Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Mme Nicole John est citoyenne de la Trinité. Elle est arrivée au Canada en 1986, mais elle a été expulsée en 1998 après le rejet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En 2002, elle a été autorisée à revenir au Canada lorsque son dossier a été rouvert. Finalement, une agente de l’immigration a refusé sa demande de résidence permanente au motif qu’elle recevait de l’aide sociale.
[2] Mme John soutient que l’agente n’a pas tenu compte de sa situation personnelle ni de l’intérêt supérieur de ses quatre enfants nés au Canada. Elle soutient également qu’elle pouvait légitimement s’attendre à obtenir la résidence permanente étant donné la réouverture de son dossier et son retour au Canada. Toutefois, je ne peux trouver aucun motif justifiant l’annulation de la décision de l’agente et, par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
I.
Les
questions en litige
1. L’agente
a-t-elle omis de tenir compte des circonstances pertinentes lorsqu’elle a
rejeté la demande de résidence permanente de Mme John?
2. Mme John pouvait‑elle légitimement s’attendre à ce que sa demande soit accueillie?
II.
Analyse
1. L’agente a-t-elle omis de tenir compte
des circonstances pertinentes lorsqu’elle a rejeté la demande de résidence
permanente de Mme John?
[3] Normalement, les demandeurs du statut de résident permanent doivent présenter leur demande à l’extérieur du Canada (article 11 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 201, ch. 27 (LIPR); les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe). Toutefois, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut exempter un demandeur des exigences de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire (article 25).
[4] En 1998, Mme John n’a pas été autorisée à présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Toutefois, vu l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.S. nº 39 (QL), le ministre a rouvert son dossier et l’a autorisée à revenir au Canada pour y déposer sa demande de résidence permanente. À son retour, Mme John a été autorisée à travailler en attendant que sa demande soit examinée. Elle a travaillé en 2002 et en 2003, mais elle s’est blessée en faisant une chute. Elle reçoit de l’aide sociale depuis ce temps. Suivant l’article 39de la LIPR, les personnes qui dépendent de l’aide sociale sont interdites de territoire au Canada.
[5] L’agente a examiné la situation de Mme John ainsi que les renseignements médicaux qu’elle avait fournis. Elle a conclu la demanderesse était interdite de territoire au Canada étant donné qu’elle recevait de l’aide sociale depuis 2003 et que la situation ne risquait guère de changer. En effet, le médecin de la demanderesse lui a conseillé en 2005 de ne pas chercher d’emploi.
[6] Mme John soutient que l’agente aurait dû tenir compte de sa capacité de retourner sur le marché du travail dans l’avenir, des répercussions psychologiques qu’aurait sur elle son renvoi, de l’intérêt supérieur de ses enfants et du préjudice qu’elle subirait si elle était renvoyée à la Trinité. Les observations de Mme John m’apparaissent peu judicieuses. En premier lieu, je souligne que plusieurs de ses critiques concernant les motifs invoqués par l’agente pour rejeter sa demande visent la décision prise en 1998 de ne pas lui accorder un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. En second lieu, ses allégations ne tiennent pas compte du fait qu’elle a bel et bien été autorisée, pour des motifs d’ordre humanitaire, à déposer une demande de résidence permanente à partir du Canada en 2000. Les facteurs dont l’agente n’aurait pas tenu compte, selon elle, avaient déjà été pris en considération lorsque cette décision a été prise. Par la suite, l’agente devait déterminer si Mme John se conformait aux autres exigences de la LIPR – nommément, les conditions d’admission au Canada.
[7] Depuis 2000, Mme John a été informée à maintes reprises que le processus de demande de résidence permanente comporte deux étapes. La première étape consiste à obtenir l’autorisation de présenter une demande depuis le Canada. Elle a franchi cette étape en 2000. La deuxième étape consiste à déterminer si les autres exigences de la LIPR sont remplies. Encore une fois, depuis 2000, Mme John a été informée que les personnes qui dépendent de l’aide sociale sont interdites de territoire au Canada. La décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est la décision de l’agente portant que Mme John n’a pas franchi la seconde étape. Les facteurs relevant de la première étape ne sont plus pertinents.
[8]
Mme
John prétend aussi que l’agente n’a pas suivi les directives applicables aux
demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (Guide IP5 – Demande
présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire).
La seule directive qui est pertinente pour la décision faisant l’objet du
présent contrôle judiciaire prévoit que les demandes ne doivent pas être
rejetées automatiquement au motif que le demandeur reçoit de l’aide sociale
(Directive 16.14 – voir l’annexe). Les demandeurs peuvent dépendre de
l’aide sociale temporairement et devenir autonomes au moment où la demande est
traitée. Cependant, cette directive précise que les agents doivent refuser la
demande lorsque le demandeur demeure bénéficiaire de l’aide sociale à la fin de
toutes les autres étapes de traitement. À mon avis, l’agente s’est conformée
aux directives applicables à la demande de Mme John. Je ne peux pas
conclure que sa décision était déraisonnable.
