Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
demanderesse
et
CFM CORPORATION
défenderesse
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le 11 mai 2006, j’ai conclu dans Dimplex North America Ltd. c. CFM Corporation., 2006 CF 586, que Dimplex avait droit à un jugement déclarant que son brevet canadien 2175442 (le brevet 442) intitulé « Flame Simulating Assembly » (ensemble de simulation de flammes) est valide et qu’il a été contrefait par CFM Corporation. J’ai conclu par ailleurs qu’il y a eu « usurpation délibérée de droits de propriété intellectuelle » de la part de CFM mais que « cette appropriation ne constitue pas une conduite cavalière, insensible ou méprisante au point de choquer le sens de la dignité de la Cour ». J’ai donc rejeté la demande de dommages-intérêts majorés, punitifs ou exemplaires présentée par Dimplex. J’ai conclu le dispositif du jugement en invitant les parties à soumettre leurs observations au sujet des dépens par voie d'avis de requête.
[2] La présente requête est présentée par Dimplex en vertu de l’article 403 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 (Règles de la Cour fédérale). À l’audience, les deux parties ont convenu que le versement d’une somme globale serait indiqué pour régler la question des dépens en la présente instance. J’estime également qu’il s’agit d’un arrangement raisonnable dans les circonstances de la présente espèce.
[3] Le paragraphe 400(4) des Règles de la Cour fédérale confère à la Cour la compétence pour adjuger une somme globale à titre de dépens. Voici ce qu’a affirmé le juge Hugessen au par. 11 de la décision Barzelex Inc. c. Ebn Al Waleed (Le), [1999] A.C.F. no 2002 (1re inst.) : « À mon avis, la Cour devrait en principe accorder [des sommes forfaitaires]. Cette méthode épargne aux parties du temps et des efforts et leur permet plus facilement de savoir jusqu’à quel point elles sont tenues responsables des dépens. » Voir également : AB Hassle c. Genpharm Inc., 2004 CF 892, 254 F.T.R. 268, par. 10 [AB Hassle] et Brunico Communications Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1306, [2004] A.C.F. no 1579, par. 3 (QL).
[4] Selon Dimplex, les dépens qu’elle a réellement engagés, y compris les honoraires, les débours et la TPS le cas échéant, depuis le début de l’instance en juillet 2001 jusqu’à la clôture du procès, s’élèvent à 2 424 215,43 $.
[5] Dans ses observations initiales, Dimplex demande que ses frais d’avocat soient taxés conformément à la colonne V du tarif B pour la période allant de l’introduction de l’action jusqu’à la date où elle a fait une première offre de règlement formellement par écrit le 28 mars 2005, et sur une base avocat-client par la suite, pour un total de 1,2 million de dollars. Si la Cour n’est pas convaincue que les dépens sont justifiés sur la base avocat-client, Dimplex propose subsidiairement que les frais d’avocat soient calculés entre parties conformément à la colonne V du tarif B jusqu’au 28 mars 2005, et qu’on les multiplie par trois pour la période commençant le 28 mars 2005 jusqu’à la clôture du procès, pour un total de 500 000 $. Dans les deux cas, les débours exigés s’élèvent à 400 000 $.
QUESTIONS EN LITIGE
[6] Compte tenu des observations présentées par les parties, j’estime nécessaire de résoudre les questions suivantes avant de fixer la somme globale :
1. Quelle est la portée générale du pouvoir discrétionnaire qui permet à la Cour de majorer les dépens conformément au tarif B ou non?
2. Quelles sont les conséquences des offres de règlement présentées par Dimplex au regard de l’article 420?
3. Suivant le par. 400(3), quels facteurs convient-il de prendre en compte en l’espèce?
ANALYSE
Quelle est la portée générale du pouvoir discrétionnaire qui permet à la Cour de majorer les dépens conformément au tarif B ou non?
[7] Le paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale donne à la Cour un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’adjudication des dépens : Capital Vision, Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 2003 CF 1253, 241 F.T.R. 121, par. 16 [Capital Vision]. Cela dit, les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants : Aird c. Country Park Village Property (Mainland) Ltd., 2004 CF 945, 257 F.T.R. 1, par. 6 [Aird]. La Cour suprême du Canada aussi a précisé que l’adjudication des dépens sur la base avocat-client demeure exceptionnelle; elle est généralement liée à la conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 77; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13, par. 86.
