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Date : 20061116

Dossier : IMM-224-06

Référence : 2006 CF 1388

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

MEHDI LATIFI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, à l’égard d'une décision rendue par une agente d'évaluation des risques avant renvoi (l'agente). Dans sa décision du 6 décembre 2005 (la décision), l'agente a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir une évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

 

 

HISTORIQUE

 

[2]               Le demandeur, Mehdi Latifi, est citoyen iranien. Il est arrivé au Canada le 7 mars 2001 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié du fait de ses opinions politiques. Il affirme appuyer une faction minoritaire du parti Fedayin, un groupe marxiste‑léniniste, depuis 1980. Le demandeur allègue avoir été arrêté en 1986 pendant qu'il essayait de franchir la frontière pour se rendre en Turquie; il a été condamné à deux ans d'emprisonnement et s'est vu infliger une peine de cinq ans avec sursis. Il soutient qu'après avoir été libéré en 1988, il était tenu de faire rapport aux autorités pendant six mois, mais qu'il s'est ensuite enfui à Téhéran, où il a vécu et travaillé pendant 12 ans en employant deux noms d'emprunt différents. Le demandeur affirme que, pendant cette période, il a continué à travailler pour la faction Fedayin (minoritaire) en distribuant des tracts.

 

[3]               Le demandeur affirme en outre avoir appris au mois de juillet 2000 qu'un ami d'enfance, qui était également son contact auprès de la faction Fedayin (minoritaire), à Téhéran, avait été arrêté. Le demandeur s'est donc enfui à Tabriz mais, estimant qu'il n'était plus en sécurité en Iran, il a quitté le pays le 1er septembre 2000. Après être passé par plusieurs pays, le demandeur est arrivé à Toronto le 7 mars 2001; il a revendiqué le statut de réfugié à l'aéroport. Il s'est par la suite installé à Vancouver, où son dossier a été transféré.

 

[4]               Le demandeur déclare avoir appris par la suite de membres de sa famille que la Garde révolutionnaire iranienne, qui le cherchait, s'était rendue à la résidence de sa famille au mois de mars 2001.

 

[5]               La revendication du demandeur a été entendue en 2001. Dans sa décision du 7 janvier 2002, la section appelée à l’époque Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission  de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication. La SSR ne croyait pas les points essentiels de la preuve du demandeur et elle a conclu qu'en général son témoignage n'était pas digne de foi.

 

[6]               Le demandeur n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SSR.

 

[7]               Le 23 janvier 2002, le demandeur a demandé un examen dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC). Cette demande a par la suite été transformée en une demande d’ERAR le 28 juin 2002, date d’entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans sa demande, le demandeur décrit le risque auquel il fait face comme étant une crainte fondée de persécution du fait de ses opinions politiques en sa qualité de partisan de la faction Fedayin (minoritaire) en Iran. De plus, il soutient qu'il sera exposé à un risque s'il est renvoyé en Iran, en raison des activités politiques auxquelles il se livre au Canada à l'encontre du gouvernement de l'Iran.

 

[8]               Le demandeur a présenté des observations supplémentaires à l'appui de sa demande d'ERAR aux mois de mars et d'avril 2005.

 

[9]               Au mois de mars 2005, le demandeur a également présenté une demande de résidence permanente au Canada en invoquant des motifs d'ordre humanitaire (demande CH).

 

[10]           Le 6 décembre 2005, l'agente chargée d’examiner la demande d'ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il retournait en Iran. La même agente a également rendu une décision défavorable au sujet de la demande CH du demandeur. Cette dernière décision fait l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire (IMM‑225-06), qui a été entendue en même temps que la présente demande.

 

[11]           Le 7 mars 2006, le juge Edmond Blanchard a rendu une ordonnance sursoyant au renvoi du demandeur en attendant qu'une décision finale soit rendue au sujet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire dans la présente affaire et dans le dossier IMM‑225-06. L'autorisation de contrôle judiciaire a par la suite été accordée le 19 avril 2006 par la juge Dolores Hansen.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[12]           Dans sa décision, l'agente a dit que, vu que la revendication du demandeur avait été tranchée avant l’entrée en vigueur de la LIPR, elle avait tenu compte de toute la preuve mise à sa disposition et non simplement des [traduction] « nouveaux éléments de preuve ». Cette preuve comprenait la preuve des faits survenus après la décision de rejet de la revendication du demandeur, ainsi que la preuve que celui-ci n'avait pas raisonnablement été en mesure de présenter à la SSR. L'agente a procédé à l'ERAR du demandeur en se fondant sur les articles 96 et 97 (les motifs combinés) de la LIPR.