2. Mme John pouvait‑elle légitimement s’attendre à ce que sa demande soit accueillie?
[9] Mme John allègue qu’elle pouvait légitimement s’attendre à ce que sa demande soit accueillie étant donné la façon dont le ministre a traité son dossier – elle a été autorisée à revenir au Canada après deux ans d’attente à Trinité, elle a été autorisée à présenter de nouvelles observations et sa demande a franchi avec succès la première étape.
[10] Je ne peux pas conclure que le ministre a laissé croire à Mme John que sa demande serait accueillie à la seconde étape. Encore une fois, Mme John a toujours été informée qu’elle devrait satisfaire aux autres exigences de la LIPR, y compris l’autonomie financière, sans aide sociale. Je ne vois rien au dossier qui pourrait avoir amené Mme John à croire qu’il y aurait dérogation à cette exigence dans son cas.
[11]
Par
conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le
défendeur m’a demandé de certifier une question de portée générale uniquement
si je concluais que l’agente était tenue de faire une évaluation complète des
motifs d’ordre humanitaire lors de la seconde étape de l’examen de la demande
de Mme John. Vu ma conclusion sur ce point, je ne formulerai
aucune question.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est formulée.
« James W. O’Reilly »
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
Annexe
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Visa et documents
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
Cas de la demande parrainée (2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.
Séjour pour motif d’ordre humanitaire
25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient
Critères provinciaux (2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.
Motifs financiers
39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.
IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire
16.14 Interdiction de territoire sous L39 – Aide sociale Il se peut qu’un demandeur bénéficie d’une décision CH favorable malgré qu’il dépende de l’aide sociale ou en devienne dépendant après la décision CH. Contrairement à d’autres motifs d’interdiction de territoire, l’agent ne doit pas refuser immédiatement la demande. La dépendance de l’aide sociale pourrait être une situation temporaire ou résulter de ce que la personne n’a pas reçu de permis de travail au Canada. Au moment où la demande est traitée ou est prête par ailleurs pour le contrôle, il est possible que le demandeur devienne autonome et, par conséquent, admissible au contrôle. Dans les lettres types à la fin du présent chapitre, on informe le client à tout moment approprié que, s’il bénéficie de l’aide sociale, sa demande de résidence permanente sera rejetée. Si tous les autres critères d’admissibilité sont satisfaits, l’agent doit vérifier s’il y a interdiction de territoire en application du L39, soit en fixant un rendez-vous pour une entrevue et en prenant une décision finale en personne ou en priant le demandeur de fournir la preuve qu’il n’est plus bénéficiaire de l’aide sociale. (Voir l’Appendice C, Annexe 11, S’il semble que le statut de résident permanent sera refusé en raison de l’article L39.) Si le demandeur demeure bénéficiaire de l’aide sociale à la fin de toutes les autres étapes de traitement, on doit refuser la demande de résidence permanente. (Voir l’Appendice C, Annexe 3, Observations concernant de nouveaux renseignements au sujet de l’interdiction de territoire étudiées : Demande de séjour au Canada à titre de résident permanent refusée.) |
Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27
Application before entering Canada
11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
If sponsor does not meet requirements (2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act. Humanitarian and compassionate consideration 25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations. Provincial criteria (2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.
Financial reasons 39. A foreign national is inadmissible for financial reasons if they are or will be unable or unwilling to support themself or any other person who is dependent on them, and have not satisfied an officer that adequate arrangements for care and support, other than those that involve social assistance, have been made.
IP 5 Immigrant Applications in Canada made on Humanitarian or Compassionate Grounds
16.14 Inadmissibility for A39 – Social assistance There may be occasions when an applicant receives a positive H&C decision notwithstanding reliance on social assistance or becomes dependent upon social assistance after the H&C decision. Unlike other grounds of inadmissibility, officers should not refuse the application immediately. The dependency on social assistance could be a temporary situation or a result of not having been authorized to work in Canada. By the time the application is processed and otherwise ready for examination, the applicant may have become self-sufficient and, therefore, eligible for examination. Sample letters at the end of this chapter advise applicants at every opportunity that receipt of social assistance will result in refusal of the application for permanent residence. When all other admissibility criteria are met, officers should verify A39 inadmissibility either by scheduling an examination interview and making a final determination in person or by asking the applicant to provide evidence that they are no longer in receipt of social assistance. (See Appendix C - Annex 11- Appears permanent residence will be refused for A39). If the applicant is still in receipt of social assistance after all other processing has been concluded, the application for permanent residence must be refused. (See Appendix C - Annex 3 Submissions on new information regarding inadmissibility reviewed and application to remain in Canada as permanent residence refused.)
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-509-06
INTITULÉ : NICOLE JOHN
c.
MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 16 novembre 2006
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : Le 24 novembre 2006
COMPARUTIONS :
Donna Habsha |
POUR LA DEMANDERESSE
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David Tyndale |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CABINET DE ROGER ROWE North York (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |