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Date : 20061127

 

Dossier : IMM-3010-06

 

Référence : 2006 CF 1426

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2006

 

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

 

 

JORGE ALBERTO MEDINA OROZCO

ROSAURA SANABRIA NOGUEZ

TANI XIMENA MEDINA SANABRIA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 19 mai 2006 par un agent d’examen des risques avant renvoi, rejetant la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent avant de venir au Canada.

 


FAITS PERTINENTS

 

[2]               Les demandeurs, M. Medina Orozco, son épouse et sa fille, tous trois citoyens du Mexique, ont soumis une demande de dispense de visa pour motifs d’ordre humanitaire le 10 avril 2006. Cette demande a été suivie d’une demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR), déposée le 2 mai 2006.

 

[3]               Le 19 mai 2006, les demandes de dispense de visa pour motifs d’ordre humanitaire et d’ERAR ont toutes deux été rejetées par M. Gilles Crête, agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR).

 

[4]               Il s’agissait en fait de la deuxième demande de dispense de visa pour motifs d’ordre humanitaire et de la deuxième demande d’ERAR soumises par les demandeurs, les demandes précédentes ayant été rejetées le 4 juillet 2005 et le 7 décembre 2004 respectivement.

 

[5]               Les demandeurs avaient aussi présenté une revendication du statut de réfugié en l’an 2000, ainsi qu’une demande d’immigration au Canada à partir du Mexique en 2002, toutes deux rejetées.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[6]               Par la présente, les demandeurs contestent la décision de l’agent d’ERAR datée du 19 mai 2006, voulant que les motifs humanitaires invoqués soient insuffisants pour démontrer que l’obligation des demandeurs de quitter le Canada et de déposer leur demande de résidence permanente à partir du Mexique occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

QUESTION EN LITIGE

 

[7]               Le présent litige soulève la question suivante : L’agent d’ERAR a-t’il commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve soumise?

 

EXTRAIT LÉGISLATIF PERTINENT

[8]               La demande de dispense de visa pour motifs d’ordre humanitaire relève du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette disposition se lit comme suit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[9]               La Cour suprême a établi dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R. S.C. 817, que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions rendues par les agents d’immigration relativement à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable.

 

ANALYSE

 

[10]           Les demandeurs soumettent que l’agent d’ERAR a commis une erreur de droit en ne procédant pas à une nouvelle étude indépendante de leur dossier, acceptant plutôt les conclusions qu’il a lui-même tirées lors de la première demande, et limitant son analyse aux faits nouveaux soulevés par les demandeurs.

 

[11]           Le défendeur, pour sa part, note que la décision initiale de l’agent d’ERAR pour motifs d’ordre humanitaire n’a pas été contestée devant cette Cour et demeure donc valide. De plus, la deuxième demande est motivée par l’introduction de faits nouveaux, et non pas par le simple passage du temps. Par conséquent, il est raisonnable que l’agent concentre son analyse sur ces faits nouveaux.

 

[12]           J’ajouterais à ceci qu’il serait irréaliste de s’attendre à ce qu’un individu puisse faire de multiples demandes pour motifs d’ordre humanitaire, basées sur les mêmes faits, et s’attendre à ce que chaque demande soit évaluée indépendamment en ignorant les décisions précédentes. Je suis d’avis que l’adoption d’une telle approche permettrait à un demandeur de contourner la Loi, laquelle contient déjà de nombreux mécanismes pour échapper au refus du décideur initial (par exemple, le contrôle judiciaire de la décision ou la demande d’examen des risques avant renvoi).

 

[13]           Sur ce point, je souscris aux motifs exprimés par le Juge Sean J. Harrington dans l’arrêt Kouka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1561, aux paragraphes 14 et 15 :

Bien que les ressortissants étrangers soient en droit de faire plus d'une demande CH et plus d'une demande ERAR au Canada, la dernière demande en titre doit reposer sur de nouveaux éléments, car s'il en était autrement, quel en serait l'objectif poursuivi? Bref, en quoi une nouvelle demande serait-elle alors pertinente? Une telle façon de faire porterait atteinte au système de justice canadien, et par le fait même, irait directement à l'encontre de l'esprit véhiculé par la règle de la chose jugée faisant autorité en matière judiciaire. En l'instance, l'agent d'immigration ne contrevient à aucune règle ou à aucun principe lorsqu'il reprend des constatations déjà émises dans une décision précédente ou lorsqu'il limite son appréciation de la preuve aux nouveaux éléments devant lui. En cela, la décision est correcte et la Cour ne doit pas intervenir. Faut-il le rappeler, en matière de justice naturelle et d'équité procédurale, l'examen de la décision contestée doit se faire suivant la norme de la décision correcte comme il en a été décidé dans l'arrêt de la Cour suprême S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539.