 

[13]           L'agente fait mention des observations dans lesquelles le demandeur conteste les conclusions défavorables tirées par la SSR au sujet de sa crédibilité. L'agente signale les incohérences apparentes entre le témoignage oral du demandeur et ses comptes rendus écrits, mais elle note également que le demandeur a remis un affidavit expliquant les incohérences relevées dans la preuve. Ces explications comprennent le témoignage du demandeur selon lequel il avait répondu négativement à la question posée dans l'avis de revendication du statut de réfugié (à savoir s'il avait été arrêté ou déclaré coupable d'un crime dans un pays quelconque), parce qu'il croyait que la question se rapportait uniquement à des pays autres que son propre pays de nationalité. En outre, le demandeur a expliqué que les incohérences relatives aux dates mentionnées dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et dans son témoignage oral résultaient d'une conversion inexacte des dates du calendrier iranien à celles du calendrier grégorien.

 

[14]           L'agente a précisé la preuve documentaire supplémentaire qui avait été fournie à l'appui de la demande d'ERAR du demandeur. Il s'agit des documents suivants :

1.                  Une lettre datée du 7 mars 2005 attestant que les partisans de l'Organisation des Fedayin (minoritaire) au Canada certifient que le demandeur est un partisan actif de l'Organisation, qu'il était actif sur le plan politique en Iran depuis 1978 et qu'il a été incarcéré pendant deux ans à cause de ces activités;

2.                  Une lettre non signée, datée du 6 mars 2005, indiquant que les partisans d'Ettehad‑Enghalabi au Canada certifient que le demandeur est un partisan actif de l'Organisation Ettehad‑Enghalabi, à Vancouver. La lettre renferme des renseignements semblables à ceux figurant dans la lettre du 7 mars 2005, mais elle  ne fait pas mention de l'arrestation du demandeur, de sa déclaration de culpabilité ou de son incarcération en Iran;

3.                  Un document daté du 5 mars 2005 d'un autre partisan des Fedayin (minoritaire) à Vancouver, attestant que l’auteur du document a travaillé avec le demandeur pour appuyer l'Organisation à Vancouver et que le demandeur, s'il était renvoyé en Iran, [traduction] « sera[it] probablement exposé à la torture, ou même exécuté »;

4.                  Une photocopie d'une lettre datée du 28 mars 2005 de l'Association des prisonniers politiques iraniens en exil, établie à Farsta, en Suède, indiquant que le demandeur avait été emprisonné en Iran pour les activités politiques auxquelles il se livrait pour le compte de l'Organisation du peuple iranien Fadaii Guerillas (minoritaire);

5.                  Une pétition portant 30 signatures et déclarant que le demandeur [traduction] « se livrait à de l'activisme sociopolitique en Iran » et qu'étant donné qu'une telle personne [traduction] « serait exposée à un risque sérieux d'être fouettée, emprisonnée, torturée et exécutée, [le demandeur] avait été obligé de fuir l'Iran et de chercher refuge afin de sauver sa vie ».

 

[15]           L'agente a fait remarquer que les observations que le demandeur avait présentées dans le cadre de l'ERAR comprenaient également une preuve documentaire concernant la situation générale en Iran à compter de l'année 1999 jusqu'à l'année courante, plus précisément quant aux droits de la personne.

 

[16]           Dans son évaluation finale, l'agente a indiqué qu'elle avait tenu compte des conclusions de la SSR concernant la crédibilité et qu'elle les avait jugées raisonnables. Plus précisément, l'agente a dit ce qui suit :

[traduction] La SSR a conclu que le demandeur, M. Latifi, était un témoin non digne de foi. Je ne suis pas liée par les conclusions que le tribunal a tirées, mais je les ai minutieusement examinées et je les ai trouvées raisonnables et bien formulées. À l'appui de la présente demande, M. Latifi a soumis des observations portant expressément sur les conclusions que le tribunal avait tirées au sujet de la crédibilité de plusieurs points de son témoignage. J'ai examiné les observations de M. Latifi et j'ai conclu qu'il n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve pour réfuter ou même mettre en doute les conclusions tirées par la SSR.

 

 

[17]           L'agente a traité des réponses que le demandeur avait données aux conclusions d'incohérence tirées par la SSR. En ce qui concerne le fondement de la revendication du statut de réfugié du demandeur tel qu'il a été consigné dans les notes prises au point d'entrée (le PDE), l'agente admet que l'agent du PDE a peut‑être oublié de faire état du travail que le demandeur effectuait auprès du mouvement des Fedayin (minoritaire). Toutefois, l'agente a conclu qu'il était peu probable que le demandeur dise à l'agent du PDE que sa revendication était fondée sur sa participation à des manifestations étudiantes, tout en omettant ensuite de mentionner sa participation à ces manifestations dans l'exposé circonstancié de son FRP. À cause de cette incohérence, l'agente a conclu que le demandeur n'avait pas fourni d'éléments de preuve cohérents et dignes de foi au sujet des circonstances entourant les risques précis auxquels il était exposé.