[8] En « règle générale, des dépens sont accordés en tant que dépens partie-partie à la partie qui obtient gain de cause » : Capital Vision, précitée, par. 17. L’article 407 des Règles de la Cour fédérale précise que les dépens visés par cette règle générale sont, par défaut, taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. La Cour d’appel a également souligné dans Wihksne c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 356, [2002] A.C.F. no 1394 (QL), au par. 11, qu’en l’absence des facteurs particuliers énoncés au par. 400(3), « la Cour doit être très prudente lorsqu’il s’agit de récrire le tarif B – une tâche qui incombe au comité des règles ».
[9] Cela dit, dans Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451, 2002 CAF 417, la Cour d’appel a observé aux par. 8-10 :
8 Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s’agit que d’une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause …
9 … l’objectif consiste à contribuer d’une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l’adjudication des dépens, la Cour a « entièrement discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s’en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n’est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.
10 Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu’elle est d’avis qu’une adjudication des dépens conformément au tarif n’est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu’il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l’esprit que l’adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.
[Non souligné dans l’original.]
[10] Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, [2004] A.C.F. no 710 (QL) [Mugesera], la Cour d’appel a toutefois précisé au par. 14 que « dans la recherche d’une adjudication de dépens qui se veut juste, la Cour doit faire preuve de prudence en exerçant sa discrétion, ne serait-ce que pour éviter que des parties dont la conduite n’a rien de répréhensible se voient condamnées à des dépens dont l’ampleur était imprévisible ».
[11] Dans Mugesera, précitée, la Cour d’appel a également apporté les précisions suivantes au par. 15 concernant l’octroi d’une somme globale :
15 Pour s’assurer que la discrétion qu’exerce la Cour ne soit pas démesurément tributaire de la perspective d’une formation donnée de juges et pour éviter des fluctuations dans l’adjudication de dépens qui mettraient en péril le degré d’uniformité et de prévisibilité auquel les justiciables sont en droit de s’attendre, je crois que la Cour devrait, lorsqu’elle adjuge une somme globale tenant lieu de dépens taxés, s’inspirer le plus possible des normes établies dans le tableau du tarif B.
[Non souligné dans l’original.]
[12] La majoration des dépens relève donc clairement, en l’espèce, du pouvoir discrétionnaire de la Cour, pourvu que les circonstances le justifient. À cet égard, la Cour doit tenir compte des facteurs qu’elle estime raisonnables parmi ceux qu’énumère le paragraphe 400(3) des Règles de la Cour fédérale, comme nous le verrons plus en détail ci-après. Les valeurs de la colonne III du tarif B s’appliquent toujours par défaut pour l’adjudication des dépens. Lorsqu’une majoration des dépens est justifiée, la Cour doit d’abord décider s’il est possible d’adjuger des dépens raisonnables en s’en tenant au tarif B. Ce n’est que lorsque le résultat est déraisonnable ou insatisfaisant que la Cour doit envisager l’adjudication d’un montant supérieur aux valeurs du tarif.
Quelles sont les conséquences des offres de règlement présentées par Dimplex au regard de l’article 420?
[13] En vertu du paragraphe 420(1) des Règles de la Cour fédérale, le demandeur qui a gain de cause peut, après la date où il fait une offre de règlement, avoir droit au double des dépens partie-partie qui lui sont adjugés lorsque : l’offre est présentée par écrit, elle n’a pas été révoquée et n’a pas expiré avant le jugement.
[14] Dans Shtutman c. Oceana Marine Shipping, Inc., 2006 CF 476, [2006] A.C.F. no 603 la Cour a clairement indiqué au par. 9 qu’il n’y a pas lieu d’accorder le double des dépens suivant l’alinéa 420(2)a) lorsque les conditions préalables qui y sont énoncées n’ont pas été remplies. Cette partie de la disposition s’applique à l’offre de règlement faite par le défendeur et comporte les deux mêmes exigences que le paragraphe 420(1) susmentionné.
