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Date : 20061123

Dossier : T-2007-02

Référence : 2006 CF 1420

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU, TONI HERON,

RAYMOND BEAVER ET SONNY MCDONALD, en leur qualité de

CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION SALT RIVER No 195,

élus le 30 août 2002

demandeurs

 

et

 

VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR,

membre incontesté, dûment élu, du CONSEIL DE BANDE,

NORA BEAVER, DAVID GOWANS, CONNIE BENWELL,

MICHEL BJORNSON, HARVEY LEPINE ET DON TOURANGEAU,

censément élus CONSEILLERS DE LA BANDE lors d’une réunion tenue le 3 novembre 2002, ET JEANNIE MARIE-JEWELL,

agissant à titre de gestionnaire intérimaire de la bande

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS

 

[1]        Dans la décision Melvin Wanderingspirit et al. c. Victor Marie et al., 2006 CF 837, la Cour a conclu qu’il y avait eu outrage au tribunal de la part de M. Victor Marie et de M. Norman Starr (les auteurs de l’outrage) à plusieurs égards.

 

[2]        M. Marie a été reconnu coupable de quatre chefs d’outrage au tribunal et M. Starr, de deux. Les chefs découlaient de l’émission, de l’autorisation et de l’acceptation de chèques tirés sur les comptes de la Première nation Salt River (la PNSR), contrairement aux modalités de plusieurs ordonnances de la Cour. Ces conclusions sont décrites en détail dans Wanderingspirit et al., précitée. La Cour doit maintenant décider de la peine à infliger aux auteurs de l’outrage, vu les circonstances de l’espèce.

 

Analyse

[3]        Les peines dont est passible l’outrage au tribunal sont prévues à l’article 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 :

Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner  :

 

 

Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

 

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

 

 

(a)    the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

 

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

 

 

(b)    the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

 

c) qu’elle paie une amende;

 

 

(c)    the person pay a fine;

 

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

 

 

(d)    the person do or refrain from doing any act;

 

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

 

 

(e)    in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

 

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

 

 

(f)     the person pay costs.

 

 

[4]        Un examen de la jurisprudence permet de dégager un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en compte dans la détermination de la peine pour outrage. D’une manière générale, la peine doit rendre compte de la sévérité de la loi tout en étant assez modérée pour démontrer la clémence de la justice (Cutter (Canada) Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 557, 14 C.P.R. (3d) 449, à la page 453 (C.A.F.)). Les éléments suivants sont aussi pris en considération :

 

  • l’amende ne doit pas être purement symbolique; elle doit être fonction de la capacité de payer de la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal (Desnoes & Geddes Ltd. c. Hart Breweries Ltd., 19 C.P.R. (4th) 346, au paragraphe 7 (C.F. 1re inst.));

 

  • le fait que l’outrage constitue une première infraction (R. c. de L’Isle (1994), 56 C.P.R. (3d) 371, au paragraphe 373 (C.A.F.));

 

  • la question de savoir si l’auteur de l’outrage a déjà fait fi d’un moyen de contrainte de la Cour (Desnoes & Geddes, précitée, au paragraphe 11);

 

  • la présence de facteurs atténuants tels que la bonne foi et les excuses (Cutter (Canada) Ltd., précité, au paragraphe 454);

 

  • la présence d’excuses et le moment où elles ont été faites (N.M. Paterson & Sons Ltd. c. St. Lawrence Seaway Management Corp., [2002] A.C.F. no  1713, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.));

 

  • l’objectif de dissuasion, pour faire en sorte que les ordonnances subséquentes soient respectées (Louis Vuitton S.A. c. Tokyo-Do Enterprises Inc. (1991), 37 C.P.R. (3d) 8, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.));

 

  • l’intention d’ignorer ou de ne pas respecter délibérément les ordonnances de la Cour (James Fisher and Sons Plc c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [2002] A.C.F. n865, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.));

 

  • le fait que l’ordonnance qui a été violée a été jugée invalide par la suite (Coca‑Cola Ltd. c. Pardhan (2000), 5 C.P.R. (4th) 333, au paragraphe 6 (C.F. 1re inst.)), conf. par (2003), 23 C.P.R. (4th) 173 (C.A.F.)).

 

[5]        En l’espèce, plusieurs facteurs entrent en jeu dans la détermination de la peine.

 

  1. L’ordonnance du 20 juin 2003 a été jugée invalide par la suite par la Cour d’appel fédérale (Wanderingspirit et al. c. Marie et al., 2003 CAF 384) parce que le juge des requêtes, après avoir décidé qui étaient les membres légitimes du conseil de bande, n’était pas habilité à intervenir dans l’exercice des pouvoirs du conseil, y compris celui de nommer les signataires autorisés.

 

  1. Les ordonnances ont été délivrées à une époque où une grande confusion et un climat venimeux régnaient au sein de la PNSR. À la lumière des ordonnances et des actes commis par les auteurs de l’outrage, il est évident (même si c’est a posteriori) qu’il était difficile d’exécuter les ordonnances en question dans la situation que vivait la PNSR.

 

  1. Le libellé des ordonnances n’était pas toujours limpide.

 

  1. Aucune preuve à ma disposition ne démontre que les auteurs de l’outrage avaient l’intention de faire quoi que ce soit d’autre que de verser une rémunération à d’autres membres et employés du conseil de bande, ainsi qu’à eux-mêmes, pour  le travail qu’ils avaient accompli.

 

  1. Dans sa plaidoirie, M. Starr s’est excusé d’avoir agi comme il l’a fait.

 

  1. M. Marie, en sa qualité de chef, est le premier responsable de l’outrage.

 

[6]        Les demandeurs réclament une peine d’emprisonnement. Ils soulignent la prétendue incapacité des auteurs de l’outrage de payer une amende et l’effet dissuasif qu’aurait une peine d’emprisonnement pour éviter toute récidive. Je ne suis pas convaincue qu’une peine d’emprisonnement serait équitable. Il s’agit de la première infraction des auteurs de l’outrage. En outre, puisque l’ordonnance a été déclarée invalide postérieurement à l’outrage, il ne peut y avoir de récidive. L’emprisonnement immédiat serait une peine beaucoup trop lourde qui ne ferait qu’exacerber les querelles au sein de la PNSR et occasionnerait des difficultés excessives aux auteurs de l’outrage et à leur famille.

 

[7]        Les demandeurs font valoir qu’une amende n’aurait aucun effet puisque les auteurs de l’outrage n’ont pas les moyens de la payer. Ils soulignent qu’ils ont de la difficulté à recouvrer des auteurs de l’outrage les dépens qui leur ont été adjugés dans une autre instance.

 

[8]        Les demandeurs soutiennent également que, si je décide d’infliger une amende, celle-ci devrait être égale au montant qui aurait été puisé dans les comptes de la PNSR pour l’émission des chèques contrairement aux ordonnances. Je ne crois pas que la peine devrait être déterminée de cette façon. En matière d’outrage, la peine a pour but de [traduction] « réparer l’atteinte portée à l’autorité de la Cour » (International Forest Products c. Kern, [2001] B.C.J. no 135, au paragraphe 20 (C.A.C.‑B.)). En l’espèce, je dois déterminer si les auteurs de l’outrage ont fait fi d’une ordonnance judiciaire, et non s’ils ont volé des fonds à la PNSR. Pour cette raison, la peine devrait servir à rétablir la réputation de la Cour et à dissuader les auteurs de l’outrage d’enfreindre des ordonnances dans l’avenir. Elle ne vise pas à permettre aux demandeurs de recouvrer des sommes qu’ils estiment avoir été effectivement volées à la PNSR. De toute manière, les amendes sont versées à la Cour et non aux demandeurs.

 

[9]        J’examinerai maintenant le cas de M. Starr, qui a été reconnu coupable de deux chefs. Il paie actuellement sa part des dépens auxquels il a été condamné antérieurement, au moyen d’une saisie-arrêt sur son salaire. Je conviens que M. Starr n’a probablement pas les moyens de payer une lourde amende, sauf si celle‑ci est étalée sur une très longue période. Cependant, M. Starr s’est excusé de son comportement et reconnaît sa responsabilité en ce qui concerne les dépens auxquels il a déjà été condamné. Je suis convaincue que M. Starr n’était pas l’âme dirigeante de l’outrage; il semble que M. Marie en soit le principal instigateur. Je crois qu’une amende est la sanction appropriée et j’en fixe le montant à 500 $. Je m’attends à ce que M. Starr prenne les dispositions nécessaires pour payer cette amende.

 

[10]      La situation de M. Marie est quelque peu différente. Il n’a présenté aucune excuse et soutient même avoir suivi les instructions de son ancien avocat. L’examen de la preuve que j’ai effectué dans le cadre du procès pour outrage me convainc que M. Marie est le principal protagoniste dans le conflit qui a mené à la violation des ordonnances. Contrairement à M. Starr, il semble qu’il ne paie pas les dépens auxquels il a déjà été condamné et qu’il ait même peut‑être pris des mesures pour éviter de les payer. Cependant, je prends aussi en compte le fait que les chèques ont été émis en faveur de certains membres de l’ancien conseil de bande qui n’avaient pas été rémunérés, et pas seulement pour son profit personnel. En outre, M. Marie n’est probablement pas en mesure de payer une forte amende. Je lui inflige donc une amende de 2 000 $. Comme je crains qu’il ne prenne pas cette peine au sérieux, la Cour doit lui imposer une condition qui l’incitera à se conformer à la présente ordonnance et à payer l’amende. Aussi, si l’amende n’est pas payée dans un délai de 90 jours suivant la présente ordonnance, M. Marie devra purger une peine d’emprisonnement de 21 jours consécutifs.

 

Dépens

[11]      Les demandeurs réclament le remboursement de l’intégralité de leurs frais juridiques. Dans les observations écrites qu’ils ont déposées ultérieurement, les demandeurs fixent à 50 368,64 $ les dépens avocat-client, incluant les frais, honoraires, débours et taxes. J’estime que ce montant est déraisonnable.

 

[12]      Règle générale, il convient d’adjuger les dépens sur une base avocat-client. Ceux qui aident la Cour à exécuter ses ordonnances ne devraient généralement pas être tenus de payer de leur poche (Coca-Cola, précité, au paragraphe 21). En l’espèce, cependant, différents facteurs devraient entraîner une révision à la baisse du montant réclamé.

 

[13]      Tout d’abord, les demandeurs n’ont eu que partiellement gain de cause dans la procédure pour outrage; les accusations portées contre un certain nombre de personnes accusées d’outrage ont été rejetées. Il est important de souligner que les auteurs de l’outrage en l’espèce n’ont pas à subventionner l’échec des demandeurs.

 

[14]      Les demandeurs font valoir que 75 % du temps consacré à la présente affaire concernait directement la preuve de l’outrage dont étaient accusés M. Marie et M. Starr. Ils semblent fonder leur calcul sur le fait que six des huit accusations d’outrage (donc 75 %) visaient directement M. Marie et M. Starr. Cette méthode simpliste entraîne, à mon avis, un résultat inéquitable. Les parties qui ont été reconnues coupables d’outrage ne devraient pas avoir à supporter la totalité des frais – ni même 75 % des frais – d’une poursuite intentée contre tous les défendeurs. En conséquence, je réduirai considérablement les dépens concernant l’audience de justification (un jour) et la requête principale en outrage (deux jours).

 

[15]      Je souligne également qu’il y avait deux avocats dans la présente affaire, même si celle‑ci n’était pas complexe. Les deux avocats étaient présents durant le procès de deux jours pour outrage, ce qui a engendré non seulement des frais et des honoraires juridiques, mais aussi d’importants frais de déplacement. J’ai des doutes sur le bien-fondé de la décision de recourir à deux avocats dans la présente affaire.

 

[16]      On ne peut ignorer le fait que l’ordonnance sous-tendant l’outrage a été jugée invalide, ce qui m’amène aussi à user de prudence dans l’adjudication des dépens.

 

[17]      Comme je l’ai mentionné précédemment, M. Marie porte, selon moi, la responsabilité première de l’outrage.

 

[18]      En tenant compte de ces facteurs et en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, je fixe les dépens à 10 000 $, incluant tous les frais, honoraires, débours et taxes, qui seront supportés à 75 % par M. Marie et à 25 % par M. Starr; les montants en question doivent être payés dans les 12 mois suivant les présents motifs de décision et ordonnance. Il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance relative à la possibilité que les auteurs de l’outrage ne paient pas leur part respective des dépens adjugés. Le cas échéant, plusieurs recours s’offrent aux demandeurs; aucune ordonnance n’est nécessaire.

 

[19]      Les motifs concernant l’adjudication des dépens ont été prononcés le 10 novembre 2006. Malheureusement, j’avais présumé à tort que M. Marie et M. Starr n’avaient pas présenté d’observations écrites sur la question des dépens. J’avais donné instruction de faire parvenir ces observations au plus tard le 15 novembre 2006. M. Marie et M. Starr ont tous deux déposé des observations sur les dépens dans le délai imparti. L’article 397 des Règles des Cours fédérales permet à la Cour de réexaminer une question dans de telles circonstances. J’ai donc, de mon propre chef, réexaminé la question des dépens. Bien que mes motifs aient été modifiés, j’ai décidé que le résultat resterait le même. M. Marie et M. Starr font valoir tous les deux que les demandeurs devraient avoir droit à seulement 22 % du montant réclamé puisqu’ils ont eu gain de cause contre deux des défendeurs nommés à l’origine dans l’action. Cette méthode, bien qu’elle ne soit pas parfaite, présente une certaine logique et est fondée en l’espèce. Elle donnerait lieu à des dépens d’environ 11 000 $. Des dépens s’élevant à 10 000 $ se situent dans cette fourchette, compte tenu particulièrement des autres problèmes que soulève, selon moi, le montant réclamé.

 

[20]      Même si M. Marie a demandé de n’être tenu de payer que la moitié des dépens adjugés, je continue de croire que son rôle dans le non-respect des ordonnances de la Cour était plus important. Par conséquent, sa part des dépens s’élèvera à 75 %, ou à 7 500 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

    1. M. Norman Starr est condamné à une amende de 500 $.

 

    1. M. Victor Marie est condamné à une amende de 2 000 $ devant être acquittée dans les 90 jours suivant la présente ordonnance.

 

    1. M. Norman Starr, à raison de 25 %, et M. Victor Marie, à raison de 75 %, doivent rembourser aux demandeurs des dépens qui totalisent 10 000 $, incluant les débours et les taxes applicables, dans un délai de 12 mois.

 

    1. Si l’amende infligée au paragraphe 2 n’est pas payée aux demandeurs conformément à la présente ordonnance, M. Victor Marie sera emprisonné pour une période de 21 jours.

 

 

                « Judith A. Snider »

______________________________  

               Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-2007-02

 

INTITULÉ :                                                       MELVIN WANDERINGSPIRIT ET AL.

                                                                            c.

                                                                            VICTOR MARIE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 28 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 23 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Chris Watson                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Victor Marie                                                        POUR LE DÉFENDEUR VICTOR MARIE

                                                             

Norman Starr                                                       POUR LE DÉFENDEUR NORMAN STARR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

MacKenzie Fujisawa LLP                                    POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

                                                             

(sans objet)                                                          POUR LE DÉFENDEUR VICTOR MARIE

 

(sans objet)                                                          POUR LE DÉFENDEUR NORMAN STARR

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