 

[18]           Quant aux réponses du demandeur à la question de savoir s'il avait été accusé ou reconnu coupable d'un crime dans un pays quelconque, l'agente a fait remarquer que le demandeur avait donné la même réponse négative par l'entremise de deux interprètes différents au sujet de la même question sur deux formulaires différents (le formulaire du PDE et le formulaire d'avis de revendication). Par conséquent, l'agente a conclu que la réponse négative du demandeur était éclairée et exacte et qu'elle n'avait pas été donnée par suite d'un malentendu.

 

[19]           Quant aux incohérences relevées dans les dates, l'agente a noté que le demandeur avait témoigné au sujet des saisons où les événements s'étaient produits. Elle a conclu qu'il était vraisemblable que des erreurs soient commises dans la conversion des dates, mais qu'il était peu probable que le demandeur ne puisse pas se rappeler la saison précise où il avait quitté l'Iran. Dans ces circonstances, l'agente a accordé peu de poids à l'explication donnée par le demandeur lorsqu'il s'était agi de démontrer que la SSR avait commis une erreur dans sa conclusion concernant la fiabilité du demandeur en tant que témoin.

 

[20]           L'agente a noté que le demandeur n'avait pas fourni de preuve documentaire à l'appui de son arrestation, de son procès, de sa déclaration de culpabilité, de sa mise en liberté ou de son obligation ultérieure de faire rapport en Iran. Elle a dit qu'une [traduction] « personne raisonnable » s'attendrait à ce que le demandeur produise une preuve documentaire quelconque à l'appui de telles allégations.

 

[21]           En ce qui concerne la prétention du demandeur selon laquelle il était devenu un activiste bien connu au Canada, ce qui l'expose maintenant à un risque en Iran, l'agente a conclu qu'il y avait très peu d'éléments de preuve concrets. Elle a noté que le conseil du demandeur avait affirmé, au mois d'avril 2005, que le demandeur lui avait remis des bandes vidéo [traduction] « indiquant clairement la participation [du demandeur] à des manifestations locales notoires » se rapportant à l'expulsion de ressortissants iraniens du Canada. Le conseil a demandé qu'on lui accorde plus de temps pour supprimer des bandes vidéo les éléments qui ne concernaient pas directement le demandeur. L'agente a cependant fait remarquer qu'après plus de six mois, elle n'avait toujours pas reçu ces bandes comme élément de preuve.

 

[22]           Pour ce qui est des lettres d'appui concernant les activités politiques du demandeur en Iran et au Canada ainsi que de la pétition, l'agente leur a accordé peu de poids en tant que preuve probante des risques personnalisés mentionnés par le demandeur. En général, l'agente a conclu que les lettres étaient vagues et fournissaient peu de renseignements précis ou objectivement vérifiables. Elle a dit qu'aucun des déclarants qui avaient attesté des antécédents du demandeur comme activiste et prisonnier politique en Iran n'avait directement eu connaissance des événements en question. L'agente a également noté que l'auteur de la pétition ne connaissait pas bien les antécédents du demandeur en Iran, puisque la pétition ne faisait pas mention de l'arrestation, de la déclaration de culpabilité et de l'incarcération du demandeur.

 

[23]           Quant aux lettres de l'Organisation de Fedayin (minoritaire) et de l'Ettehad‑Enghelabi, en l'absence d’indication que leurs auteurs avaient directement eu connaissance de la situation du demandeur en Iran, l'agente a conclu qu'ils avaient probablement obtenu les renseignements du demandeur lui‑même. En outre, l'agente a fait remarquer que, bien que chaque lettre décrive le demandeur comme [traduction] « l'un des partisans les plus actifs » des organisations établies au Canada, ni l'une ni l'autre ne fournissait d'éléments de preuve précis au sujet de [traduction] « l'appui actif » que le demandeur avait donné à ces organisations. L'agente a conclu que des problèmes similaires se posaient lorsqu'elle avait examiné la lettre fournie par l'Association des prisonniers politiques iraniens en exil.