[15] En l’espèce, Dimplex n’a pas établi que les conditions préalables prévues au paragraphe 420(1) avaient été remplies en ce qui concerne les nombreuses offres de règlement qu’elle a présentées à CFM. Cela dit, la Cour peut admettre d’office le montant des dépens que prévoit cette disposition lorsqu’elle analyse les conséquences d’une offre de règlement sur le fondement du paragraphe 400(3), tel que nous le verrons ci-dessous.
Suivant le par. 400(3), quels facteurs convient-il de prendre en compte en l’espèce?
[16] S’agissant des facteurs dont le tribunal doit ternir compte pour adjuger les dépens, la Cour a souligné que suivant le paragraphe 400(1), les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour, mais « il y a, au paragraphe 400(3) des Règles, une liste non exhaustive des facteurs dont la Cour peut tenir compte pour prendre une décision logique à cet égard » : Remo Imports Ltd. c. Canada Jaguar Cars Ltd., 2006 CF 690, [2006] A.C.F. no 902, par. 2 (QL).
[17] Pour ce qui est de déterminer la base sur laquelle les dépens doivent être calculés en l’espèce, Dimplex soutient que la Cour devrait juger pertinents les facteurs suivants prévus au paragraphe 400(3) : a) le résultat de l’instance; e) toute offre écrite de règlement; g) la charge de travail; et o) toute autre question qu’elle juge pertinente, ces autres questions étant en l’espèce, selon Dimplex, la contrefaçon délibérée et le comportement répréhensible affiché par un plaideur durant l’instance.
a) le résultat de l’instance
[18] Comme l’a fait remarquer la Cour au par. 15 de l’affaire AB Hassle, précitée, la partie qui obtient gain de cause a normalement droit aux dépens, et non à des dépens majorés. La Cour a par ailleurs souligné au par. 6 de Aird, précitée, que : « [e]n règle générale, les dépens doivent suivre l’issue de la cause. En l’absence d’un abus de procédure, un demandeur qui a eu gain de cause ne devrait pas être pénalisé du seul fait que la Cour n’a pas accepté tous les points qu’il a avancés ». Dans Aird, la Cour a conclu que l’affaire dépendait principalement des faits puisque les questions en litige soulevées dans l’action n’étaient pas complexes, et que même si les demandeurs ont eu gain de cause relativement à toutes les questions incidentes sauf deux, le fait que la défenderesse ait eu gain de cause sur ces deux questions n’avait pas suffisamment d’importance pour justifier une dérogation à la règle générale (par. 9).
[19] J’estime que l’argument de la défenderesse portant que la demande de dommages-intérêts punitifs devrait entraîner une réduction d’au moins 25 pour 100 des dépens adjugés à la demanderesse est un point qui se prête au contexte du présent facteur, mais qui n’est pas convaincant. Le fait que la demanderesse ait eu gain de cause sur les questions de la validité et de la contrefaçon malgré qu’elle ait été déboutée de sa demande de dommages-intérêts punitifs est pertinent mais ne signifie pas que les deux parties ont eu gain de cause. La demande de dommages-intérêts punitifs était incidente; quant aux demandes principales sur la validité et la contrefaçon, la demanderesse a eu gain sur toute la ligne. Il est par ailleurs raisonnable que la demanderesse tente d’établir son droit à des dommages-intérêts punitifs même si j’ai conclu que la preuve n’avait pas satisfait au critère appliqué au Canada. Cela dit, je n’hésite pas à conclure à une contrefaçon délibérée.
e) toute offre écrite de règlement
[20] Les offres de règlement que la Cour ne reconnaît pas comme relevant de l’article 420 devraient néanmoins être examinées dans le cadre de l’article 400 : Remo Imports Ltd. c. Canada Jaguar Cars Ltd., 2006 CF 690, [2006] A.C.F. no 902, par. 14 (QL). Toutefois, comme le signale la défenderesse, même lorsque les offres de règlement relèvent de l’article 420, le double des dépens s’applique, sauf ordonnance contraire de la Cour. Il est donc fort peu probable que la Cour ordonne un montant supérieur si les exigences prévues à l’article 420 ne sont pas rigoureusement respectées.
