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Date : 20061107

Dossier : IMM-7018-05

Référence : 2006 CF 1339

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

VAN MUOI VU

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Van Muoi Vu (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) le 5 août 2005. Dans cette décision, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur ne courrait aucun risque au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi ou la LIPR), s’il retournait au Vietnam.

[2]               Le demandeur est un citoyen du Vietnam. Il est arrivé au Canada en juin 1992 en vertu du Règlement (transitoire) sur la catégorie désignée d'Indochinois, DORS/90-627 et non pas comme réfugié au sens de la Convention.

 

[3]               Entre 1973 et 2002, le demandeur a été accusé et déclaré coupable d’infractions criminelles, notamment de trafic de stupéfiants. Par la suite, son statut de résident permanent a été annulé et il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

[4]               Le 15 novembre 2004, le demandeur a présenté une demande d’ERAR en vertu des articles 112 et 113 de la Loi. Il s’est présenté à une audience devant l’agent d’ERAR le 10 mars 2005. Dans sa décision datée du 5 août 2005, l’agent d’ERAR a décidé que le demandeur ne serait pas exposé à un risque important de persécution s’il retournait au Vietnam et a affirmé que la mesure de renvoi prise contre lui était maintenant exécutoire. Dans la décision et les motifs de la décision, il n’est aucunement fait mention des enfants du demandeur, lesquels sont des citoyens canadiens, ni de leurs intérêts.

 

[5]               Le principal argument avancé par le demandeur est que l’agent d’ERAR, ayant soulevé le sujet des considérations d’ordre humanitaire au cours de l’audience relative à l’ERAR qui a eu lieu le 10 mars 2005, était obligé de se pencher sur ces facteurs avant de prendre sa décision. Il prétend que la prise en compte de considérations humanitaires exige nécessairement la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, lesquels sont tous citoyens canadiens. À l’appui de ces arguments, le demandeur invoque l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente instance et dans lequel il a fait les déclarations suivantes :

[traduction]

9.  M. Sheppard savait fort bien que j’avais une épouse et trois enfants, tous des citoyens canadiens, qui comptent sur mon appui financier et affectif, car mon avocat a soulevé ce point en premier lorsque nous avons discuté avec lui.

 

10.  La question des considérations humanitaires dans le contexte de l’ERAR a carrément été soulevée par M. Sheppard lorsqu’il a attiré notre attention sur le fait que peu d’avocats sont aux faits quant à l’aspect des considérations humanitaires dont doit tenir compte l’agent d’examen des risques avant renvoi.

 

11.  En fait, M. Sheppard a mentionné le nom de Barb Jackman comme étant l’un des premiers avocats, sinon le premier avocat qui a insisté pour que les considérations humanitaires soient prises en compte dans le cadre de l’ERAR.

 

12.  Je croyais que M. Sheppard tiendrait compte des considérations humanitaires.

 

Le demandeur n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit.

[6]               Le défendeur est d’avis que l’agent d’ERAR n’était pas tenu par la loi de se pencher sur les considérations humanitaires et, à cet égard, il invoque les décisions suivantes : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62 (C.F.); Banik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (3 juillet 2003), dossier no IMM-4861-03 (C.F.); Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 273 F.T.R. 11 (C.F.); et Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 83 F.T.R. 131 (C.F. 1reinst.), conf. par (1996), 194 N.R. 46 (C.A.F.).

[7]               La première question à aborder est celle de la norme de contrôle applicable, selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Les quatre facteurs sont il faut tenir compte dans le cadre de cette analyse sont les suivants : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et de la disposition particulière, la nature de la question.

[8]               La Loi ne comprend aucune clause privative et une demande de contrôle judiciaire fait l’objet d’une autorisation de la part de la Cour. Par conséquent, le premier facteur est neutre.

[9]               Le décideur en l’espèce est un agent d’ERAR qui possède de l’expérience en matière d’évaluation de demande d’ERAR. De plus, en l’espèce, une audience a été tenue et l’agent d’ERAR était en mesure d’observer le demandeur et de poser toutes les questions qu’il désirait.

[10]           L’objet de la Loi consiste à régir l’admission de non-citoyens au Canada. L’objet des dispositions régissant le processus d’ERAR, c’est‑à‑dire les articles 96, 97 et 113, consiste à évaluer si une personne sera exposée à un risque de persécution et de torture si elle est renvoyée dans son pays de nationalité.

[11]           La nature de la question, en l’espèce, est essentiellement factuelle et exige une évaluation de la situation qui règne dans le pays de nationalité.

[12]           Tout compte fait, je conclus que la norme de contrôle indiquée est celle de la décision manifestement déraisonnable. Les arguments du demandeur concernant l’introduction du sujet des considérations humanitaires par l’agent d’ERAR et de son obligation correspondante de se pencher sur ces facteurs soulève une question d’équité procédurale qui est susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte.

[13]           Après m’être penché sur la question du bien‑fondé de la décision de l’agent d’ERAR, je suis convaincu qu’elle satisfait à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Selon le dossier certifié du Tribunal, l’agent d’ERAR a examiné une quantité importante de documents relativement au traitement réservé aux déserteurs de la part du gouvernement du Vietnam. L’agent d’ERAR a estimé que le demandeur ne serait exposé à aucun risque au Vietnam s’il était renvoyé dans ce pays quelque 24 ans après s’être dérobé à ses obligations militaires. Rien ne justifie une intervention judiciaire quant à la décision de l’agent d’ERAR.

[14]           Je souscris aux observations du défendeur que la Loi n’impose aucune obligation à l’agent d’ERAR de tenir compte des considérations humanitaires lorsqu’il évalue une demande d’ERAR. Ce sujet a récemment été abordé par le juge Barnes dans Naidu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1392 (QL).

[15]           L’agent d’ERAR a‑t‑il violé les principes de l’équité procédurale en soulevant le sujet des considérations humanitaires dans le contexte de la demande d’ERAR de M. Vu, puis en ignorant complètement ce sujet? Le demandeur invoque son témoignage non contredit par affidavit selon lequel ces observations ont été faites à l’appui de l’argument que, dans les circonstances, l’agent d’ERAR aurait dû tenir compte de ces considérations.

[16]           Je conclus que les observations du demandeur à propos de ce qui a été dit par l’agent d’ERAR ont trait à la doctrine de l’attente légitime, un aspect de l’équité procédurale. Dans Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.F.), aux pages 31 et 32, le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la majorité, a affirmé ce qui suit concernant cette doctrine :

Le principe applicable est parfois énoncé sous la rubrique « expectative raisonnable » ou « expectative légitime ». Il a une importante histoire dans le droit administratif, et le Conseil privé l'a énoncé avec fermeté dans l'affaire Attorney General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu , [1983] 2 A.C. 289 (P.C.). Dans cette affaire, Ng était un immigrant illégal ayant gagné Hong Kong à partir de Macao comme plusieurs milliers d'autres. Le gouvernement a publiquement promis que chaque immigrant illégal aurait droit à une entrevue, et que chaque cas serait traité selon ses propres faits. Malgré cela, Ng, dont le statut illégal n'était pas contesté, a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion sans avoir la possibilité d'expliquer pourquoi le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en sa faveur pour des raisons humanitaires et autres. Le Conseil privé a statué que, en agissant ainsi, les autorités ont rejeté les expectatives raisonnables de Ng fondées sur les propres déclarations du gouvernement.[…][renvoi omis]



[17]           Selon moi, les faits de l’espèce ne révèlent pas que cette doctrine s’applique. L’agent d’ERAR n’était pas tenu par la loi de tenir compte des considérations humanitaires. Le témoignage du demandeur ne démontre pas que l’agent d’ERAR s’était engager à tenir compte des considérations humanitaires, notamment de l’intérêt supérieur de ces enfants, lesquels sont citoyens canadiens.

[18]           Par conséquent, rien ne justifie une intervention judiciaire et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


ORDONNANCE

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Elizabeth Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7018-05

 

INTITULÉ :                                       Van Muoi Vu

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 7 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Mary Lam

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Mary Lam

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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