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Date : 20061115

Dossier : IMM-373-06

Référence : 2006 CF 1379

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

JULIO ESCALONA PEREZ

DENIS ALEXANDRA PERES DE ESCALONA

PRADIUMNA ESCALONA PEREZ

GOPY PRIYA ESCALONA PEREZ

demandeurs

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Les demandeurs, une famille de citoyens vénézuéliens, sont entrés au Canada en 1990. En 2002, ils ont demandé l’asile. Julio Enrique Escalona et Denis Alexandra Perez Escalona (le père et la mère) prétendent avoir fui le Venezuela en raison de leur crainte d’être accusés d’une infraction à la législation vénézuélienne sur la drogue. Dans une décision rendue le 9 juin 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande. L’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été refusée le 28 octobre 2004.

 

[2]        Le 25 juillet 2005, les quatre membres de la famille – le père, la mère et les deux enfants inscrits en tant que demandeurs dans la présente demande – ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans cette demande, les demandeurs ont émis l’opinion que la SPR n’avait pas examiné certaines parties de leur demande d’asile et ont demandé que l’agent d’ERAR évalue maintenant la crédibilité du père et de la mère [traduction] « sur des questions importantes auxquelles la CISR n’a pas répondu », particulièrement en ce qui concerne certains actes qu’aurait commis la police vénézuélienne. Ensuite, les demandeurs ont soutenu que les parents satisfaisaient aux critères de l’article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), [traduction] « en raison des conditions carcérales inhumaines auxquelles ils seront certainement assujettis au Venezuela ». À l’appui de leur demande, les demandeurs ont produit un certain nombre de documents comme « nouveaux éléments de preuve ».

 

[3]        Dans une décision du 16 décembre 2005, l’agent d’ERAR a rejeté leur demande. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

La question en litige

[4]        La seule question devant moi est de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des « nouveaux éléments de preuve ».

 

Analyse

[5]        Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, au paragraphe 11; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. n1101, au paragraphe 21 (C.F.); Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n949, au paragraphe 14 (C.F.)). Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. Ainsi, par exemple, l’éclatement d’une guerre civile dans un pays ou l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi pourrait changer considérablement la situation du demandeur. Dans de telles situations, l’ERAR constitue le moyen d’évaluer ces nouveaux risques.

 

[6]        En général, la Cour doit établir la norme de contrôle applicable. Cependant, en l’espèce, je conclus que, quelle que soit la norme, la décision raisonnable simpliciter ou la décision manifestement déraisonnable, la Cour n’a pas à intervenir. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’établir précisément la norme de contrôle.

 

[7]        En gardant ces principes à l’esprit, je me penche sur la décision de la SPR. Celle-ci forme le point de départ de la décision prise par l’agent d’ERAR. En l’espèce, la SPR a conclu que, en date du 9 juin 2004, le renvoi des demandeurs vers le Venezuela ne les exposerait pas à une menace à leur vie, à un risque de peine cruelle et inusitée ou à un risque d’être torturés. En général, la SPR a émis des doutes sérieux quant à la crédibilité des parents. Toutefois, les conclusions essentielles de la SPR étaient les suivantes :

 

  • Les parents peuvent s’attendre à un processus de poursuite équitable relativement au mandat d’arrestation les visant; 

 

  • Il n’y a aucune possibilité sérieuse que les parents soient « arrêtés dès leur retour et emprisonnés sur-le-champ, et [soient] soumis à un long processus de détention ou détenus indéfiniment ».

 

[8]        Ces conclusions sont inattaquables (d’autant plus que l’autorisation de contrôle judiciaire a été refusée). La question a donc deux volets :

 

a)    Les nouveaux éléments de preuve soumis à l’agent d’ERAR, environ 13 mois après la décision de la SPR, ont-ils été convenablement pris en considération?

 

b)    La conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle ces éléments de preuve ne n’établissaient pas de manière satisfaisante que les demandeurs seraient dorénavant exposés à un risque était-elle raisonnable compte tenu de la preuve dont il disposait?

 

[9]        L’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs avaient soumis de nouveaux éléments de preuve conformément à l’alinéa 113a) de la LIPR. Toutefois, il a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne montraient pas l’existence d’un risque nouveau que la SPR n’avait pas examiné. L’agent d’ERAR, après avoir examiné les documents sur les conditions qui régnaient alors dans le pays, était convaincu que les conditions générales dans le pays ne s’étaient pas détériorées depuis la décision prise par la SPR en juin 2004.

 

[10]      Le fondement des observations des demandeurs dans la présente demande est que l’agent d’ERAR a omis de tenir compte de « nouveaux éléments de preuve » déposés par les demandeurs. Ces éléments de preuve consistaient en des documents faisant état, en général, des conditions carcérales terribles toujours en vigueur. Selon les demandeurs, il était particulièrement important de constater que la preuve permettait de démontrer que le Venezuela n’avait pas mis en place certaines mesures de protection sur lesquelles la SPR s’était appuyée pour tirer ses conclusions.

 

[11]      Si je comprends bien les observations des demandeurs, ils ne prétendent pas que l’agent d’ERAR a mis de côté ou mal interprété certains des éléments de preuve dont il disposait. Ils contestent plutôt les conclusions de l’agent d’ERAR selon lesquelles [traduction] « les nouveaux éléments de preuve ne montrent pas l’existence d’un nouveau risque survenu depuis le rejet de leur demande par la SPR ». En d’autres termes, ils affirment que les « nouveaux éléments de preuve » prouvent qu’ils seraient exposés à des conditions carcérales horribles au Venezuela.

 

[12]      Beaucoup des nouveaux éléments de preuve soumis à l’agent d’ERAR portaient sur les conditions carcérales au Venezuela. L’agent d’ERAR a reconnu que les conditions carcérales décrites dans les articles de journaux produits par les demandeurs étaient [traduction] « loin d’être favorables ». Cependant, l’agent d’ERAR a également examiné la preuve dont disposait la SPR et il a noté que les documents devant la SPR montraient que certains détenus au Venezuela faisaient face à des conditions carcérales défavorables.

 

[13]      En d’autres mots, l’agent d’ERAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne faisaient pas état de nouveaux risques que la SPR n’avait pas examinés dans sa décision. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. Les nouveaux éléments de preuve montrent que les conditions carcérales sont encore inhumaines et avilissantes. En conséquence, l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur en concluant que les nouveaux éléments de preuve ne montraient pas l’existence d’un nouveau risque pour les demandeurs.

 

[14]      En outre, il est important de souligner que la SPR a conclu que les parents ne risquaient pas sérieusement d’être emprisonnés immédiatement pour une longue période. En conséquence, les conditions carcérales – qu’elles se soient détériorées ou non – ne sont pas décisives. Devant moi ainsi que devant l’agent d’ERAR, les demandeurs ont soutenu qu’ils seraient bel et bien jetés immédiatement en prison. Cette affirmation ne fait que contredire la conclusion de la SPR et ne constitue pas un motif valable pour modifier la décision de l’agent d’ERAR.

 

[15]      Finalement, selon les demandeurs, la SPR a conclu que la mise en œuvre du Code organique de procédure pénale (COPP) réfutait la crainte des parents de ne pas avoir droit à un procès équitable à leur retour au Venezuela. Ce renseignement se trouvait dans le rapport du Département d’État 2002, daté du 31 mars 2003, qui avait été soumis à la SPR. Les demandeurs prétendent qu’ils ont fourni la version 2004 du rapport du Département d’État (daté du 28 février 2005) à l’agent d’ERAR. Selon ce dernier rapport, le système judiciaire civil peine à mettre en œuvre le COPP et demeure hautement inefficace et corrompu. Les prisonniers sont encore torturés et maltraités, les mauvais traitements consistant généralement en des volées de coups pendant l’arrestation ou l’interrogatoire. Les demandeurs prétendent que l’agent d’ERAR a commis une erreur de droit en ne notant pas que la SPR s’était trompée quant aux conditions carcérales des demandeurs, puisque les changements qu’elle prévoyait ne se sont pas concrétisés.

 

[16]      Cet argument n’a guère de fondement. Je note en premier lieu que les demandeurs adoptent une interprétation trop étroite de la décision de la SPR. Pour tirer ses conclusions relatives à la possibilité pour les parents de subir un procès en bonne et due forme, la SPR s’est appuyée non seulement sur l’existence du COPP, mais également sur la façon dont les parents avaient été traités auparavant par le système judiciaire. Ainsi, l’existence du COPP n’était pas le seul motif ayant amené la SPR à conclure que les parents ne risquaient pas sérieusement d’être assujettis à une détention longue ou indéfinie.

 

[17]      De plus, selon mon interprétation de la décision de la SPR, cette dernière s’appuyait sur le COPP, dans son état au 9 juin 2004. La SPR n’a pas fondé sa décision sur la prévision ou l’hypothèse que la situation s’améliorerait en raison du COPP ou d’une autre cause. Au contraire, la SPR a évalué l’efficacité du COPP en date de juin 2004 et, bien qu’elle ait convenu que la situation n’était pas parfaite, elle a jugé que le COPP aiderait les parents à obtenir un procès équitable et contribuerait à garantir qu’ils ne seraient pas détenus arbitrairement. Le fait que le gouvernement demeure – comme le signale le rapport du Département d’État 2004 – dans la même situation qu’en mars 2003 ne reflète pas un changement dans la preuve. En résumé, en ce qui concerne le COPP, les demandeurs se trouvent exactement dans la même situation que lorsque la SPR a examiné la question en juin 2004. Les « nouveaux éléments de preuve » n’étaient qu’un « nouveau document » dont le contenu permettrait de conclure que rien n’avait changé depuis la décision de la SPR. La situation aurait pu être différente si les « nouveaux éléments de preuve » avaient démontré que le COPP avait été abrogé ou que le gouvernement avait admis son impuissance à régler les problèmes du système judiciaire. Cependant, ce n’était pas le cas; ce qu’affirmait le rapport du Département d’État 2004 au sujet de la mise en œuvre des objectifs du COPP (et au sujet de ses faiblesses) se retrouvait – presque mot pour mot – dans le rapport du Département d’État 2002 pris en compte par la SPR.

 

[18]      En conclusion, je suis convaincue que :

 

a)    les nouveaux éléments de preuve soumis à l’agent d’ERAR, environ 13 mois après la décision de la SPR, ont été convenablement pris en compte;

 

b)      l’agent d’ERAR pouvait, compte tenu de la preuve dont il disposait, raisonnablement tirer la conclusion selon laquelle ces éléments de preuve n’établissaient pas de manière satisfaisante que les demandeurs seraient dorénavant exposés à un risque.

 

En conséquence, la présente demande sera rejetée.

 

[19]      Les demandeurs ont proposé que la question suivante soit certifiée :

 

[traduction]

L’agent d’immigration procédant à l’examen des risques avant renvoi est-il tenu d’examiner les nouveaux éléments de preuve dont la date est postérieure à l’audience sur le statut de réfugié, que ces éléments de preuve portent sur des questions nouvelles nées après l’audience ou qu’ils portent sur des questions déjà examinées par la SPR à l’audience sur le statut de réfugié?

 

[20]      Je ne suis pas convaincue qu’il convienne de certifier cette question. Il ressort des faits de la présente affaire que, l’agent d’ERAR a admis et examiné les « nouveaux éléments de preuve ». Par conséquent, la réponse à la question proposée n’est pas décisive.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-373-06

 

INTITULÉ :                                                   JULIO ESCALONA PEREZ ET AL 

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 2 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 NOVEMBRE 2006      

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Romoff                                                POUR LES DEMANDEURS

 

Lorne McClenaghan                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Romoff                                                POUR LES DEMANDEURS

Makepeace Romoff

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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