[21] En l’espèce, Dimplex a présenté plusieurs offres de règlement. Il s’agissait de réelles tentatives d’en arriver à un compromis. Dès le départ, les parties auraient facilement pu régler cette affaire, chacune supportant ses propres dépens, si CFM avait été disposée à employer différemment la technologie contrefaite destinée à l’écran. Après avoir eu gain de cause en première instance dans sa poursuite intentée aux États-Unis en mars 2005, et obtenu 8,3 millions de dollars en dommages-intérêts, Dimplex a présenté une offre écrite en vue de régler les actions intentées aux États-Unis et au Canada de 7,2 millions de dollars, ce qui aurait permis à CFM de réaliser des économies substantielles. La Cour de district américaine a plus tard porté le montant à 12,4 millions de dollars vu que le jury a conclu à une contrefaçon délibérée. Dimplex a alors présenté une offre écrite de règlement, applicable aux deux actions, au montant de 10 millions de dollars payable dans un délai de deux ans, et en a présenté une autre, la veille du procès en la présente instance, au montant de 9 millions de dollars. Chacune de ces offres aurait permis à CFM de réaliser des économies substantielles.
[22] La prise en compte des efforts déployés pour en arriver à un règlement dans l’adjudication des dépens en l’espèce n’est pas véritablement l’objet d’une controverse entre les parties. Je tiens à souligner que dans la mesure où ils ont proposé des modifications aux modalités du projet d’entente, les avocats de la défenderesse ont participé activement à la recherche d’un règlement qui aurait été raisonnable pour les deux parties. J’ai du mal à comprendre pourquoi ces efforts n’ont pas été soutenus de manière à résoudre le litige avant le procès. L’explication que propose Dimplex est peut-être la bonne. Un nouveau propriétaire a fait l’acquisition de CFM en avril 2005 et il a simplement voulu remettre à plus tard le paiement de cette dette. Quelle qu’en soit la raison, cela a eu pour effet d’accroître les frais engagés par la demanderesse.
g) la charge de travail
[23] Selon la demanderesse, la Cour devrait s’assurer d’une similitude raisonnable entre les dépens adjugés et le coût réel de l’instance, celui-ci représentant l’ensemble du travail accompli. La demanderesse insiste sur le raisonnement suivi dans Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. (1999), 2 CPR (4th) 368, où la Cour affirme au par. 9 que « [m]ême si elle n’est pas la plus complexe des affaires de brevets, la présente affaire dépasse effectivement la complexité moyenne d’une affaire ordinaire » et, partant, justifie « des dépens dépassant le niveau prévu à la colonne III ».
[24] Il ne s’agit pas ici d’une affaire dans laquelle la quantité du travail accompli par la demanderesse dépend de la nature de l’invention : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser (2002), 19 C.P.R. (4th) 524, 2002 CFPI 439, par. 17, conf. par (2002), 22 C.P.R. (4th) 455, 2002 CAF 449. Bien que la nécessité de prouver l’ingéniosité ait pu avoir prolongé quelque peu le procès puisqu’il fallait défaire les objets déposés comme pièces et les foyers électriques, pour faire la démonstration de leur mécanisme interne, j’estime qu’il ne s’agit pas d’un facteur important.
[25] Ce qui est plus important, toutefois, est le fait qu’au début de l’instance, les parties n’étaient pas sur un pied d’égalité, la demanderesse ayant beaucoup plus à perdre que la défenderesse. CFM était alors une grande entreprise prospère offrant une gamme de produits diversifiée. Dimplex North America, tout en étant la filiale d’une société étrangère, était néanmoins une plus petite entreprise moins diversifiée. Ses principales activités commerciales se limitaient à la gamme de foyers électriques qu’elle a mise au point au moyen d’une technologie brevetée. D’autres concurrents ont été tenté de suivre les traces de CFM. Dimplex n’a eu d’autre choix que de défendre vigoureusement son brevet pour garder sa part du marché et assurer le respect de ses droits de propriété intellectuelle. La quantité de travail était donc justifiée dans ces circonstances.
o) toute autre question qu’elle juge pertinente – le comportement répréhensible affiché par un plaideur durant l’instance
[26] Le comportement répréhensible affiché par un plaideur durant l’instance est un facteur qui se prête mieux à un examen fondé sur les alinéas i), j) ou k) du paragraphe 400(3). L’avocat de la demanderesse a reconnu dans son exposé final au procès qu’il n’y avait pas eu d’inconduite grave en l’espèce. Or, cette admission – qui, selon la défenderesse, devrait être nettement défavorable à la demanderesse à la présente étape ‑‑ a été faite pour répondre à une question de la Cour concernant la demande de dommages‑intérêts majorés, exemplaires ou punitifs.