De plus, il n'y a rien de malencontreux avec le fait que ce soit le même agent d'immigration qui ait statué à chaque étape du dossier visant la reconnaissance aux demandeurs d'un statut légal au pays. À ce sujet, monsieur le juge Blais écrivait ce qui suit au paragraphe 16 de la décision Nazaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 416, [2006] A.C.F. no 596, (QL) : "En principe, l'agente saisie de la première demande d'ERAR pouvait être saisie de la deuxième, mais il y a des règles a suivre pour que l'agente ne porte atteinte aux principes de justice naturelle et d'impartialité". À la lumière du dossier, rien n'indique que ces règles n'ont pas été respectées par l'agent d'immigration. Il est à noter que les demandeurs n'ont pas démontré qu'une personne informée qui verrait l'affaire d'une façon réaliste et pratique, et qui prendrait le temps de réfléchir, conclurait qu'il est probable que le décideur n'a pas pris sa décision en toute équité (Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369).

 

[14]           Dans la situation présente, l’agent s’était déjà prononcé sur le dossier des demandeurs, il y a de cela moins d’un an, et il était parfaitement raisonnable qu’il concentre son analyse sur les faits nouveaux introduits dans la deuxième demande afin de déterminer si ces faits étaient suffisants pour contrebalancer la conclusion négative tirée en vertu des faits déjà soulevés dans la première demande. De plus, aucune preuve n’a été soumise démontrant que la décision de l’agent d’ERAR n’aurait pas été prise en toute équité.

 

[15]           Les demandeurs soumettent ensuite que l’agent d’ERAR a erré en concluant que la décision positive de la Section de protection des réfugiés (la SPR), dans la cause de la belle-fille du demandeur principal, ne constituait pas une preuve permettant de corroborer la version des faits soumise par les demandeurs.

 

[16]           Le défendeur soutient au contraire que les motifs reflètent une étude minutieuse par l’agent de la preuve soumise et que sa décision est raisonnable.

 

[17]           À la lecture de la décision, il est clair que l’agent d’ERAR a considéré les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur, en particulier le fait que la belle-fille ait obtenu le statut de réfugié. Sur ce point particulier, l’agent conclut qu’il n’est pas lié par la décision de la SPR; chaque situation est différente et chaque décideur est indépendant. L’agent d’ERAR soulève plusieurs lacunes dans la preuve soumise qui le mènent à rejeter la décision de la SPR comme preuve corroborant les allégations des demandeurs. L’agent considère aussi plusieurs autres éléments soumis par les demandeurs, dont entre autres, la situation médicale du demandeur principal, pour finalement conclure que les motifs humanitaires invoqués sont insuffisants pour démontrer que leur départ du Canada, afin de faire leur demande de visa à l’étranger, occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (Irimie c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2000] F.C.J. No. 1906).

 

[18]           Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation des faits à celle du décideur. La Cour doit plutôt déterminer « si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision » (Law Society of New Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 56).

 

[19]           Dans le cas présent, les conclusions de l’agent, considérées dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision.

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

[21]           Je me dois aussi de souligner l’excellent travail des deux procureurs dans le présent dossier. Ceci étant dit, je note que la présente décision constitue la septième décision refusant la demande des demandeurs. Bien que les demandes répétées des demandeurs puissent être vues comme l’expression d’une grande ténacité, d’autre part, cette ténacité peut s’apparenter à un abus de procédure lorsque les parties semblent ne pas accepter la portée des décisions rendues et continuent de revenir à la charge avec de nouvelles demandes dont le fondement est discutable à sa face même.

 

[22]           Les procureurs n’ont soumis aucune question pour certification.


JUGEMENT

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3010-06

 

INTITULÉ :                                        JORGE ALBERTO MEDINA OROZCO

                                    ROSAURA SANABRIA NOGUEZ

TANI XIMENA MEDINA SANABRIA

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE :               21 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT :       LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      27 novembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

ME WILLIAM SLOAN

 

POUR LES DEMANDEURS

ME DIANE LEMERY

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ME WILLIAM SLOAN

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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