainc que le manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale qui a été commis en l’espèce n’a pas pu avoir une incidence sur le résultat. Non seulement la SPR pouvait raisonnablement arriver à la décision à laquelle elle est parvenue, mais cette décision était inévitable. Compte tenu en particulier de la propre conduite de la demanderesse et de son passé et, de façon plus générale, de la preuve documentaire relative à la protection offerte par l’État aux victimes de violence conjugale ou de violence du même type à Sainte-Lucie, je suis convaincu que la demande d’asile de la demanderesse ne pourrait pas être accueillie.
CONCLUSION
[16] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
CERTIFICATION D’UNE QUESTION
[17] À la fin de l’audience devant la Cour, les avocats ont été informés que la présente demande de contrôle judiciaire serait rejetée. Ils ont été consultés au sujet de la certification d’une question. Aucun d’eux n’a recommandé qu’une question soit certifiée. La Cour elle-même est convaincue que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui serait déterminante si ma décision était portée en appel. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.
Ottawa (Ontario)
Le 27 novembre 2006
Traduction certifiée conforme
Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-964-06
INTITULÉ : SHANDA FONTENELLE
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 22 NOVEMBRE 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 27 NOVEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Michael Korman POUR LA DEMANDERESSE
David Tyndale POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Otis et Korman POUR LA DEMANDERESSE
Avocats
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
[1] Voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, qui a récemment été suivi en matière d’immigration dans Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 766; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056 (QL), 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53, qui a récemment été suivi en matière d’immigration dans Hoque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 772, au paragraphe 11.
[2] 2004 CF 259 (CanLII).
[3] [2004] A.C.F. no 313 (QL), 2004 CF 275.