 

[24]           Enfin, en ce qui concerne la preuve documentaire portant sur la situation en Iran, l'agente a reconnu que [traduction] « le gouvernement actuel en Iran est un régime répressif dans lequel les abus en matière de droits de la personne ne sont pas rares ». Toutefois, l'agente a conclu qu'un [traduction] « climat général de violations des droits de la personne » n'établit pas en soi le risque personnalisé auquel le demandeur est exposé pour les motifs prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[25]           Vu les conclusions qu'elle avait tirées, l'agente a rejeté la demande d'ERAR. L'agente a conclu, en se fondant sur la preuve mise à sa disposition et sur les conclusions de fait subséquentes qu'elle en avait tirées, que le demandeur ne faisait probablement face qu'à une simple possibilité d'être exposé à [traduction] « un risque de persécution personnalisé de nature prospective » pour un motif prévu par la Convention sur les réfugiés. En outre, l'agente a conclu qu'il n'existait pas de motifs probables de croire que le demandeur serait exposé au risque d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées s'il retournait en Iran.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[26]           Le demandeur allègue que l'agente a commis les erreurs susceptibles de contrôle suivantes :

1.                  Elle n'a pas tenu d'audience portant sur la crédibilité comme le prévoit l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés;

2.                  Elle s'est fondée sur les conclusions de la SSR pour tirer sa propre conclusion concernant la crédibilité et sa conclusion concernant les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur;

3.                  Elle n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve;

4.                  Elle a commis une erreur en appliquant le critère de la « personne raisonnable » aux faits de l'affaire.

 

LA LÉGISLATION PERTINENTE

 

[27]           Les demandes d'ERAR sont régies par l'article 112 de la LIPR. Le paragraphe 112(1) confère au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou à son représentant le pouvoir de déterminer si une personne est une personne à protéger :

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

[28]           Les demandes d'ERAR sont examinées en fonction des motifs de protection prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR, libellés ainsi :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

[29]           L'article 113 de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la tenue d'une audience à l’égard d'une demande d'ERAR :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

[…]

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

[…]

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

[…]

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

[…]

 

 

[30]           Les facteurs réglementaires à prendre en compte pour décider de la tenue d'une audience au titre de l'alinéa 113b) de la LIPR sont énumérés à l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[31]           La première question soulevée par le demandeur vise l'obligation de tenir une audience. Cette question met en cause les principes d'équité procédurale exige ainsi l'application de la norme de la décision correcte : voir Fetherston c. Canada (Procureur général), (2005), 332 N.R. 113, 2005 CAF 111.

 

[32]           Les autres questions se rapportent aux conclusions de fond tirées par l'agente. Au paragraphe 51 de la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387, 2005 CF 347, le juge Luc Martineau a énoncé les critères à utiliser pour déterminer la norme de contrôle à appliquer aux décisions relatives à une ERAR :

À mon avis, en appliquant l’approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1826 (1re inst.) (QL), au paragraphe 13; Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 241 F.T.R. 289 (C.F.), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39, au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l’agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l’agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l’agent a tiré la conclusion de fait d’une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 194 (C.A.F.), au paragraphe 14).

 

[33]           Dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2005), 272 F.T.R. 62, 2005 CF 437, le juge Richard Mosley a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle des décisions des agents d'ERAR et il a également conclu qu'une norme de contrôle différente s'applique selon la nature de la question. Le juge Mosley a dit que, dans les décisions relatives à une ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait est, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; que la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable; et que la norme applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte.

 

[34]           J'ai adopté les analyses pragmatiques et fonctionnelles effectuées par les juges Martineau et Mosley et, eu égard aux circonstances de l'affaire dont je suis saisi, dans laquelle les questions de fond mettent en cause des questions de fait, j'ai appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable pour l’examen de la décision. Lorsqu’elles mettent en cause des questions mixtes de fait et de droit, j'ai appliqué la norme de la décision raisonnable.

 

 

L'ARGUMENTATION

 

 

            Le demandeur

 

[35]           D’après le demandeur, la seule question qui se posait devant l'agente se rapportait à sa crédibilité et à la valeur probante des documents qu'il avait produits à l'appui. Le demandeur affirme qu'étant donné que son cas satisfait à tous les facteurs énumérés à l'article 167 du Règlement, l'agente était obligée de tenir une audience portant sur la crédibilité. Il déclare que son ancien conseil a mentionné le droit à une audience dans les observations qui accompagnaient sa demande d'ERAR. Par conséquent, le demandeur affirme que l'omission de tenir une audience au sujet de la crédibilité ou de l'informer qu'aucune audience n'aurait lieu constitue un manquement à l'équité procédurale. À l'appui de sa position, il cite les décisions suivantes : Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1045; Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1103; Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] 1 R.C.F. 129, 2005 CF 714; et Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2005), 50 Imm. L.R. (3d) 306, 2005 CF 27.

 

[36]           Le demandeur fait également valoir que l'agente a commis une erreur en omettant de faire  une évaluation indépendante de sa demande d'ERAR. Selon lui, l'agente a essentiellement adopté les conclusions tirées par la SSR.

 

[37]           Quant à l'examen de la preuve effectué par l'agente, le demandeur soutient que [traduction] « les arbres cachaient la forêt » et que l'agente a commis une erreur susceptible de révision en s'attachant à des détails. Plus précisément, le demandeur affirme que l'agente a commis une erreur en mettant en doute la fiabilité de chaque élément individuel de la preuve documentaire au lieu d'examiner la totalité de la preuve qui, selon lui, étaye la prétention selon laquelle il était un activiste social en Iran et est un activiste social au Canada. Ainsi, le demandeur allègue que l'agente a commis une erreur en critiquant la preuve documentaire à cause de son libellé ou de fautes d'orthographe ou encore de l'absence de détails. En outre, le demandeur affirme que l'agente a commis une erreur en lui reprochant de ne pas avoir donné l'adresse d'un site Web pour [traduction] l'« Organisation », et ce, même si dans une lettre d'accompagnement, on attirait l'attention de l'agente sur un site Web. De plus, le demandeur soutient que l'agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de la pétition faisant état de sa participation à titre d'activiste social au sein de la collectivité iranienne, à Vancouver. Le demandeur affirme que la pétition avait une valeur probante en ce qui concerne sa demande d'asile à titre de réfugié sur place.

 

[38]           Enfin, le demandeur affirme que l'agente a commis une erreur en disant qu'une [traduction] « personne raisonnable » s'attendrait à ce qu'il soit en mesure de produire une preuve documentaire quelconque à l’appui de son arrestation, de sa déclaration de culpabilité et de son incarcération. Le demandeur soutient que rien ne permettait à l'agente de croire qu'une telle preuve était disponible dans un pays comme l'Iran qui, comme l'agente l'a reconnu, ne respecte pas les droits fondamentaux de la personne : voir Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2002), 21 Imm. L.R. (3d) 181, 2002 CFPI 666.

 

Le défendeur

 

[39]           Le défendeur soutient que les conclusions de fait tirées par l'agente n'étaient pas manifestement déraisonnables et que, eu égard à la totalité de la preuve, le demandeur n'a pas établi le bien-fondé de sa demande d'asile.

 

[40]           En ce qui concerne le fait que l'agente n'a pas tenu d'audience au sujet de la crédibilité, le défendeur fait valoir que le demandeur n'avait pas droit à une entrevue [traduction] « puisqu'il « n'a[vait] pas présenté suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant à l'agente d'ERAR d'entreprendre un tel contrôle ».

 

[41]           Quant à l'allégation du demandeur selon laquelle il est ciblé à cause de sa participation aux activités de la faction Fedayin (minoritaire), le défendeur soutient que le demandeur tente de traiter des [traduction] « erreurs » qui, selon celui-ci, ont été commises dans la décision de la SSR. Le défendeur fait valoir que la Cour fédérale a décidé qu'un agent d'ERAR ne siège pas dans la révision d'une décision rendue par la SSR : voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 145, au paragraphe 10. La décision d'un agent d'ERAR est limitée aux nouveaux éléments de preuve qui n'ont pas été soumis à la Commission ou qui ne pouvaient pas l'être. Le défendeur affirme en outre que, pour que l'agente réexamine la décision de la SSR quant à la crédibilité, le demandeur devait fournir une preuve claire et convaincante de l'existence d'une erreur : voir Weerasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), non publié, IMM‑10240‑03 (22 janvier 2004).

 

[42]           Quant à l'examen de la preuve par l'agente, le défendeur fait valoir qu'il n'était pas déraisonnable d'accorder peu de poids aux diverses lettres concernant le passé du demandeur. En outre, le défendeur soutient que la déclaration de l'agente selon laquelle une [traduction] « personne raisonnable » s'attendrait à ce que le demandeur soit en mesure de fournir une preuve quelconque de son arrestation et de sa déclaration de culpabilité était raisonnable. Aux dires du défendeur, l'agente n'était donc pas tenue d'avoir une entrevue avec le demandeur.

 

[43]           Enfin, en ce qui concerne la demande d'asile sur place fondée sur les activités politiques du demandeur au Canada, le défendeur soutient que l'agente a évalué d'une façon raisonnable la preuve soumise par le demandeur.

 

ANALYSE

 

[44]           Il existe un désaccord fondamental entre les parties sur la question de savoir si la décision soulève des questions de crédibilité. Le demandeur dit que l’agente, en arrivant à ses conclusions, a de toute évidence tenu compte de certains doutes sous‑jacents qu'elle avait au sujet de la crédibilité et qu’elle aurait donc dû tout au moins se demander s'il était justifié de tenir une audience conformément à l'alinéa 113b) de la LIPR et à l'article 167 du Règlement.

 

[45]           Selon le défendeur, la décision est en fait fondée sur une insuffisance de la preuve probante, de sorte que la crédibilité n'était pas en cause. Le défendeur affirme que le demandeur n'a tout simplement pas soumis suffisamment d'éléments de preuve pour établir les risques auxquels il serait, selon lui, exposé s'il était renvoyé en Iran. Le défendeur soutient par conséquent que [traduction] « M. Latifi n'avait pas droit à une entrevue puisqu'il n'a[vait] pas fourni suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant à l'agente d'ERAR d'entreprendre un tel contrôle. La preuve n'avait pas été soumise en entier, et les conclusions de fait tirées par l'agente n'étaient pas manifestement déraisonnables ».

 

[46]           En fait, le défendeur dit que c'est le demandeur qui [traduction] « a tenté de faire de la crédibilité une question importante pour sa demande d'asile » et que cela [traduction] « ne veut pas dire qu'une entrevue doit automatiquement être tenue ».

 

[47]           Quant aux risques invoqués par le demandeur du fait de ses activités au Canada, le défendeur affirme encore une fois que cela ne se rapportait pas à la crédibilité du demandeur, [traduction] « mais à la question de savoir si le demandeur avait fourni suffisamment d'éléments de preuve au sujet de ce risque ».

 

[48]           Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la distinction entre la « suffisance » de la preuve et la « crédibilité » est essentielle en l'espèce et que la distinction est reconnue dans la jurisprudence pertinente.

 

[49]           Le juge Blanchard était saisi de questions similaires dans l’affaire Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2004), 256 F.T.R. 53, 2004 CF 872, conf. par (2005), 339 N.R. 233, 2005 CAF 160; le juge a donné des lignes directrices fort utiles aux paragraphes 25 à 27 de ses motifs :

Selon le défendeur, ces facteurs sont cumulatifs, en raison de l’emploi de la conjonction « and », dans la version anglaise de l ‘article 167 du Règlement. Les conclusions de la demande d’ERAR des demandeurs se résumaient à des arguments qui s’ajoutaient à leurs conclusions en vue de faire partie de la catégorie des DNRSRC, et elles répétaient la version donnée par les demandeurs, et elles ne sont donc pas exceptionnelles. Selon le défendeur, l’agente a fondé sa décision sur l’absence d’une preuve attestant un risque personnalisé, et non sur la crédibilité ou l’absence de crédibilité des demandeurs. La question de la crédibilité n’était pas essentielle pour la décision de l’agente d’ERAR. Le défendeur affirme que, puisque la décision de l’agente d’ERAR ne soulève pas une question sérieuse de crédibilité, elle n’avait nulle obligation de tenir une audience. Selon l’interprétation donnée par la Cour, une question sérieuse de crédibilité est une question de crédibilité qui est essentielle pour la décision en cause, ce qui n’est pas le cas ici.

 

Je suis d’avis que, même si la décision d’ERAR mentionne effectivement que la SSR a conclu à l’absence de crédibilité des demandeurs, l’agente n’a pas fait reposer sa décision sur cette conclusion de la SSR, et la conclusion de la SSR n’a pas été un facteur déterminant dans les motifs de la décision de l’agente. L’agente n’a pas commis d’erreur parce qu’elle a fait état de la décision de la SSR, et d’ailleurs, dans le contexte d’une demande d’ERAR, il était juste qu’elle en fasse état. L’alinéa 113c) de la LIPR prévoit que, pour l’examen d’une demande de protection, il est tenu compte des facteurs énumérés dans les articles 96 et 97 de la LIPR.

 

Après examen des facteurs énumérés dans l’article 167 du Règlement, je suis d’avis que les circonstances qui eussent justifié la tenue d’une audience n’étaient pas présentes dans le cas qui nous occupe. La crédibilité des demandeurs n’a pas été l’aspect déterminant de la décision de l’agente, l’agente ayant plutôt estimé que les risques auxquels étaient censément exposés les demandeurs n’avaient pas été établis au vu de la preuve objective, par exemple les avancées du processus de paix et l’existence, pour les demandeurs, d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). L’agente a bien précisé que, eût‑elle accepté l’ensemble des preuves produites par les demandeurs, ces preuves n’auraient pas suffi à justifier une conclusion favorable de sa part. Puisque le point essentiel était la pertinence de la preuve, et puisqu’aucune question sérieuse de crédibilité n’était soulevée, l’agente n’avait aucune obligation de tenir une audience : Kim c. Canada (MCI), [2003] A.C.F. n° 452, en ligne : QL.

 

La décision du juge Blanchard a été confirmée par le juge Linden, de la Cour d'appel fédérale, (2005), 339 N.R. 233, 2005 CAF 160.

 

[50]           En ce qui concerne la décision Selliah, il importe de noter que l'agente traitait de l'article 167 et qu'elle a en fait conclu que, même si elle avait admis tous les éléments de preuve soumis par les demandeurs dans ce cas‑là, cela n'aurait pas été suffisant pour justifier une conclusion favorable en vertu de l'article 167.

 

[51]           En l'espèce, même si le conseil du demandeur a soulevé la question de la crédibilité en tant que question essentielle et a demandé à l'agente d'envisager de tenir une audience conformément à l'article 167, la question n'a pas été expressément traitée dans la décision.

 

[52]           Par conséquent, il s'agit fondamentalement ici de savoir si la décision soulevait une question sérieuse de crédibilité, obligeant l'agente à du moins envisager la tenue d'une audience.

 

[53]           Dans la décision Selliah, précitée, au paragraphe 26, le juge Blanchard a déclaré être convaincu que « l’agente n’a[vait] pas fait reposer sa décision sur cette conclusion de la SSR, et [que] la conclusion de la SSR n’a[vait] pas été un facteur déterminant dans les motifs de la décision de l’agente ».

 

[54]           La présente affaire n'est pas aussi claire que l'affaire Selliah. L'agente n'a pas expressément indiqué que, même si elle avait admis les éléments de preuve soumis par le demandeur, cela n'aurait pas justifié une conclusion favorable. Il n'est pas non plus évident que la question de la suffisance de la preuve constitue le fondement réel de la décision.

 

[55]           Si nous examinons les nouveaux éléments de preuve concernant le risque que le demandeur a soumis à l'agente dans son affidavit, il est clair que l'affidavit est en bonne partie fondé sur des rationalisations faites après coup pour justifier les erreurs que le demandeur avait commises devant la SSR et qui avaient eu pour effet d'entacher sa crédibilité, ou sur des éléments de preuve destinés à étayer la position qu’il avait prise devant la SSR.

 

[56]           Les conclusions de l'agente sont les suivantes :

[traduction] [...] Par conséquent, je conclus qu'il existe peu d'éléments de preuve dignes de foi à l'appui de la prétention selon laquelle il était un activiste politique en Iran et qu'il existe peu d'éléments de preuve dignes de foi montrant que le demandeur a été emprisonné dans son pays de nationalité ou que les autorités de cet État sont à sa recherche. De même, il existe peu d'éléments de preuve dignes de foi montrant que le demandeur se livrait au Canada à des activités politiques notoires qui l'exposeraient maintenant à un risque en Iran.

 

[57]           Le contexte dans lequel cette remarque a été faite et la façon dont l'agente a abordé la preuve soumise par le demandeur donnent à entendre, selon moi, qu'en employant l'expression [traduction] « dignes de foi », l'agente ne voulait pas simplement parler du caractère [traduction] « suffisamment probant » des risques mentionnés par le demandeur.

 

[58]           Le demandeur affirme avoir soumis de « nouveaux » éléments de preuve au sujet de ses activités et de ses craintes en Iran, ainsi que de « nouveaux » éléments de preuve au sujet de ses activités au Canada.

 

[59]           Le demandeur affirme également que ces « nouveaux » éléments de preuve n'ont pas été admis à cause des doutes continus sur sa crédibilité, découlant de l'audience tenue par la SSR et de la décision rendue par cette dernière. Ma lecture de la décision indique que le demandeur a raison sur ce point.

 

[60]           Il est fort difficile de séparer la « suffisance » et la « crédibilité » dans le contexte d'une décision relative à une ERAR qui remplace une décision défavorable concernant le statut de réfugié fondée sur la crédibilité. Eu égard aux faits de la présente affaire, je crois que l'agente n'était pas suffisamment consciente de la distinction, de sorte qu'elle a confondu les questions de crédibilité et les questions de suffisance.

 

[61]           Quant à la preuve concernant les activités du demandeur au Canada, la décision montre assez clairement que l'agente en est arrivée à la conclusion de fait que [traduction] « le demandeur n'a[vait] pas fourni suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de la façon dont il s'était lui-même présenté comme un activiste bien connu à Vancouver ». L'agente ne dit pas qu'elle ne croit pas le témoignage du demandeur. Elle dit que ce témoignage ne fait pas du demandeur un activiste bien connu qui, pour cette raison, serait exposé à un risque en Iran.

 

[62]           Quant aux nouveaux éléments de preuve se rattachant aux activités du demandeur en Iran, les mots [traduction] « vagues » et [traduction] « contradictoires » donnent à mon avis lieu à des questions de crédibilité plutôt que de simplement se rapporter à la suffisance.

 

[63]           Somme toute, je crois donc que le demandeur a raison de dire que les questions de crédibilité, du moins en ce qui concerne ses activités en Iran, constituaient un aspect de la décision que l'agente n'a pas abordé conformément à l'alinéa 113b) de la LIPR et à l'article 167 du Règlement. Bien entendu, cela ne veut pas dire que, si l'agente avait abordé ces questions, la tenue d'une audience aurait été justifiée, ou que si une audience avait eu lieu, le résultat aurait été différent. Cependant, la crédibilité était un élément si dominant des allégations du demandeur que l'agente a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d'aborder la question.

 

[64]           Au paragraphe 8 de sa décision, l'agente décrit la procédure qu'elle a suivie :

 

a)                  Elle a examiné la décision de la SSR et elle a jugé les conclusions raisonnables;

b)                  Elle a examiné la preuve selon laquelle le demandeur remettait en question les conclusions de la SSR concernant la crédibilité et elle a conclu que cette preuve était insuffisante pour [traduction] « même jeter un doute sur les conclusions tirées par la SSR »;

c)                  Elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve concernant les activités du demandeur en Iran étaient [traduction] « vagues ou contradictoires, ou encore non étayés par des éléments de preuve objectivement vérifiables ». À son avis, il ne s'agissait pas d'un fondement suffisant, sur le plan de la preuve, pour justifier un risque personnalisé;

d)                  Elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve concernant les activités du demandeur au Canada n'étayaient pas l'allégation selon laquelle il était [traduction] « un activiste bien connu ».

 

[65]           Le demandeur a attiré mon attention sur la décision que le juge Phelan vient de rendre dans l'affaire Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] 1 R.C.F. 129, 2005 CF 714, où la demande de contrôle judiciaire a été accueillie dans des circonstances où les conclusions que l'agente d'ERAR avait tirées au sujet de la suffisance ne pouvaient pas être séparées des conclusions qu'elle avait tirées au sujet de la crédibilité. Je crois qu'il faut arriver à un résultat similaire en l'espèce. Cette conclusion a pour effet de régler effectivement la demande, mais je traiterai brièvement des autres moyens invoqués par le demandeur.

 

Les autres moyens

 

[66]           À mon avis, l'argument du demandeur selon lequel l'agente n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve mise à sa disposition doit être rejeté. Selon moi, l'agente n'a pas examiné d'une façon inappropriée les lettres et la pétition produites à l'appui. Je ne puis rien trouver de mal dans la conclusion générale selon laquelle les documents, dans l'ensemble, ne donnent pas assez de précisions sur la situation du demandeur et ne constituent pas des comptes rendus directs de la persécution à laquelle le demandeur était censément exposé en Iran ou des activités qu’il exerçait au Canada, qui servent de fondement à sa demande d’asile sur place. En fait, mise à part l'assertion selon laquelle les documents étayent la prétention du demandeur, à savoir qu'il était un activiste social en Iran et qu'il est un activiste social au Canada, le demandeur n'indique pas comment cela corrobore d'une façon satisfaisante le fondement de sa demande d'ERAR. Toutefois, une fois encore, il est difficile de séparer les conclusions que l'agente a tirées sur ce point des questions générales de crédibilité qui se posaient dans la décision, et ces conclusions ne peuvent pas être maintenues isolément à l'appui de la décision.

 

[67]           Enfin, je suis d'avis que l'agente n'a pas commis d'erreur en disant qu'une [traduction] « personne raisonnable » s'attendrait à ce que le demandeur fournisse une preuve documentaire quelconque à l'appui de l'allégation selon laquelle il a été arrêté, déclaré coupable et incarcéré en Iran du fait de ses opinions politiques. Je note que la remarque de l'agente n'était pas en soi déterminante quant à sa conclusion générale selon laquelle le demandeur n'avait pas établi qu'il avait raison de craindre d'être persécuté ou qu'il serait exposé à un risque s'il retournait en Iran. L'agente a formulé cette remarque à la suite, et à la lumière, de son évaluation, à savoir que la preuve documentaire qui lui avait été soumise à l'appui avait peu de valeur probante. Toutefois, ici encore, cette question ne peut pas être entièrement séparée de la question de crédibilité et ne peut pas servir à maintenir la décision.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent différent.

 

2.                  Il n'y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-224-06

 

INTITULÉ :                                                   MEHDI LATIFI

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 NOVEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Fiona Begg

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fiona Begg

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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