[27] J’estime que je peux tenir compte du fait que, avant le procès, la défenderesse n’a pas répondu d’une manière convenable à plusieurs avis de demande d’aveux. La défenderesse a porté à mon attention plusieurs exemples de demandes d’aveux qui relèvent davantage de la compétence directe de la Cour puisqu’elles portent sur des questions d’interprétation des revendications, mais cela ne justifie pas la décision de la défenderesse de rejeter sommairement ou d’ignorer la majeure partie des aveux demandés, obligeant de ce fait la demanderesse à présenter une preuve qu’elle n’aurait pas eu à présenter normalement. Par exemple, la preuve des aveux faits par l’expert de la défenderesse, le Dr Barudi, dans le cadre de la poursuite intentée aux États‑Unis n’aurait pas dû être nécessaire au procès et aurait limité la teneur de l’affidavit de M. Phillips. Les renseignements concernant la liste des foires commerciales auxquelles les deux parties ont assisté étaient connus de la défenderesse et n’auraient pas dû nécessiter une préparation et des témoignages. En outre, la défenderesse aurait dû admettre les précisions concernant l’embauche d’un certain Colm Martin par CFM.
o) autre question – contrefaçon délibérée
[28] Il ne suffit pas de dire que le fait pour la demanderesse d’avoir été déboutée de sa demande de dommages-intérêts punitifs signifie qu’on doive écarter la question de la contrefaçon délibérée de l’adjudication des dépens. La demanderesse n’essaie pas de faire juger de nouveau sa demande de dommages-intérêts punitifs comme le prétend la défenderesse. La demanderesse prétend plutôt valablement que la Cour doit, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 400(3)o), tenir compte du fait que ce n’est pas innocemment que la défenderesse a porté atteinte aux droits de Dimplex, mais qu’elle l’a fait en toute connaissance de cause. J’estime que la preuve a établi ce point. Ne réussissant pas à trouver une solution concurrentielle, CFM a choisi de copier une formule gagnante. C’est pourquoi il est permis à la Cour de tenir compte de ce facteur dans le contexte de l’adjudication des dépens, ce qu’elle fera en l’espèce.
Détermination du montant
[29] À l’instruction de la présente requête, Dimplex a présenté, en réponse aux objections de CFM relatives aux observations initiales de la demanderesse, une proposition modifiée dans laquelle elle réclame la somme globale de 1,35 millions de dollars. Ce montant comprend les honoraires prévus à la colonne V ‑ lesquels s’élèvent à 100 000 $ et couvrent la période commençant dès l’introduction de l’action jusqu’au 28 mars 2005 ‑, et les dépens avocat-client ‑ lesquels s’élèvent à 1 million de dollars et couvrent la période à compter de cette date jusqu’à la fin de l’instance ‑, ainsi que des débours de l’ordre de 250 000 $.
[30] Dimplex a également présenté deux variantes dans lesquelles elle propose de calculer les dépens entre parties dans le cas où le calcul sur la base avocat-client serait refusé. Dans les deux cas, Dimplex propose que le montant des honoraires soit calculé en fonction du maximum de la fourchette prévue à la colonne V, et que le montant des débours soit fixé à 250 000 $. Dans la première variante, les honoraires à compter de la date de sa dernière offre de règlement jusqu’à la clôture du procès sont multipliés par trois, représentant au total la somme globale de 0,53 million de dollars. Dans la deuxième, le montant des honoraires n’est pas triplé et le total réclamé s’élève à 0,41 million de dollars. Dimplex demande également à la Cour d’ordonner que les dépens afférents à la présente requête, de l’ordre de 3 000 $, soient payés sans délai.
[31] Dimplex a proposé ces variantes principalement parce qu’elle estime que la défenderesse est actuellement dans une situation financière précaire. Bref, Dimplex considère qu’elle a de meilleures chances de recouvrer au moins une partie de ses coûts si la Cour ordonne une somme globale plus modeste, payée sans délai.
[32] CFM reconnaît que Dimplex a droit à des dépens parte-partie raisonnables. Elle prétend que ce n’est que dans de rares cas que l’on peut s’écarter des montants prévus à la colonne III. CFM s’oppose en outre au paiement d’honoraires réclamés à l’égard de la poursuite connexe intentée aux États-Unis. Les parties s’étaient entendues pour utiliser dans les deux ressorts les dépositions des inventeurs produites dans l’action parallèle intentée aux États-Unis, et cette entente a fait l’objet d’une ordonnance sur consentement. Dimplex soutient que l’avocat canadien a participé à ses dépositions et qu’elle a droit de recouvrer ces honoraires. Son argument est raisonnable dans les circonstances puisque son avocat canadien ne pouvait se servir des dépositions américaines produites dans la présente action sans préparation.
[33] D’après les calculs effectués par CFM, le montant total qui devrait être accordé sur le fondement de la colonne III ne dépasse pas 100 000 $. En outre, CFM estime que les débours réclamés par la demanderesse, malgré la réduction prévue dans la proposition modifiée, sont encore trop élevés et devraient se limiter à 150 000 $. Elle prétend également qu’une réduction de 25 pour 100 devrait être appliqué au montant total de la somme globale puisque Dimplex a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts punitifs, majorés et exemplaires. C’est pourquoi, selon CFM, les dépens accordés à Dimplex devraient être fixés à un montant total se situant entre 150 000 $ et 200 000 $, pour les honoraires et les débours.
[34] Après avoir réévalué ses débours en tenant compte de l’analyse de la défenderesse, la demanderesse a réduit sa réclamation à 250 000 $. La plupart des points présentés par la défenderesse ont été acceptés. Deux éléments sont encore en litige. Le premier concerne les honoraires réclamés pour M. Samuel Phillips, expert en ingénierie assigné à témoigner au procès, et pour M. Creighton Hoffman, un comptable non assigné.
[35] Il est difficile d’évaluer ce qui constitue un débours raisonnable dans le cas d’un expert grâce à qui une partie obtient gain de cause dans une affaire en matière de brevets. M. Phillips a facturé des honoraires de 150 000 $ à la demanderesse. Son avocat m’a assuré que ce montant n’a rien à voir avec le rôle tenu par M. Phillips dans le cadre de la poursuite intentée aux États-Unis. Selon la défenderesse, 75 000 $ seraient plus indiqués. J’ai tenu compte de leurs observations respectives pour calculer la somme globale.
[36] En ce qui concerne M. Hoffman, non seulement le fait qu’il n’a pas été assigné pose une difficulté, mais bien peu d’éléments m’ont été présentés soit pour expliquer en quoi son expertise était nécessaire soit pour établir ses honoraires. La demanderesse affirme que ses services ont été retenus pour répondre à un témoin que la défense aurait pu faire entendre mais qui n’a pas été assigné. La défenderesse fait valoir que ce témoin expert aurait fondé son opinion, du moins en partie, sur une preuve par sondage que j’ai déclarée inadmissible lors du procès. J’estime qu’il est donc prudent dans les circonstances de ne pas tenir compte du montant réclamé pour les services de M. Hoffman.
[37] L’autre débours contesté concerne un montant réclamé pour des photocopies. Dimplex a initialement réclamé la somme de 45 982,77 $, y compris la TPS, équivalant au prix interne de 0,25 $ la page. CFM propose de réduire ce montant de 13 981,08 $ pour que la réclamation représente le prix commercial de 0,14 $ la page, et de soustraire un montant additionnel de 3 993,47 $ pour des photocopies qu’elle juge inutiles. Dimplex accepte de réduire le deuxième montant et non le premier. Je comprends que la réclamation des photocopies internes devrait refléter les coûts réellement engagés, mais je signale que l’officier taxateur Stinson a conclu que le prix de 0,25 $ la page était raisonnable et je m’en remets à son expérience considérable sur ces questions : Syndicat canadien de la Fonction publique, Local 4004 c. Air Canada (1999), 157 F.T.R. 186, [1999] A.C.F. no 464, par. 7 (QL). Il ne m’a pas paru nécessaire de tenir compte de ce différend pour calculer le montant de la somme globale puisque le montant qui sera accordé sera de toute manière bien inférieur aux coûts réels engagés par Dimplex.
[38] Il ne s’agit pas ici d’une affaire qui se prête à l’adjudication des dépens sur la base avocat-client vu que la conduite de la défenderesse aussi reprochable soit-elle, n’a pas un caractère répréhensible, scandaleux ou outrageant permettant de les justifier. C’est pourquoi des dommages-intérêts généraux ou la restitution des bénéfices constitueraient un moyen de dissuasion suffisant. J’estime que l’ensemble des circonstances de l’espèce commande l’adjudication d’une somme globale représentant des dépens entre parties calculés en fonction du maximum de la fourchette prévue à la colonne V, non multipliés par trois mais auxquels devrait s’ajouter un avantage.
[39] Tenant compte de tous ces facteurs et reconnaissant qu’en matière de taxation des dépens la justice est, au mieux, rendue de façon sommaire, j’estime qu’en l’espèce la somme globale devrait correspondre approximativement à 20 pour 100 des coûts réellement engagés par la demanderesse depuis le début de l’instance. Ce montant s’élève à quatre cent quatre‑vingt mille dollars (480 000 $), y compris les débours et les dépens afférents à la présente requête, payables sans délai.
[40] En vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales, les règles de droit de l’Ontario en matière d’intérêt pour les jugements s’appliquent en l’espèce. Selon le paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43 (Loi sur les tribunaux judiciaires), il semblerait à première vue que les dépens devraient porter intérêt à compter de la date de l’ordonnance plutôt que de la date du procès. Toutefois, les tribunaux ont interprété cette disposition de manière à ce que les intérêts soient exigibles à compter de la date du jugement plutôt que de la date de la taxation. Je tiens à souligner qu’en vertu de l’alinéa 130(1)c) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des intérêts pour une période différente que celle prévue au paragraphe 129(1).
[41] La question de savoir à compter de quelle date les dépens devraient porter intérêt a été examinée par le juge Gibson dans CCH Canada Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CF 1760, 226 F.T.R. 159, et dans les motifs que la Cour d’appel fédérale a rendu relativement à une requête parallèle, lesquels sont reproduits en annexe à la décision du juge Gibson, voir : CCH Canadian Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CAF 278, 243 D.L.R. (4th) 759. Compte tenu de ces motifs, je conclus que les intérêts devraient normalement courir à compter de la date du jugement de première instance dans lequel des dépens sont adjugés à une partie, à moins que la taxation des dépens ne fasse l’objet d’une ordonnance et dans ce cas, les intérêts commenceraient à courir à compter de la date de cette ordonnance. CFM ne conteste pas l’exigibilité d’intérêts postérieurs au jugement, mais fait plutôt valoir qu’il devrait s’agir d’intérêts simples et non composés. J’estime que les dépens devraient porter intérêt à compter de la date du jugement de première instance, soit le 11 mai 2006, au taux de 5 pour 100 non composé, conformément à l’article 127 de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS
LA COUR ORDONNE :
1. que la demanderesse a droit à des dépens adjugés sous forme de somme globale dont le montant s’élève à quatre cent quatre‑vingt mille dollars (480 000 $), y compris les débours et les dépens afférents à la présente requête, payables sans délai;
2. Les dépens adjugés en l’espèce portent intérêt au taux de 5 pour 100 par année, non composé, à compter de la date du jugement de première instance, savoir le 11 mai 2006.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1348-01
INTITULÉ : DIMPLEX NORTH AMERICA LIMITED
et
CFM CORPORATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 14 novembre 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : Le 20 novembre 2006
COMPARUTIONS :
David A. Aylen Selena Kim
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POUR LA DEMANDERESSE |
Trent Horne Sarah Crowe
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DAVID A. AYLEN SELENA KIM Gowling Lafleur Henderson srl Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
TRENT HORNE SARAH CROWE Bennett Jones srl Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |