Plaintiff
and
RAILWAY COMPANY
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
RICHARD MORNEAU
Introduction
[1] Le 29 août 2006, alors même que l’instruction au mérite de l’action simplifiée dans le présent dossier s’apprêtait à se mettre en branle, le procureur de la défenderesse The Canadian National Railway Company (ci-après le CN) a indiqué verbalement à la Cour et au procureur de la demanderesse Couprie Fenton Inc. (ci-après Fenton) que le CN considérait soutenir que cette Cour n’aurait pas compétence ratione materiae sur le mérite de l’affaire en raison essentiellement du fait que les dommages à la cargaison de poisson de Fenton seraient survenus à la toute fin lors de la livraison de la cargaison dans le cadre de l’exécution entre les parties d’un contrat de transport routier intra provincial en Ontario et non pas lors de l’exécution d’un contrat de transport ferroviaire initial qui avait amené le CN à transporter par rail la cargaison du port de Vancouver à son terminal de Brampton en Ontario.
[2] Cette prise de position du CN quant à la création et à la gouvernance de ce contrat routier a eu bien sûr l’effet d’une bombe en prenant par surprise tant la Cour que le procureur de Fenton qui s’est dit, à juste titre, incapable de se défendre à cette allégation du CN.
[3] Cette situation a donc entraîné la remise sine die du procès et l’émission le jour même de l’ordonnance suivante :
ORDONNANCE
VU que le 29 août 2006 B l’ouverture du procPs dans cette action simplifiée le procureur de la défenderesse a fait valoir pour la première fois et de façon verbale que sa cliente entendait soulever que cette Cour n’aurait pas compétence ratione materiae sur l’action entreprise;
VU que la Cour en conclut que cette question de compétence de par sa nature mLme mérite dans les circonstances d’être débattue en premier lieu;
VU que la Cour ne peut toutefois que déplorer que cette allégation de compétence ne fut soulevée par la défenderesse qu’au début du procPs, ce qui a eu pour effet d’entraîner la remise sine die du procPs dans le présent dossier;
VU que la Cour considère que les questions de l’attribution possible et le quantum en conséquence de tous les frais et dépens perdus en faveur de la demanderesse de par cette remise du procPs seront déterminés B l’occasion de l’adjudication de la requête que la défenderesse devra produire en vertu de l’alinéa 298(2)a) des Règles des Cours fédérales (les règles);
LA COUR ORDONNE COMME SUIT :
- L’instruction au mérite de l’action simplifiée dans le présent dossier est ajournée sine die;
- La défenderesse devra signifier et déposer le ou avant le 28 septembre 2006 en vertu de l’alinéa 298(2)a) des règles une requête pour absence de compétence ratione materiae de cette Cour;
- Les questions de l’attribution possible et le quantum en conséquence de tous les frais et dépens perdus en faveur de la demanderesse de par la remise du procPs seront déterminés B l’occasion de l’adjudication de la requête de la défenderesse sous l’alinéa 298(2)a) des règles.
[4] Le CN a le 28 septembre 2006 signifié et déposé en vertu de l’alinéa 298 (2) (a) et de la règle 369 des Règles des Cours fédérales (les règles) une telle requête pour absence de compétence.
[5] C’est du sort de cette requête du CN ainsi que d’une requête incidente de Fenton en radiation de l’essence de l’affidavit produit par le CN au soutien de sa requête en déclaration d’incompétence que la Cour doit ici traiter.
[6] Pour se faire, la Cour entend s’attaquer avant tout à la requête du CN pour absence de compétence ratione materiae de la Cour (la requête du CN). Elle traitera au moment opportun de la requête en radiation, et autre remède, de Fenton.
Contexte
[7] Pour bien apprécier l’à-propos de la requête du CN, il y a lieu de se saisir du contexte suivant.
[8] En février 2005, Fenton a entrepris une action en dommages à hauteur de près de trente mille dollars canadiens (30 000,00 $ CAN) à l’encontre du CN en lui reprochant essentiellement d’avoir manqué à ses obligations de transporteur commun pour le transport ferroviaire (en langue anglaise « common carrier by rail ») (ci-après transporteur ferroviaire) en raison du fait que le conteneur abritant la cargaison de poisson en litige aurait été laissé sans notification par le CN à une distance inappropriée des portes de chargement de l’entrepôt de réfrigération désigné par Fenton, à savoir Imperial Freezers & Distribution Inc. (ci-après Imperial) situé à Mississauga, Ontario.
[9] Pour les fins de la présente requête – qui ne vise en rien à régler le mérite de l’action – il y a lieu de noter que la déclaration d’action de février 2005 de Fenton contient, entre autres, les paragraphes suivants :
3. At all material times, Canadian National Railway Company (thereinafter “CNR”) was the common carrier by rail of the Cargo from Vancouver, B.C. to Toronto, Ontario;
4. The Cargo was stowed in a refrigerated container with a required set temperature of -20oC;
5. The Cargo in the reefer container arrived at the Port of Vancouver on or about August 31st, 2003 after which it was hauled by rail by CNR arriving at CNR Brampton Terminal on or about September 11th , 2003;
6. On or about September 12th , 2003, Fenton contacted CNR to arrange for delivery of the Cargo from CNR’s Brampton Terminal yard to Fenton’s designated cold storage facility which was Imperial Freezer & Distribution Inc. (hereinafter “Imperial”);
7. While three (3) other Fenton containers were delivered by CNR as arranged, the Cargo went missing and was only recovered on or about September 26, 2003;
8. At some point subsequent to September 12th , 2003 when Fenton had requested CNR deliver the Cargo, CNR dropped the Cargo off at a yard adjacent to the premises of Imperial. Accordingly, CNR delivered the Cargo to the wrong location;
9. Moreover, CNR failed to give notice to either the operators of the facility to which the Cargo had been delivered or to Imperial or to Fenton of the fact that CNR was attempting to effect delivery of the Cargo. Therefore, neither Fenton nor its representatives were aware of CNR’s intended delivery of the Cargo;
10. As a result of CNR’s misdelivery of the Cargo, during the period of time that the Cargo sat in the wrong yard unattended the reefer unit was not operational. Therefore, cold air was not being circulated within the container and the required set temperature of -20oC was not met;
[10] On constate donc que le paragraphe 5 de la déclaration d’action mentionne le transport ferroviaire du conteneur de Vancouver au terminal du CN à Brampton et, par après, le paragraphe 6 souligne la demande de Fenton auprès du CN afin que le conteneur soit acheminé à Imperial.
[11] Dans une défense assez simple produite en avril 2005, le CN admet, entre autres, les paragraphes 3 et 5 de la déclaration d’action de Fenton, ignore le paragraphe 6 de cette même déclaration et indique aux paragraphes cités ci-dessous ce qui semble être sa position de base quant à ses gestes lors du dépôt du conteneur auprès d’Imperial :
7. With respect to paragraph 7 of the Statement of Claim, Defendant denies that the Cargo went missing as the said Cargo has been delivered with Imperial;
8. Defendant denies paragraph 8 of the Statement of Claim, adding further that Defendant has not delivered the Cargo to the wrong location;
(…)
The Defendant further prays:
18. At all material times, Defendant has completed its carrier’s obligation and any loss suffered by Plaintiff is in no way attributable to Defendant;
19. The Cargo has been delivered to the right location;
20. Consequently, the damages incurred to the Cargo, if any, are not in any way whatsoever a result of a fault caused by Defendant;
21. This Defence is well founded in fact and in law;
[je souligne]
[12] On constate donc qu’au moment de produire sa défense en avril 2005, le CN, qui doit certes être vu comme un transporteur expérimenté au fait de ses dossiers et de ses moyens de défense, ne soulève point comme moyen de défense l’argument à l’effet que la livraison du conteneur à Imperial résulte d’un contrat routier provincial (Brampton à Mississauga, deux villes près l’une de l’autre en Ontario) et que cette Cour n’aurait donc pas compétence sur le litige. Au contraire, le paragraphe 3 de cette défense, qui admet le paragraphe 3 de la déclaration d’action de Fenton, indique somme toute qu’en tout temps pertinent, le CN se voyait comme le transporteur ferroviaire.
[13] Au stade de l’interrogatoire au préalable de Fenton, le CN n’a point dirigé de questions quant à la présence d’un contrat routier provincial en opposition au contrat ferroviaire applicable en tout temps.
[14] La situation est restée la même à l’étape des mémoires de conférence préparatoire. De fait, à l’issue de la conférence préparatoire tenue le 22 février 2006, la Cour émettait le 1er mars 2006 une ordonnance où elle indique que les questions en litige au procès seront les suivantes :
1. The issues to be determined at trial are as follows :
(a) What is the quantum of the Plaintiff’s damages, if any?
(b) Did the Defendant properly deliver the Cargo, and therefore meet its contractual obligation?
(c) Alternatively, were the damages sustained by Plaintiff caused by CNR’s fault, negligence and/or gross negligence?
[15] L’absence de compétence de cette Cour n’est certes pas encore là soulevée.
[16] Il en sera de même à l’étape des affidavits en preuve principale des parties produits dans les semaines avant le début du procès.
[17] À cet égard, M. William Fenton, pour Fenton, souscrivait le 9 mai 2006 un affidavit (ci-après l’affidavit de M. Fenton du 9 mai 2006) dans lequel il discute aux paragraphes 6 et 7 des circonstances qui l’ont amené à intervenir afin que le conteneur soit amené par camion jusqu’à Imperial et plus particulièrement de la grève des employés du CN qui sévissait alors. Voici le texte de ces paragraphes 6 et 7 :
6. CNR received the Cargo in Vancouver on or about August 31, 2003 and carried the Cargo to its Brampton Terminal yard, arriving on or about September 11, 2003;
7. Because the local trucker hired to enter CNR’s yard to collect the Cargo was prevented from doing so by CNR’s striking employees, I arranged, throught Couprie Fenton’s duly authorized representative, Sue Stickland, for CNR to carry containers Nos. HJCU6946359 (containing the Cargo), MWCU6086630, MWCU6011986 and MAEU5771841 from CNR’s Brampton Terminal yard to Couprie Fenton’s designated cold storage facility, Imperial Freezers & Distribution Inc. (hereinafter “Imperial”), the whole as appears from Exhibit P-4;
[18] Dans son affidavit en preuve principale date du 31 mai 2006, M. Réjean Pichette, directeur du règlement des réclamations marchandises pour le CN, ne nie pas les circonstances d’intervention de M. Fenton du 12 septembre 2003. Au paragraphe 8 de cet affidavit (l’affidavit de Réjean Pichette du 31 mai 2006), il appert confirmer cette dynamique et procède par après à justifier pourquoi selon lui le conteneur avait été livré correctement à Imperial. Voici ce que les paragraphes 8 à 12 de cet affidavit indiquent :
8. The said containers were not supposed to be delivered by CNR as normally private containers are outgated from CNR’s terminals by third party truckers working on behalf of private containers’ owners. It is following the request made by Mr. Fenton, due to a local truck drivers’ strike, that CNR accepted to use their own drivers to deliver the aforementioned containers to Imperial’s cold storage facility;
9. Consequently, contrary to Couprie, Fenton Inc.’s representations, the Cargo/container No. HJCU6946359 was delivered to Imperial’s cold storage facility on September 15, 2003, the whole as appears from Exhibit P-3;
10. To that effect, the Cargo/container No. HJCU6946359 was delivered and parked at Imperial’s cold storage facility approximately 40 meters away from Imperial’s loading docks;
11. To the best of my knowledge, it is CNR’s common practice, that loads are placed or left in a customer’s yard depending on docks availability;
12. CNR advised Couprie, Fenton Inc.’s representative that it had delivered the Cargo/container No. HJCU6946359 as requested, the whole as appears notably from Exhibit P-1;
[19] On notera ici en passant que M. Fenton parle d’une grève des employés du CN empêchant les camionneurs locaux d’entrer au terminal de Brampton tandis que M. Pichette parle d’une grève des camionneurs locaux. Cette dichotomie n’est pas importante ici quoique l’on y reviendra plus tard en deuxième partie d’analyse. À tout hasard, retenons pour l’instant que cette variation dans les faits n’est point notée ou soulevée par l’une ou l’autre des parties, même malgré la présente requête du CN.
[20] Ce n’est donc qu’au matin du procès le 29 août 2006 que le procureur du CN indiqua qu’il avait réalisé tout juste dans les heures précédent le procès que selon lui l’intervention de M. Fenton auprès du CN le 12 septembre 2003 pour que le conteneur soit amené par le CN à Imperial constituait la conclusion entre les parties d’un contrat routier de transport intra provincial pour lequel cette Cour n’aurait pas compétence. Toutefois aucun affidavit de la part du CN ou même de leurs procureurs ne vient étayer, dans le cadre des requêtes à l’étude, la tardivité de cette prise de position.
Analyse
[21] Il y a lieu à mon sens d’approcher la requête du CN à deux niveaux, soit dans un premier temps, quant à sa recevabilité en raison de son caractère tardif, et, dans un deuxième temps, quant à son mérite même, dans l’éventualité où l’on jugerait qu’elle est recevable.
I Recevabilité de la requête
[22] Je tiens que c’est à l’égard de cet aspect de la requête du CN que Fenton a produit une requête en radiation de la presque totalité de l’affidavit souscrit par le CN, soit l’affidavit de M. Pichette daté du 28 septembre 2006.
[23] Je comprends que l’essence des propos de Fenton à sa requête en radiation est à l’effet qu’il est inconcevable à ce stade-ci qu’il soit permis au CN d’alléguer que la démarche de Fenton du 12 septembre 2003 (lorsque Fenton a requis le CN de livrer le conteneur à Imperial à Mississauga) constituait partant un contrat distinct du transport ferroviaire, soit un contrat routier purement provincial.
[24] Avant d’aborder cette position de Fenton, je me dois de dire que Fenton aurait pu se contenter d’attaquer dans son dossier de réponse la recevabilité de la requête du CN et non pas produire une requête en radiation à l’encontre de la preuve au soutien de la requête du CN. Il est toujours très lourd pour la Cour de devoir traiter d’une requête à l’intérieur d’une autre requête. Cette requête en radiation de Fenton à l’encontre de l’affidavit de M. Pichette daté du 28 septembre 2006, et, si applicable, à l’encontre de l’affidavit de M. Lamothe daté du 27 octobre 2006, sera donc officiellement rejetée pour cette raison.
[25] Cette requête sera rejetée toutefois sans frais puisque je considère néanmoins que la requête de Fenton soulève – lorsque vue et étudiée à titre de dossier de réponse – une position fondée quant au rejet, dans un premier temps, de la requête du CN. (Cette même requête de Fenton contenait une demande à l’effet que le CN soit déclaré forclos de soulever par amendement ultérieur la question de l’absence de compétence de cette Cour advenant le rejet de la requête du CN. Cette demande de Fenton sera traitée en deuxième partie d’analyse (voir par. [38] infra).
[26] En effet, et bien que l’ordonnance de cette Cour datée du 29 août 2006 permette au CN de présenter sa requête, cette générosité de la Cour alors ne peut écarter que la position prise par le CN le matin du 29 août 2006 équivaut en quelque sorte à vouloir amender sa défense pour en retirer une admission judiciaire, soit le retrait « qu’en tout temps pertinent le CN était le transporteur ferroviaire » (Voir le paragraphe 3 de la déclaration d’action et le paragraphe 3 de la défense du CN) pour y substituer en lieu et place, d’une certaine manière, un allégué à l’effet qu’au temps pertinent de la perte alléguée, les parties étaient liées par un contrat qui ne ressort pas de la compétence ratione materiae de cette Cour.
[27] Dès le stade de la défense, le CN aurait du être en mesure de porter cet allégué s’il le désirait. Il ne l’a pas alors fait et n’a pas cherché par amendement à sa défense à le faire par après. Aucune des étapes relatées précédemment et propres à la mise en état de la position du CN au présent dossier n’a amené le CN à soutenir que le contrat pertinent entre les parties était un contrat de transport routier. En tout temps pertinent, la défense du CN était toute autre et consistait à soutenir pour l’essentiel qu’en livrant comme il l’a fait le conteneur à Imperial, le CN avait rempli à tous égards ses obligations de transporteur.
[28] La volte-face du 29 août 2006 et la requête du CN sont assimilables à mon sens à une requête en amendement afin de retirer une admission majeure.
[29] Face à une telle situation, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. Inc. et al v. Apotex Inc. 2003 FCA 488 a tenu les propos suivants aux paragraphes [27] et [52] :
[27] The proposed amendments, in my view, represent a dramatic departure from the position until now advanced by Apotex in its pleadings. Its defence of non-infringement was essentially based on the fact that it had acquired lisinopril made prior to the issuance, on October 16, 1990, of the ’350 Patent and on the fact that it had acquired lisinopril made under a Compulsory Licence issued to its supplier, Delmar. Apotex’ pleadings in these and other proceedings has always assumed that were it not for those facts, there would be infringement of the ’350 Patent. The construction of the Patent and the chemical composition of lisinopril has never been an issue.
(…)
[52] I have reached the conclusion paraphrasing the words of Bowman T.C.C.J. in Continental Leasing (supra, para.31), that it is more consonent with the interests of justice that the withdrawal of admissions and the raising of a radically new defence be denied in the circumstances. This is not, it seems to me, a case of negligent conduct of litigation by counsel – even at that, one should be reminded of the words of Lord Griffiths in Kettemen (supra, para.31) to the effect that courts can no longer afford to show the same indulgence towards the negligent conduct of litigation as was perhaps possible in a more leisured age. This is a case, rather, of a party attempting to derail litigation which has been pursued for several years by adding a defence which, it knows very well, does not reflect the true questions in controversy.
[30] Je considère également dans les circonstances qu’il n’est pas en accord avec les intérêts de la justice de recevoir la requête du CN.
[31] À mon sens donc la requête du CN est irrecevable et mériterait d’être rejetée pour les motifs qui précèdent.
[32] Toutefois, dans l’hypothèse où l’irrecevabilité de la requête du CN n’était pas retenue comme motif de rejet, il y a lieu dans un deuxième temps d’analyse de se pencher sur le mérite même de cette requête.
II Mérite de la requête
[33] Le CN soutien que le paragraphe 6 de la déclaration d’action de Fenton (voir supra, par. [9]) ainsi que le paragraphe 7 de l’affidavit de M. Fenton du 9 mai 2006 en preuve principale au soutien du mérite de l’action (voir supra, par. [17]) sont une admission de Fenton que le 12 septembre 2003 Fenton concluait un contrat routier séparé et additionnel au contrat de transport ferroviaire.
[34] Je ne considère pas que ces paragraphes équivaillent expressément ou implicitement à une telle conclusion. Il m’appert que le paragraphe 7 de l’affidavit de M. Fenton du 9 mai 2006 allié à une lecture du paragraphe 8 de l’affidavit de Réjean Pichette daté du 31 mai 2006 (voir supra, par. [18]) établissent que la livraison en bonne et due forme par le CN du conteneur à Fenton au terme du contrat de transport ferroviaire ne pouvait véritablement s’effectuer au terminal du CN à Brampton puisque Fenton ou ses agents locaux traditionnels ne pouvaient en raison d’une grève – que cela soit la grève des employés du CN ou celle des camionneurs locaux, peut importe – entrer dans la cour du terminal. Face à cette difficulté, il appert que le CN employa un de ses propres camionneurs pour effectuer ou tenter d’effectuer la livraison hors le terminal en amenant le conteneur à Imperial à Mississauga, seulement quelques kilomètres plus loin en dehors de Brampton.
[35] La grève au terminal du CN à Brampton a donc forcé le CN à parachever ou tenter de parachever la livraison due au terme du contrat ferroviaire par le transport à Imperial à Mississauga. N’eut été de cette grève on aurait pu en conclure que le CN aurait complété ses obligations de livraison de la cargaison par l’arrivée du conteneur au terminal de Brampton là où Fenton se devait apparemment de venir le cueillir. Tel que mentionné en page 592 de l’arrêt D. Smellie & Sons v. Dom. Cartage, [1957] 7 D.L.R. (2d) 591 :
Until such time as a reasonable opportunity was given to the plaintiff to accept delivery the goods remained in the possession of the defendant as a common carrier and the duty to carry safely and to deliver safely remained on the defendant.
[36] On peut donc à juste titre conclure que cette Cour a compétence pour entendre le mérite de ce dossier puisque en matière d’attribution statutaire de compétence à cette Cour, il n’y a aucun doute que le CN à l’égard du transport ferroviaire en litige tombe sous le coup de l’alinéa 23 (c) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée. Cet alinéa se lit :
23. Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d'autre recours exercé sous le régime d'une loi fédérale ou d'une autre règle de droit en matière : (…)
(c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.
|
23. Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects: (…)
( c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.
|
(Voir sur ce point l’arrêt HerrenKnecht Tunnelling Systems USA Inc. et al v. Canadian Pacific Railway Co. et al. (2002), 224 F.T.R. 74)
[37] Quant à la loi fédérale qui nourrit le présent litige, elle se trouve à l’alinéa 113 (1) (c) et au paragraphe 116 (5) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch.10, telle que modifiée. Ces dispositions se lisent :
113. (1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu’elle exploite : (…) c) reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus; (…) 116. (5) Quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 possède, sous réserve de la présente loi, un droit d’action contre la compagnie.
|
113. (1) A railway company shall, according to its powers, in respect of a railway owned or operated by it, (…) (c) without delay, and with due care and diligence, receive, carry and deliver the traffic; (…)
116. (5) Every person aggrieved by any neglect or refusal of a company to fulfil its service obligations has, subject to this Act, an action for the neglect or refusal against the company.
|
[38] La requête du CN sera donc rejetée. Dans la foulée de ce rejet, et tel que requis par Fenton, il y aura lieu dans l’ordonnance accompagnant les présents motifs d’édicter qu’en vertu des règles 3 et 53, le CN est forclos de soulever à l’avenir que cette Cour n’a pas compétence ratione materiae sur la présente affaire.
[39] Quant aux dépens relativement à la requête du CN, ils seront attribués à Fenton à être taxés au maximum de la colonne III du Tarif B. De façon séparée et additionnelle, ces dépens incluront un montant certain à titre de frais et dépens perdus par Fenton en raison de sa préparation puis de l’ajournement du procès le 29 août 2006 provoqué par la position tardive du CN quant à l’absence de compétence de cette Cour. Dans un affidavit, un des procureurs de Fenton (ci-après l’affidavit de Kenrick Sproule daté du 6 octobre 2006) établi cette somme sur une base client avocat à près de 16 280,86 $.
[40] Toutefois, vu que le rejet de la requête du CN fait que le procès dans le présent dossier devra finalement se tenir, on doit tenir compte que tous les efforts et démarches de Fenton en vue de la préparation du procès ne sont pas totalement perdus. En conséquence, et malgré que Kenrick Sproule dit en fonction de la pièce E jointe à son affidavit du 6 octobre 2006 avoir tenu compte de cette situation, il y a lieu en vertu des paragraphes ou alinéas 400(1), (3), (3)(o), (4) et (6) (c ) des règles de réduire la somme réclamée sous la pièce E à 8 000,00 $ et d’accorder en vertu des mêmes règles les sommes réclamées sous les pièces F et G du même affidavit, soit un total à titre de frais et dépens perdus de 11 477,09 $.
[41] Une ordonnance sera émise en conséquence.
« Richard Morneau »
Montréal (Québec)
Le 23 novembre 2006
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-352-05
INTITULÉ : COUPRIE, FENTON INC.
Plaintiff
and
THE CANADIAN NATIONAL RAILWAY COMPANY
Defendant
REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À MONTRÉAL SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU
DATE DES MOTIFS : 23 novembre 2006
OBSERVATIONS ÉCRITES :
Me J. Kenrick Sproule
|
POUR LE DEMANDEUR |
Me Jean-François Brière
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
The Law Offices of J. Kenrick Sproule Montréal (Québec) |
POUR LE DEMANDEUR |
|
|
Langlois Kronström Desjardins LLP Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |