ENTRE :
GERLANDO CARUANA
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Les présents motifs découlent de l’audition d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le sous‑commissaire adjoint intérimaire, Administration régionale (Ontario), (le décideur) a confirmé la décision du directeur de l’établissement de Bath, Service correctionnel du Canada (le SCC), de maintenir la cote de sécurité moyenne du demandeur. La décision visée par l’examen a été rendue au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs du SCC, mais elle était en fait fondée sur le premier recours à cette procédure par le demandeur étant donné que la décision initiale de classement avait été prise par la personne autorisée au premier palier de la procédure de règlement des griefs.
[2] La décision visée par l’examen est datée du 24 août 2005. Elle a été communiquée au demandeur le 13 octobre 2005 seulement.
LE CONTEXTE
[3] Le demandeur est un détenu âgé de soixante‑trois ans qui est incarcéré à l’établissement de Bath. Il a initialement été condamné, le 7 mars 1986, à vingt années d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable d’infractions d’importation et d’exportation d’héroïne et de complot en vue d’importer et d’exporter de l’héroïne. La libération conditionnelle lui ayant été accordée, pendant qu’il était en liberté il a de nouveau été accusé de complot en vue d’importer de la cocaïne et de complot en vue de faire le trafic de la cocaïne. Il a été reconnu coupable et condamné à dix‑huit années d’emprisonnement, qui devaient être purgées concurremment avec le reste de la peine infligée en 1986. Par conséquent, la peine totale infligée au demandeur est de trente et un ans, onze mois et dix‑huit jours; la date de libération d’office est le 12 août 2011 et la date d’expiration de son mandat d’incarcération est le 24 février 2018. La date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale est depuis longtemps expirée.
[4] Depuis le 25 avril 2000, date à laquelle il a été remis sous la garde du SCC, le demandeur purge sa peine à l’établissement à sécurité moyenne de Bath, à Bath (Ontario). Depuis lors, il a toujours été évalué comme un délinquant à sécurité moyenne.
[5] Le 16 octobre 2003, par une décision qui n’a pas été contestée, le demandeur a été déclaré membre d’une organisation criminelle.
LES DISPOSITIONS LÉGALES ET RÉGLEMENTAIRES PERTINENTES ET LES DIRECTIVES CONNEXES DU COMMISSAIRE
[6] L’article 30 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[1] (la Loi) porte sur la cote de sécurité des détenus. Cette disposition est rédigée comme suit :
30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.6).
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30. (1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).
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(2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’assignation d’une cote de sécurité ou du changement de celle‑ci.
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(2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.
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[7] L’article 90 de la Loi exige l’établissement d’une procédure de règlement « juste et expéditif » des griefs des délinquants. Cette disposition est rédigée comme suit :
90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire. [Non souligné dans l’original] |
90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u). [emphasis added] |
[8] Les alinéas 96u) et z.6) de la Loi, mentionnés aux articles 30 et 90, en ordre inverse, sont rédigés comme suit :
96. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements |
96. The Governor in Council may make regulations |
[…] |
… |
u) fixant la procédure de règlement des griefs des délinquants; |
(u) prescribing an offender grievance procedure; |
[…] |
… |
z.6) concernant l’attribution — aux termes de l’article 30 — d’une cote de sécurité au détenu ainsi que les critères de détermination de celle-ci;
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(z.6) respecting the assignment to inmates of security classifications pursuant to section 30, which regulations must set out factors to be considered in determining the security classification of an inmate; |
[…] |
…. |
[9] L’article 17 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[2] (le Règlement) exige que le SCC détermine la cote à assigner à chaque détenu conformément à l’article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants : la gravité de l’infraction commise par le détenu; toute accusation en instance contre lui; son rendement et sa conduite pendant qu’il purge sa peine; ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s’ils sont disponibles; toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre; sa propension à la violence; son implication continue dans des activités criminelles.
[10] Selon l’article 18 du Règlement, le détenu reçoit la cote de sécurité moyenne si l’évaluation du SCC montre qu’il présente un risque d’évasion de faible à moyen et, qu’en cas d’évasion, il constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public; ou s’il exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier.
[11] Les articles 74 à 82 du Règlement établissent la procédure de règlement des griefs du SCC. Conformément à la mention, à l’article 90 de la Loi, d’une procédure de règlement expéditif, le Règlement prévoit la prise de diverses mesures dans le cadre de la procédure de règlement des griefs « aussitôt que possible » après que surviennent divers événements.
[12] Les Directives du commissaire régissent les « Instructions permanentes » (les IT) du SCC. L’IT 700‑14 publiée le 1er septembre 2005 traite de la cote de sécurité. Dans le cas de délinquants comme le demandeur, à la suite de l’assignation initiale d’une cote, il faut procéder à « l’examen de la cote de sécurité, y compris utiliser l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité [...] » au moins une fois l’an. L’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité est décrite comme étant « le fruit de recherches visant à mettre au point un outil pour aider les agents à déterminer le niveau de sécurité le plus approprié à des moments clés tout au long de la peine du délinquant ».
[13] Il peut être dérogé au résultat obtenu selon l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité dans des circonstances restreintes. L’article 23 de la Directive du commissaire IT 700‑14 est rédigé comme suit :
23. En temps normal, on ne dérogera pas de la cote déterminée par [...] l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité. Dans les cas où l’agent estime qu’il y a lieu de déroger aux résultats obtenus à [...] l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité, une justification détaillée doit être consignée dans l’Évaluation en vue d’une décision, conformément à l’article 18 du Règlement, en s’assurant que l’analyse se retrouve sous les catégories suivantes : adaptation à l’établissement, risque d’évasion et risque pour la sécurité du public.
[14] La Directive du commissaire IT 700‑14 comporte une annexe, 700‑14A, renfermant des lignes directrices détaillées concernant la dérogation vers une cote de sécurité plus ou moins élevée. En ce qui concerne les « FACTEURS LIÉS AU RISQUE D’ÉVASION », l’annexe contient notamment ce qui suit :
Autres préoccupations - circonstances exceptionnelles pouvant augmenter le risque d’évasion (p. ex., dispute de garde d’enfant, problèmes avec une autre personne importante, dettes de jeu ou de drogue, etc.)
Sous la catégorie « FACTEURS LIÉS À LA SÉCURITÉ DU PUBLIC », la sous‑catégorie « Autres préoccupations liées à la sécurité du public », précise ce qui suit :
[…]
d. le caractère notoire du cas suscitera vraisemblablement une réaction négative de la part du public, des victimes ou de la police, ou une couverture médiatique importante (crime sensationnel, infraction sexuelle ou en matière de drogue majeure, affiliation avec le crime organisé, etc.).
[Non souligné dans l’original.]
LA COTE DE SÉCURITÉ DU DEMANDEUR ET LA DÉCISION VISÉE PAR L’EXAMEN
[15] Conformément aux procédures du SCC, au mois de décembre 2004 et au début du mois de janvier 2005, une « Évaluation en vue d’une décision » a été préparée à l’égard du demandeur à l’établissement de Bath. Sous le titre [traduction] « Consultation de l’agente des renseignements de sécurité », on trouve le paragraphe suivant :
[traduction] L’auteur de la présente évaluation s’est présenté au bureau [...] de l’agente des renseignements de sécurité le 14 décembre 2004 et a examiné le dossier de sécurité préventive. Il y a eu deux inscriptions dans le rapport de renseignements protégés pendant cet examen, telles qu’elles ont été enregistrées à l’écran des rapports d’incidents, dans le SGD. [L’agente des renseignements de sécurité] a indiqué qu’il s’agissait d’un cas délicat, comportant d’importants renseignements des organismes d’application de la loi au sujet de ses liens avec le crime organisé. Elle indique que des enquêtes sont en cours au sujet des activités illégales [du demandeur] et des membres de sa famille au sein des établissements respectifs. Elle a également exprimé l’avis selon lequel le sujet présenterait un risque d’évasion dans un établissement sans périmètre de sécurité, à cause de ses liens avec le crime organisé et de possibilité qu’il existe d’importantes sommes d’argent cachées.
Apparemment, les établissements à sécurité minimale sont des établissements « sans périmètre de sécurité ».
[16] L’Échelle de réévaluation de la cote a été utilisée, ce qui a entraîné une cote de sécurité calculée de 16,5 donnant lieu à une cote calculée « minimale » avec dérogation vers le niveau « moyen ». Les renseignements protégés de sécurité préventive sont consignés dans le [traduction] « commentaire sur la dérogation ».
[17] Il a été conclu que l’adaptation à l’établissement entraînerait un risque de sécurité faible. Le demandeur a fourni des échantillons « négatifs » lors de deux analyses d’urine aléatoires et [traduction] « [...] a utilisé d’une façon productive le temps passé à Bath ». Ceci dit, il est noté dans l’évaluation [traduction] qu’« [...] il y a des renseignements protégés provenant de l’ASPE qui donnent à entendre une participation à des activités de prêt usuraire et de règlement de comptes au sein de l’établissement de Bath. L’enquête se poursuit. ».
[18] Le risque d’évasion a été évalué comme [traduction] « modéré ». Les remarques suivantes figurent dans l’exposé circonstancié se rapportant à cette évaluation :
[traduction] [...] l’ARS réitère qu’à son avis, le sujet est soupçonné de posséder des actifs cachés importants et que le risque d’évasion d’un établissement sans périmètre de sécurité ne peut être assumé en ce moment.
Par conséquent, l’EGC est d’avis que le sujet peut ne pas activement tenter de s’évader, mais qu’il pourrait le faire si l’occasion se présentait, par exemple dans un établissement sans périmètre de sécurité.
[19] Les préoccupations liées à la sécurité du public ont été cotées comme faibles. Selon une évaluation psychologique, le demandeur présentait un [traduction] « [...] faible risque de récidive violente sur une période de sept ans [...] » par rapport à trois critères d’évaluation.
[20] L’évaluation renfermait en conclusion le paragraphe suivant :
[traduction] L’Échelle de réévaluation de la cote du 13 décembre 2004 indiquait un niveau de sécurité minimal (16,5) avec une dérogation de 5 % vers un niveau de sécurité moyen. L’Échelle de réévaluation de la cote informatisée a donné lieu à une dérogation vers le niveau de sécurité moyen, compte tenu de préoccupations liées à la sécurité préventive, en particulier en ce qui concerne le risque d’évasion. Une enquête additionnelle sur les activités criminelles au sein de l’établissement de Bath se poursuit. Par conséquent, l’EGC [l’équipe de gestion du cas] recommande un niveau de sécurité moyen avec une adaptation à l’établissement – faible, un risque d’évasion – modéré, et les préoccupations liées à la sécurité du public – faible.
[21] Par conséquent, la cote de risque de sécurité modéré a été obtenue au moyen de l’exercice du pouvoir de dérogation, qui doit être utilisé rarement, et elle était presque entièrement fondée sur de vagues questions qui se posaient sur le plan des renseignements de sécurité, dont certaines, celles qui sont liées aux activités illégales soupçonnées à l’établissement de Bath, étaient basées sur des enquêtes en cours plutôt que sur des enquêtes achevées.
[22] L’Évaluation en vue d’une décision a semble‑t‑il été remise au demandeur le 28 janvier 2005 et il aurait eu la possibilité de répondre.
[23] L’Évaluation en vue d’une décision a été renvoyée au « Comité d’unité » du demandeur, qui a ajouté les commentaires suivants pour que le directeur de l’établissement de Bath les examine :
[traduction] Le Comité d’unité est d’avis que [le demandeur] a démontré qu’il était possible de gérer son cas au sein d’un établissement à sécurité moyenne, mais des renseignements sur la sécurité préventive continuent à être reçus, lesquels donnent à entendre sa participation continue à des activités illicites. Ceci dit, aucun rapport d’infraction n’a été établi, de sorte que la cote pour l’adaptation à l’établissement faible semble justifiée. Il semble approprié d’envisager un risque d’évasion modéré, en ce sens que [le demandeur] a les moyens et l’appui nécessaires pour s’évader d’un établissement à sécurité moins élevée si l’occasion se présente. La question a également été soulevée par les établissements à sécurité minimale qui ont été consultés au sujet de sa demande antérieure de transfèrement. L’EGC a coté [le demandeur] comme [présentant un risque] faible sur le plan de la sécurité du public, mais je ne suis pas d’accord et je conclus qu’il présente au moins un risque modéré pour la sécurité du public étant donné qu’il a été noté qu’il avait des liens avec le crime organisé. Le caractère notoire du cas suscitera vraisemblablement une réaction négative de la part du public ou de la police, ou une couverture médiatique importante compte tenu de son affiliation avec le crime organisé.
Je conclus donc que sa cote devrait être FMM [faible, modérée, modérée] et qu’il convient de maintenir sa cote de sécurité moyenne.
[24] La décision du directeur est rédigée dans les termes suivants :
[traduction] L’EGC a obtenu la sécurité moyenne comme résultat, selon l’Échelle de réévaluation de la cote, en utilisant un facteur de dérogation vers un niveau de sécurité supérieur. Elle a étayé ses conclusions à l’aide d’une analyse de cas qui a abouti aux résultats suivants : adaptation à l’établissement faible, risque d’évasion modéré et sécurité du public faible. Le Comité d’unité a examiné cette recommandation et il ne souscrit pas à l’analyse de l’EGC, en ce sens qu’il croit que [le demandeur] doit avoir une cote moyenne pour la sécurité du public, compte tenu de ses affiliations avec le crime organisé. Je suis d’accord avec le Comité d’unité et je souscris à la réévaluation recommandée sur le plan de la sécurité. Je considère [le demandeur] comme un délinquant à sécurité moyenne dont les cotes sont FMM.
[25] C’est à l’égard de cette décision que le grief a été présenté. La procédure de règlement des griefs a commencé au deuxième palier puisque le directeur ayant pris la décision susmentionnée aurait été la personne autorisée à entendre le grief au premier palier.
[26] La décision visée par l’examen, celle de la sous‑commissaire intérimaire, Administration régionale (Ontario), du SCC, en date du 24 août 2005, est fort brève. En voici l’essentiel :
[traduction] Vous êtes et vous avez été évalué d’une façon appropriée comme un détenu à sécurité moyenne depuis que vous avez été remis sous la garde fédérale le 10 mars 2000. Un examen exhaustif a été effectué, et il n’y a pas de circonstances atténuantes ou aggravantes justifiant un changement de votre classement à sécurité moyenne.
Toutefois, des précisions additionnelles sont demandées de l’établissement de Bath afin de corroborer les déclarations figurant dans l’évaluation en vue d’une décision du 5 janvier 2005, à savoir « la possibilité qu’il existe d’importantes sommes d’argent cachées ».
[27] Ceci dit, la décision visée par l’examen est étayée, dans le dossier du tribunal, par un résumé recommandant le rejet du grief au deuxième palier. Le résumé indique qu’il a été préparé à l’aide de divers documents, dont l’évaluation en vue d’une décision du 5 janvier 2005 et la feuille de décision concernant le niveau de sécurité du délinquant du 13 janvier 2005. Je suis convaincu que, par rapport à l’analyse figurant aux paragraphes 35 à 44 des motifs de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3], le résumé constitue les motifs de la décision visée par l’examen.
LES POINTS EN LITIGE
[28] Le demandeur déclare ce qui suit dans le mémoire des faits et du droit déposé pour son compte :
[traduction] Les moyens invoqués dans la demande sont que la décision contestée de la [sous‑commissaire adjointe intérimaire] :
a) violait l’obligation d’agir d’une façon équitable imposée par la common law;
b) violait le droit reconnu au demandeur à l’article 7 de la Charte des droits et libertés de ne pas être privé de sa liberté sauf conformément aux principes de justice fondamentale;
c) est entachée d’iniquité procédurale étant donné que le [sous‑commissaire intérimaire] se fonde sur des renseignements non pertinents, préjudiciables et inexacts;
d) est entachée d’un déni de justice naturelle qui a eu pour effet de lui faire perdre compétence sur l’affaire.
[29] Ceci dit, plus loin dans le même document, le demandeur affirme que la question cruciale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la sous‑commissaire adjointe intérimaire a rendu une décision manifestement déraisonnable en confirmant la décision du directeur de l’établissement de Bath selon laquelle il devait être classé comme détenu à sécurité moyenne. L’avocat affirme au nom du demandeur que l’énoncé susmentionné de la question en litige porte sur la question de savoir si le décideur a omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu en droit d’observer, s’il a commis une erreur de droit en rendant une décision ou une ordonnance, et ce, que l’erreur soit évidente ou non au vu du dossier, et s’il a fondé la décision ou l’ordonnance visée par l’examen sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.
[30] À l’audience, on a renoncé à invoquer la Charte et il n’a pas sérieusement été donné suite à la question de l’erreur de droit. Par conséquent, la justice naturelle et l’équité ainsi que la conclusion de fait erronée constituaient les principaux arguments avancés pour le compte du demandeur.
[31] En plus des questions poursuivies au nom du demandeur, le défendeur a soulevé la question de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la présente demande de contrôle judiciaire étant donné que le demandeur pouvait se prévaloir d’un autre recours administratif, à savoir la procédure de règlement des griefs au troisième palier.
ANALYSE
a) La norme de contrôle
[32] Les avocats se sont entendus devant la Cour pour dire que l’examen au fond de la décision dont la Cour est ici saisie doit être effectué selon la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d’accord. Dans la décision Hiebert c. Canada (Procureur général)[4], mon collège le juge Pinard écrit ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs :
La décision de fond de transférer un détenu ou d=accroître sa classification de sécurité fait intervenir une question de fait concernant le risque que pose le demandeur pour la sécurité et concernant le placement pénitentiaire approprié, et telle décision doit donc être contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir l=arrêt Sweet c. Procureur général, 2005 CAF 51, [2005] A.C.F. n° 216 (C.A.) (QL), aux paragraphes 14 et 17, où la Cour d=appel cite en les approuvant les principes établis dans la décision Tehrankari c. Service correctionnel du Canada (2000), 188 F.T.R. 206, au paragraphe 44).
En général, les tribunaux hésitent à modifier les décisions administratives des autorités pénitentiaires portant sur le transfèrement de détenus d=un établissement à un autre ou d=un niveau de sécurité à un autre. * Tant qu=il n=est pas possible de démontrer que ces décisions sont inéquitables, il faut les laisser à ceux qui ont la lourde responsabilité de préserver le bon ordre et la discipline parmi les détenus + (Hay c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 21 C.C.C. (3d) 408, page 415).
Je suis convaincu qu’il est possible de dire exactement la même chose au sujet d’une décision confirmant un classement de sécurité et d’une décision confirmant une telle décision dans le cadre d’un grief. En outre, je suis convaincu qu’il n’y a rien dans la situation factuelle qui est ici portée à la connaissance de la Cour qui permette de déroger à la norme de la décision manifestement déraisonnable.
[33] En outre, je suis convaincu qu’il est de droit constant qu’une allégation d’iniquité procédurale ou de déni de justice naturelle n’enclenche pas une analyse pragmatique et fonctionnelle. En cas d’omission de respecter la justice naturelle ou de déni d’équité, la décision visée par l’examen doit être annulée.
[34] Enfin, la question de savoir si une demande de contrôle judiciaire doit être entendue lorsqu’un autre recours administratif n’a pas été exercé n’enclenche pas une analyse pragmatique et fonctionnelle.
b) L’existence d’un autre recours administratif
[35] Dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui[5], le juge en chef Lamer, qui a rédigé des motifs en son nom et au nom du juge Cory, la majorité de la cour souscrivant à son avis sur ce point, a écrit ce qui suit aux paragraphes 30 à 32 :
Les intimées avaient le droit de demander le contrôle judiciaire à la Section de première instance de la Cour fédérale. Cela ne comportait toutefois pas le droit d’exiger que la cour procède effectivement à ce contrôle. Il existe depuis longtemps un principe général selon lequel la réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires. La nature extraordinaire et discrétionnaire de ces brefs a été subsumée dans les dispositions relatives au contrôle judiciaire de l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. [...]
[...]
Le fait que le par. 18.1(3) crée une faculté plutôt qu’une obligation conserve la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. En conséquence, les juges de la Section de première instance de la Cour fédérale, dont fait partie le juge Joyal, jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a lieu à contrôle judiciaire.
En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le juge Joyal s’est fondé sur le principe de l’existence d’un autre recours approprié. Selon lui, les procédures de contestation établies en vertu de la loi offraient aux intimées des possibilités adéquates de poursuivre leur contestation en matière de compétence et d’obtenir un redressement. Il a décidé en conséquence de ne pas procéder au contrôle judiciaire.
[Une partie du texte a été omise; non souligné dans l’original.]
[36] Le juge en chef a ajouté, au paragraphe 37 :
Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent: la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.
[37] L’avocat du défendeur a soutenu que, selon le principe de l’existence d’un autre recours approprié, je ne dois pas entendre la présente demande de contrôle judiciaire.
[38] L’autre recours qui pouvait ici être exercé était la transmission du grief au troisième palier. Il est certain que cet autre recours était commode, et censément rapide, que la nature de l’erreur alléguée relevait de la compétence de la personne autorisée à entendre le grief, et que l’organisme d’appel, à savoir le commissaire du Service correctionnel, disposait des pouvoirs d’enquête, de décision et de redressement appropriés. De fait, ces pouvoirs excèdent de beaucoup le pouvoir que possède la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire et leur exercice était essentiellement autorisé par l’avertissement donné dans la décision visée par l’examen, à savoir :
[traduction] Toutefois, des précisions additionnelles sont demandées de l’établissement de Bath afin de corroborer les déclarations figurant dans l’évaluation en vue d’une décision [...] à savoir la possibilité qu’il existe d’importantes sommes d’argent cachées ».
[39] Ceci dit, il existe ici des considérations à l’encontre.
[40] L’article 90 de la LSCMLC, précité dans les présents motifs, prévoit qu’est établie une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants. La décision qui a fait l’objet du grief était datée du 13 janvier 2005. Les observations présentées dans le cadre du grief sont datées du 14 février 2005. On a accusé réception du grief par écrit le 17 février 2005. Dans une communication datée du 11 avril 2005, le SCC a informé le demandeur que la réponse à son grief serait prête au plus tard le 30 mai 2005. Le délai était attribué à [traduction] « un arriéré des griefs dans la région ».
[41] Le 30 mai 2005, le SCC a informé le demandeur, encore une fois par écrit, qu’une réponse serait prête au plus tard le 30 juin 2005. Le SCC remerciait le demandeur [traduction] « de [sa] patience ». Encore une fois le 30 juin 2005, le SCC a informé le demandeur qu’une réponse à son grief serait prête au plus tard le 12 août 2005. On remerciait encore une fois le demandeur de sa patience. Le 26 juillet 2005, le SCC a informé le demandeur [traduction] « [...] encore une fois [...] » par écrit qu’une réponse serait prête au plus tard le 15 septembre 2005. Encore une fois, on remerciait le demandeur de sa patience.
[42] Enfin, le 6 octobre 2005, le SCC a informé l’avocat du demandeur, par téléphone, que l’on avait en fait [traduction] « répondu » au grief du demandeur le 24 août 2005, mais que la réponse avait été [traduction] « égarée ». Par conséquent, le demandeur a reçu une réponse à son grief le 13 octobre 2005 seulement, soit plus de huit mois après la présentation du grief au deuxième palier. Dans ces conditions, la Cour conclut qu’il n’est pas du tout surprenant que le demandeur ait décidé de s’adresser à elle au lieu de poursuivre son grief au troisième palier, compte tenu en particulier du fait que son accès au troisième palier serait suspendu tant qu’une décision ne serait pas rendue dans la présente instance. Le classement de sécurité du demandeur ayant donné lieu au grief devait bientôt faire l’objet d’un autre examen du classement, rendant le grief théorique.
[43] Comme mentionné plus tôt, l’article 90 de la Loi prévoit qu’il faut procéder à un règlement « juste et expéditif » des griefs. Des précisions sont données à ce sujet dans la Directive du commissaire 081 datée du 4 mars 2002, portant sur les Plaintes et griefs des délinquants, où l’objectif de la politique est énoncé comme suit :
1. Faire en sorte que les plaintes et les griefs des délinquants soient traités promptement et équitablement au plus bas palier possible, d’une manière conforme à la loi, et à la lettre et l’esprit du document sur la Mission.
Conformément à cet objectif, le paragraphe 7 de la Directive prévoit ce qui suit :
7. Le SCC doit veiller à ce que les délinquants reçoivent, par écrit, une réponse complète aux questions soulevées dans les plaintes et les griefs, dans les 15 jours ouvrables suivant leur réception par le répondant, lorsqu’il s’agit d’un cas jugé prioritaire, et dans les 25 jours ouvrables suivant leur réception par le répondant dans tous les autres cas.
[Non souligné dans l’original.]
Eu égard aux faits de l’affaire, le SCC ne s’est pas du tout conformé à sa propre politique.
[44] Dans la décision Marachelian c. Canada (Procureur général)[6], le juge Pelletier, qui était alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, écrit ce qui suit au paragraphe 10 de ses motifs :
Les considérations de principe justifiant que l=on exige des demandeurs qu=ils épuisent leurs recours internes sont déterminantes. Conclure autrement signifierait miner la légitimité de ces autres recours en leur attribuant un rôle secondaire alors qu=il existe de nombreuses raisons pour lesquelles ils doivent jouer un rôle de premier plan dans le règlement des litiges. Dans le contexte des établissements de détention, on peut mentionner la rapidité, la connaissance d=un environnement unique, les mesures adéquates de protection procédurale et l=économie comme motifs pour lesquels les recours internes devraient être épuisés avant qu=une demande ne soit faite auprès de la Cour. Il y a toutefois des cas où les recours internes ne sont pas adéquats. [...]
[45] Dans l’arrêt Condo c. Canada (Procureur général)[7], le juge Strayer, au nom de la Cour, écrit ce qui suit au paragraphe 6 de ses motifs :
L=appelant a présenté des éléments de preuve selon lesquels le mécanisme de grief est excessivement lent et n=offre donc pas une solution de rechange viable. Nous ne sommes pas en mesure de dire que le juge des requêtes a commis une erreur en considérant que cette preuve n=était pas convaincante. L=appelant avance en outre que, comme le mécanisme de grief est automatiquement suspendu, selon l=article 81 de la Loi, en cas de recours judiciaire, il ne dispose en réalité d=aucun autre recours. Or, s=il est temporairement privé de la possibilité de déposer un grief, ce n=est que la conséquence prévisible de sa propre décision de présenter une demande de contrôle judiciaire, et cette situation durera seulement jusqu=à ce que la Cour se soit prononcée sur sa demande.
L’analyse effectuée par le juge Strayer est convaincante, mais je conclus qu’elle ne s’applique pas ici parce que, comme le dit le juge Strayer, dans cette affaire il a été jugé que les éléments de preuve selon lesquels le mécanisme de grief était excessivement lent et n’offrait donc pas une solution de rechange viable n’étaient pas convaincants. Par contre, dans ce cas‑ci, la preuve selon laquelle le mécanisme de grief est « excessivement lent » est tout à fait convaincante.
[46] En me fondant sur ce qui précède, et malgré l’existence d’un autre recours administratif, je suis convaincu qu’il était approprié de procéder à un examen au fond de la présente demande de contrôle judiciaire, comme suit[8].
c) L’équité procédurale et le déni de justice naturelle
[47] L’avocat du demandeur a soutenu que le classement de sécurité du demandeur, et en particulier l’application de la dérogation vers un niveau supérieur à celui de l’évaluation effectuée selon l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité, était entièrement basé sur des allégations non fondées et non justifiées découlant de renseignements de sécurité non divulgués. L’avocat a soutenu que, cela étant, le demandeur s’était effectivement vu refuser toute possibilité valable de répondre à ces allégations et que la procédure suivie était donc fondamentalement inéquitable et contraire à la justice naturelle.
[48] Dans la décision Hiebert c. Canada (Procureur général)[9], mon collègue le juge Pinard faisait face à une situation à peu près analogue. Aux paragraphes 32 à 34 de ses motifs, il écrit ceci :
Il est vrai que, puisque le transfèrement d=un détenu d=un établissement à sécurité moindre vers un établissement à sécurité supérieure constitue une punition [...], il était impératif qu=il soit suffisamment informé pour savoir ce qu=on lui reprochait. Il suffit qu=il reçoive un résumé raisonnablement détaillé des motifs du transfèrement et qu=on lui indique les grandes lignes du rapport qui a été présenté aux autorités et qui a motivé la décision des autorités [...]
Il est vrai aussi que la décision relative au grief de second niveau disait que le demandeur n=avait pas reçu toute l=information qu=il aurait dû recevoir en application de l=article 13 du Règlement.
Je suis toutefois d=avis que le demandeur a tort d=affirmer qu=il n=a pas eu droit à l=équité procédurale. On lui a communiqué les détails lorsque l=avis de transfèrement et l=évaluation en vue d=une décision lui ont été signifiés à nouveau en août 2004, et il a été par la suite informé de son droit de consulter un avocat et de son droit de s=opposer à l=avis qui lui avait été à nouveau signifié de son transfèrement non sollicité à Kingston. Le demandeur a donc eu l=occasion de présenter des observations utiles en réponse à la décision proposée de le transférer à Kingston.
[Renvois omis.]
[49] Je suis convaincu qu’une décision de ne pas ramener le classement de sécurité du demandeur du niveau moyen au niveau minimal était importante pour le demandeur et que cela était analogue à une décision de transférer le demandeur d’un établissement dont le niveau de sécurité était inférieur à un établissement dont le niveau de sécurité était supérieur. En fait, on refusait de transférer le demandeur d’un établissement dont le niveau de sécurité était supérieur à un établissement dont le niveau de sécurité était inférieur. Cependant, comme c’était le cas dans l’affaire Hiebert, le demandeur a obtenu des renseignements précis au sujet de la preuve existant à son encontre, quoique ces renseignements n’aient pas été étayés par des éléments de preuve concrets précis, mais plutôt par des allégations et par des soupçons. Néanmoins, je suis convaincu que le demandeur a obtenu autant de renseignements que le permettaient la sécurité au sein de l’établissement et la sécurité des sources. Si de plus amples renseignements avaient été fournis, cela aurait bien pu compromettre la sécurité de l’établissement dans lequel le demandeur était détenu et la sécurité des sources sur lesquelles le SCC s’appuyait raisonnablement. C’était probablement le demandeur plutôt que le SCC lui‑même qui avait entre les mains la preuve permettant de réfuter les soupçons et les allégations.
[50] Compte tenu de la brève analyse qui précède, je suis convaincu, comme l’était le juge Pinard dans la décision Hiebert, que « le demandeur a [...] eu l’occasion de présenter des observations utiles en réponse à la décision proposée [de maintenir son niveau de sécurité et par conséquent son incarcération dans l’établissement de Bath] ». Le fait que, dans la décision visée par l’examen, [traduction] « des précisions additionnelles » ont été demandées de l’établissement de Bath [traduction] « afin de corroborer les déclarations figurant dans l’évaluation en vue d’une décision » parce qu’on [traduction] « soupçonnait que [le demandeur possédait] d’importantes sommes d’argent cachées » étaye uniquement la conclusion selon laquelle le demandeur aurait peut‑être mieux fait de poursuivre son grief au troisième palier au lieu de s’adresser directement à la Cour à la suite de la décision rendue au deuxième palier.
d) La décision « manifestement déraisonnable »
[51] Une décision manifestement déraisonnable est une décision qui, selon le libellé de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales[10], est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait le décideur[11].
[52] Selon la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, et compte tenu des antécédents criminels du demandeur, de ses associations passées, et peut‑être présentes, ainsi que des déclarations de culpabilité ayant mené à son incarcération actuelle, et plus particulièrement de sa désignation à titre de membre d’une organisation criminelle dans une décision non contestée datée du 16 octobre 2003, laquelle, selon les documents dont dispose la Cour, n’est toujours pas contestée, je ne puis tout simplement pas conclure que la décision visée par l’examen est abusive ou arbitraire, ou qu’elle a été rendue sans tenir compte de la totalité des éléments dont disposait le décideur.
CONCLUSION
Compte tenu de l’analyse qui précède, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire en me fondant sur l’existence d’un autre recours approprié si ce n’était du fait que le demandeur avait tous les motifs de croire, compte tenu de ce qui s’était passé au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, qu’il se pouvait bien qu’il n’obtienne pas rapidement une réponse au troisième palier. J’ai examiné les questions de fond qui se posaient dans la présente demande de contrôle judiciaire et, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que je possède à cet égard, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Telle sera donc ma décision.
LES DÉPENS
[53] Les avocats des deux parties ont demandé les dépens au cas où leur client aurait gain de cause. Compte tenu du résultat, les dépens suivraient normalement l’issue de la cause et seraient adjugés au défendeur. Toutefois, il existe en l’espèce certaines considérations qui militent en faveur d’un résultat différent. Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales[12] est rédigé comme suit :
400(1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.
Le paragraphe 400(3) des Règles énumère divers facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’elle possède en vertu du paragraphe 400(1) des Règles, et notamment les facteurs suivants :
h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;
[…]
o) toute autre question qu’elle juge pertinente.
[54] La présente instance met en évidence, et probablement pas pour la première fois, le fait que la procédure de règlement des griefs du Service correctionnel du Canada n’établit pas une procédure « [...] de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire [...] ». De fait, l’expérience qu’a vécue le demandeur, lorsqu’il a présenté un grief qui n’était pas déraisonnable et qui a abouti au présent contrôle judiciaire, montre que la procédure de règlement des griefs du SCC, du moins au deuxième palier dans la région de l’Ontario au moment en cause ici, était tout le contraire d’une procédure expéditive et allait tout à fait à l’encontre de la directive du commissaire portant sur ce qui est selon ce dernier une procédure expéditive. Dans ces conditions, je suis convaincu qu’il était de fait dans l’intérêt public d’engager la présente instance en vue de mettre en évidence l’arriéré des griefs dans la région de l’Ontario du SCC et de démontrer qu’il se peut bien que l’autre recours administratif, à savoir le troisième palier de la procédure de règlement des griefs, ne constitue pas un autre recours approprié.
[55] Au cas où l’on estimerait que j’étends un peu trop la portée de l’alinéa 400(3)h) des Règles, je dirai que je m’appuie également sur le caractère non limitatif de l’alinéa 400(3)o).
[56] Compte tenu des considérations susmentionnées, je décide d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré au paragraphe 400(1) des Règles pour refuser d’adjuger les dépens au défendeur, et ce, même s’il a eu gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne seront adjugés.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 9 novembre 2006
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : KINGSTON (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 1er NOVEMBRE 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 9 NOVEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Philip Kenneth Casey |
POUR LE DEMANDEUR |
Gregory Tzemenakis
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Philip Kenneth Casey Kingston (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
[1] L.C. 1992, ch. 20.
[2] DORS/92‑620.
[3] [1999] 2 R.C.S. 187 (non mentionné devant la Cour).
[4] [2005] A.C.F. no 2136, 2005 CF 1719, 21 décembre 2005.
[5] [1995] 1 R.C.S. 3.
[6] [2001] 1 C.F. 17 (1re inst.).
[7] [2003] A.C.F. no 310, 2003 CAF 99, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée.
[8] Pour un examen plus récent de la question, voir Olah c. Procureur général du Canada, 2006 CF 1245, 18 octobre 2006, paragraphes [11] à [14], non mentionné devant la Cour et non suivi en l’espèce.
[9] Précité, note 4.
[10] L.R.C. 1985, ch. F-7.
[11] Voir : Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. no 587, 2005 CAF 122, 8 avril 2005), paragraphe 26, où le juge Evans, au nom de la cour, a écrit : « En ce qui a trait aux questions de fait et aux inférences reposant sur des faits, les décisions de la Commission sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, [...], alinéa 18.1(4)d). [...] »
[12] DORS/98-106.