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Date : 20061123

Dossier : IMM‑7493‑05

Référence : 2006 CF 1421

Toronto (Ontario), le 23 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

ENTRE :

AFSANEH AMIN AKBARI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Akbari a présenté, sous le régime du paragraphe 52(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), une demande d'autorisation de revenir au Canada (ARC) qui a été rejetée. Elle sollicite le contrôle judiciaire de ce rejet, au motif que l'agent saisi n'a pas pris en considération la totalité des éléments de preuve sur lesquels elle fondait sa demande d'ARC. Malgré l'argumentation compétente de l'avocat du défendeur, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

Le contexte

 

[2]               Les faits peuvent être exposés succinctement. Mme Akbari essaie depuis assez longtemps d'immigrer. Citoyenne iranienne, elle a demandé sans succès l'asile au Canada. Elle est mariée à un citoyen canadien depuis le 14 juillet 2002. L'authenticité du mariage n'est pas en question. Le mari de Mme Akbari a présenté une demande de parrainage conjugal sous le régime de la LIPR. Une demande antérieure de la même nature a déjà été rejetée. Il semblerait que la demande de parrainage conjugal en cours d'examen doive se heurter à des difficultés. Elle n'a pas encore donné lieu à une décision.

 

[3]               Mme Akbari avait auparavant demandé une carte verte aux États-Unis, mais le dossier ne nous apprend pas précisément à quel moment. Lorsque sa demande de carte verte a été accueillie en août 2004, elle s'est rendue aux États-Unis. Ce faisant, elle était réputée expulsée du Canada (en tant que déboutée du droit d'asile), et elle avait donc besoin d'une autorisation sous le régime du paragraphe 52(1) de la LIPR et du paragraphe 226(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), pour revenir au Canada. Le paragraphe 52(1) de la LIPR dispose que l'exécution d'une mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada pour l'étranger qui en fait l'objet, sauf autorisation d'un agent. Le paragraphe 226(1) du Règlement porte que, pour l'application du paragraphe 52(1) de la LIPR, la mesure d'expulsion oblige l'étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l'exécution de la mesure.

 

[4]               Mme Akbari affirme qu'elle ne savait pas au moment de son départ que, en quittant le pays volontairement, elle donnait effet à son expulsion et aurait par conséquent besoin d'une autorisation pour revenir. Lorsqu'elle a voulu revenir au Canada, elle a été arrêtée à l'aéroport. Elle a alors présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a donné lieu à une décision négative. L'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC) a saisi son passeport, et l'a par la suite perdu. Mme Akbari a été renvoyée du Canada. Elle a essayé de nouveau d'y revenir en avril 2005, pour se voir encore une fois refuser l'admission.

 

[5]               Comme nous le disions plus haut, elle a présenté deux demandes d'autorisation de revenir au Canada, qui ont toutes deux été rejetées. Son mari ne peut entrer aux États-Unis parce que, marié à une détentrice de carte verte, il a besoin d'une dispense, qu'il a demandée mais n'a pas encore reçue. En outre, comme Mme Akbari n'a pu obtenir un nouveau passeport, elle et son mari ne peuvent non plus se rencontrer dans un pays tiers.

 

La question en litige

 

[6]               Mme Akbari soutient que l'agent saisi a manqué à son obligation d'équité procédurale en rejetant sa demande sans prendre en considération l'ensemble des faits pertinents. 

 

Analyse

 

[7]               Il n'est pas contesté que la décision attaquée est une décision administrative discrétionnaire. L'obligation d'équité procédurale s'applique aux décisions administratives discrétionnaires, et son contenu varie selon le contexte : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (l'arrêt Baker). La question de l'équité doit être examinée en fonction de la situation, et non pas dans l'abstrait ou l'absolu : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 297 (C.A.) [l'arrêt Chiau]. L'arrêt Baker pose qu'un certain nombre de facteurs doivent être pris en considération pour établir le contenu de l'obligation, notamment : l'importance de la décision pour la personne concernée, la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir, l'intérêt public et le contexte factuel.

 

[8]               Comme Mme Akbari est une étrangère, la décision attaquée n'a porté atteinte à aucun droit prévu par la loi. Néanmoins, cette décision a un effet important sur sa vie parce qu'elle la prive de la possibilité d'habiter avec son mari et même de lui rendre visite. Il est à noter que si elle se trouvait physiquement au Canada, elle aurait le droit d'y rester (malgré son absence de statut) en attendant l'issue de la demande de parrainage conjugal. Par ailleurs, étant donné sa nature administrative et discrétionnaire et le processus suivi pour y parvenir, la décision attaquée dépend principalement des faits et relève dans une large mesure d'un pouvoir d'appréciation libre et subjectif.

 

[9]               Le facteur de l'intérêt public exige que l'on tienne compte de notre législation de l'immigration, ainsi que de la nécessité de faire en sorte que les non-citoyens s'y conforment et que les fonctionnaires en assurent l'application. Comme la Cour d'appel le fait observer dans l'arrêt Chiau, une décision ayant des effets défavorables pour la personne visée peut mettre en jeu une moindre obligation d'équité procédurale si la sécurité nationale ou les relations internationales entrent en ligne de compte. Or la présente affaire ne paraît pas soulever de questions de cette nature ni non plus la question de la criminalité.

 

[10]           Les facteurs doivent être pesés, non dans l'abstrait, mais dans le contexte des faits particuliers de l'affaire. Ainsi, il se peut que le niveau d'équité procédurale exigé ne soit pas le même dans un cas donné que dans un autre. En l'occurrence, il n'est pas indifférent que Mme Akbari ait subi un certain préjudice du fait de la perte de son passeport.

 

[11]           L'examen des facteurs dans le contexte des faits de la présente espèce m'amène à situer l'obligation applicable d'équité procédurale à un niveau proche du minimum. Je ne souscris pas à l'affirmation de Mme Akbari selon laquelle un entretien était obligatoire. Le défendeur n'était pas non plus tenu d'exposer formellement ses motifs. Conformément à l'arrêt Baker, je conclus que les notes de l'agent d'immigration peuvent être considérées comme l'exposé des motifs de sa décision. Je suis aussi d'accord avec le défendeur pour dire qu'une demande d'ARC ne devrait pas être vue comme une mini-demande fondée sur des motifs humanitaires. Cependant, il faut aussi tenir compte des autres facteurs énumérés plus haut. Or cette condition a pour conséquence la nécessité de prendre en considération la totalité des faits et circonstances présentés à l'agent d'immigration

 

[12]           En l'occurrence, les notes de l'agent d'immigration révèlent qu'il a concentré son attention sur les antécédents d'immigration de Mme Akbari. Il écrit ainsi que la demande de parrainage n'a pas encore été accueillie et qu'elle pourrait se heurter à des difficultés (les renseignements consignés dans le SSOBL sont incertains à cet égard). L'agent exprime aussi la crainte que Mme Akbari, si on lui accorde l'ARC demandée, ne reste au Canada plus longtemps qu'elle n'y serait autorisée. Malheureusement, rien n'indique dans les notes de l'agent qu'il ait pris en considération aucun des faits invoqués par Mme Akbari et importants pour elle. Plus précisément, Mme Akbari a fait valoir, entre autres, qu'elle avait quitté le Canada de son plein gré, qu'elle et son mari ne pouvaient se retrouver en Amérique du Nord ni ailleurs et qu'elle n'était pas interdite de territoire pour motif de criminalité.

 

[13]            Si l'agent d'immigration a pris en considération les faits précis invoqués par Mme Akbari, ses notes n'en disent rien. En l'absence d'une quelconque indication dans ses notes que l'agent ait au moins porté son attention sur la situation concrète de Mme Akbari, je me vois dans l'obligation de conclure qu'il ne l'a pas fait.

 

[14]           Il s'ensuit que, à mon sens, le fait que l'agent n'ait pas pris en considération la totalité des faits présentés par Mme Akbari constitue un manquement à l'équité procédurale envers elle. Ma conclusion, j'y insiste, repose principalement sur les faits particuliers de la présente espèce et ne s'applique qu'à cette dernière. En outre, ma décision ne doit pas être interprétée comme une opinion ou une position sur le fond de la demande d'ARC de Mme Akbari.

 

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats, conscients du caractère avant tout factuel de la présente affaire, n'ont pas proposé de question à la certification. Je pense aussi que cette affaire ne soulève pas de question certifiable.

 


 

 

                                                ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un agent d'immigration différent pour décision.

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑7493‑05

 

INTITULÉ :                                       AFSANEH AMIN AKBARI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 22 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Alison Engel‑Yan                                             POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman                                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Toronto (Ontario)

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